jeudi 17 avril 2014

"M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit"


"Clay Jannon, webdesigner, se retrouve au chômage quand la récession frappe San Francisco. Le hasard le mène jusqu'à la librairie de l'étrange M. Pénombre, ouverte 24 heures sur 24, où il est embauché pour le service de nuit. Il découvre un lieu aussi insolite que son propriétaire, fréquenté par les membres d'un drôle de club de lecture. Ceux-ci débarquent toujours au milieu de la nuit, vibrant d'une impatience de drogués en manque, pour emprunter l'un des très vieux et très poussiéreux volumes relégués sur les hautes étagères du fond de la boutique. Volumes que, justement, M. Pénombre a formellement interdit à son nouvel employé de consulter. Clay finit pourtant par succomber à sa curiosité et découvre que ces livres sont tous écrits en code. Quelle obscure révélation renferment-ils ? En bon fan de fantasy qu'il est, Clay cède à l'appel du mystère et s'attaque à "l'énigme du Fondateur" avec l'aide de son colocataire spécialiste en effets spéciaux, de son meilleur ami créateur d'un logiciel de "simulation de nichons" et de son amoureuse, ingénieure prodige chez Google. Mais quand ils veulent présenter leurs résultats à M. Pénombre, celui-ci a disparu ! Les quatre amis se lancent alors dans une quête qui les entraînera bien au-delà des murs de la petite librairie. Sur les traces de M. Pénombre, ils se trouveront aux prises avec une société occulte d'érudits légèrement allumés, un manuscrit indéchiffrable, un typographe de génie et, qui sait, le secret de la vie éternelle."

Ca faisait déjà un petit moment que j'avais repéré ce roman de Robin Sloan et que j'hésitais à l'acheter. Si les livres eux-mêmes, ainsi que les endroits où on peut se les procurer (librairies et bibliothèques), font partie de mes sujets préférés en littérature, la dernière fois que je me suis penchée sur un roman dont l'intrigue tournait autour d'une société secrète ayant pour but de déchiffrer l'énigme d'un ouvrage codé, c'était le désastreux "La librairie des ombres", et je n'avais aucune envie de m'infliger ça de nouveau. Ma curiosité a tout de même fini par l'emporter; vive ma curiosité! Car "M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit" m'a absolument ravie. Je craignais de tomber sur une atmosphère sombre et un peu poussiéreuse à la Katherine Neville; au lieu de ça, j'ai eu l'impression de lire un des meilleurs romans de Douglas Coupland, s'il se décidait à créer des personnages enthousiastes et sympathiques plutôt que mous et velléitaires. Le télescopage entre le monde des vieux livres et celui de la technologie de pointe est absolument jouissif, et pour une fois, les deux ne sont pas présentés comme des ennemis mortels, mais comme des collaborateurs potentiels capables d'accomplir de grandes choses ensemble. J'ai adoré que le héros envisage sa quête comme une partie de jeu de rôles avec lui dans le rôle du voleur, sa copine dans le rôle de la magicienne et son meilleur ami dans celui du guerrier. La résolution de l'énigme m'a paru à la fois touchante et satisfaisante d'un point de vue narratif, et j'ai trouvé le dernier chapitre merveilleusement feel-good. Bref, une lecture des plus réjouissantes!

J'ai lu ce livre en anglais et ne peux donc me prononcer sur la qualité de la traduction française. 

mardi 15 avril 2014

"Moi, jardinier citadin"


Min-ho Choi vient de se marier et de quitter son emploi salarié pour devenir mangaka. Se sentant prisonnier de l'agitation de la ville et de ses paysages bétonnés, il décide de se mettre à cultiver ses propres légumes bios - alors qu'il ne connaît absolument rien au jardinage. Heureusement, la gardienne du terrain et les vieux qui s'occupent des parcelles voisines sont là pour faire son éducation. Au fil des saisons, Min-ho Choi transpire et apprend en égale mesure...

Dans cette bédé en deux gros volumes, l'auteur raconte ses petites déconvenues, ses grands triomphes et la sensation de liberté inouïe que lui procure ce retour à la terre. De nombreuses doubles pages "éducatives" expliquent les bases du jardinage, présentent les légumes les plus susceptibles de résister à l'hiver ou ceux qui sont capables de purifier la terre. Quant au dessin, c'est de l'aquarelle dans les tons verts, bleus, gris et bruns - un peu terne à mon goût bien que tout à fait appropriée au sujet. Une bédé intéressante sur un mouvement qui prend de plus  en plus d'ampleur. 

lundi 14 avril 2014

"Mangeons!"


