jeudi 11 avril 2019

"Le mur invisible" (Marlen Haushofer)


Une femme d'une quarantaine d'années accompagne sa cousine et l'époux fortuné de celle-ci dans leur chalet de montagne pour y passer le week-end. Le soir de leur arrivée, la cousine et son mari se rendent au village voisin pour faire des courses. Le lendemain matin, ils ne sont toujours pas revenus. La narratrice part à leur recherche et... se heurte à un mur invisible. Très vite, elle découvre qu'humains et animaux semblent s'être instantanément pétrifiés à l'extérieur, et que les stations de radio ont cessé d'émettre. Incapable d'établir l'origine du phénomène, elle entreprend d'organiser son existence solitaire avec un chien, une vache et une chatte pour seule compagnie. 

D'ordinaire, je ne suis pas très fan de romans post-apocalyptiques - même si peu d'entre eux sont aussi durs que "La route" de Cormac Mccarthy, probablement le plus célèbre de tous. Les seules exceptions à cette règle jusqu'ici étaient "Station Eleven" et "The book of M", que j'ai adorés tous les deux: le premier pour sa poésie du désastre, le second pour son exploration originale du thème de l'identité. L'an dernier, j'ai tenté de lire "Dans la forêt" qui récoltait d'excellentes critiques, et j'ai dû m'interrompre aux deux tiers tellement cette histoire de deux soeurs adolescentes livrées à elles-mêmes dans un monde encore peuplé de gens potentiellement hostiles m'angoissait. Mais au lieu d'invoquer une catastrophe crédible de type pandémie ou attaque nucléaire, "Le mur invisible" part d'un postulat à la limite du fantastique, ce qui m'a tout d'abord évité de trop m'identifier à son héroïne.

Puis très vite, il m'est apparu que le fameux mur n'était qu'un prétexte pour isoler cette dernière, l'obliger à renoncer à sa vie de citadine ordinaire et à tout ce qui faisait son existence pour se métamorphoser au contact de la nature. Et bien qu'il ne se produise quasiment rien durant les deux ans que couvre son carnet de bord, les pages ont défilé toutes seules tant j'étais fascinée par la facilité avec laquelle cette femme banale se résigne à son étrange sort. S'il lui arrive d'avoir peur et de déprimer, on la sent aussi soulagée par la rude simplicité de sa nouvelle vie. Elle passe très peu de temps à ruminer le passé ou à s'interroger sur son avenir au-delà des quelques mois sur lesquels elle doit planifier les travaux agricoles nécessaires à sa subsistance. Au lieu de ça, elle apprivoise la montagne; elle apprend à goûter la satisfaction du labeur manuel, la beauté de ce qui l'entoure, la tendresse qui la lie à ses animaux - et à s'en contenter sans récriminations amères. Sa solitude la renforce, développe sa vie intérieure et la rapproche d'une forme de vérité universelle.

Ecrit par une autrice allemande durant la Guerre Froide, "Le mur invisible" dresse un magnifique portrait de femme contrainte de ne compter que sur elle-même, et qui en des circonstances extraordinaires se découvre des ressources insoupçonnées. Un véritable traité de résilience et de sagesse dont je ne saurais que trop vous recommander la lecture. 

Traduction de Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon

dimanche 31 mars 2019

Concours "Killer game": la gagnante!




C'est donc Emmanuelle Be qui remporte le livre cette fois. 

Envoie-moi tes coordonnées postales à:  leroseetlenoir@hotmail.com

Merci à toutes pour votre participation, et à bientôt pour d'autres concours

samedi 23 mars 2019

Concours: "Killer game" (Stephanie Perkins)


La dernière en date de mes traductions est un slasher YA, autrement dit, un roman d'horreur assez gore à destination d'un public d'ados. Ca se passe dans une petite ville américaine paumée au moment d'Halloween, avec une ambiance qui rappelle "Souviens-toi l'été dernier", des personnages un peu marginaux et plutôt divers: l'héroïne est métisse, son meilleur ami trans, sa meilleure amie goth et son petit ami traîne une sale réputation.

Pour gagner un exemplaire de "Killer Game", racontez-moi dans les commentaires de ce billet quelle est votre plus grande peur ou phobie. Clôture du concours samedi 30 mars à minuit; tirage au sort et annonce de la gagnante le lendemain. Envoi en Europe seulement. 

