mercredi 31 janvier 2018

"The rise and fall of D.O.D.O." (Neal Stephenson/Nicole Galland)


Melisande Stokes, experte en langages anciens, est contactée par Tristan Lyons, un agent du gouvernement en mission secrète, qui l'embauche pour traduire des documents historiques relatifs au fonctionnement de la magie. Ayant découvert la raison pour laquelle cette dernière a disparu au milieu du 19ème siècle, les deux acolytes s'adjoignent les services de Frank Oda, un physicien à la retraite, et le chargent de créer une sorte de boîte de Schrödinger à l'intérieur de laquelle il serait possible de lancer des sorts. Ils se demandant où trouver une sorcière lorsqu'une étrange vieille femme nommée Erszebet Karpathy contacte Melisande sur Facebook en affirmant qu'elles se sont rencontrées à Londres en 1851, et que Melisande lui a demandé de prolonger son existence afin de pouvoir les aider à faire revenir la magie au 21ème siècle...

Malgré la popularité de Neal Stephenson auprès des lecteurs de SFFF, je n'avais encore jamais lu aucun de ses romans, toujours très longs et réputés pleins de technoblabla. Mais je suis incapable de résister à une histoire de voyage dans le temps, surtout avec une couverture aussi intrigante. Il m'aura fallu près de deux semaines pour venir à bout de "The rise and fall of D.O.D.O.", et je le referme très partagée. J'ai beaucoup aimé les 200 premières pages, qui racontent la mise en place du D.O.DO. et les premières expéditions temporelles des deux héros. Mais ensuite, les voyages dans le temps deviennent extrêmement répétitifs; le D.O.DO. se mue en organisme gouvernemental tentaculaire; la narration s'éclate et, quittant le point de vue de Melisande, progresse par accumulation de documents écrits - lettres, mails et mémos - visant à ridiculiser le côté procédurier des administrations. Certes, c'est très bien foutu et assez drôle au début, mais on a l'impression que les deux auteurs, éblouis par leur propre brillance, font durer leur plaisir au-delà du raisonnable. L'histoire s'embourbe dans des longueurs ennuyeuses, et l'événement entrevu dans les toutes premières pages, celui qui a servi à exciter la curiosité du lecteur, semble ne jamais devoir se produire. Puis, dans le dernier cinquième du roman, l'action s'accélère brusquement. On se réjouit qu'il se passe enfin quelque chose, mais tout va si vite qu'on peine un peu à suivre le mouvement. L'attaque du Walmart par une horde de Vikings, racontée à la façon d'une saga épique, cristallise assez bien mon sentiment sur l'ensemble du livre: une idée excellente, mais une réalisation qui se regarde beaucoup trop le nombril et finit par en devenir chiante.

mardi 30 janvier 2018

"Jamais" (Duhamel)


Troumesnil, Côte d'Albâtre, Normandie. Grignotée par la mer et par le vent, la falaise recule inexorablement chaque année, emportant avec elle le paysage et ses habitations. Le maire du village a réussi à protéger ses habitants les plus menacés. Tous sauf une nonagénaire, qui résiste encore et toujours à l'autorité municipale. Madeleine veut continuer à vivre avec son chat et le souvenir de son mari, dans SA maison. Madeleine refuse de voir le danger. Et pour cause: Madeleine est aveugle de naissance. 

Entre les pêcheurs qui se chamaillent façon village gaulois, les ivrognes qui ressassent le passé au comptoir du bistro, le maire bien embêté par cette administrée qui menace de tout faire sauter si on tente de l'expulser, sa femme prête à employer les méthodes les plus retorses, le gentil pompier noir originaire de Seine-Saint-Denis, le jeune facteur sympa qui lui lit son courrier et le chat Balthazar qui profite de sa cécité pour devenir tranquillement obèse, Madeleine tient bon et n'en démord pas: elle ne partira JAMAIS de chez elle où chaque souvenir, chaque odeur, chaque son lui rappellent son défunt époux. S'il le faut, elle est prête à sombrer avec sa maison dans l'océan qui lui a déjà pris son Jules...

