jeudi 29 mars 2018

"The darkest minds" (Alexandra Bracken)


Quand Ruby avait 10 ans, les enfants américains se sont mis à mourir subitement, tandis que les rares survivants développaient des pouvoirs dangereux. Le gouvernement les a donc fait enfermer dans des camps de réhabilitation où ils ont été classés en fonction de leurs capacités psychiques: Vert pour une intelligence hors du commun, Bleu pour la télékinésie, Jaune pour le contrôle de l'électricité, Orange pour la télépathie et Rouge pour la pyrokinésie. Puis les Jaunes, les Oranges et les Rouges ont mystérieusement disparu. 

Pendant six ans, Ruby est parvenue à se faire passer pour une Verte et à survivre tant bien que mal dans un environnement sinistre. Jusqu'au jour où, sa véritable nature risquant d'être dévoilée, elle accepte l'aide d'un faux médecin pour fuir le camp de Thurmond. Elle découvre très vite que Cate, sa sauveuse, appartient à une organisation anti-gouvernementale nommée la Ligue des Enfants. Craignant de n'avoir échappé à une prison que pour devenir l'instrument de ces terroristes, Ruby fausse compagnie à Cate et croise la route d'un trio d'autres fuyards: Zu, une fillette qui ne parle pas, Chubs, horriblement myope, amateur de lecture et pessimiste de classe galactique; et Liam, chef au grand coeur de cette petite bande. A bord d'un van baptisé Black Betty, ils cherchent une communauté mythique de jeunes comme eux...

C'est la sortie imminente du film tiré de la trilogie d'Alexandra Bracken qui m'a donné envie de me pencher sur cette dernière - publiée en français sous le titre "Les insoumis" et assortie d'excellentes critiques de lecteurs. "The darkest minds" est une dystopie jeunesse écrite dans un style très quelconque, avec un scénario prévisible et une héroïne dont l'unique trait de caractère semble être sa méfiance envers ses propres pouvoirs. Malgré l'accumulation de poncifs, ce n'est pas trop mal ficelé et ça pourra sans doute distraire les ados amateurs du genre; pour ma part, je me suis plutôt ennuyée. 

jeudi 22 mars 2018

"La péninsule aux 24 saisons" (Mayumi Inaba)


Une femme d'âge mûr, qui a fait le choix de rester célibataire et de ne pas avoir d'enfant, quitte provisoirement Tokyo pour passer un an dans la petite maison dotée d'un confort rudimentaire qu'elle s'est fait construire sur une péninsule essentiellement sauvage. Là, entre mer et forêt, elle part à la découverte de la nature et des 24 saisons égrenées par un vieil almanach. Elle se recentre sur ses besoins essentiels, s'interroge sur le temps qui passe et la vieillesse qui pointe à l'horizon, tisse des liens amicaux avec ses rares voisins. 

C'est un roman très contemplatif que Mayumi Inaba propose ici. La belle traduction d'Elisabeth Suetsugu sait préserver la délicatesse de la langue japonaise tout en gommant son côté un peu hermétique pour une sensibilité européenne. Ainsi, malgré sa lenteur, la narration s'écoule avec une grande fluidité; les descriptions de paysages et les sensations invoquées restent délicieusement évocatrices. Et même une citadine endurcie comme moi tombe sous le charme serein de "La péninsule aux 24 saisons".

Traduction d'Elisabeth Suetsugu

mercredi 21 mars 2018

"Le célèbre catalogue Walker & Dawn" (Davide Morosinotto)


Ils sont quatre copains qui vivent près de la Nouvelle-Orléans au début du XXème siècle. P'tit Trois, issu d'une famille de garçons, espiègle et curieux. Eddie, qui a la santé fragile et entend parler les animaux. Julie, courageuse et débrouillarde, et son petit frère Min, qui a la peau noire et ne parle jamais mais n'en pense pas moins. Pour échapper à une existence peu riante, ils se sont construit une cabane dans le bayou et s'y réfugient le plus souvent possible. 

Un jour, ils trouvent trois dollars au fond d'une boîte de conserve et décident d'utiliser cette petite fortune pour se commander quelque chose dans le célèbre catalogue de vente par correspondance Walker & Dawn... Ils ne se doutent pas qu'ils viennent de mettre en branle une aventure qui les conduira jusqu'à Chicago et leur permettra d'élucider un crime vieux de plusieurs années. 

La littérature jeunesse italienne réserve décidément de très bonnes surprises. Après Pierdomenico Baccalario et sa boutique Vif-Argent, c'est au tour de Davide Morosinotto de m'embarquer avec ses héros dans un périple qui n'a pas été sans me rappeler celui du jeune T.S. Spivet. P'tit Trois, Eddie, Julie et Min, les inséparables copains unis dans l'adversité, racontent chacun à son tour une partie de leur histoire commune, illustrée pour le premier par des extraits du catalogue, pour le second par des cartes géographiques, pour la troisième par des coupures de journaux, et pour le dernier par... Je vous laisse le soin de le découvrir vous-même. 

