jeudi 31 mai 2018

"Juniper Lemon ou la stratégie du bonheur" (Julie Israël)


Juniper Lemon entre en première. Au début de l'été, sa soeur aînée, Cami, a été tuée dans un accident de voiture, et la jeune fille peine à s'en remettre. Sa mère s'enfonce dans le mutisme et la dépression; ses camarades et ses profs ne la voient plus qu'à travers le filtre de son drame familial. Pour tenir le coup, Juniper poursuit la rédaction de "l'Index du Bonheur" entamée suite à un pari perdu contre Cami, quelques mois plus tôt: chaque soir, elle synthétise sur une fiche bristol les choses bonnes ou mauvaises qui lui sont arrivées dans la journée. Mais bientôt, un autre projet mobilise son attention. Dans une poche d'un vieux sac de Cami, Juniper trouve une lettre d'amour adressée à un garçon qui n'est désigné que comme "Mon Toi". Elle entreprend de l'identifier pour lui remettre ce dernier message de la défunte...

Le deuil d'un proche, les relations entre soeurs, la recherche du bonheur: "Juniper Lemon ou la stratégie du bonheur" aborde plusieurs des thèmes qui me sont chers et que j'ai déjà beaucoup explorés en littérature. Avec son drôle de nom ("Genièvre Citron"), ses listes mentales, son chagrin fou et son envie sincère d'aider les autres, Juniper est une héroïne des plus attachantes. J'ai particulièrement aimé la façon dont elle utilise ses projets artistiques pour exprimer l'indicible, donner un sens à l'irréparable et rendre un dernier hommage à Cami. Autour d'elle, une poignée d'autres lycéens eux aussi en souffrance pour des raisons diverses vont lui redonner le goût de l'amitié et de la vie. Et même si elle n'est pas tout à fait celle qu'on attendait et espérait, la fin de son histoire porte un message beau et fort. Un roman jeunesse à découvrir.

Traduction de Sarah Cardy


Merci aux éditions Casterman pour cette lecture

lundi 28 mai 2018

"La maison à droite de celle de ma grand-mère" (Michaël Uras)


La grand-mère de Giacomo va mourir. Alors, malgré sa réticence, ce traducteur littéraire installé à Marseille rentre dans le petit village de Sardaigne dont il est originaire pour lui faire ses adieux. Là-bas, il retrouve ses parents - un peintre taiseux et une femme au caractère volcanique qui menace de le quitter tous les deux jours -, son ami d'enfance Fabrizio atteint d'une maladie de peau qui le fait paraître deux fois plus âgé et la figure emblématique du Capitaine, un vieux militaire autrefois auréolé de gloire et désormais bien seul. Les jours s'écoulent dans la chaleur de l'île, et l'aïeule tient toujours bon à l'hôpital tandis que Giacomo peine sur une version inédite de "Moby Dick"...

"J'appartenais profondément à cette terre. C'était un boulet au pied et une bouteille d'oxygène."

Rentrer chez soi lorsqu'on est un adulte qui a fait sa vie loin des siens, ce n'est jamais simple. Entre les vieilles mécaniques familiales qui le happent de nouveau et les souvenirs qui l'assaillent à chaque coin de rue, Giacomo voit se télescoper un passé qu'il croyait avoir laissé derrière lui et un présent dans lequel il peine à surmonter un événement douloureux. Sous le soleil accablant de la Sardaigne, "La maison à droite de celle de ma grand-mère" est un roman contemplatif, souvent mélancolique, qui devrait plaire aux amateurs de récits intimistes et doux-amers. 

jeudi 17 mai 2018

"Bye-bye, vitamines" (Rachel Khong)


Ruth Young, 30 ans, vit à San Francisco où elle se remet péniblement de son divorce. Alors qu'elle évitait ses parents depuis plusieurs années, elle accepte de passer Noël chez eux, puis d'y rester une année entière afin de s'occuper de son père atteint de la maladie d'Alzheimer. Déjà passablement cabossée par la vie, elle se retrouve contrainte d'ouvrir les yeux sur les infidélités qu'elle avait toujours refusées de voir pour ne pas trahir l'image qu'elle avait de son père. 

De son côté, furieux d'avoir été évincé de l'université où il enseignait en raison de son comportement erratique, Howard Young se rebelle à sa façon contre les contraintes imposées par sa démence grandissante. Pour communiquer avec sa fille, il exhume les carnets dans lesquels il notait tout ce qu'elle faisait d'amusant ou de surprenant quand elle était petite. Bientôt, de la même façon qu'elle assume désormais un rôle parental auprès de lui, c'est Ruth qui prend le relais et devient la chroniqueuse de leur histoire. 

