samedi 4 mars 2017

"Un clafoutis aux tomates cerise" (Véronique de Bure)


Jeanne a 90 ans. Veuve depuis des années, elle vit à la campagne, dans une vieille maison désormais trop grande pour elle, avec un couple d'agriculteurs presque aussi âgés pour seuls voisins proches. Pourtant, elle ne s'ennuie jamais. Quand elle ne retrouve pas ses amies pour un goûter - ou un apéro au muscat - et de longues parties de bridge, Jeanne faits des mots croisés et des patiences, cuisine les fruits et les légumes de son jardin en prévision d'une visite de ses enfants et petits-enfants, observe l'évolution de la nature et note ses pensées dans un carnet au jour le jour. ("Finalement, les seuls moments où je m'ennuie, ce ne sont pas ceux où je suis seule, ce sont ceux où je suis en compagnie de gens ennuyeux.") Elle ne rate jamais la Messe le dimanche, a un mal fou à comprendre comment fonctionne son téléphone portable et se sent totalement larguée par la technologie moderne, mais fait parfois preuve d'une plus grande ouverture d'esprit que sa descendance. ("Mon neveu affirme que l'homosexualité est la cause majeure du déclin des empires grec et romain. Ca m'étonne un peu.")

Très en forme pour son âge, elle voit néanmoins tomber un par un les gens de sa génération et adopte un certain détachement fataliste pour se protéger ("Comme le reste, les sentiments s'usent. La colère se tempère, l'affection s'assoupit, la compassion s'étiole. Le bruit du monde ne nous parvient plus que de très loin, vague écho d'une vie qui ne nous concerne plus. Les chagrins des autres se diluent dans les brumes de plus en plus épaisses de nos existences fragiles, ils nous atteignent moins. Les gens meurent, souffrent, pleurent, et nous, on ne pense qu'à se sauver. On ne veut pas se voir dans le miroir de la vieillesse que nous renvoient les autres, ceux qui n'ont pas notre chance. Alors on détourne le regard et on poursuit notre petite existence en s'efforçant d'oublier que nous aussi, on arrive à la toute fin."). Si elle a conscience que le bout du chemin approche pour elle, cela ne l'empêche pas de profiter des plaisirs simples que la vie peut encore lui offrir et d'être très lucide sur les changements que la vieillesse provoque chez elle. 

"Un clafoutis aux tomates cerises" est le journal que Jeanne tient pendant un an, depuis le premier jour du printemps jusqu'à la fin de l'hiver suivant. Dans un style sans fioritures, elle y décrit son quotidien tranquille mais agréable, convoque ses souvenirs désormais adoucis par le passage du temps, confesse son égoïsme grandissant et ses difficultés lorsqu'on bouscule ses habitudes. Avec une totale absence de sentimentalisme, Véronique de Bure dresse le portrait nuancé et apaisant d'une nonagénaire à qui on aimerait tou(te)s ressembler plus tard.

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