D'elle, on ne connaît rien ou presque. Cette superbe jeune femme surgit sans crier gare dans la vie de gens ordinaires qui ont pour point commun d'être agacés, écrasés parfois, par les tracas du quotidien. Le temps d'un repas auquel elle les convie silencieusement, celle qui pourrait être la déesse de la bonne chère leur redonne le sourire, l'espoir ou cette légèreté qu'ils ont perdue. Ses armes: une gourmandise ô combien communicative et une sensualité où se rejoignent désir et plaisir du palais, qui feront vite oublier l'incongruité de ses apparitions toujours plus hilarante. 

C'est très alléchée par la présentation de ce manga signé Sanko Takada que je me suis emparée du tome 1 chez Filigranes. Au premier coup d'oeil à l'intérieur, j'ai déchanté: les dessins sont moches - rien à voir avec la couverture qui semblait promettre un graphisme potable à défaut d'original. J'ai quand même voulu voir si les historiettes tenaient la route: non plus. L'idée de base est excellente, mais le schéma ne varie jamais et on finit très vite par se lasser. Il faut le talent de Jirô Taniguchi dans "Le gourmet solitaire" ou l'humour de Masayuki Kusumi dans "Mes petits plats faciles by Hana" pour réussir à passionner le lecteur avec une trame aussi mince et répétitive. Les interludes qui analysent la valeur nutritionnelle des repas (toujours très riches en viande et très pauvres en légumes) ingurgités par la mystérieuse jeune femme sont les bienvenus. Le reste manque désespérément de saveur: un comble pour un manga culinaire! 

dimanche 13 avril 2014

"Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling"


31 décembre 1999. Faith Bass Darling, descendante des fondateurs d'une petite ville texane et héritière de la banque familiale, entreprend de déménager l'intégralité de ses antiquités chéries sur la pelouse de la somptueuse demeure où elle vit en recluse depuis des années. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, elle a reçu un message: ceci est sa dernière journée sur Terre, et elle doit se défaire des possessions qu'elle a trop longtemps préférées aux gens. Chacun de ces objets a une histoire désormais tombée dans l'oubli, et Faith est prête à s'en défaire pour quelques dollars. Tandis que les clients se succèdent dans son jardin, les moments-clés de son existence s'imposent à la vieille dame sans qu'elle parvienne à démêler ses souvenirs de la réalité présente...

Bien que n'ayant a priori guère de points communs avec son héroïne, j'ai été très touchée par le thème principal de ce roman: la façon dont une femme laisse son attachement aux objets lui gâcher la vie en occultant que l'essentiel est ailleurs. Dans sa jeunesse, Faith Bass Darling se croit bénie de Dieu et s'imagine que son existence sera toujours un chemin pavé de roses, jusqu'au jour où elle se rend compte que son mari ne l'a épousée que pour son argent. Puis survient une tragédie qui achèvera de lui faire perdre la foi et qu'elle ne saura pas surmonter, détruisant ainsi ce qui restait de beau et de bon dans sa vie. Cette chute de si haut, cette prise de conscience brutale ont beaucoup résonné en moi. Tout comme la lutte intérieure de Claudia Darling, fille de Faith qui a fui sa mère et s'est tournée un temps vers le bouddhisme, mais trouve impensable (presque sacrilège!) qu'on liquide les antiquités familiales dont elle ne veut pourtant pas. Difficile de faire la part entre l'éducation qu'on a reçue et la voie qu'on s'est choisie...

La journée est vue à travers les yeux de Faith, de Claudia, d'une de ses anciennes camarades de classe tiraillée entre son sens de ce qui est bien et l'envie de profiter de l'aubaine du vide-grenier, et d'un ami de son frère devenu shérif adjoint - chacun d'eux ayant une relation toute personnelle à la demeure des Bass -, mais aussi à travers les yeux de tous les gens aux moyens modestes qui se retrouvent subitement en possession de trésors dont ils ne mesurent pas la valeur et ignorent l'histoire. Des interludes judicieusement parsemés entre les chapitres racontent d'ailleurs les origines souvent romanesques des objets qui tiennent un rôle important dans le livre, comme l'alliance responsable de la brouille entre Faith et sa fille, ou la pendule éléphant qui est la seule chose que Claudia aimerait récupérer de l'héritage familial. En contrepoint à l'agitation ambiante, le silence dans la tête de la vieille dame, sa désorientation due au syndrome crépusculaire induit par la maladie d'Alzheimer m'ont serré le coeur. L'auteur décrit la sénilité vue de l'intérieur d'une manière absolument saisissante. Bref, "Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling" est un roman douloureux à bien des égards, mais qui m'a confortée dans ma vision de la vie et la voie que je me suis choisie. Au final, sa lecture m'a donc fait beaucoup de bien.

jeudi 10 avril 2014

"L'exception"


