lundi 26 décembre 2011

"Le dîner"



Aux Pays-Bas, deux couples ont rendez-vous dans un restaurant chic. L'un des hommes, pressenti pour devenir Premier Ministre, est un politicien populiste mais bouffi d'égoïsme et de suffisance. L'autre est son frère, et le narrateur de ce "Dîner". Agacé par les manières du personnel et plus encore par celles de son aîné, il ne peut s'empêcher de contredire celui-ci en tout. Au travers de divers flashbacks, on découvre que sa femme et lui forment un couple encore très amoureux après 20 ans de mariage, et que le style de vie du politicien leur apparaît inutilement tapageur, voire méprisant vis-à-vis du petit peuple. A l'occasion d'une discussion sur le dernier Woody Allen, ils s'indignent contre son machisme. Ce sont, selon toutes les apparences, ce qu'on appelle "des gens bien".

Pourtant, les deux couples sont là pour discuter d'une agression ignoble commises par leurs enfants chéris. Et tandis que les plats défilent sur la table, le narrateur dévoile peu à peu son passé inquiétant et ses pensées les plus noires, sa violence à peine contenue et son absence de repères moraux. Il découvre aussi les secrets que lui dissimulent sa femme et son fils unique. Le beau vernis de respectabilité tranquille se craquèle à toute allure et fait voler les apparences en éclats. Au final, le rustre prétentieux se révèle être la seule personne humainement décente du quatuor, alors que le narrateur et sa femme imaginent une solution abominable à leur problème. "Le dîner" est un long huis-clos durant lequel chaque geste, chaque attitude et chaque parole des protagonistes sont disséqués au scalpel - un scalpel trempé dans du vitriol. Ses 330 pages défilent très vite mais laissent un sale goût dans la bouche. Un bouquin glaçant, à réserver aux lecteurs qui ont déjà perdu toutes leurs illusions sur la nature humaine.

dimanche 25 décembre 2011

"Les enfants des cornacs"



C'est la photo de couverture signée Maïa Flore - une jeune artiste dont les oeuvres pleines d'une poésie onirique m'avaient fait craquer l'an dernier - qui a attiré mon attention sur ce roman traduit du danois.

"Sur une île mystérieuse au large du Danemark, un drame s'est produit. Le pasteur et sa femme, deux personnalités centrales de la vie de la communauté, ont disparu. Leur fils Peter, surdoué et curieux de tout, ainsi que sa soeur, la très perspicace Tilte, se lancent à leur recherche. Commence alors une épopée rythmée, jalonnée de rencontres cocasses et insolites."

C'est très difficile de parler d'un livre qu'on a beaucoup aimé, surtout lorsque ce livre est un peu atypique, autant par son propos que par le ton employé pour le développer. "Les enfants des cornacs" est bien, pour reprendre l'expression de l'éditeur, une fable philosophique initiatique dans laquelle un jeune héros extrêmement précoce s'interroge sur la religion et la liberté, tout en se confrontant au monde des adultes et à un premier vrai chagrin d'amour. C'est aussi un roman d'aventure mené tambour battant, où retournements de situation et péripéties rocambolesques s'enchaînent à toute allure. C'est une galerie de personnages tous plus savoureux les uns que les autres, avec des noms improbables, des dégaines à hurler de rire et des métiers pour le moins farfelus, où les femmes ne sont pas les moins nombreuses ni les moins remarquables. C'est enfin un livre excessivement drôle, et d'autant plus que l'humour s'y mélange de façon très réussie à la réflexion et à l'émotion.

"Ce qui cloche, c'est que mon frère est né huit cents ans trop tard. Il appartient au temps des chevaliers; il considère toutes les femmes comme des princesses que l'on approche tout doucement, par exemple en tuant des dragons (...). Les filles de Fino, elles, font du taekwondo et s'installent à Arhus dès seize ans, (...)et si jamais elle croisent un dragon, elles aimeraient sortir avec lui ou le disséquer pour en tirer un rapport de biologie."

