dimanche 22 mai 2011

"L'oiseau Canadèche"



Comme je suis plus intéressée par les personnages et leur développement que par les histoires proprement dites, je tends à dédaigner les formes de récit courtes que sont les nouvelles et les novella: de mon point de vue, elles ne laissent pas le temps de s'attacher aux héros et de savourer leur évolution. Du coup, ma PAL compte beaucoup plus de pavés de 600 pages minimum que de petits bouquins vite lus. Une étiquette "coup de coeur" dans une librairie peut cependant me convaincre d'en acheter un, que je garderai dans mon sac pour tromper l'attente chez le médecin ou m'occuper en sirotant un diabolo menthe en terrasse.

Ainsi "L'oiseau Canadèche" de Jim Dodge.

"Orphelin, Titou est recueilli par son grand-père, solitaire bourru et excentrique, porté sur le jeu et la bouteille, réfractaire à toutes les contraintes sociales, travail et impôts en premier lieu. Malgré quelques divergences de caractère - Titou a la passion des clôtures, Pépé Jake les déteste -, le duo fonctionne bien, et mieux encore du jour où déboule Canadèche, canard boulimique mais hautement sympathique qui devient leur inséparable compagnon." La biographie de l'auteur précise qu'il est écologiste et libertaire; cela se voit dans cette novella qualifiée par l'éditeur de "conte naturaliste moderne". J'ai beaucoup souri des frasques de l'inénarrable Pépé Jake, notamment dans la scène du drive-in dont voici un extrait:

"Le gérant jeta un coup d'oeil à l'intérieur de la cabine pour bien s'assurer de la présence de Canadèche et demanda:
- Que fait ce canard dans mon établissement?
- Elle veut voir le film, dit aimablement Titou, devançant son grand-papa qui commençait à écumer.
- Nous refusons absolument tout ce qui sort de l'ordinaire.
Jake explosa:
- Et ben, ça doit vous faire une petite vie bien merdeuse et salement étroite, non? Alors voilà: il se trouve que vous avez ici un canard d'attaque, dressé pour le kung-fu et spécialement élevé pour nous par la société Tong. Nous la laisserions bien à la maison, mais elle massacre tous les coyotes."

Une centaine de pages pleines d'humour, de tendresse un peu rude et même d'émotion. De quoi passer un bon moment.

samedi 21 mai 2011

"Les chaussures italiennes"



Il y a quelques mois, alors que je manifestais l'envie d'approfondir ma connaissance de la littérature scandinave moderne, plusieurs lectrices ont mentionné ce roman, que j'ai du coup acheté les yeux fermés dès sa sortie en poche.

Fredrik est un ancien chirurgien qui, suite à une terrible faute professionnelle, a abandonné son métier. Depuis plus de dix ans, il vit en ermite sur une île minuscule avec une chienne et une chatte pour seule compagnie. Le matin, il creuse un trou dans la glace pour se baigner et se souvenir qu'il n'est pas encore mort. Plus tard, il reçoit la visite de son facteur hypocondriaque qui n'a jamais de courrier pour lui mais chercher systématiquement à lui soutirer des consultations gratuites. Ainsi ses jours s'écoulent-ils, tous tristement semblables, jusqu'à l'apparition d'une vieille femme agrippée à un déambulateur. Harriet a follement aimé Fredrik autrefois, mais il a disparu de sa vie sans le moindre mot d'explication. Atteinte d'un cancer à l'estomac, elle sait que ses jours sont comptés. Elle est venue demander à son amant de tenir la promesse qu'il lui a faite près de quarante ans plus tôt: celle de lui montrer un petit lac sans nom enfoui au fond d'une forêt...

J'avoue qu'en découvrant le mal dont souffrait Harriet, j'ai pensé à un complot littéraire dirigé contre moi. Depuis un an, je ne peux plus ouvrir un bouquin sans tomber sur un cancéreux mort ou mourant. C'est une véritable épidémie. J'en ai même trouvé un dans "A game of thrones" (le père de Catelyn, dont "un crabe ronge les entrailles"). Pendant un certain temps, j'ai laissé tomber les livres ainsi contaminés; puis je me suis dit que me forcer à les poursuivre pouvait aussi m'aider à combattre ma peur panique. Dont acte.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que malgré son titre engageant, "Les chaussures italiennes" ne démarre pas dans la joie et la bonne humeur. Le paysage glacé et désolé de l'île apparaît comme une manifestation physique de la solitude et de l'engourdissement affectif du narrateur. La maladie d'Harriet est présentée d'emblée comme incurable et douloureuse - souffrance à laquelle va s'ajouter celle des plaies sentimentales rouvertes à la faveur des retrouvailles qu'elle a orchestrées... avec une idée derrière la tête. C'est là que la vie, enfin, se décide à poindre dans ce roman. Inattendue, chaotique, cruelle parfois, mais la vie, quand même. Malgré lui, Fredrik va renaître au monde et redevenir l'acteur de sa propre existence. Au milieu des larmes, du sang, de la rancoeur, de la culpabilité et de l'amertume, il trouvera une lueur d'amour et d'espoir.