Maria est ce genre de femme sur laquelle tous les hommes se retournent dans la rue. Elle travaille dans l'humanitaire et vit heureuse avec son époux et leurs jumeaux de deux ans et demi. Jusqu'à ce soir de réveillon de jour de l'an où l'époux en question lui annonce qu'il la quitte pour un de ses collègues également spécialiste de la théorie du chaos et également prénommé Folki. Malgré son départ immédiat, Maria pense qu'il s'agit d'une crise passagère, que son mari va bientôt revenir à la raison et à la maison. "On travaille à notre affaire", répond-elle à tous les gens qui lui demandent s'ils vont divorcer. En attendant, elle se rapproche de sa voisine Perla, une naine psychothérapeute le jour et nègre d'un auteur de polars la nuit...

Très emballée par les deux premiers romans d'Audur Ava Olafsdottir déjà publiés chez Zulma, je ne pouvais que me jeter sur "L'exception" malgré sa couverture qui fait saigner les yeux et le terminer en 48h. Maria se maintient dans le déni en se remémorant des souvenirs de son mariage dans lesquels le lecteur voit très facilement apparaître en filigrane ce qu'elle se refuse à admettre: son mari la trompait avec d'autres hommes depuis des années. Cette incrédulité, cette hébétude de la femme qui peine à accepter qu'elle ne connaît pas réellement celui avec qui elle pensait finir ses jours, sont rendues avec beaucoup de finesse et d'humour distancié, sans misérabilisme ni débordement émotionnel d'aucune sorte, d'une façon que je qualifierai de très scandinave. Le personnage de Perla, dont le sans-gêne m'irritait au premier abord, a fini par me conquérir avec son bon sens un peu brutal mais rassurant dans le fond. J'ai aimé retrouver l'atmosphère si particulière de l'Islande en hiver, ce froid glacial et cette nuit quasi perpétuelle qui semblent au diapason du coeur de Maria, gelé par le choc. Une fois de plus, je me suis laissée emporter par l'écriture simple et subtile à la fois d'Audur Ava Olafsdottir, décidément un de mes auteurs préférés parmi mes découvertes de ces dernières années.

samedi 5 avril 2014

"De toutes les nuits, les amants"


Fuyuko a trente-quatre ans; correctrice, elle travaille en free-lance pour l'édition, vit seule et ne s'imagine aucune relation affective. Elle ne se nourrit pas de ses lectures: elle décortique les mots, cherche la faute cachée, l'erreur embusquée. Elle n'écrit pas, ne connaît pas la musique, s'habille sans la moindre recherche. 
Mais Fuyuko aime la lumière. Elle ne sort la nuit qu'au soir de ses anniversaires en hiver, seule, pour voir et pour compter les lumières dans ce froid qu'on peut presque entendre si l'on tend l'oreille, dans cet air sec et aride mais quelque part fertile. 
Timide, introvertie, Fuyuko va néanmoins laisser entrer deux personnes aux abords de sa vie: Hijiri, son interlocutrice professionnelle, et M. Mitsutsuka, un professeur de physique qui lui offre un accès d'une autre dimension vers la lumière: le bleu a une longueur d'onde très courte, elle se diffuse facilement, c'est pourquoi le ciel apparaît si vaste. 

Ce titre poétique. Cette quatrième de couverture alléchante. Cette héroïne au métier si proche du mien. La garantie de qualité offerte par le label Actes Sud. Ce roman allait beaucoup me plaire, j'en étais certaine.

Erreur. Ce roman est le pire que j'aie lu depuis le début de l'année, au minimum. Pour surmonter son incapacité à avoir des rapports sociaux normaux, Fuyuko boit. Et son alcoolisme tranquille est à peu près la seule chose qui la définit. Pour le reste, le personnage est sans saveur et sans intérêt. Sa collègue Hijiri, censée (j'imagine) représenter la femme japonaise moderne et libérée, se livre à des monologues si insupportables de certitude et de bêtise qu'on a envie de lui taper sur la tête pour la faire taire. M. Mitsutsuka reste parfaitement transparent tout au long du livre, et on ne comprend même pas ce qui peut bien attirer Fuyuko chez cet homme terne de vingt ans son aîné. Et l'histoire? Bah, il n'y en a pas vraiment. Fuyuko biberonne du saké, Fuyuko écoute parler Hijiri, Fuyuko travaille méthodiquement mais sans passion, Fuyuko bien bourrée retrouve M. Mitsutsuka au café et ne trouve rien à lui dire pendant des mois. J'ai pourtant l'habitude de la littérature japonaise, de son rythme souvent lent, de la pudeur de ses personnages qui contraste si fort avec les débordements amoureux occidentaux. Mais là, il n'est même plus question de pudeur pour moi: juste d'un vide abyssal.