Si vous aimez les scénarios pétris d'humanité à la Zidrou, je vous recommande chaudement cette bédé en un seul tome, à la fois drôle et émouvante. 

dimanche 28 janvier 2018

"En camping-car" (Ivan Jablonka)


"Volkswagen avait produit un foyer mobile, un espace idéal, un lieu logique où tout servait, où tout avait sa place, où chaque centimètre carré était utilisé intelligemment, grâce à l'extrême rationnalité du rangement - et cela aussi était rassurant. Le génie allemand de l'organisation était mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l'intimité, de l'intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père, et nous avec." 

Dans les années 80, la famille Jablonka passait toutes ses vacances à sillonner le bassin méditerranéen en Combi VW: Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Turquie, Maroc... C'était un choix de vacances peu conventionnel pour l'époque: sans contraintes ni horaires, anti-consumériste et hors des sentiers battus, favorisant l'exploration de la nature et la découverte de la culture locale. 

Autour des carnets qu'il tenait à l'époque, le fils aîné Ivan, devenu historien et écrivain, développe une véritable "sociologie de la liberté". Il analyse la place de ces vacances dans une histoire familiale bien particulière - celle de ses parents juifs, miraculeusement épargnés par la Shoah, qui ont tous les deux grandi dans un milieu populaire auxquels ils se sont arrachés par des études brillantes pour devenir, l'un ingénieur en physique des particules, l'autre professeure de français-latin-grec. 

Le reste de l'année, ils vivent dans un appartement parisien, où le père culpabilise à l'idée de ne pas rendre les siens heureux et où Ivan ressent une pression énorme à être un élève modèle et un fils parfait pour ne pas aggraver la détresse paternelle. Par contraste, les vacances en camping-car deviennent des périodes mythiques où chacun peut s'épanouir en s'adonnant aux plaisirs fondamentaux du jeu et de l'amitié, et où la liberté engendre tout naturellement ce bonheur si difficile à trouver dans l'existence quotidienne ultra-balisée. 

"Le camping-car offrait un mode de vie aléatoire, un peu fou, sans horaires ni impératifs, qui me permettait d'être un gamin de la mer, en short et en tongs, croquant un poivron ou une pêche entre deux baignades. Ce n'était pas tant la cessation des règles que le droit à l'inutilité. Je n'avais plus aucune fonction à assumer, on n'attendait rien de moi. J'étais un enfant qui ne servait à rien. Un enfant tout court." 

Même si je n'ai jamais passé ce genre de vacances, Ivan Jablonka a réussi à me transporter dans le fameux Combi VW avec la petite smala formée par sa famille et les amis qui les accompagnaient durant leurs voyages - à me rendre nostalgique d'une chose que je n'ai pourtant pas vécue. Peut-être parce qu'il parvient à inscrire son expérience personnelle dans le contexte plus large d'une enfance dans les années 80. Ou peut-être à cause du caractère universel des aspirations à la liberté et au bonheur qu'évoque  "En camping-car". 

samedi 20 janvier 2018

"Chanson de la ville silencieuse" (Olivier Adam)


Elle est la fille d'un chanteur adulé, disparu un an plus tôt sans laisser la moindre trace. Alors qu'on s'apprête à le prononcer juridiquement mort, elle apprend qu'on l'aurait aperçu jouant de la guitare aux terrasses des cafés, le soir, à Lisbonne. Elle part au Portugal sur la piste de ce musicien de rue qui est peut-être son père et peut-être pas, et tandis qu'elle le cherche, les souvenirs de son enfance peu commune remontent à la surface...

Avec Olivier Adam, c'est toujours du quitte ou double: ses bouquins me transportent ou m'emmerdent à mourir. "Chanson de la ville silencieuse" entre malheureusement dans la seconde catégorie. Je n'ai jamais réussi à m'intéresser à sa narratrice évanescente, qui malgré de longues énumérations de "Je suis la fille qui..." peine à se définir autrement que par rapport à son célèbre père. Tout au long du livre, celui-ci reste pour sa part un personnage caractériel mais fuyant, insaisissable longtemps déjà avant sa fuite. Et même si l'auteur a su saisir et retranscrire fidèlement son atmosphère, la ville de Lisbonne que j'adore n'a au fond qu'une place secondaire dans le récit. Bref, en dépit d'un style toujours plaisant, je n'ai rien trouvé à quoi accrocher mon intérêt, et alors que ce roman fait moins de 200 pages, je l'ai traîné plusieurs jours (j'ai même failli l'abandonner en cours de route). Il n'a commencé à m'émouvoir vaguement que sur sa toute fin - un peu tard pour me laisser un souvenir impérissable. 

