dimanche 29 novembre 2015

"A map of the world according to illustrators and storytellers" (Antonis Antoniou)



Noël approche à grands pas, et vous commencez à vous demander ce que vous pourriez bien offrir à vos proches (ou vous faire offrir par les gens en manque d'idées.) Si vous êtes amateur de graphisme en général et de cartographie en particulier, je vous recommande fortement "A Map of the World According to Illustrators and Storytellers". Antonis Antoniou y a compilé les oeuvres de plus d'une centaine d'artistes du monde entier, aux styles aussi variés que leurs provenances. C'est toujours un bonheur de reconnaître le plan d'une ville qu'on a visitée et de voir comment elle a été représentée: sous quel angle, avec quelle palette de couleurs, quelle sélection de monuments et autres lieux notables... Les cartes de pays et les mappemondes régalent tout autant les yeux et l'esprit, qu'elles montrent les spécialités culinaires, la musique locale ou encore le lieu d'origine des objets de notre quotidien. Franchement, c'est un cadeau magnifique à faire ou à se faire! (A ma connaissance, ce superbe ouvrage n'est pas disponible en français, mais il comprend si peu de texte que même un non-anglophone pourra en profiter au maximum.)














vendredi 27 novembre 2015

"Les liens du mariage" (J. Courtney Sullivan)


A la fin des années 40, Frances, célibataire endurcie, fait carrière dans la publicité en inventant des slogans pour le diamantaire De Beers. Dans les années 70, Evelyn, veuve très jeune et remariée avec le meilleur ami de son premier époux, s'oppose farouchement au divorce de leur fils unique. Dans les années 80, James doit faire des horaires de dingue dans son boulot d'ambulancier pour subvenir aux besoins de sa famille et se montrer à la hauteur en tant qu'homme. Au début des années 2000, Delphine, bourgeoise parisienne mariée sans amour à un homme plus âgé, s'éprend d'un musicien prodige dont elle pourrait être la mère. Enfin, en 2012, Kate, opposée de toutes ses forces au mariage pour des raisons idéologiques, s'apprête à célébrer celui d'un cousin homosexuel...

Si les héroïnes de "Les débutantes" étaient une bande d'amies de fac, tandis que celles de "Maine" appartenaient à la même famille, ici, les personnages ne se connaissent pas et vivent à des époques différentes. Pourtant, au-delà du fait que chacun d'eux incarne une facette différente de l'institution du mariage, ils sont tous liés d'une manière qui n'apparaît qu'à la fin. On reconnaît la patte de l'auteur dans ses portraits psychologiques fouillés et crédibles, qui lui permettent d'aborder par un biais intime de nombreux sujets de société. J'ai surtout été intéressée par l'histoire de Frances, qui couvre la plus grande période historique et permet de découvrir les débuts puis l'évolution du marketing. Et je me suis énormément retrouvée dans les opinions de Kate, son refus des conventions, sa critique mordante de la société de consommation et les compromis qu'elle est parfois obligée de faire. "Les Liens du mariage" confirme J. Courtney Sullivan comme une valeur sûre du roman choral dont les pages se tournent toutes seules - ou presque. 

"Kate se demandait perpétuellement comment parvenir à agir au mieux dans un monde corrompu. Faire ses courses, allumer un ordinateur, vous rendait indirectement complice de la souffrance de quelqu'un, à l'autre bout de la planète. Dès qu'elle exprimait ses inquiétudes, elle mettait tout le monde autour d'elle mal à l'aise et passait pour la rabat-joie de service. 
Tous les jours, elle s'inquiétait pour (liste non exhaustive): les enfants qui mouraient de faim en Afrique, les produits chimiques dans l'alimentation de sa fille et dans l'eau du robinet. La corruption à Washington et dans le reste du monde. La pauvreté, les viols au Congo, les viols dans les universités américaines. Le plastique. Le pétrole. Les publicités pour la bière dans lesquelles les hommes étaient présentés comme des abrutis uniquement intéressés par le foot et les femmes, des pestes fascinées par le shopping. Les dangers d'internet. L'origine de tous les produits du quotidien: viande, vêtements, chaussures, téléphones portables. Le sort des ours polaires. Les Kardashian. La Chine. (...) Les cancers que les membres de sa famille ne manqueraient pas d'attraper à force de fumer, de réchauffer les aliments au micro-ondes, de s'exposer au soleil, d'utiliser des déodorants, bref de céder à tout ce qui rend la vie moderne un peu plus pratique et supportable."

mercredi 25 novembre 2015

"Ca aussi, ça passera" (Milena Busquets)


La mère de Blanca, le grand amour de sa vie, est morte il y a un mois. L'été arrivant, la narratrice quadragénaire va s'installer dans la maison de vacances familiale, à Cadaquès, en compagnie de toute sa tribu: ses deux ex-maris et les enfants qu'elle a eus d'eux, la nounou, ses amies Sofia et Elisa... Même son amant marié, Santi, n'est pas loin. Au fil des baignades et des promenades en bateau, des verres en terrasse et des dîners au jardin qui se prolongent tard dans la nuit, Blanca convoque ses souvenirs et continue à converser avec la défunte. Pour tromper son immense chagrin et se sentir vivante malgré tout, elle ne connaît qu'un seul moyen: s'étourdir de séduction et de sexe...