"Papa est comme ça. Il pense faire preuve de la plus profonde charité chrétienne en disant aux gens qu'apprendre à le connaître constitue la chance de leur vie."

"A aucun titre on ne me fera jurer de la stabilité de Papa et Maman, loin de là. Mais il me semble qu'(...)au moment de partir, ils n'étaient pas plus timbrés qu'ils ne le sont en moyenne toute l'année."

"Il ne suffit pas d'évoluer: encore faut-il que ce soit dans le bon sens. Et pour l'heure, face aux coupures de journaux, Tilte et moi partageons l'idée que nos parents évoluent allègrement dans le sens d'une peine d'au moins huit ans de prison."

Je n'ose pas vous en dire davantage de crainte de gâcher le plaisir de votre découverte. Mais franchement, "Les enfants des cornacs" est un bouquin merveilleux qui devrait trôner sur la PAL de tout amateur de littérature un rien décalée.

samedi 17 décembre 2011

"La colère des aubergines"



Bien que je sois pas pas fan de nouvelles et évite généralement d'en acheter, un article de Funambuline m'a poussée à faire une exception pour ce recueil de Bulbul Sharma.

Ici, une grand-mère tyrannique veille jalousement sur ses bocaux de pickles; là, une parente pauvre exploitée par sa famille refuse pourtant l'émancipation; une fiancée voit ses parents rivaliser avec sa future belle-famille pour produire le festin de mariage le plus ahurissant; une femme quittée par son mari continue à le recevoir tous les dimanches midi pour déjeuner; une veuve est torturée par le jeûne religieux que lui impose sa belle-mère; une adolescente assiste à un étonnant pique-nique nocturne... Chacun des récits qui composent "La colère des aubergines" tourne autour de la nourriture et de la condition féminine. La première apparaît comme un élément central de la culture indienne, qui tantôt rapproche les gens et tantôt sème la discorde entre eux. La seconde semble produire deux types de femmes: des harpies qui régentent leur famille avec une poigne de fer, ou de pauvres créatures timides et soumises, écrasées par le poids des traditions.

Quant aux hommes, lorsque l'auteur les met - rarement - en avant, c'est pour les ridiculiser. L'un d'eux est l'objet de la guerre que se livrent sa mère et sa femme par petits plats interposés et se laisse gaver docilement pour avoir la paix; un autre est persuadé que tous les voyageurs mâles du train dans lequel il a pris place avec sa mère, son épouse et sa fille convoitent les appas de ces dernières; un autre encore est contraint de battre la campagne à la recherche des mets inédits qui sauront contenter son ogresse de femme. Et chaque nouvelle se conclut par la recette d'un ou plusieurs des plats qui y ont été mentionnés. C'est drôle; c'est très instructif pour qui s'intéresse à la société indienne et ça met l'eau à la bouche du début jusqu'à la fin. Mon premier Bulbul Sharma ne sera certainement pas le dernier.

lundi 12 décembre 2011

"Sunset Park"



De mon point de vue, on peut classer les romans de Paul Auster en deux catégories: les grandes fresques américaines (comme "Brooklyn Follies", "La nuit de l'oracle", "Moon Palace" ou"Léviathan") et les expérimentations littéraires, généralement doublées d'une réflexion sur la condition d'écrivain ("La Trilogie New-Yorkaise" ou "Dans le Scriptorium"). Autant j'adore les premières, autant les secondes m'ennuient à mourir.

Ca tombe bien: "Sunset Park" se classe résolument parmi les oeuvres les plus "classiques" de l'auteur. Rongé par le souvenir de la mort de son demi-frère, dont il se sent responsable, Miles Heller a fui sa famille et New-York où il avait grandi pour se réfugier en Floride. Au moment où sa liaison avec une mineure va l'obliger à disparaître une nouvelle fois, son vieil ami Bing lui propose de rejoindre la petite communauté de squatteurs qu'il a fondée à Brooklyn...