jeudi 18 janvier 2018

"Vie de David Hockney" (Catherine Cusset)


Je ne suis pas très biographies, même romancées. Mais cette fois, il s'agissait d'un de mes peintres préférés et d'une romancière que j'adore depuis que j'ai lu "Le problème avec Jane". Donc, j'ai tenté le coup quand même. Et je ne le regrette pas: sous sa plume, j'ai trouvé que David Hockney devenait un personnage aussi fascinant que le héros de n'importe quelle fiction. Parce que, bien que né dans la classe ouvrière anglaise à la fin des années 30, il a très tôt assumé son homosexualité. Parce qu'il a été à contre-courant de son époque et osé produire un art figuratif, coloré et plein de vitalité malgré le mépris des critiques. Parce qu'il a constamment vécu à cheval entre Los Angeles et l'Angleterre, le soleil et la grisaille, la liberté et les racines. Parce que si les déconvenues amoureuses et l'hécatombe de ses amis dans les années 80 l'ont profondément affecté à titre personnel, jamais il n'a cessé d'explorer de nouveaux media et de créer sous diverses formes. En extrapolant sur ses sentiments - mais pas sur grand-chose d'autre: le livre, par exemple, ne contient presque aucun dialogue -, Catherine Cusset livre une belle réflexion sur l'art et le processus de création. Je regrette encore plus d'avoir raté la rétrospective David Hockney qui est passée au Centre Pompidou récemment; avec cet éclairage, je suis certaine que je l'aurais appréciée encore davantage. 

mardi 16 janvier 2018

"Les cuisines du Grand Midwest" (J. Ryan Stradal)


Sa mère s'est enfuie en l'abandonnant alors qu'elle n'avait que quelques mois; peu de temp après, son père a été tué par une crise cardiaque. Eva Thorvald est adoptée par son oncle et sa tante, qui ne lui diront jamais qu'ils ne sont pas ses vrais parents. Très tôt, elle manifeste un palais exceptionnel et des dons stupéfiants pour la cuisine...

Si c'est bien le parcours hors du commun d'Eva que raconte J. Ryan Stradal, il le fait, à une exception près, toujours à travers les yeux d'autres gens. Centré sur un aliment ou un plat spécifique, chaque chapitre est narré du point de vue d'un membre de l'entourage de la jeune femme, et souvent, cette dernière n'y fait qu'une brève apparition. 

Du coup, pour le lecteur comme pour le grand public, elle reste perpétuellement cette célébrité insaisissable dont on ne sait jamais ce qu'elle pense ou ce qu'elle ressent. Faute de bien la cerner (oui, OK, elle est passionnée de bouffe, mais quoi d'autre?), on peine à s'attacher à elle. 

Néanmoins, pour frustrante qu'elle semble par certains côtés, la construction du roman permet de visiter toutes les classes de la société américaine et d'avoir un aperçu intéressant de leurs rapports respectifs à la nourriture. J'ai beaucoup aimé le personnage de la femme au foyer de la classe ouvrière, effarée de découvrir lors d'un concours de pâtisserie que les aliments traditionnels qu'elle utilise sont désormais considérés comme du poison violent!

J'ai apprécié aussi le dernier chapitre qui réunit la plupart des protagonistes et récapitule les étapes marquantes de la vie d'Eva au cours d'un dîner mémorable - lequel s'achèvera, non par une résolution facile, mais par un point d'interrogation plus subtil du point de vue littéraire. En somme, il ne faut pas voir "Les cuisines du grand Midwest" comme un roman classique racontant l'histoire d'une femme, mais plutôt comme un recueil de nouvelles tournant autour du même thème et reliées entre elles par un fil rouge pas si épais. 