Bonne chance à toutes!

dimanche 10 mars 2019

"La lanterne de Nyx T1" (Kan Takahama)


Nagasaki, 1878. Orpheline recueillie par sa tante, qui la considère juste comme une bouche supplémentaire à nourrir, Miyo ne possède aucune compétence monnayable - sauf peut-être ce pouvoir qui lui permet, en touchant un objet, de voir ses propriétaires passés et futurs. Elle parvient à se faire embaucher par Momotoshi, un marchand excentrique tout juste rentré de l'Exposition Universelle de Paris avec une myriade d'objets fort exotiques pour le Japon de l'époque...

Beaucoup d'originalité pour ce manga en 6 tomes (terminé en VO). D'abord le format, légèrement supérieur à celui des publications ordinaires, et qui m'a tout juste suffi à déchiffrer certains passages. Ensuite, l'époque, le thème et l'atmosphère, mélange d'Orient et d'Occident, de réalisme historique et de fantastique. Entre les chapitres, l'autrice expose le résultat de ses recherches sur les objets qu'elle met en scène: la première édition japonaise d'"Alice au pays des merveilles", l'apparition des tablettes de chocolat en Europe, la machine à coudre et le développement du prêt-à-porter, la technologie du phonographe... On apprend plein de choses tout en suivant avec plaisir le quotidien de Miyo, ado mal dégrossie qui, au fur et à mesure qu'elle s'instruit, gagne en assurance et s'épanouit dans son nouvel environnement. J'ai juste regretté qu'elle fasse très peu usage de son intéressant pouvoir dans ce premier tome. Raison de plus pour guetter la suite avec impatience!

Traduction de Yohan Leclerc

mercredi 6 mars 2019

"Seconhand spirits" (Juliet Blackwell)


Lily Ivory est une sorcière de naissance, que ses pouvoirs ont obligée à fuir la petite ville du Texas où elle avait grandi. Pendant des années, elle a parcouru le monde sans s'attacher à personne - mais à présent, elle estime le temps venu de se fixer quelque part. Elle a choisi San Francisco pour son énergie positive, et ouvert une boutique de vêtements vintage dans l'ancien quartier hippie de Haight Ashbury. Malgré ses hésitations, elle a déjà commencé à tisser des liens: avec Bronwyn, la wiccane herboriste qui la seconde chez Aunt Cora's Closet, avec Conrad, un jeune "punk du caniveau" à qui elle confie de menues tâches en échange d'un solide petit déjeuner, ou avec Maya, une étudiante en arts plastiques dont la mère effectue des travaux de couture pour elle. Mais un jour, alors qu'elle s'est rendue chez une vieille dame au passé douloureux pour y récupérer toute une collection de robes anciennes, Lily entend la plainte de la Llorona, un esprit mexicain connu pour noyer des enfants... 

Absolument tout m'a plu dans "Secondhand Spirits". San Francisco est une ville géniale où j'espère bien retourner un jour, et que j'ai eu plaisir à retrouver dans les pages de ce livre. Le commerce de vêtements vintage qui occupe officiellement les journées de Lily est présenté sous un jour intéressant et attachant. Les personnages secondaires sont nombreux et divers, avec des caractères très distincts - bienveillants pour la plupart, mais pas nécessairement Bisounours. Le familier de Lily, un gobelin-gargouille qui se change en cochon nain pour pouvoir accompagner sa maîtresse sans attirer l'attention (!), apporte une touche d'humour toujours bienvenue. L'intrigue m'a parue assez originale, bien menée, prenante et pas du tout évidente à résoudre.

Mais ce que j'ai le plus adoré, c'est l'héroïne. Lily est une jeune femme très indépendante. Habituée à ne compter sur sur elle-même, elle est souvent mystifiée par les relations humaines, réticente à se laisser approcher sur le plan amical ou amoureux. Pourtant, elle fait preuve de beaucoup de bonne volonté et nous épargne les drames imbéciles aussi bien que les sarcasmes constants qui ont fini par me lasser chez d'autres "femmes fortes" de la littérature récente. Juliet Blackwell en fait un personnage très humain et très crédible, dont on aimerait bien devenir la BFF. Et elle nous laisse entrevoir juste assez de son passé tumultueux pour nous donner envie d'y revenir - je veux vraiment savoir ce qui s'est passé avec ce perroquet fou à Hong Kong.