Comme "Invisible", le précédent opus de Paul Auster, "Sunset Park" est un roman assez court, caractérisé par la multiplicité des points de vue. Outre Miles, on suit ses trois colocataires - Bing, le grand nounours barbu qui tient un Hôpital des Objets Cassés; Ellen, une artiste refoulée que ses pulsions sexuelles inassouvies sont en train de rendre dingue; Alice, l'archétype de la fille formidable et de la thésarde studieuse - ainsi que ses parents séparés depuis belle lurette - Morris l'éditeur respecté mais menacé par la crise, Mary-Lee l'actrice vieillissante qui s'apprête à aborder un rôle difficile au théâtre. L'auteur réussit à faire de chacun d'eux une personne vivante et complexe, hautement imparfaite mais à la trajectoire parfaitement compréhensible. Plus encore que son style dont j'apprécie la fluidité, c'est cette belle empathie envers la nature humaine qui me fait apprécier Paul Auster. Je regrette un peu qu'il se contente d'effleurer l'angle social qui aurait pu être très intéressant à explorer, mais son propos n'a jamais été politique.

Par contre, la fin... Cette fin en queue de poisson qui laisse Miles à un tournant crucial, confronté à un choix qui modèlera peut-être toute la suite de sa vie, m'a remplie d'une profonde frustration. C'était bien la peine de suivre, pendant 300 pages, son cheminement vers une forme de rédemption pour l'abandonner alors même que tout ce qu'il a accompli est remis en cause! J'imagine que, de la part d'un auteur aussi chevronné que Paul Auster, il s'agit d'une décision mûrement réfléchie. Mais franchement, du point de vue du lecteur, ça ressemble surtout à une façon désinvolte de terminer un bouquin pour lequel on n'imaginait pas de conclusion satisfaisante.

samedi 10 décembre 2011

"Whiskey & New York"



Julia Wertz, pas encore 25 ans au compteur, quitte San Francisco où elle a toujours vécu et part s'installer à New York. Entre deux boulots minables dont elle finit toujours par se faire virer très rapidement, elle dessine sa vie de galère: les appartements miteux à Brooklyn, les clochards qui l'agressent verbalement dans la rue, les cuites qu'elle se prend avec une régularité alarmante, les séances de cinéma qui occupent ses après-midi... Julia porte des fringues pourries qu'elle n'a aucune intention de changer; elle se nourrit de junk food, est incapable de se trouver un petit ami et culpabilise de ne pas être restée auprès de son frère toxico pour le soutenir. Bref, son histoire est légèrement déprimante, mais aussi assez réaliste pour qui s'imagine New York comme une Terre Promise. J'aime beaucoup quand Julia dessine les rues de la ville, ses façades ou l'intérieur des appartements dans lesquels elle habite; ses personnages, par contre, me font penser à de vieux comic strips ringards. "Whiskey & New York": une lecture pas nécessairement indispensable, mais qui ne m'a pas donné l'impression de perdre mon temps.

mercredi 7 décembre 2011

"Le voyage de cent pas"



"Mon nom est Hassan Haji. Deuxième d'une famille de six enfants, je suis né au-dessus du restaurant de mon grand-père situé Napean Sea Road dans Bombay Ouest, bien avant que cette métropole ne soit rebaptisée Mumbai. J'ai tendance à penser que mon destin était scellé d'avance, car mon premier éveil à la vie fut l'odeur du machli ka salan, le curry de poisson épicé, qui montait à travers les lattes du plancher jusqu'à mon berceau (...). Aujourd'hui encore, je me souviens de la sensation des barreaux de mon lit pressés contre mon visage de bébé tandis que, le nez levé, je humais ce paquet aromatique de cardamome, de têtes de poissons et d'huile de palme qui m'invitait déjà, en dépit de mon jeune âge, à découvrir et à savourer les richesses incommensurables du monde extérieur."