Traduction de Jean Esch (pour ma part, j'ai lu ce livre en V.O.)

samedi 13 janvier 2018

"Moi aussi, je voulais l'emporter" (Julie Delporte)


Depuis que je l'ai découverte avec son "Journal", j'adore le travail de Julie Delporte, ses dessins aux crayons de couleur faussement maladroits et sa manière de raconter pudiquement des choses très intimes. Sa nouvelle bédé parle de féminisme, ce qui ne pouvait pas mieux tomber dans le contexte actuel, entre le mouvement Time's Up triomphant et l'odieuse tribune sur la "liberté d'importuner". De Bruxelles où elle essaie de faire un enfant puis se ravise, craignant de se retrouver enfermée dans le rôle de mère, jusqu'à Montréal qui est son port d'attache, en passant par Helsinki où elle part sur la trace de Tove Jansson (la créatrice des Moomins et un des rares modèles féminins forts à ses yeux), l'auteure se remémore l'agression sexuelle dont elle fut victime enfant et le silence familial qui entoura l'événement. Elle repense à la façon dont, enfant, elle s'est toujours sentie floué d'être une fille, notamment à cause de cette fichue règle de grammaire qui veut que le masculin l'emporte sur le féminin (d'où le titre de l'album). Elle s'interroge sur la représentation des femmes - leur absence dans la sélection du festival d'Angoulême ou parmi les artistes d'une exposition, alors que c'est si souvent leur corps qui est mis en scène. Elle se rebelle contre l'idée d'être aliénée au désir des hommes, considérée comme finie dès lors qu'elle ne le suscitera plus. Au fur et à mesure de sa prise de conscience, elle en vient à se demander si elle pourra encore avoir un amoureux. "Quel homme va supporter une féministe? Quel homme vais-je pouvoir supporter?" Une réflexion personnelle pleine de sensibilité, d'émotion et de justesse. 

vendredi 12 janvier 2018

"Obama: an intimate portrait" (Pete Souza)


Pendant huit ans, Pete Souza a été le photographe officiel de la Maison Blanche et l'ombre de Barack Obama. Il a assisté à toutes les réunions même les plus secrètes, voyagé partout dans le monde avec celui qu'il appelait POTUS et été témoin de chaque moment historique ou intime de sa présidence. Dans ce bel et gros ouvrage, il a rassemblé ses meilleurs clichés par ordre chronologique. Peu de texte hormis la préface signée Barack Obama en personne et les légendes sobre qui permettent de situer le contexte de chaque image, mais les rares commentaires de l'auteur sont toujours très réfléchis et intéressants. Au fil des pages, on voit Barack Obama hyper concentré dans l'exercice de ses fonctions, plein d'une autorité tranquille durant les manifestations officielles, chaleureux et empathique quand il se porte à la rencontre de ses administrés, adorablement spontané et n'hésitant jamais à faire le pitre avec les jeunes enfants, visiblement gaga de sa femme et de ses filles. Oh, point n'était besoin d'un livre pour se rendre compte de ce que l'Amérique et le monde ont perdu quand Barack Obama a été remplacé par le clown orange, mais les photos de Pete Souza enfoncent le clou avec dignité et émotion. N'hésitez pas à le suivre sur Instagram, où il trolle magnifiquement Sa Carrotitude en publiant, à chacun des âneries de ce dernier, une photo de Barack Obama dans une situation similaire afin de créer un contraste saisissant et rappeler ce que devrait être un homme d'Etat.

jeudi 11 janvier 2018

"The Immortalists" (Chloe Benjamin)


Varya, Daniel, Klara et Simon Gold sont les enfants d'un tailleur juif et d'une mère au foyer. Pendant l'été 1969, alors que la plus âgée a 13 ans et le plus jeune seulement 7, ils consultent une voyante qui révèle à chacun la date de sa mort. Pour trois d'entre eux, c'est beaucoup plus tôt qu'ils ne l'imaginaient.

Des années plus tard, Varya a entrepris des études de biologie et Daniel se destine à la médecine quand leur père succombe à une crise cardiaque. Les cadets Klara et Simon partent alors à San Francisco où la première veut devenir une célèbre magicienne et où le second peut laisser libre cours à son homosexualité. L'un après l'autre, ils vont bel et bien mourir le jour dit. Parce que c'était réellement écrit, ou parce que la prophétie a influencé leur comportement et ainsi provoqué son propre accomplissement? 