De toute évidence, Blanca et moi avons des manières très différentes de gérer le deuil. C'est pour cette raison que malgré des critiques ultra-élogieuses, j'ai mis assez longtemps à me décider à lire "Ça aussi, ça passera". J'ai fini par attaquer ce roman d'été au coeur d'un automne parfaitement lugubre, et au final, je l'ai dévoré dans la journée. D'abord pour la très belle écriture de Milena Busquets, admirablement traduite de l'espagnol par Robert Amutio. Ensuite pour la sensibilité aiguë dont l'héroïne fait montre, à la fois dans ses observations sur la vie et dans l'expression de son chagrin. Parler de choses extrêmement intimes sans jamais sombrer dans l'impudeur ou la vulgarité n'est pas donné à tout le monde. L'auteur fait encore mieux que cela: elle parvient, sur un thème casse-gueule, à produire un roman introspectif aussi solaire que la saison et le lieu qui lui servent de cadre. Je dis bravo. 

Je suis folle de mon corps asymétrique, doux, maigre, imparfait, disproportionné, je le gâte, je le tripote, je lui donne tout ce qu'il me demande, je le suis partout, je lui obéis docilement, je ne le contredis jamais. C'est le contraire d'un temple. J'ai essayé, j'essaie, sans trop de succès, de faire de ma tête un temple, mais le corps devrait être toujours un parc d'attractions.

Je remarque les mêmes choses, le petit chien monté sur ressorts dont la tête apparaît et disparait à la fenêtre d'un rez-de-chaussée, le grand-père qui donne la main à son petit-fils, les beaux mecs avec le radar branché, l'éclat du rayon de soleil sur mes bracelets cliquetants, les personnes âgées et seules, les couples qui s'embrassent avec passion, les mendiants, les vieilles suicidaires et provocatrices qui traversent la rue à la vitesse d'une tortue, les arbres. Nous voyons tous des choses différentes, nous voyons toujours les mêmes choses, et ce que nous voyons nous définit absolument. Nous aimons instinctivement ceux qui voient comme nous, et nous les reconnaissons tout de suite.

C'est l'observation, pas seulement l'amour, qui nous rend maîtres des choses, des villes que nous avons visitées, des histoires que nous avons vécues, des gens, de tout. Tout ce que tu as connu et vécu sans indifférence, avec attention, tout cela est à toi. Tu peux tout convoquer quand tu en as envie.

lundi 23 novembre 2015

"Par bonheur, le lait" (Neil Gaiman/Boulet)


C'est l'histoire d'un papa qui, sa femme étant partie donner une conférence et ses enfants n'ayant plus de lait pour arroser les céréales de leur petit-déjeuner, s'arrache à la lecture de son journal bien-aimé pour faire un tour à l'épicerie du coin. Et tarde à revenir, car il est en train de vivre une aventure rocambolesque pleine d'extraterrestres, de pirates et de vampires, qui le verra faire des allers et retours dans le temps à bord d'une montgolfière pilotée par un stégosaure... le tout en protégeant sa précieuse bouteille de lait!

Selon son éditeur français, ce court roman jeunesse est "un concentré d'action tonique et débridée, hommage au petit-déjeuner, à l'imagination, aux enfants et à tous les parents". Ce qui me semble une description très juste. On ne s'ennuie pas une seconde pendant la centaine de pages de "Par bonheur, le lait", et on est même un peu désolé que l'histoire farfelue inventée par Neil Gaiman se termine aussi vite - d'autant qu'elle contient quelques boucles temporelles particulièrement réjouissantes, ainsi qu'une bonne dose d'humour et de références culturelles plus ou moins planquées dans le texte. Le type même du bouquin qui réjouira les lecteurs de tous les âges. 