Ainsi commence "Le Voyage de Cent pas", premier roman de Richard C. Morais dont l'adaptation cinématographique est déjà en cours. Et contrairement à ce que son titre prête à croire, ce sont des milliers de kilomètres que Hassan Haji va parcourir avant de devenir un grand chef cuisinier. Son enfance à Mumbai, à la frontière entre le bidonville et le quartier riche, s'achèvera par une tragédie qui décidera son père à immigrer en Angleterre. Après quelques années à Londres, le destin conduira toute la famille à s'installer dans le petit village de Lumière, au milieu des montagnes du Jura. Là, le père d'Hassan tentera de monter un restaurant indien et se heurtera à l'implacable inimitié de sa voisine Gertrude Mallory, une fervente défenderesse de la tradition culinaire française...

Le voyage et la cuisine étant deux de mes thèmes favoris en littérature, je ne pouvais manquer d'apprécier les savoureuses aventures d'Hassan Haji. C'est vrai que l'histoire est plus intéressante que son héros, un peu transparent à mon goût. C'est vrai aussi que le grand bond en avant entre le moment où il quitte Lumière simple apprenti cuisinier et le moment où on le retrouve à Paris, propriétaire de son restaurant et titulaire de deux étoiles décernées par le Guide Michelin, résume très rapidement un pan de sa vie qu'il m'aurait paru intéressant de détailler. Au lieu de quoi, on a droit à une critique des guides gastronomiques et du système fiscal français qui tombe un peu comme un cheveu sur une soupe jusque là délicieusement parfumée. Malgré ces quelques réserves, "Le voyage de cent pas" reste un roman à dévorer avec gourmandise.

samedi 26 novembre 2011

"A storm of swords"



J'ai cru que je n'arriverais jamais au bout.

Deux mois et demi : à raison de deux chapitres par soir, pas plus d'un soir sur deux, c'est le temps qu'il m'aura fallu pour venir à bout de ce pavé de près de mille pages. Pas parce que je lis lentement, mais parce que d'un point de vue émotionnel, il m'était impossible de descendre cent pages par jour.

"A Storm of Swords" (en VF, Le Trône de Fer, Intégrale Tome 3) a la réputation d'être le meilleur des 5 tomes de la série de George R.R. Martin parus à ce jour. Et c'est probablement vrai, même s'il ne m'a pas transportée autant que le premier: j'avais eu le temps de m'habituer au style percutant de l'auteur, de m'imprégner de l'atmosphère de désespoir grandissant qui règne sur Westeros et de me faire à l'idée qu'aucun personnage, si central semblât-il, n'était à l'abri d'un sort funeste. D'un point de vue littéraire, ça n'a donc pas été une aussi grande claque que "A game of thrones". Ce qui ne m'a pas empêchée de m'émerveiller de la maîtrise continue avec laquelle GRRM fait évoluer ses héros - et ses héroïnes - dans un univers brutal et machiste où rien de bon ne semble jamais devoir leur arriver. Parvenir à gérer une telle quantité de protagonistes et un si grand nombre de fils d'intrigue sans jamais s'emmêler les pinceaux, bravo! Mais ce qui m'a surtout épatée dans ce tome 3, c'est la direction surprenante dans laquelle il a choisi d'emmener certains de ses personnages. (Attention: à partir d'ici, minor spoilers!)

J'ai adoré la façon dont il a su humaniser Jaime Lannister, un noble arrogant, incestueux et régicide qu'il était évident de détester jusque là. Son voyage avec Brienne et la relation qui se développe entre eux ont été pour moi la partie la plus inattendue et la plus touchante de "A storm of swords". J'ai presque autant aimé l'incursion de Jon Snow chez les wildlings et le dilemme moral auquel il se retrouve confronté. Bien que Robb Stark me laisse totalement indifférente et que Catelyn, malgré son côté femme forte, ne soit pas un de mes personnages préférés, j'ai été atterrée par le déroulement des Noces Pourpres. J'ai une fois de plus pris beaucoup de plaisir à suivre les démêlés de Tyrion avec sa chère famille, savouré chacune de ses répliques bien senties et jubilé en le voyant commettre quelques actions décisives. J'ai été ravie par la façon dont Daenerys orchestre sa montée en puissance, se révélant capable d'une immense générosité comme de la dureté la plus impitoyable. Elle ferait une souveraine magnifique, et j'ai hâte de la voir se colleter avec les autres prétendants au trône de fer. J'ai également été émue par le parcours tragique de l'humble et honnête Davos. Et même si Sansa m'énerve depuis le début, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir pitié d'elle en voyant dans quelle position délicate elle se retrouve à la fin du roman.