Sur un sujet pas franchement hilarant, Rachel Khong bâtit autour d'une émouvante relation fille-père un premier roman tour à tour drôle et mélancolique, absurde et poignant. Pour lutter contre le désespoir, les personnages s'accrochent à leurs souvenirs et aux détails d'un quotidien que rien ne garantit plus désormais. Les premiers paragraphes de "Bye-bye, vitamines" m'ont fait glousser comme une poule et les deux dernières phrases, pleurer comme un veau. 

Traduction de Caroline Bouet

lundi 14 mai 2018

"Rat et les animaux moches "(Sibylline/Capucine/Jérôme d'Aviau)


Rat en a assez d'être constamment insulté et chassé à coups de balai par la propriétaire de la maison où il vit. Muni de son baluchon, il part en quête d'un endroit plus accueillant. Mais partout c'est la même chose: les humains poussent les hauts cris en le voyant. Il finit par s'éloigner des villes et, au coeur de la forêt, il tombe sur le Village des animaux moches qui font un petit peu peur. Il s'y installe et se lie d'amitié avec ses nouveaux voisins - notamment Araignée, qui partage son goût de l'ordre et de la propreté. Mais bientôt, il se rend compte que tous les habitants du village dépriment dans leur isolement. Alors, un par un, Rat entreprend de leur trouver un endroit parfait où vivre...

Attention, pépite! "Rat et les animaux moches" est un merveilleux roman graphique de plus de 200 pages, un très bel objet aux illustrations somptueuses et au lettrage hyper soigné. Il met en scène une flopée de personnages mal-aimés qui voudraient désespérément l'être: Bousier rejeté parce qu'il promène sa boule de caca partout avec lui, Baudroie et Lamproie dont les grandes dents effraient, Pieuvre dont les tentacules sont pourtant si bien adaptés aux câlins multiples, Rat nu qui crève de froid tout le temps... Mais grâce à notre héros aussi malin que déterminé, chacun d'eux va finir par trouver sa place en ce monde. Fable animalière moderne à l'intelligence fine, débordante de bienveillance et de tendresse, "Rat et les animaux moches" alterne entre humour et émotion pour inciter le lecteur petit ou grand à regarder au-delà des apparences. Sérieusement, il vous faut cet album.




mardi 8 mai 2018

"Les anges et tous les saints" (J. Courtney Sullivan)


Dans les années 50, la pauvreté en Irlande contraint Nora et Theresa Flynn à émigrer à Boston. Docile et réservée, l'aînée est censée épouser un garçon de chez elles qui les a précédées en Amérique, tandis que la cadette brillante et pleine de charme espère devenir enseignante. Mais dans sa naïveté, elle succombe aux charmes d'un homme plus âgé et se retrouve bientôt enceinte - une grossesse qui va modeler la vie de deux familles durant plus d'un demi-siècle...

J'avais beaucoup aimé les romans précédents de J. Courtney Sullivan: "Les débutantes", "Maine" et "Les liens du mariage", aussi était-il évident que j'allais lire "Les anges et tous les saints". Mais pour la première fois avec cette auteure, j'avoue n'avoir accroché ni à l'histoire ni aux personnages. Les Irlandais pauvres venus tenter leur chance en Amérique, c'est un thème qui a souvent été exploité en littérature ces dernières années, me donnant une forte impression de déjà-lu. Le premier secret de famille est rapidement deviné - et de toute façon révélé dès la fin du premier tiers; le second intervient beaucoup trop tard et m'a paru insuffisamment exploité. La fin n'apporte qu'une résolution partielle, tout à fait insatisfaisante de mon point de vue. Quant aux deux héroïnes, Nora toujours guidée par son sens du devoir et des conventions ne suscite guère d'empathie, et Theresa choisit un chemin de vie assez intrigant mais un peu frustrant du point de vue narratif. Bref, cette fois, je suis restée sur ma faim. 

Traduction de Sophie Troff

samedi 5 mai 2018

"Chaque jour Dracula" (Loïc Clément/Clément Lefèvre)


Le petit Dracula est différent des autres enfants de son école: il ne supporte pas le soleil; il a les yeux rouges et les canines saillantes; il ne peut pas manger d'ail à la cantine ni se regarder dans un miroir. Du coup, il est devenu le souffre-douleur de ses camarades. Après une journée particulièrement pénible, il se confie à son papa, qui décide l'aider à s'affirmer...