Impossible d'en dévoiler plus sur "The Immortalists" sans gâcher la découverte de ce roman que j'ai lu d'un trait tant je voulais savoir comment il se terminait. Réponse: pas forcément comme je l'espérais, mais pas non plus d'une manière décevante. Dans son ensemble, c'est une variation intéressante autour du thème de la destinée, qui explore successivement quatre époques et quatre problématiques individuelles très différentes. Au passage, Chloe Benjamin interroge la notion de foi, explore les troubles obsessionnels du comportement et dit de très jolies choses sur les liens familiaux. J'ai beaucoup aimé.

lundi 8 janvier 2018

"L'aube sera grandiose" (Anne-Laure Bondoux)


Nine, bientôt 16 ans, se fait kidnapper dans une Opel Kadett antédiluvienne le jour de la fête de son lycée, à laquelle elle brûlait d'assister avec tous ses amis. Titania Karelman, auteure de romans policiers à succès et accessoirement mère célibataire de la jeune fille, entraîne celle-ci dans une cabane au fin fond des bois. Durant la nuit à venir, elle va lui raconter l'histoire incroyable et pourtant vraie de sa famille: sa grand-mère que Nine croyait morte, les deux oncles dont elle ignorait l'existence, mais aussi tous ceux qui ont croisé et contribué à modeler leur vie, depuis le pompiste au grand coeur jusqu'au docteur fou de vélo en passant par la gouvernante spécialiste des crêpes, le copain disquaire et surtout... Le dernier secret ne sera révélé qu'au point du jour.

Bien que "L'aube sera grandiose" soit déjà le 8ème roman d'Anne-Laure Bondoux, c'est le premier sur lequel je décide de me pencher en raison de plusieurs critiques élogieuses lues à son sujet. Sa chronique familiale émouvante, un peu foutraque et pleine de rebondissements, m'a accrochée au point que je l'ai dévoré dans la journée. L'auteure sait doser péripéties et révélations, alterner présent et passé, entremêler trois générations pour maintenir le lecteur en haleine jusqu'au bout dans le calme trompeur de la province française. Un roman plein de charme et de sensibilité, que je recommande aux adultes aussi bien qu'aux ados.

dimanche 7 janvier 2018

"Emma G. Wildford" (Zidrou/Edith)


Un autocollant coup de coeur de mon libraire préféré, faisant référence aux aventures de Jeanne Picquigny. Le nom du scénariste Zidrou (dont j'adore généralement les histoires). Le superbe rabat de couverture magnétisé et les documents volants glissés entre les pages. Je ne pouvais pas manquer de me jeter sur "Emma G. Wildford", et de le dévorer sitôt rentrée chez moi.

En Angleterre dans les années 20. Emma, jeune poétesse ayant déjà deux recueils à son actif, est sans nouvelles de son fiancé depuis près d'un an. Issu d'une longue lignée d'explorateurs, Roald est parti en expédition dans le grand froid norvégien en promettant de l'épouser à son retour et en lui laissant une lettre à ouvrir uniquement s'il lui arrivait malheur. Emma, qui n'en peut plus d'attendre et ne manque ni de caractère ni de courage, décide de partir elle-même à sa recherche...

Tous les ingrédients étaient réunis pour que je passe un bon moment de lecture - ce qui a été le cas, jusqu'à l'ouverture de la fameuse lettre. Les révélations de Roald m'ont paru tomber comme un cheveu sur la soupe, le personnage ayant été trop peu développé auparavant pour que son comportement apparaisse comme compréhensible. J'ai également trouvé la fin de l'histoire trop abrupte. Il me semble que le scénario aurait mérité un récit plus étoffé, qu'il y aurait facilement eu de quoi remplir une vingtaine de pages supplémentaires. J'aurais voulu que l'expédition d'Emma soit plus développée, tout comme son retour à la vie civile. Néanmoins, une belle bédé pour les amateurs du genre.

samedi 6 janvier 2018

"Clientèle" (Cécile Reyboz)


Il y a trois ans, j'avais lu et adoré "Pouvoirs magiques", la précédente auto-fiction de Cécile Reyboz. Du coup, c'est tout naturellement que j'ai acheté "Clientèle" dès le jour de sa sortie pour m'y plonger aussitôt.

Cette fois, il s'agit d'une collection d'anecdotes tirées pour les deux tiers de la vie professionnelle de la narratrice avocate, et pour un tiers de situation où elle se retrouve elle-même en position de cliente - généralement dans des galeries d'art où elle ne se sent pas du tout à sa place, des restos branchés où elle ne se sent pas vraiment à sa place, et des boîtes de nuit où elle voudrait parfois que soit sa place. De temps en temps surgit un brouillon de lettre à son ex-psy qu'elle voudrait convaincre de recevoir son fils de vingt ans pour un problème de violence physique.