Côté petites déceptions: les aventures d'Arya avec les hors-la-loi, puis Sandor Clegane m'ont peu intéressée (mais elles se terminent d'une façon extrêmement prometteuse). J'ai eu l'impression que le point de vue de Samwell Tarly n'était introduit que pour permettre au lecteur de suivre ce qui se passe dans la Garde de Nuit en l'absence de Jon. Et alors que j'était très attachée à Bran au début de la série, je trouve qu'il devient assez transparent malgré son potentiel de warg. Rickon semble avoir totalement disparu; je ne doute pas que nous apprenions plus tard ce qu'il est advenu de lui.

En conclusion, un excellent tome en dépit de quelques points faibles. La fin, qui élucide le mystère de la mort de Jon Arryn après presque 3000 pages de conjectures, m'a fait lâcher une bordée de jurons impossibles à rapporter ici et donné très envie de connaître la suite. Je pense que je n'attendrai pas très longtemps avant d'attaquer "A feast for crows", bien qu'il soit réputé pour être le moins bon des romans de la série.

vendredi 25 novembre 2011

"Notes 6: Debout mes globules!"



C'était une semaine faste pour la bédé. Après avoir acheté le nouveau tome de "Paul" lundi, je me suis ruée chez Filigranes mercredi afin de me procurer le 6ème volume des "Notes" de Boulet fraîchement sorti des cartons par les libraires. Je savais que là aussi, c'était du plaisir de lecture garanti - et pas juste parce que le papier et l'encre qu'utilisent les éditions Shampoing ont juste une odeur orgasmique. (Oui, je suis une fétichiste des odeurs de papier et d'encre. Ca vaut mieux que d'être accro au crack. Même s'il y a parfois un instant de flottement quand je m'oublie à enfouir le nez dans un bouquin en public, pour prendre une grande inspiration et rouler ensuite des yeux extatiques.)

Il est vrai que comme ce volume rassemble les notes publiées sur son blog entre juillet 2009 et juillet 2010, j'en avais encore un certain nombre en tête. So what? Boulet fait partie des rares humoristes que je peux relire dix fois de suite en me marrant toujours autant. J'ai beaucoup aimé le livret-bonus qui rassemble ses strips - une série sur Angoulême et une autre sur un bouclage, les deux absolument tordantes. Et puis chaque fois qu'il part dans un délire scientifique, non seulement je hurle de rire, mais je me surprends à penser qu'il n'a pas tort. Quant à ses réflexions sur les hasards qui modèlent notre vie, elles trouvent un écho très fort chez moi. Bref, une fois de plus, ce tome 6 est un pur bonheur, un remède garanti contre la déprime et la morosité alors que les jours ne cessent de raccourcir.

"Paul au parc"



Je ne crois pas vous avoir déjà parlé de l'immense affection que j'ai pour la série "Paul" de Michel Rabagliati. J'ignore dans quelle mesure il s'agit d'une autobiographie déguisée de l'auteur, mais cette histoire d'un jeune garçon né à la fin des années 50 qui grandit dans une famille québécoise moyenne en rêvant de faire de la bédé, épouse son amour d'étudiant, fonde une famille et traverse les joies et les peines d'une vie ordinaire est remarquable par sa justesse de ton.

L'avant-dernier volume en date, "Paul à Québec", raconte les derniers mois de son beau-père atteint d'un cancer; les larmes que j'ai versées à la fin n'étaient pas des larmes de tristesse, mais d'une émotion beaucoup plus vaste et plus complexe. Car tout le talent de Michel Rabagliati consiste à rendre les différentes facettes d'une existence sans en négliger aucune, ni jamais tomber dans le mélo. A travers l'histoire de Paul, il retrace aussi celle d'une génération et d'un pays qu'il me semble désormais connaître mieux.