- Si deux objets qui sont le même se touchent, a proclamé le dieu volcan, alors l'Univers tout entier prendra fin. Ainsi parle le grand et indicible Splod.
- Comment se fait-il qu'un volcan en connaisse si long sur la métascience transtemporelle? a demandé un des extraterrestres vert pâle. 
- Etre une formation géologique laisse beaucoup de loisir pour réfléchir, a déclaré Splod. En plus, je suis abonné à un certain nombre de revues savantes.





samedi 21 novembre 2015

"Sorcière et ténèbres" T1 (Hiroko Nagakura)


"Hitsuji est probablement la fille la plus énergique, optimiste, enthousiaste et heureuse de l'école. C'est aussi une sorcière, une sorcière blanche pleine de bonnes intentions.  Un jour apparaît dans sa classe Kokuyô, un nouvel élève recouvert de bandages comme une momie. Même s'il est sacrément antipathique, Hitsuji tombe rapidement amoureuse de lui. Le problème, c'est que Kokuyô est un chasseur de sorcières. Il les déteste tellement qu'il souhaite toutes les exterminer..."

J'ai craqué pour la couverture de cet ouvrage, dont le style me faisait irrésistiblement penser aux films de Miyazaki. Hélas, elle s'est révélée plutôt trompeuse. Loin de l'atmosphère pleine de charme de "Kiki" ou du "Château ambulant", "Sorcière et ténèbres" mélange une magie noire au croisement du vaudou et du satanisme avec une romance d'une banalité à pleurer. L'héroïne mignonne, gentille et gaie qui soupire après un type mystérieux et désagréable, c'est tellement vu et revu... Le contraste entre sa naïveté typique du shôjo et la noirceur de batailles magiques dont l'ambiance rappelle plutôt "Death Notes" ne fonctionne pas du tout. De plus, sans être horribles, les dessins intérieurs sont d'une qualité assez médiocre - à part pour le très bel encart couleur de la fin. Bref, je n'ai vraiment pas apprécié "Sorcière et ténèbres".




jeudi 19 novembre 2015

"12 rue Royale: Les sept défis gourmands" (Richez/Efix)


Détenteur du col tricolore des Meilleurs Ouvriers de France, Mathieu Viannay est depuis 2008 aux manettes (et aux fourneaux) du restaurant lyonnais La mère Brazier  - une institution locale. Richez et Efix le mettent en scène dans une aventure qui le voit relever sept défis culinaires plus tordus les uns que les autres: par exemple, rendre heureux des parents endeuillés, faire tomber amoureux des gens très mal assortis ou satisfaire avec un menu unique un sportif au régime strict et un bâfreur jamais rassasié.

Véritable Mozart des fourneaux, ce chef ultra-sympathique déploie toute son inventivité en s'efforçant de ne jamais renoncer à son principe le plus sain(t): n'utiliser que des produits frais et de saison. Au passage, le lecteur s'instruit sur le fonctionnement de la cuisine d'un grand restaurant. Drôle et gourmand, "12 rue Royale" se termine par quelques-unes des recettes emblématiques de Mathieu Viannay - dont l'Oreiller de la Belle Aurore, hécatombe volaillère qui nécessite le sacrifice d'une quinzaine de bestioles à plumes. Les végétariens pourront toujours se rabattre sur les madeleines tièdes au miel et leur glace au fromage blanc.



mercredi 18 novembre 2015

Bienvenue à L'annexe!


Petit frère de mon blog personnel, "L'annexe" a vocation à parler uniquement de mes lectures. 

J'y ai regroupé mes anciennes critiques - sans les commentaires associés, que Blogger a refusé d'importer car ils étaient trop nombreux. Mes nouveaux avis seront publiés exclusivement ici. Vous pourrez fouiller les archives à l'aide des mots-clés indiqués dans la colonne de droite: pays, époque, thèmes... Plus tard, je créerai des onglets si cela semble nécessaire. 

Par souci d'honnêteté, je vous informe que les liens inclus dans mes billets sont des liens affiliés Amazon: chaque fois que vous accédez à leur site en venant de chez moi, puis passez une commande, je touche un petit pourcentage sous forme de bon d'achat qui me permet de commander d'autres livres pour vous proposer toujours plus de critiques. 

A très vite pour le premier billet officiel de "L'annexe"!

mardi 17 novembre 2015

"La balade des pas perdus"


A sept ans seulement, Millie Bird a déjà vu beaucoup de Choses Mortes qu'elle consigne dans un cahier. Le numéro 28, c'était son père. Peu de temps après, sa mère laisse la fillette dans un grand magasin en promettant de revenir bientôt la chercher. Mais les jours passent sans qu'elle réapparaisse. Puis Millie croise la route de Karl le Dactylo, un octogénaire veuf qui a fui sa maison de retraite en emportant une collection de touches tiret volées sur des claviers d'ordinateur, et d'Agatha Pantha, une vieille voisine acariâtre qui n'a pas mis les pieds hors de chez elle depuis la mort de son mari, six ans auparavant, et dont la seule distraction consiste à engueuler les passants pour un oui ou pour un non. Ensemble, tous partent à la recherche de la maman de Millie en semant une belle pagaille sur leur passage...