Si le scénario est décidément rocambolesque et la happy end fort prévisible, "Le célèbre catalogue Walker & Dawn" a le grand mérite de ne pas gloser sur la pauvreté, le racisme ou les mauvais traitements qui composent le quotidien de ses personnages et semblent normaux pour l'époque. Un bon moyen, sûrement, d'aborder ces questions difficiles avec les lecteurs de 9 à 12 ans auxquels le roman me semble destiné. 

Traduction de Marc Lesage

mercredi 14 mars 2018

"The Disappearances" (Emily Bain Murphy)


Septembre 1942. Parce que leur mère bien-aimée vient de mourir et que leur père a été appelé sous les drapeaux, Aila, 16 ans, et son jeune frère Miles partent vivre chez la meilleure amie d'enfance de leur mère, dans la petite ville de Sterling. S'ils sont très bien reçus par la famille Cliffton, Aila ne tarde pas à remarquer beaucoup de phénomènes étranges: rien n'a d'odeur, on ne voit pas les étoiles dans le ciel la nuit, toutes les portes sont peintes dans le même gris, personne n'a de reflet... Ces Disparitions, qui se produisent au rythme d'une tous les 7 ans, ont commencé le jour de la naissance de Juliet Cummings, la mère d'Aila et Miles, seule personne ayant jamais échappé à l'emprise de Sterling. De ce fait, les autres habitants la tiennent responsable de la malédiction et se montrent immédiatement hostiles envers ses enfants...

Pour son tout premier roman, Emily Bain Murphy propose une histoire des plus originales, avec une atmosphère envoûtante et une écriture un cran au-dessus de ce qu'on trouve généralement en littérature jeunesse. "The Disappearances" pèche pourtant sur quelques points. D'abord, je n'ai jamais eu l'impression d'être réellement dans l'Angleterre du début des années 40: le rationnement évoqué au tout début cède très vite la place à des descriptions de nourriture délicieuse et abondante; la population masculine adulte semble intouchée par la guerre et surtout, garçons et filles se mélangent joyeusement avec une décontraction très peu crédible pour l'époque. Si ce n'est pour le fait que les héros doivent effectuer leurs recherches à l'ancienne et très laborieusement plutôt qu'avec Google en deux coups de cuillère à pot, on croirait voir des ados de maintenant. Ensuite, bien que très intrigants, les éléments magiques de l'histoire manquent de cohérence et d'explications. J'ai malgré tout beaucoup aimé ce roman - la première moitié plus que la seconde, ce qui est hélas souvent le cas dans les récits empreints de fantastique. 

vendredi 9 mars 2018

"The official grimoire: A magickal history of Sunnydale" (A.M. Robinson)


Du temps où "Buffy contre les vampires" passait sur M6, j'ai traduit pas moins de 34 romans dérivés, plus 4 guides de la série télé. C'est dire si je suis attachée à cet univers et à ses personnages. Comme on peut facilement le deviner si on me connaît un peu, je m'identifiais à fond à Willow, qui connaît la meilleure évolution de toutes au fil des 7 saisons (partiale, moi?). Aussi, j'ai été ravie d'apprendre la sortie d'un très beau livre - pas encore traduit en français -, moitié journal de bord et moitié grimoire magique, qui retrace l'évolution de ma sorcière préférée depuis la mort d'Angel à la fin de la saison 2 jusqu'au moment où toute la bande s'apprête à affronter le First Evil dans le finale de la série. Le texte très soigné fait référence aux principaux événements survenus dans ce laps de temps et montre de quelle façon chacun d'eux influence Willow. Peu à peu, on voit l'adolescente timide du début prendre de l'assurance, oser s'en remettre de plus en plus à la magie et finir par basculer du mauvais côté, puis en revenir péniblement. Les annotations humoristiques de ses amis (rédigées dans autant de calligraphies différentes) parsèment les marges, et l'ensemble est abondamment illustré de dessins ainsi que de quelques photos et éléments collés par-ci par-là. 13 ans après l'arrêt de cette série qui a tant marqué son époque et le paysage télévisuel, j'ai pris énormément de plaisir à me replonger dedans grâce à "The official grimoire: A magickal history of Sunnydale".





jeudi 8 mars 2018

"Le goût d'Emma" (Julia Pavlowitch / Emmanuelle Maisonneuve / Kan Takahama)


Emma a toujours eu un palais exceptionnel, une passion pour la cuisine et un rêve: devenir inspectrice au Guide Michelin. Un jour, alors qu'elle n'y croit plus, elle est invitée à rejoindre l'équipe du célèbre petit livre rouge. Elle sera la seule femme parmi une équipe masculine où ses collègues doutent d'abord qu'elle soit faite pour ce métier. 

Les tournées en province sont longues et épuisantes, ce qui ne facilite pas la vie amoureuse ou de famille. On roule beaucoup; on mange souvent riche et pas toujours bien; il faut mémoriser et respecter une procédure draconienne... Sans parler de la difficulté de faire un retour négatif à des restaurateurs qui se sont parfois lourdement endettés pour leur établissement. 