"Paul au parc", par exemple, nous montre son héros âgé de onze ans s'enrôlant chez les scouts à une époque où le Front de Libération du Québec entame une série d'actions terroristes marquantes. Ce tome 7 commence par relater les déboires de la mère de Paul avec une belle-famille envahissante, les premiers émois amoureux du jeune garçon, sa découverte des camps en pleine nature avec des moniteurs formidables. Et puis une tragédie personnelle aussi inattendue que choquante vient clore cette période de sa vie en même temps qu'un double enlèvement suivi d'un meurtre ébranle tout le Québec.

Je sais que présenté comme ça, ça n'a pas l'air gai. Pourtant, comme les tomes qui l'ont précédé, "Paul au parc" est plein de moments joyeux ou juste touchants, des moments d'une vérité criante relatés avec une sincérité rare. Je n'étais pas au courant de sa sortie il y a une semaine; j'ai eu la surprise de tomber dessus dans les rayons de Filigranes lors de ma virée shopping de lundi avec Miss Sunalee. Je m'en suis emparée avec un couinement hystérique, sachant que je tenais dans mes mains une heure de pur plaisir de lecture. Et je ne m'étais pas trompée. Si vous ne connaissez pas la série de Michel Rabagliati, je vous envie sincèrement d'avoir encore à la découvrir.

samedi 19 novembre 2011

"Chaque soir à 11 heures"



"Willa Ayre s'est classée dans la catégorie des filles que les garçons ne voient jamais, des insignifiantes, des petits chats caustiques mais frileux. Iago, lui, attire tous les regards. Il est le garçon dont rêvent toutes les filles du lycée. Dès la rentrée, Iago pose les yeux sur Willa et la choisit. Mais à une fête, Willa rencontre le bizarre et ténébreux Edern. Dès lors, sa vie prend une tournure étrange. De la grande maison obscure cachée au fond de l'impasse, la jeune fille doit découvrir les secrets, sonder son coeur, et faire un choix..."


Famille excentrique dont les parents brillent par leur absence, maison atypique et pleine de caractère, personnages attachants, inventivité langagière... On retrouve dans "Chaque soir à 11 heures" tous les ingrédients qui m'ont fait adorer "Quatre soeurs" et beaucoup aimer "Sombres citrouilles". Pourtant, ici, j'ai trouvé que la sauce prenait moins bien.

L'histoire vaut mieux que ce que le texte de présentation ou la couverture rose (catégorie "amour"!) le laissent supposer. Mêlée à une histoire qui la dépasse, Wilhelmina dite Willa ne se contentera pas de démêler les fils de ses premiers émois amoureux: elle échappera à pas moins de quatre tentatives d'assassinat avant qu'éclate une vérité digne d'un polar très correct. C'est une héroïne maligne et un peu décalée comme la plupart des personnages de Malika Ferdjoukh, dotée d'un humour pince-sans-rire comme je les aime, passionnée de jazz et de vieux films d'horreur.

Deux choses m'ont tout de même posé problème par rapport aux autres livres suscités de l'auteur. D'abord, j'ai trouvé que le point de vue unique et à la première personne appauvrissait la narration. Ensuite, pour la première fois, le style de Malika Ferdjoukh m'a semblé maladroit. Je ne supporte pas du tout qu'on mélange allègrement le passé composé et le passé simple dans une même unité d'action. "Quand Edern a braqué le rond de sa lampe sur lui, ses yeux jetèrent deux étincelles jaunes", désolée, ça ne passe pas. Ensuite, mêler dans la bouche d'un même personnage des termes modernes argotiques tels que "zboob" ou "zyva" et un vocabulaire bien trop sophistiqué pour une ado de dix-sept ans, ça manque de cohérence. Et puis une gosse de dix ans qui invente ses propres verbes à partir de noms ou d'adjectifs ("On va pommedamourer à gogo, et pantagrueler de gaufres et de crêpes, ça te dit?"), je trouve que ça sonne moyennement vraisemblable.