Henning Mankell ne ménage ni son héros ni ses lecteurs. Même si "Les chaussures italiennes" se termine mieux qu'il n'avait commencé, même si le cheminement de Fredrik vers sa rédemption est aussi crédible que digne d'intérêt, même si le style de l'auteur réussit à allier simplicité, pudeur et efficacité, je ne mettrais pas ce roman âpre entre toutes les mains.

vendredi 6 mai 2011

"Guide du savoir-survivre en compagnie des monstres"



C'est Marie-Aude qui m'a fait découvrir cet album pendant Trolls & Légendes. Elle l'avait acheté sur place et fait dédicacer pour son neveu par l'une des illustrateurs. Je l'ai feuilleté rapidement: coup de foudre. Le lendemain, je faisais le pied de grue devant la table de Carine M. pour obtenir à mon tour un bôdessin. Ce fut un de ses personnages préférés: la sirène spectrale, mais accommodée à la sauge Régis, c'est-à-dire en version cyclope. Adorable.


J'ai toujours eu une grande affection pour les monstres. Si le zombie est le symbole du consumérisme rampant (dixit Chouchou), de façon plus générale, le monstre représente la part d'ombre qui est en chacun de nous, les travers honteux, les pulsions inavouables. J'aime quand des auteurs s'attachent à les rendre moins effrayants comme pour nous inviter à apprivoiser cette part d'ombre, à nous réconcilier avec elle, à l'accepter voire à la mettre en lumière.


Ici, on commencera à apprivoiser les monstres en prenant un thé avec eux - quelle excellente idée! Qu'ils soient "domestiques" comme le vampire ou le dragon, fantasmagoriques comme la tricoteuse de mauvais sorts ou le fantôme de la tasse, exotiques comme le lapin crétin naufrageur ou l'abominable homme des neiges, ce "Guide du savoir-survivre" en leur compagnie explique où les rencontrer, comment les inviter, quels rituels utiliser pour éviter de se faire manger tout cru alors qu'on a apporté de délicieux petits gâteaux. Avec ses illustrations superbes et sa mise en page recherchée, c'est un très beau cadeau à faire à un jeune amateur de monstres... ou à garder pour soi!

Si cet article ne vous a pas convaincus, allez donc faire un tour sur le site du Boudoir Fantastique... Vous devriez vite changer d'avis! Et pour info, l'éditeur considère ce livre comme adapté aux petits lecteurs à partir de 5 ans.

jeudi 5 mai 2011

"Pour la vie"



"Quelque part dans l'Ain, un train est immobilisé en pleine campagne. Deux octogénaires de la maison de retraite voisine viennent de se précipiter ensemble sous ses roues. Ils venaient pourtant de fêter, dans la joie, leur 50ème anniversaire de mariage. Cinquante années, de De Gaulle à nos jours, à tenir à deux ce petit bistrot d'habitués avant de profiter de leur retraite. Inspiré d'une histoire vraie, "Pour la vie" raconte le parcours de ce couple qui a décidé de disparaître ensemble par amour. Parce qu'ils ne voulaient pas que la mort puisse un jour les séparer et condamner l'un d'entre eux à la solitude."

Présenté comme ça, je sais: ça n'a pas l'air très gai. D'ailleurs, les dessins en noir et blanc "sali" de Claudio Stassi n'ont rien de particulièrement joyeux. Pourtant, si j'ai écrasé une larme à la fin de "Pour la vie", c'était une larme d'émotion et non de tristesse. Parce que l'amour qui lie Fernand et Edith est juste magnifique. Qui a dit qu'on ne pouvait pas faire de l'art avec des bons sentiments, et encore moins avec des gens ordinaires à qui il n'arrive rien? Car c'est une vie des plus banales que Jacky Goupil met en scène par d'habiles flashbacks, la vie d'un couple de Français modestes à qui la nature comme l'administration refuseront toujours un enfant. Il ne leur reste plus qu'à travailler dur, aider leur prochain chaque fois qu'ils le pourront et s'aimer très fort. Voyager à travers le monde, une fois la retraite arrivée. Et puis aller finir leurs jours aux Coquelicots, entourés d'autres vieillards hauts en couleur et d'employés qui portent une sincère affection à leurs pensionnaires. Jusqu'à ce qu'un malaise de Fernand fasse redouter à Edith qu'il parte sans elle...

Chronique en filigrane de la vie d'un couple de Français moyens pendant la seconde moitié du XXème siècle, "Pour la vie" est surtout une bédé romantique au sens le moins mièvre du terme, et la chose la plus touchante que j'aie lue depuis longtemps.