mardi 28 août 2012

"L'embellie"


Elle a trente-trois ans; elle est traductrice, n'a jamais voulu d'enfants, et son mari vient de la quitter pour une collègue plus jeune enceinte de ses oeuvres. Soudainement sans attaches, elle décide de partir faire le tour de son pays - l'Islande. C'est alors que sa meilleure amie, hospitalisée en urgence, lui confie pour quelques semaines la garde de son fils Tumi, un petit garçon de quatre ans sourd et malvoyant... 

Deuxième roman paru en français d'Audur Ava Olafsdòttir, "L'Embellie" présente de curieuses similitudes avec "Rosa Candida". Ici aussi, un adulte se retrouve catapulté un peu à l'insu de son plein gré dans le rôle de parent; et ici aussi, cette responsabilité nouvelle va l'aider à grandir et à devenir pleinement lui-même. Mais là où "Rosa Candida" impressionnait surtout par son atmosphère poétique, à la limite du conte de fées, "L'embellie" est fortement ancré dans le réel, et contrairement à ce que je craignais en attaquant ma lecture, il ne m'en a touchée que davantage. 

J'avoue toutefois une certaine partialité: d'abord parce que j'ai de nombreux points communs avec l'héroïne; ensuite parce que je suis très sensible à l'humour subtil mais omniprésent de l'auteur; enfin, parce que les paysages islandais et leur nuit quasi perpétuelle de novembre-décembre sont quasiment un personnage à part entière du récit. A eux seuls, ils auraient suffi à m'envoûter et à me faire apprécier "L'embellie". De la même façon, le road trip singulier, symbolisant le voyage intérieur de cette femme qui me ressemble tant, aurait suffi à me tenir en haleine malgré une quasi-totale absence d'action au sens habituel du terme. Conjugués, ces deux éléments donnent à "L'embellie" une force et une maturité qui m'ont presque fait oublier le charme étrange de "Rosa Candida". 

samedi 18 août 2012

"The night circus"




Le cirque arrive sans prévenir. Aucune annonce ne le précède, aucune publicité en ville ou dans les journaux. Ses tentes rayées noires et blanches apparaissent simplement là où la veille, il n'y avait rien. Au-dessus de l'entrée, une pancarte indique qu'il ouvre au crépuscule et ferme à l'aube... 

Bienvenue dans le monde enchanteur où deux magiciens se livrent un duel dont eux-mêmes ignorent les règles. Celia, la fille naturelle du grand Prospero, est l'illusionniste du Cirque des Rêves. A l'aide de ses dons innés, elle influence les attractions de l'intérieur. Marco, le fils adoptif du mystérieux Mr A.H___ toujours vêtu de gris, assiste le propriétaire du cirque depuis l'extérieur; ses enchantements reposent sur son érudition et passent par des formules soigneusement rédigées. Représentants de deux écoles diamétralement opposées, leurs pères les ont élevés dans le seul but de faire triompher leur propre vision de la magie. Peu importe ce qu'il en coûtera aux jeunes gens, aux artistes qui les entourent, ou aux amoureux du cirque qui se sont baptisés les Rêveurs et se reconnaissent entre eux grâce à leur écharpe rouge...

"The night circus" est ce genre de livre qu'on adore ou qu'on déteste. Ses détracteurs avanceront que les personnages secondaires sont plus intéressants que les héros; que le duel promis, loin d'une compétition acharnée et explosive, s'étire sur seize ans et finit plutôt par prendre la forme d'une collaboration; que l'histoire d'amour ultra-prévisible entre Celia et Marco repose sur trop peu de choses pour être crédible; que l'intrigue avance avec une affreuse lenteur, et que l'atmosphère semble plus importante que l'histoire. Ils auront tout à fait raison. 

Mais l'atmosphère, justement, est de celles qui vous happent et vous font basculer dans une dimension parallèle jusqu'au mot "fin". Le cirque, dont les attractions sont décrites par un observateur émerveillé, forme une bulle fantasmagorique et ensorcelante, un univers noir et blanc où ne s'applique aucune des règles du monde extérieur. Et malgré sa lenteur, la narration est très bien menée, selon deux lignes chronologiques qui s'entremêlent et finissent par se rejoindre pour un dénouement des plus satisfaisants. Les chapitres courts, rédigés au présent, sont entrecoupés d'apostrophes au lecteur/spectateur qui contribuent à tisser une toile enchanteresse autour de lui. J'ai apprécié que l'auteur montre aussi ce qui se passe au dehors, la façon dont le cirque perturbe la vie de tous ceux qui furent impliqués dans sa création sans bien en comprendre la portée. Vous l'aurez compris: je fais partie des Rêveurs qui ont adoré "The Night Circus" malgré ses failles.

Ce roman sera disponible en français à partir du mois d'octobre. 

Sur la photo, les sandales Lola Ramone dénichées à -70% chez Look 50, hier à l'occasion du début de leur braderie. Oui, je commence à assortir mes chaussures à mes lectures. Et alors? Je ne suis pas folle, vous savez. 

samedi 11 août 2012

"L'amour est une île"


Avignon, été 2003. La grève des intermittents paralyse le festival, et la colère gronde à tous les coins de rue. Odon, directeur d'un théâtre local, tente de préserver les représentations de "Nuit rouge". Cette pièce est l'oeuvre de Paul Selliès, un jeune inconnu tragiquement décédé quelques années plus tôt. Mathilde, le grand amour d'Odon qu'elle a quitté pour devenir une célèbre actrice, revient dans sa ville natale écrasée par la chaleur pour y interpréter "Sur la route de Madison". De son côté, la fragile Marie débarque dans la cité des Papes avec un seul souhait: entendre sur scène les mots de son frère défunt. L'espace de quelques semaines, leurs trois destins vont s'entremêler, et Marie mettra à jour un terrible secret... 

