mardi 30 juillet 2013

"Le magicien de Brooklyn"


Enfants d'immigrés russes, Vaclav et Lena se rencontrent à Brooklyn alors qu'ils n'ont que cinq ans et deviennent très vite inséparable. La fillette, dont les parents ont disparu, vit avec une tante prostituée qui la néglige gravement. Chez Vaclav, elle trouve un refuge, de quoi manger à sa faim et un peu de la chaleur maternelle qui lui manque tant. Le petit garçon rêve de devenir le plus grand magicien du monde, et il lui semble évident que Lena sera sa ravissante assistante. Ensemble, ils passent leur temps à échafauder des plans, dresser des listes et répéter leur futur numéro. Puis, l'année de leurs dix ans, Lena est emmenée par les services sociaux. Pendant sept longues années, Vaclav, qui ignore ce qu'elle est devenue, continue à lui souhaiter bonne nuit chaque soir pour la protéger où qu'elle se trouve. Jusqu'à ce que son téléphone sonne, le jour des 17 ans de Lena...

"Le magicien de Brooklyn" conte une histoire d'amour qui, pour le bien ou pour le mal, semble marquée du sceau de la destinée - une histoire d'amour qui s'impose à ses protagonistes comme une irréfutable évidence, mais dans les roues de laquelle une réalité parfois sordide va venir mettre des bâtons. J'ai particulièrement aimé le style de l'auteur. Son choix d'une narration au présent colle très bien avec le ressenti et les horizons des deux jeunes héros. Couplée à sa naïveté, la foi inébranlable de Vaclav en fait un personnage très touchant, tandis que face à lui, Lena aux yeux noirs insondables demeure un mystère pour tous, y compris pour elle-même. Et la fin a un charme fou. Pour les âmes romantiques qu'un peu de noirceur ne rebute pas.

J'ai lu ce roman en anglais et ne peux donc garantir la qualité de sa traduction.

jeudi 25 juillet 2013

"Le sablier"


"Un jour, quelle que soit la blessure, elle fera partie du passé."

Suite au divorce de ses parents, An Uekusa quitte Tokyo pour aller vivre à la campagne chez ses grands-parents. Elle commence tout juste à se faire des amis et à s'habituer à sa nouvelle existence quand sa mère se suicide. Brisée par le chagrin, An ne trouve de réconfort qu'auprès de son jeune voisin Daigo, qui lui fait la promesse d'être toujours là pour elle...

"Le sablier", manga en 10 volumes, nous fait suivre son héroïne depuis l'âge de 12 ans jusqu'à l'approche de la trentaine. A travers le parcours d'An, l'auteur aborde des sujets graves tels que le deuil, la dépendance amoureuse et la difficulté à vivre. Elle évoque tous les émois du premier amour, y compris le vide béant laissé par la rupture, avec une justesse sidérante - la fin du tome 5 m'a poignardée en plein coeur, et je me considère comme quelqu'un de très peu sentimental.

An, infiniment fragile sous son dynamisme apparent, doit grandir et apprendre à tenir debout seule. Et alors que je ne partage pas son histoire, je me suis reconnue dans nombre de ses émotions qui, elles, sont universelles. Hinako Ashihara dessine avec autant de délicatesse qu'elle parle du passage du temps à travers le symbole du sablier, titre et fil rouge de la série. (Attention: spoiler!) Je regrette seulement la fin précipitée qui, en quelques pages, semble contredire toute l'évolution des personnages pour proposer le happy end qu'attendaient sans doute les lectrices japonaises. Un bémol qui ne parvient pas à ternir le plaisir énorme que j'ai pris à dévorer ce manga, ni l'enthousiasme avec lequel j'en recommande la lecture aux amateurs de shojo intelligent.

"Même quand on s'aime depuis des années, il y a toujours chez l'autre une partie inaccessible. Finalement, on ne peut sauver que soi-même."

dimanche 21 juillet 2013

"Where'd you go, Bernadette"


Architecte de génie et pionnière du mouvement écolo, Bernadette Fox s'est retirée du monde.  Elle vit désormais à Seattle, dans une ancienne école dont le toit fuit de partout et où des ronces jaillissent du plancher. Bien que pourvue d'un mari travaillant chez Microsoft et d'une fille de quinze ans qui est une élève modèle, Bernadette déploie une énergie folle pour fuir les contacts sociaux. Elle a même engagé une assistante indienne qui gère sa vie par internet depuis l'autre bout du monde. Mais à quelques jours de partir en croisière dans l'Antarctique avec sa famille, Bernadette disparaît sans explication. Sa fille Bee (diminutif de Balakrishna) tente de reconstituer les événements qui l'ont poussée à fuir pour, peut-être, la retrouver... 

