mercredi 27 juin 2012

"Green manor"


Deux lords anglais complotent afin de réaliser le meurtre parfait sur la personne d'Arthur Conan Doyle. Deux autres tentent de s'entre-tuer pour déterminer lequel est le chasseur le plus émérite. Un homme paralytique et muet ourdit une terrible vengeance contre sa femme infidèle. Un inspecteur qui s'apprête à prendre sa retraite sur un échec explique pourquoi il sera impossible d'arrêter le tueur en série John Smith. Tous ont un point commun: ils sont membres du Green Manor, un club pour gentlemen londoniens dont les murs gardent farouchement les secrets... 

En tout, ce sont seize "historiettes criminelles" que rassemble ce bel ouvrage à la présentation soignée et à la couverture grainée comme celle d'un vieux livre poussiéreux. Si toutes ne sont pas d'un niveau égal, la moitié au moins est bonne voire excellente. En littérature comme en bédé, je ne suis d'habitude pas très fan des formats courts qui ne permettent guère de développer les personnages. Mais ici, c'est le scénario qui prime, et il faut bien avouer qu'en 6 à 8 pages, Fabien Vehlmann parvient à trousser des récits plutôt percutants. Je suis moins fan des dessins de Denis Bodart, qui me rappellent un style en vogue à la fin des années 80 ou au début des années 90. Néanmoins, ce "Green Manor" fera un cadeau tout trouvé pour un amateur de policier. 

mardi 26 juin 2012

"Les enfants de l'envie"


Laon, petite ville de Picardie, en 1999. Basile Sinniger, employé à la mairie et peintre raté à ses heures perdues, vit encore chez sa mère et cherche l'amour par l'intermédiaire d'une agence matrimoniale. Depuis son enfance, il est obsédé par les USA. Toutes ses toiles représentent New York, la ville dont venait le père GI qu'il n'a jamais connu. Mais un jour, le maire a l'idée d'organiser une réunion pour les 30 ans de la fermeture de la base  militaire américaine, et il invite les vétérans à revenir à Laon... 

De prime abord, ce n'est pas le scénario de cette bédé qui m'a attiré, mais son graphisme: un trait à l'encre de Chine dont la délicatesse parfois un peu tremblée m'a irrésistiblement rappelé Sempé et dont les blancs - les absences - sont parfois plus parlants que le reste. Gabrielle Piquet travaille sans cases et presque sans dialogues, en faisant de chacune de ses pages un chef-d'oeuvre de composition. L'arrangement même des éléments narratifs raconte une histoire à lui seul. Moi qui d'habitude lis les bédés très vite, j'ai passé un temps fou sur "Les enfants de l'envie", à savourer chaque merveilleux détail du dessin dont la simplicité apparente révèle, en réalité, une très grande maîtrise chez une auteure qui publiait là seulement son deuxième album (le troisième, "Arnold et Rose", vient juste de paraître chez Casterman).







Et puis finalement, je me suis laissée très vite happer par le scénario dont la finesse pudique fait écho à la délicatesse du graphisme. J'ai eu envie de donner un coup de pied aux fesses de Basile pour qu'il sorte de ce trou et fasse enfin quelque chose de sa vie. Mon coeur a saigné pour son ami Rémi cloîtré chez lui à cause d'une phobie sociale, incapable d'exprimer tout ce qu'il a sur le coeur. J'ai souri de l'émoi que provoquait la présence des jeunes soldats américains chez la grand-mère de Basile. J'ai revécu toute une époque à travers son récit de la cohabitation entre les habitants de Laon, qui abordaient la seconde moitié du XXème siècle sans eau courante ni commodités, et les GI qui leur apportaient tout le confort du pays au niveau de vie le plus élevé du monde. Au début, ça ressemble à une bénédiction, mais petit à petit, de vilaines craquelures apparaissent dans ce tableau faussement idéal de modernité et d'abondance... Bref, vous l'aurez compris, j'ai eu un très gros coup de coeur pour cette bédé que je recommande chaudement à tous les amateurs de tranches de vie. Ces "enfants de l'envie", sont bourrés de sensibilité et magnifiquement beaux. 

jeudi 14 juin 2012

"Des fourmis dans les jambes"