"Secondhand spirits" est le premier tome d'une série qui en compte actuellement 9, la parution du 10ème étant prévue pour cet été. Je l'ai tellement aimé que j'ai aussitôt enchaîné sur le deuxième. Pour les amateurs du genre, il est décrit comme un "cosy mystery", mais autant vous prévenir: malgré une atmosphère générale très feel good, il contient certains éléments assez sombres en rapport avec la sorcellerie. A l'heure où j'écris ces lignes, la série "A witchcraft mystery" n'est pas traduite en français. Il va sans dire que je serais tout à fait volontaire pour m'en charger!

jeudi 28 février 2019

"Yasmina et les mangeurs de patates" (Wauter Mannaert)


Malgré son jeune âge, Yasmina est déjà une cheffe émérite, qui réussit à préparer de savoureux petits plats à partir des légumes donnés par ses deux amis jardiniers Cyrille et Marco. Mais le jour où un méchant fabricant de patates en sachet rase les potagers pour y installer son usine, la fillette se retrouve bien embêtée. Ce n'est pas avec le maigre salaire d'Omran, son papa employé dans un fast-food, qu'elle va réussir à acheter des tomates à près de 3€ le kilo. Heureusement, elle arrive à se servir en douce dans le jardin qu'une mystérieuse voisine cultive sur le toit de son immeuble. Puis les patates en sachet envahissent les magasins, connaissant un succès fou, et les gens qui en ont mangé se mettent à se comporter très bizarrement... 

On aura compris depuis longtemps que je suis incapable de résister à une bédé culinaire. Mais outre son thème alléchant, "Yasmina et les mangeurs de patates" coche pratiquement toutes les cases de ce que j'adore en bande dessinée. Sur le plan graphique: absence de cases, longues plages muettes et néanmoins très parlantes, bâtiments vus en coupe et architecture originale, gros plans d'assiette, belles illustrations pleine page... Sur le plan de la narration, une jeune héroïne racisée, futée et militante du bien-manger, des personnages secondaires divers et attachants malgré leurs petits travers, des échanges hyper drôles (notamment entre le jardinier tradi et le fou du bio, ou entre Omran et ses collègues qui, voyant ses bento végétariens, soupirent qu'eux, sans viande et sans frites, ils ont de nouveau faim à 16h). Même si j'ai davantage aimé le côté "tranche de vie" de la longue mise en place que l'aventure qui s'emballe dans le dernier tiers, le récit est original et maîtrisé, sans aucun temps mort. Et malgré son côté parfois farfelu, il fait passer de très chouettes idées. Mon avis: il vous le faut. Pas encore convaincu? Allez lire les 24 premières pages ici

Traduction de Laurent Bayer



mercredi 27 février 2019

"Adieu, mon utérus" (Yuki Okada)


Yuki Okada a 33 ans, un mari très pris par son métier de mangaka, une petite fille de deux ans et demi et une carrière qui décolle enfin quand elle découvre qu'elle a un cancer du col de l'utérus. Dans ce manga en un seul tome, elle raconte son parcours depuis le diagnostic jusqu'à la radiothérapie qui a suivi son opération. Très angoissée de nature, elle doit faire le deuil d'un éventuel deuxième enfant, gérer l'idée d'une ménopause précoce, mais aussi apaiser les craintes de ses proches et gérer les répercussions matérielles que sa maladie va avoir sur eux. 

Le sujet n'est certes pas très gai, mais l'autrice ayant publié "Adieu, mon utérus" cinq ans plus tard, on sait d'entrée de jeu que son histoire se termine bien. Elle la raconte avec beaucoup de candeur et de sensibilité, sans toutefois s'apitoyer sur son sort. J'ai été particulièrement touchée par la solidarité entre elles et les autres patientes qui partagent sa chambre - la manière dont leur présence, qu'elle vit d'abord comme une agression, finit par lui apporter courage et réconfort. Toutefois, j'aurais aimé en savoir un peu plus sur l'après-hystérectomie. J'ai regretté qu'elle ne parle pas vraiment des suites de l'opération, des conséquences sur sa santé et sa forme physique, de ce que ça avait pu changer à sa manière d'appréhender la vie. Du coup, bien que ce manga soit intéressant, je l'ai refermé un peu frustrée. 

Traduction de Mireille Jaccard