Brooke Davis a écrit "La balade des pas perdus" pour exorciser la mort de sa propre mère; c'est sûrement pour ça qu'elle parvient à traiter le sujet du deuil de manière aussi juste et poignante. Mais si son roman tord souvent le ventre, il fait aussi beaucoup sourire et même rire aux éclats. De rencontres émouvantes en actes de délinquance spontanés, le road trip foutraque des trois héros prend des allures de voyage initiatique qui fait découvrir la vie à la fillette et en rend le goût aux deux vieillards. Bien que déçue par la fin un peu abrupte, j'ai adoré cette histoire si grave et si légère à la fois - et gagné au moins dix points de Quotient Emotionnel en la lisant. 

"Peut-être que le jour où tu rends ton dernier soupir, tu reconnais tout, tes souvenirs et tes pensées et les choses que tu regrettes de ne pas avoir dites et celles que tu aimerais ne pas avoir dites et les images dans ta tête des volutes de café chaud et l'expression de ton père juste avant de mourir et la sensation de boue entre tes doigts et le vent quand tu descends la colline en courant et la couleur de toute chose, pour toujours." 

"Chacun sait que nous avons tous un visage qui pleure, de même que nous avons tous un visage qui jouit, mais ceux-là se trouvent sur la liste des Visages Que Personne Ne Voit. Chacun sait que tout le monde se masturbe et pleure, et nous nous parlons en respectant ce contrat implicite, nous tenons des conversations avec ce mur transparent entre nous: Je ne me masturbe pas et je ne pleure pas non plus, je ne me masturbe pas et je ne pleure pas non plus, je ne me masturbe pas et je ne pleure pas non plus, mais comme en réalité je le fais, je sais que vous le faites aussi parce que nous sommes tous pareils. 
Il avait vu Evie avec un visage qui pleure. Visage qui jouit. Visage de terreur. Visage de mort. Est-ce donc cela, l'amour? S'arrêter de faire semblant? Etre capable de dire à une autre personne: Je me masturbe, je pleure, j'ai peur, je meurs?"

mercredi 11 novembre 2015

"Daho, l'homme qui chante"


"Daho: l'homme qui chante", c'est le récit illustré de trois ans de la vie d'un artiste, depuis le début de la genèse d'un album jusqu'à la fin de sa tournée de promotion. Grande figure de la pop française, Etienne Daho y raconte avec autant d'éloquence que de pudeur son processus créatif et sa vision du métier. Les membres de son entourage viennent témoigner, parler de son incroyable professionnalisme, de ses talents multiples mais aussi de son humilité et de son élégance morale. On observe dans les moindres détails chacune des étapes de la conception des "Chansons de l'innocence retrouvée" - jusqu'au choix de la photo de couverture -, et même pour quelqu'un comme moi qui s'intéresse très peu à la musique, c'est assez fascinant de voir tout ce qui entre dans la création d'un album pour lequel la maison de disques a décidé de mettre les moyens. Les dessins aux dominantes rouges et bleues sont un vrai régal pour les yeux, qu'il s'agisse de rendre l'atmosphère des rues de Londres ou celle d'un studio d'enregistrement. "C'est si beau et si difficile, d'être profondément léger", conclut Etienne Daho à la toute dernière page. Pari tenu aussi bien pour lui que pour l'album d'Alfred et de David Chauvel. 




lundi 9 novembre 2015

"Facéties de chats"


"Facéties de chat" rassemble quinze portraits de félins domestiques, toujours sous la forme suivante: un médaillon de présentation, un poème relatant une anecdote humoristique et un dessin illustrant cette dernière - plus, à la fin, une mini-encyclopédie des races présentées. J'avais très, très envie d'aimer cet ouvrage et de le recommander comme cadeau de Noël pour les amateurs de chats et de bédé. Malheureusement, il m'a déçue de bout en bout. D'abord, on a fini de le feuilleter en dix minutes à peine - pour 14,95€, c'est tout de même un peu léger. Ensuite, les poèmes sont atroces, absolument pas maîtrisés dans la forme, avec des vers inégaux, des rimes pauvres et souvent forcées, plus quelques tournures qui font saigner les yeux ("tandis que leur maître commença à les shampouiner", sérieusement?). Enfin, Benjamin Lacombe dont j'adore le travail livre ici des illustrations que je trouve complètement dépourvues d'inspiration et d'intérêt. Pour moi, malgré une jolie couverture et un concept alléchant, c'est un ratage total.