Après "Seule Venise" qui m'avait donné une furieuse envie de retourner dans cette ville et "Les déferlantes" qui m'avait littéralement happée, "L'amour est une île" est le troisième roman de Claudie Gallay que je dévore. Je suis bien incapable d'expliquer à quoi tient la magie de son style ultra dépouillé, de ses phrases toujours très courtes qui, parfois, ne comportent même pas de verbe. Avec une remarquable économie de fioritures, elle arrive à me captiver chaque fois - un exploit d'autant plus remarquable que d'habitude, j'aime qu'on m'explique ce qui se passe dans la tête des personnages. Claudie Gallay, elle, se contente de le laisser deviner en décrivant minutieusement leurs gestes les plus anodins. Sa façon de laisser la lumière entrer en eux par leurs fêlures les plus intimes me touche toujours en plein coeur. Je comprendrais parfaitement qu'on n'accroche pas à ses romans, qu'on soit insensible à leur grâce subtile et imperméable à leur profonde humanité. Mais moi, voilà, je suis fan. Beaucoup beaucoup. 

vendredi 10 août 2012

"Azimut T1: Les aventuriers du temps perdu"


Pour les bédés comme pour les romans, je suis devenue très difficile en matière de fantasy: j'ai l'impression de lire toujours la même histoire... Il faut vraiment un univers très original, un scénario très prenant et une plume ou un dessin remarquable pour que je me décide à investir mes sous et mon temps. 

Après des années d'errance en mer, le comte de la Pérue touche enfin terre. Hélas, il est revenu à son point de départ: le royaume de Ponduche. Probablement parce que le Nord a été perdu depuis des mois. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, puisque ces problèmes de navigation ont permis l'arrivé de l'envoûtante princesse Aïcha, à laquelle le roi est désormais fiancé. Le seul problème, c'est que le peintre de l'expédition maritime reconnaît en elle Manie Ganza, une criminelle internationale qui dérobe des collections de vieille monnaie sans valeur apparente. Ailleurs, à bord de son navire-laboratoire le Laps, le professeur Aristide Breloquinte étudie les chronoptères, ces créatures qui détiennent au fond d'elles le secret du temps... 

Le rôliste de longue date Wilfrid Lupano propose dans "Azimut" un univers très riche, régi par des règles souvent poétiques ("Mais enfin, ça ne peut pas se perdre, le Nord!" "Bof, on arrive bien à perdre du temps, alors pourquoi pas le Nord?") et peuplé de créatures qui ne le sont pas moins, telles la mouche gobe-temps ou la belle lurette. Bien sûr, ce premier tome de mise en place soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses, mais on sent que tous les éléments disparates à première vue finiront par s'emboîter les uns aux autres. Et puis côté action, on est déjà très bien servi avec l'extravagante évasion d'Aïcha alias Manie Ganza, héroïne intrigante à souhait. 

Je suis un peu plus réservée sur les dessins de Jean-Baptiste Andréae. J'aime beaucoup son trait fin et les expressions très travaillées de ses personnages. Par contre, ses décors pourraient être plus détaillés, et ses couleurs me laissent perplexe. Je n'apprécie pas du tout le sous-ton jaune ou bleuté que l'on retrouve dans quasiment toutes ses planches. Il me semble que l'univers bigarré créé par Wilfrid Lupano méritait soit des teintes éclatantes soit, si on voulait partir dans quelque chose de plus subtil, des nuances douces mais variées à la Florence Magnin. Cela ne m'empêchera pas d'attendre avec impatience la suite de ce qui est annoncé comme une trilogie. 

mardi 7 août 2012

"Salaam London"


Après dix ans passés à exercer son métier de journaliste depuis l'étranger, Tarquin Hall rentre à Londres. Sans travail ni argent, il est contraint de loger dans Brick Lane, au coeur du quartier misérable de l'East End où se mélangent Bengalis, Irakiens, Kurdes et prolétaires cockneys. Il passera un peu plus d'un an dans son taudis, d'abord seul, puis avec sa fiancée Anu, une indo-américaine qui trouvera l'adaptation bien difficile...

"Salaam London" est, pour reprendre l'expression de la quatrième de couverture, un "récit de voyage à l'envers". L'auteur y raconte son expérience personnelle en l'enrichissant de données historiques et culturelles, de sorte que j'ai eu l'impression de m'instruire en le lisant. Il fait une description sans fard de la pauvreté qui règne à Brick Lane, du racisme de beaucoup de ses habitants, de la violence parfois explosive qui guette au coin des rues, mais aussi de la solidarité remarquable au sein des différentes communautés d'immigrés, de la débrouillardise de certains d'entre eux et de leur volonté de se construire une vie meilleure. 

Il dresse de ses connaissances une galerie de portraits hauts en couleur, parfois très émouvants: Mr Ali, son propriétaire radin et roublard, tyrannisé par une minuscule épouse; Sadie, sa vieille voisine juive qui croit cuisiner le meilleur bouillon de poulet du monde; Naziz, l'ex-délinquant qui passe sa vie à la bibliothèque parce qu'il veut obtenir un diplôme pour sauver sa mère des maltraitances de son père; l'entreprenant Chalky qui connaît tout le monde mais que personne ne connaît officiellement; Gul Muhammad le réfugié afghan qui a fui les talibans, et ses deux acolytes kosovars, le Petit et le Grand Sasa; Aktar l'érudit bengali et néanmoins anglophile... J'ai été fascinée par l'histoire de tous ces gens, si loin de ma propre expérience de la vie. En arrivant à la fin du livre, j'étais presque triste de les quitter.