Alex a 33 ans, un boulot de concepteur dans la pub et une compagne prénommée Chloé qui lui a donné une petite Marion. Depuis dix ans, Alex est également atteint de sclérose en plaques, une maladie neurologique qui provoque des crises plus ou moins graves et plus ou moins prévisibles, pour laquelle il est traité par chimiothérapie et par administration ponctuelle de cortisone. "Des fourmis dans les jambes" nous raconte son quotidien d'amoureux, de père et de travailleur qui tente tant bien que mal de composer avec son handicap. A Paris où il a toujours vécu, Alex se sent constamment agressé par l'incivilité des autres. Il accepte de suivre Chloé à Nantes, où habitent ses parents et où elle espère retrouver un boulot après son licenciement économique. En province, il découvre un rythme de vie plus lent, au milieu de gens moins stressés et plus amicaux, et semble y trouver l'apaisement nécessaire pour mieux gérer le mal chronique qui l'afflige. 

Chronique à peine scénarisée de la vie d'Arnaud Gautelier, "Des fourmis dans les jambes" est quasiment un documentaire sous forme de bédé. Cette tranche de vie émouvante et instructive à la fois explique, sans pathos excessif, les difficultés rencontrées au quotidien par les gens à mobilité réduite, la frustration qui en découle forcément et la pression que cela peut mettre sur les relations avec leur entourage. S'il ne tente pas de minimiser les souffrances engendrées par sa maladie, l'auteur parvient toutefois à terminer son ouvrage sur une scène hautement symbolique et chargée d'espoir. "Des fourmis dans les jambes" est une de ces lectures dont on ressort humainement un peu plus intelligent. 

dimanche 10 juin 2012

"A feast for crows"


Le tome 4 de "A song of fire and ice" ("Game of thrones" pour la télé) est généralement considéré par les fans comme le plus faible de la série jusqu'ici, une sorte de "demi-tome". En effet, à l'époque où il l'écrivait, George R.R. Martin s'est rendu compte qu'il était bien parti pour dépasser les 1500 pages, et plutôt que de rendre à son éditeur un livre impubliable, ou de faire une coupure à la moitié chronologique de l'histoire prévue, il a préféré parler d'une seule moitié de ses personnages (ceux qui se trouvent dans le sud de Westeros, dans les Iles de Fer et à Dorne) pendant un laps de temps donné, et de passer ensuite à l'autre moitié dans le tome 5 "A dance with dragons".

Quand on sait que 6 ans se sont écoulés entre la publication des deux, on peut comprendre la frustration des fans de la première heure. Mais moi, je n'ai commencé à lire la série que pendant les vacances de Noël 2010. J'ai dévoré le tome 1, aussitôt enchaîné sur le 2, souffert énormément pour le finir, attendu plusieurs mois avant d'entamer le 3 et souffert encore davantage qu'avec le précédent. Il faut dire que les longues descriptions de bataille, ce n'est pas du tout mon truc, et que j'ai du mal à encaisser des scènes aussi pénibles que celle des Noces Pourpres. Du coup, malgré l'absence de certains de mes chouchoux (Tyrion, Daenerys et Jon Snow, rien que ça!), j'ai beaucoup apprécié le calme relatif de "A Feast for Crows".

Loin des conflits à grande échelle, on se recentre sur la trajectoire individuelle de certains des personnages. Cersei a enfin obtenu le pouvoir qu'elle désirait tant; hélas, elle se révèle totalement inapte à l'exercer et sombre peu à peu dans une paranoïa proche de la démence. Je n'ai pu, malgré tout, m'empêcher d'éprouver une forme de compassion pour cette femme qui se rebelle si fort contre les limitations imposées par son sexe. Arya se retrouve à Braavos, chez les Sans-Visage dont elle va tenter d'intégrer l'ordre pour devenir comme Jaqen H'ghar et se venger de ses nombreux ennemis. Mais elle aura beaucoup de mal à renoncer à son identité... Son histoire est l'une des plus passionnantes, et j'ai regretté que l'auteur lui consacre seulement 3 chapitres dans ce tome. Brienne, qui souhaite tenir la promesse faite à Catelyn, erre à travers Westeros à la recherche de Sansa. J'ai beaucoup d'affection pour cette femme laide et noble qui, se battant pour être acceptée dans un monde d'hommes, m'apparaît un peu comme le "négatif lumineux" de Cersei. Sansa, elle, a adopté le nom d'Alayne et vit désormais au Val d'Eyrie compagnie de Petyr Baelish, qui la fait passer pour sa fille naturelle. Je me fous toujours royalement de ce qui peut arriver à cette cruche olympique, mais la façon qu'a Littlefinger d'embobiner tout le monde est un perpétuel régal.