Autant dire que malgré le soi-disant thème directeur, l'ensemble est assez décousu. Les anecdotes professionnelles sont parfois intéressantes, mais le nous majestatif par lequel la narratrice s'y désigne m'a très vite paru horripilant. Les autres m'ont profondément ennuyée. Bref, une grosse déception, et un livre que je n'aurais même pas terminé s'il avait fait plus de 200 pages. 

jeudi 4 janvier 2018

"Eparse" (Lisa Balavoine)


"Enfant, je n'avais pas envisagé de devenir une personne normale." 

Ainsi commence le premier roman de Lisa Balavoine. Enfin, roman... J'aurais plutôt appelé "mémoire" cette collection de pensées et de souvenirs hétéroclites à première vue, mais parmi lesquels un fil directeur émerge peu à peu: celui de la vie amoureuse de l'auteure. Je suppose que tous les enfants des années 70 se retrouveront dans son évocation de cette époque, et hocheront la tête avec un enthousiasme teinté de nostalgie à la lecture de ses énumérations de détails marquants. La liste est d'ailleurs un procédé qu'elle utilise souvent, qu'il s'agisse de répertorier les stars avec qui elle a vécu des histoires d'amour imaginaires, les petites phrases lancées par des gens bien intentionnés après son divorce, les choses qu'elle a essayées, portées ou perdues au fil des ans.

De manière générale, l'absence de fioritures de son style rend encore plus percutante sa franchise sans fausse pudeur, qu'elle évoque ses rapports difficiles avec sa mère, la désorientation de se retrouver célibataire à 40 ans ou la passion charnelle d'un nouvel amour. Elle affirme ne pas savoir elle-même quel genre de fille elle est; pourtant, le portrait qu'elle brosse à petites touches apparemment désordonnées témoigne d'une grande capacité d'introspection et d'une belle lucidité sur soi - ainsi que d'un humour désabusé qui la rend très sympathique. Souvent, en la lisant, je me suis dit: "Oh, ça, j'aurais pu l'écrire, j'aurais voulu l'écrire!". (Je ne prétends pas que j'en aurais été capable: les choses semblent toujours très faciles à accomplir quand on n'en voit que le résultat fini.) Bref, roman ou mémoire, "Éparse" m'a tellement séduite que je l'ai dévoré d'un trait. Et qu'il m'a donné des fourmis dans le clavier. 

Merci aux éditions JC Lattès pour cette lecture.

mardi 2 janvier 2018

"La femme d'argile et l'homme de feu" (Helene Wecker)


1899. Une golème créée en Pologne se réveille à bord du bateau qui la conduit à New York avec son époux. Celui-ci ayant succombé à une appendicite, c'est seule et âgée de quelques jours seulement qu'elle débarque à Ellis Island. Sans maître, cette créature d'argile à la force surhumaine et au tempérament potentiellement meurtrier est tout à fait perdue. Elle a de la chance: un rabbin devine sa véritable nature et la prend sous son aile. 
Pendant ce temps, dans le quartier syrien, un djinn est accidentellement libéré du flacon où il croupissait depuis plus de mille ans. Il a perdu la mémoire et ne sait pas qui l'a emprisonné ni comment il est arrivé là. Coincé sous sa forme humaine par une manchette de fer, il est forcé de s'adapter à une nouvelle vie triviale et pleine d'entraves. Un soir dans Manhattan, sa route croise celle de la golème...

C'est à l'occasion de sa sortie en poche que j'ai découvert ce roman qui avait beaucoup fait parler de lui dans le milieu des littératures de l'imaginaire au moment de sa sortie, en 2015. Si la femme d'argile et l'homme de feu sont des créatures de légende, Helene Wecker les utilise surtout pour évoquer les problèmes bien réels de l'immigration, du sentiment d'inadaptation et de la solitude. A travers eux, elle pose d'une manière très intéressante la question de la nature des êtres: en est-on responsable, est-il possible de lui échapper? Elle dépeint New York à l'aube du 20ème siècle, ses communautés juive et arabe avec ce qu'elles ont de chaleureux mais aussi de contraignant, la pauvreté qui accable les gens du commun et surtout ceux qui viennent d'ailleurs. Dans un contexte plutôt tragique, elle parvient à tisser une histoire enchanteresse dont la lenteur et la longueur pourront rebuter certains, mais qui m'a tenue sous son charme jusqu'à la dernière page. 

Traduction de Michèle Albaret-Maatsch