Roman essentiellement épistolaire, composé d'emails échangés par les différents protagonistes mais aussi des souvenirs et des réflexions de Bee, "Where'd yo go Bernadette" a été la bonne surprise de ce début d'été - drôle et inattendu à la fois. J'ai adoré son héroïne, génie névrosée, misanthrope et farfelue, incomprise par son mari comme par les autres parents d'élèves qu'elle surnomme "les blattes". Ses stratégies d'évitement sont tout à fait hilarantes. La voix de Bee, qui raconte l'histoire, offre un contrepoint agréablement stable et mature aux excentricités de sa mère adorée. "Where'd You Go, Bernadette?" n'est pas encore disponible en français - mais si un éditeur passe par là et envisage d'en acheter les droits, je serai ravie de le traduire pour lui!

mercredi 10 juillet 2013

"Le mystérieux cercle Benedict"


Orphelin surdoué, Reynie Muldoon répond à une annonce: on recrute des enfants pour un mystérieux projet. Après avoir passé des examens fort incongrus, le jeune garçon est sélectionné en compagnie de Sticky Washington, qui possède une mémoire phénoménale, de Kate Wetherall, qui a grandi dans un cirque, et de Constance Contraire dont le seul don apparent est d'agacer son entourage. Leur "employeur", Mr Benedict, leur demande d'infiltrer le pensionnat tenu par Ledroptha Curtain, un savant mégalo qu'il soupçonne de mettre au point un système de contrôle des esprits...

De l'aventure dans un cadre plutôt flippant, de l'amitié entre quatre gamins aux personnalités très différentes, des rebondissements souvent inattendus, de jolies considérations sur la famille et une réflexion intéressante sur la tyrannie: si j'avais des enfants d'une dizaine d'années, c'est sûr, je leur mettrais "Le mystérieux cercle Benedict" entre les mains. Comme je n'en ai pas, je me contente de le recommander ici aux lecteurs petits et grands capables d'apprécier la bonne littérature jeunesse. C'est le premier tome d'une série qui en compte pour l'instant 3 plus un prequel - mais la suite n'est pas encore disponible en français. 

samedi 6 juillet 2013

"Le reste est silence"


Tommy a douze ans, mais c'est à peine s'il en paraît huit. Atteint d'une grave malformation cardiaque, il ne peut pas pratiquer les mêmes activités que les autres enfants de son âge, et ceux-ci le raillent cruellement. Alors, Tommy - enfant intelligent et sensible - s'est créé un petit monde à lui. Avec son ami imaginaire Kàjef, il fait du canoë sur l'océan. Il aime aussi enregistrer les conversations des adultes pour tenter de les comprendre. A l'occasion d'un mariage, il découvre ainsi que sa mère n'est pas morte d'une rupture d'anévrisme comme on le lui a fait croire, mais qu'elle s'est suicidée... 

Alma est la belle-mère de Tommy, qu'elle aime comme s'il était son propre fils. Elle s'est construite en opposition à sa propre mère, coureuse invétérée, fantasque et irresponsable, qu'elle appelle Manà. Mais quand son ancien amant Leo réapparaît lors de ce fameux mariage, Alma, délaissée par son époux, se surprend à s'engager dans les traces de sa mère...

Juan est le père de Tommy et le mari d'Alma, un homme sévère et entièrement dévoué à son travail de chirurgien cardiologue. Il n'a rien pu faire pour sa première femme et il craint constamment pour la vie de son fils; alors, comme pour conjurer le sort, il s'efforce de sauver d'autres malades. Et quand la pression devient trop forte, il s'évade à bord de son petit avion... 

Impossible de communiquer pour les membres de cette famille recomposée. Chacun est seul, enfermé en lui-même avec les pensées qui le tourmentent, et ne peut ou n'ose pas compter sur les autres pour l'aider. L'enquête de Tommy pour découvrir ce qui est réellement arrivé à sa mère, la liaison d'Alma et de Leo, l'impuissance de Juan face à la détérioration rapide d'un de ses jeunes patients vont renforcer leur isolement et les mener jusqu'au drame. Pourtant, "Le reste est silence" n'est pas un roman déprimant. Douloureux, sans doute. Mais ce que j'en retiendrai surtout, c'est sa justesse et sa force émotionnelles. Babel/Actes Sud s'impose décidément comme mon fournisseur n°1 de littérature contemporaine de qualité.