Oui, ce tome fait la part belle aux personnages féminins - y compris Asha Greyjoy, que l'on retrouve avec grand plaisir dans la guerre de succession qui l'oppose à ses oncles. Finalement, seuls deux hommes jouent un rôle significatif dans "A feast for crows". Jaime se détache de plus en plus de sa soeur et entreprend une sorte de quête personnelle pour reconquérir son honneur perdu. Suis-je la seule à penser que le frère de Cersei qui finira par la tuer, ce n'est pas Tyrion, mais bel et bien lui - son double, son amant, le père de ses enfants? De son côté, Samwell, envoyé par Jon à la Citadelle pour y devenir un mestre (maester en VO), peine à trouver son courage, mais on sent que ça peut venir. Il a désormais quelqu'un de plus faible que lui à protéger en la personne de Gilly, et cela le pousse à se surpasser. D'autres personnages masculins servent de point de vue l'espace d'un ou deux chapitres seulement. Du coup, "A feast for crows" apparaît à la fois plus resserré géographiquement et plus éparpillé au niveau de l'action. Contrairement aux trois tomes précédents, il ne contient aucun énorme coup de théâtre, mais se termine par plusieurs cliffhangers sublimes. C'est celui que j'ai lu le plus vite, et pas seulement parce que c'est le plus court - mais parce qu'il a beaucoup moins plombé mon moral!

mardi 5 juin 2012

"Sept détectives"


La collection 7, dirigée par David Chauvel chez Delcourt, se base sur un principe simple: elle rassemble, au rythme de 7 par "saison", des one-shot ayant pour héros 7 personnages d'un même type, et produits chaque fois par des auteurs différents. A la base, je ne suis pas une bonne cliente pour ce concept, qui me paraît quelque peu artificiel et ne laisse pas assez de place à mon goût au développement individuel de chaque protagoniste. Mais ma copine Andoryss, qui a signé le scénario de "Sept naufragés", m'a assuré ce week-end que "Sept détectives" était le meilleur ouvrage de la collection jusqu'ici. Mon penchant pour la période des années 20 et les histoires à la Sherlock Holmes ont fait le reste.

Ces sept détectives, donc, sont clairement calqués sur des personnages célèbres de la littérature: Sherlock Holmes, justement, et son fidèle Watson, mais aussi Hercule Poirot, Miss Marple, Rouletabille, Phillip Marlowe (ou Sam Spade?) et... un cadeau Bonux a qui réussira à identifier le dernier, un inspecteur anglais déchu de ses fonctions après son échec dans une affaire de meurtres en série et réfugié dans les vapeurs de l'opium. Tous sont convoqués à Londres par nul autre que l'auteur d'une nouvelle série de meurtres sanglants, apparemment sans rapport les uns avec les autres - à l'exception du message marqué d'un 7 systématiquement retrouvé auprès des corps. Vous en dévoiler davantage serait déflorer l'intrigue, un crime impardonnable aux yeux des amateurs de whodunnit. Je me contenterai donc de dire que la conclusion est plutôt satisfaisante, même si elle emprunte suffisamment aux classiques du genre pour que j'aie commencé à la soupçonner en cours de route. Quant au reste, j'ai apprécié les quelques traits d'humour bien sentis qui m'ont fait rire tout haut (chose assez rare chez moi), et surtout les dessins d'Eric Canete qui collent parfaitement à l'atmosphère sombre du scénario. La présentation des sept héros, au moyen de portraits pleine page qui ouvrent l'histoire, réussit immédiatement à happer le lecteur et lui donne envie de dévorer la suite d'une traite. Les passages de texte pur - extraits d'une lettre rédigée par un mystérieux narrateur - permettent de faire avancer l'action de manière satisfaisante en se concentrant sur les moments les plus significatifs. Bref, ça ne révolutionnera pas l'histoire du polar, mais c'est bien fichu et ça se lit avec plaisir.