Mais grâce à son talent et à son implication absolue, Emma impose très vite le respect. Puis, lors de vacances au Japon, elle découvre une cuisine minimaliste qui change radicalement son approche de la restauration et la fait douter d'être encore à sa place au Michelin...

Basé sur l'histoire vécue par Emmanuelle Maisonneuve, qui en signe le scénario avec Julia Pavlowitch, "Le goût d'Emma" propose à la fois une trajectoire de femme passionnante et un coup d'oeil inédit dans les coulisses du plus célèbre guide gastronomique au monde. L'ensemble est servi par les très jolis dessins de Kan Takahama (même si je regrette que beaucoup des décors soient visiblement des photos à peine transformées). Une bédé idéale en cette journée internationales des droits des femmes! 

lundi 5 mars 2018

"4 3 2 1" (Paul Auster)


C'est l'histoire d'un mec... Non, en fait, ce sont LES histoires alternatives d'un même mec, un descendant d'immigrés russes et polonais nommé Archie Ferguson qui naît dans la banlieue de New York en 1947. Son père - taciturne, bosseur et loyal - tient un magasin d'électroménager en compagnie de ses deux bons à rien de frères aînés. Sa mère - vive et pleine de charme - est une photographe de talent qui ne pourra plus avoir d'autres enfants après lui. Mais à partir de là, la vie d'Archie prend quatre chemins différents selon la manière dont se résoud un drame familial survenu alors qu'il n'est qu'un petit garçon. Il y aura des constantes dans sa vie: la place tenue par la famille Schneiderman et surtout leur fille Amy, l'attrait de Ferguson pour le baseball, ses capacités d'écriture qui le pousseront tantôt vers le journalisme, la poésie ou le roman. Il y aura aussi de grandes variables selon l'université qu'il fréquentera (ou pas), les accidents qui lui arriveront, les opportunités amoureuses qui se présenteront à lui. Mais dans chaque version de son histoire, ce jeune homme qui a une conscience aiguë de lui-même et se trouve parfois bien embarrassé dans ses rapports aux autres est le témoin des grands bouleversements survenus dans l'Amérique des années 50 et 60. 

J'ai un drôle de rapport avec l'oeuvre de Paul Auster: j'en adore une moitié et je déteste l'autre - ses écrits les plus expérimentaux, les plus intellectuels, les plus obscurs. Je l'aime quand il me raconte une véritable histoire avec son style bien particulier, ses longues phrases jamais ampoulées qui font que le regard dévale les pages à toute allure, ses réflexions ultra-introspectives et l'attention exquise portée aux plus minuscules détails de la vie de ses personnages. "4 3 2 1" rentre définitivement dans cette catégorie... et peut-être même un peu trop, ai-je pensé dans les premières centaines de pages de ce roman-fleuve qui en compte plus de mille en grand format très dense. Si je suis très fan du genre "uchronie personnelle", je ne voyais pas bien l'intérêt de raconter quatre existences au fond assez semblables, et qui surtout, diffèrent les unes des autres non pas en raison des choix faits par le héros, mais de circonstances qui échappent tout à fait à son contrôle. Je me demandais ce que faisait l'auteur, ce qu'il cherchait à prouver. La réponse à cette question ne m'est apparue que dans les toutes dernières pages: Paul Auster faisait du Paul Auster, de la mise en abyme basée sur le pouvoir de démiurge de l'écrivain. C'est son grand truc, celui qui finira peut-être par me lasser un jour. Mais toujours pas cette fois.

Traduction de Gérard Meudal

dimanche 4 mars 2018

"La maison aux secrets" (Catherine Robertson)


Depuis que son petit garçon est mort dans un accident dont elle se considère responsable, April Turner mène une vie d'ascète, se refusant tout ce qui pourrait lui apporter la moindre joie. Le jour où elle apprend qu'elle a hérité d'une propriété à l'abandon, elle pense d'abord la faire vendre par le notaire sans même aller la voir, puis donner l'argent à une bonne oeuvre. Mais une attirance irrésistible la pousse à prendre l'avion pour se rendre en Angleterre. Et toute sa réticence ne peut rien contre l'enchantement que l'Empyrée exerce sur elle. Sans compter cette vieille dame surnommée Sunny, qui a bien connu les propriétaires et qui a des tas de choses à raconter sur eux... 

Je suis aussi bonne cliente pour les secrets de famille et les histoires de deuil surmonté que pour les narrations parallèles sur deux époques; ce roman de la Néo-Zélandaise Catherine Robertson ne pouvait donc que me séduire. Grâce à des personnages secondaires haut en couleurs et attachants, April va peu à peu retrouver le goût de la vie.  "La maison aux secrets" est autant le récit de sa renaissance que celui du drame qui a laissé l'Empyrée sans héritier direct. Tandis que le mystère se dévoile par petites touches, le contact avec la nature, couplé à la bienveillance de son nouvel entourage, réveille les sens de cette femme éplorée et finit par venir à bout de ses résistances. Un roman à la fois prenant, émouvant et apaisant. 

Traduction de Fabienne Duvigneau