Le harcèlement scolaire est un problème tristement répandu, pour lequel il n'existe pas de solution toute faite. Ce qui n'empêche pas de proposer des pistes! Telle est l'idée développée ici par Loïc Clément. S'il a choisi un jeune héros issu de la littérature fantastique, les souffrances de celui-ci sont, elles, bien ancrées dans le réel. "Chaque jour Dracula" peut ainsi servir d'ouvrage éducatif pour les écoliers victimes, auteurs ou juste témoins de brimades. Mais c'est aussi une fiction divertissante très joliment illustrée par Clément Lefèvre, qui avait déjà prouvé son talent pour mettre en images des émotions et situations difficiles dans "L'épouvantable peur d'Epiphanie Frayeur".



jeudi 3 mai 2018

"Calpurnia" (Jacqueline Kelly)


Calpurnia Virgina Tate, dite "Callie V", a onze ans trois quarts. C'est la seule fille d'une famille texane aisée qui vit à la campagne et compte sept enfants au total. A l'aube du XXème siècle, son intérêt pour l'observation des animaux la conduit à se rapprocher de son grand-père, homme d'affaires à la retraite et naturaliste passionné. Avec lui, la fillette découvre la théorie de l'évolution de M. Darwin et les autres lois qui gouvernent les êtres vivants, et elle décide que plus tard, elle deviendra une grande savante. Mais sa mère ne l'entend pas de cette oreille. Ce qui compte, c'est de faire de Callie une future épouse et mère rompue aux arts ménagers. Aussi entreprend-elle de lui enseigner plutôt le tricot et la cuisine...

J'avais beaucoup entendu parler de ce roman sorti il y a quelques années et sur lequel toutes les amatrices de littérature jeunesse de ma connaissance s'extasiaient unanimement. Et même si j'ai mis du temps à me pencher dessus, je confirme qu'il mérite tout le bien qu'on a pu en dire. Pour l'atmosphère paisible du petit monde de Calpurnia, les descriptions de la vie animale minuscule qui grouille autour d'elle et prêtent un caractère presque enchanteur à son coin de campagne brûlé par le soleil. Pour la belle relation qui se développe entre elle et son grand-père, un vieux monsieur bourru et néanmoins très ouvert d'esprit. Pour l'insatiable curiosité de cette jeune héroïne que son époque semble condamner à gâcher ses dons. Pour la candeur avec laquelle elle juge le comportement des adultes qui l'entourent. Pour les bêtises souvent très amusantes de ses six frères. Pour le réalisme des attentes que sa mère fait peser sur elle et contre lesquelles la fillette a, malgré toute sa détermination, bien du mal à lutter. A la fois joli roman d'apprentissage et témoignage sur la condition féminine il y a à peine plus d'un siècle, "Calpurnia" a tout d'un futur classique de la littérature jeunesse.

Traduction de Diane Ménard

mercredi 2 mai 2018

"Une mère" (Alejandro Palomas)


Barcelone, le 31 décembre. Amalia est sur des charbons ardents avec dans les yeux tout le désir que cette soirée soit réussie. Après tant de tentatives ratées, ils seront tous là ce soir à sa table. Fernando, son fils, Silvia et Emma, ses deux filles, Olga, la compagne d'Emma, et l'oncle Eduardo. Un septième couvert est dressé, celui des absents. Chacun semble arriver avec beaucoup à dire ou tout à cacher. Un dîner sans remous? Impossible dans cette famille fantasque, imprévisible, excessive jusqu'à l'explosion. Entre excitation, rire tendresse et frictions, rien ne se déroulera comme prévu. Mais tous vont rire, pleurer et s'aimer quoi qu'il advienne. 

La chronique familiale déjantée, c'est un exercice auquel de nombreux écrivains se sont essayés avec un succès variable. Quand on manie personnages hauts en couleur et révélations en série, il est facile de tomber rapidement dans la caricature ou le manque de crédibilité. Alejandro Palomas, lui, se tire de cet exercice de haute voltige avec une agilité de funambule, alternant scènes du réveillon et souvenirs des années précédentes sans jamais cesser d'osciller entre l'humour et l'émotion. Avec ses abracadabrantes envolées oratoires, son incapacité à voir le mal où que ce soit et son optimise à tout crin, la maman du titre est aussi touchante qu'exaspérante. Autour d'elle, son frère et ses enfants tous cabossés par la vie se chamaillent sans se ménager mais sont là les uns pour les autres quoi qu'il arrive. Leur famille dysfonctionnelle, marquée par les drames petits ou grands, reste un refuge ultime - le filet de sécurité de chacun. C'est rare qu'un livre me fasse pleurer de rire et pleurer tout court en l'espace de quelques pages seulement, mais "Une mère" y est parvenu. Plusieurs fois. 

Traduction de Vanessa Capieu