En résumé, pas un mauvais bouquin, loin de là, mais pas non plus une lecture indispensable, y compris pour les fans de Malika Ferdjoukh.

jeudi 17 novembre 2011

"Veuf"



Hier, en lisant un très beau livre attablée à une terrasse devant un diabolo menthe (que voulez-vous, on ne se refait pas), j'ai réalisé que j'étais une vieille conne réac.

Ce livre, c'est "Veuf" de Jean-Louis Fournier, dans lequel l'auteur évoque le souvenir de son épouse morte subitement l'année de ses 65 ans. Avec une immense délicatesse et un humour surprenant en regard d'un sujet aussi grave, il brosse un portrait émouvant de l'absente. Les anecdotes de leur vie commune sont comme des coups de pinceaux, de petites touches de couleur vibrantes qui ressuscitent sa Sylvie le temps de quelques 160 pages. Et j'ai trouvé poignante sa façon de raconter l'après - le courrier qui continue à arriver pour la défunte, la vague culpabilité d'être toujours là et de reprendre un peu goût à la vie. "Veuf" est une touchante déclaration d'amour posthume, qu'on referme un peu mélancolique mais pas vraiment triste. Son sujet ne pouvait que me toucher, moi qui crains tant que la mort m'arrache ceux que j'aime en général et Chouchou en particulier, et la pudeur élégante avec laquelle Jean-Louis Fournier a choisi de le traiter aurait dû emporter ma totale adhésion.

Pourtant, au milieu de ce très beau livre, un passage m'a coupée net dans l'élan qui me faisait tourner les pages à toute allure. "Moi qui ai souvent eu envie de te tromper, et pas seulement l'envie, est-ce que maintenant je peux te tromper sans te faire de chagrin, sans que tu le saches?".

Ma première réaction a été de m'indigner intérieurement. Quoi? Cet homme nous chante sur tous les tons à quel point sa femme était merveilleuse; il ne cesse de répéter qu'il n'était qu'un vermisseau comparé à elle et combien il lui est reconnaissant d'avoir consenti (on dirait qu'il ne sait pas trop pourquoi) à passer sa vie avec lui. Et malgré ça... il l'a trompée. Sans son consentement, peut-on supposer à l'allusion concernant un éventuel chagrin.

J'ai tenté de me raisonner. De me dire que chaque couple possède sa propre histoire et son propre fonctionnement, et qu'il ne m'appartient pas de porter un jugement moral sur les actions d'un homme dont je ne sais rien, hormis ce qu'il consent à dévoiler dans son livre. Mais pour être honnête, cette révélation a coloré toute la suite de ma lecture. Chaque fois que, par la suite, l'auteur vantait les nombreux mérites de son épouse, une petite voix dans ma tête lançait: "Mouais, ça ne t'a pas empêché d'aller voir ailleurs".

Et je m'en suis voulu. Je m'en veux encore de considérer qu'un véritable amour est forcément monogame; je m'en veux d'être, pour autant que je m'en défende, à ce point programmée par la morale judéo-chrétienne; moi qui me clame tolérante et libertaire, je m'en veux d'avoir laissé ma conception petite-bourgeoise du couple m'empêcher d'adhérer totalement à un récit si lumineux.

mercredi 16 novembre 2011

"Sombres citrouilles"



La semaine dernière, dans Pensées de Ronde, Caroline disait combien elle avait aimé "Quatre soeurs" de Malika Ferdjoukh. J'ai laissé un commentaire pour lui signaler qu'il existait une bédé tirée des romans, et une autre lectrice m'a conseillé la lecture de "Sombres Citrouilles", un polar jeunesse du même auteur. Du coup, à la faveur d'un passage dans l'excellente librarie "Les enfants terribles" à Nantes, j'ai fait l'emplette de ce titre que j'ai dévoré dans le train dès le surlendemain.

"Aujourd'hui, 31 octobre, trois générations de Coudrier sont réunies à la Collinière, la grande demeure familiale entourée de forêts et d'étangs, pour fêter comme chaque année l'anniversaire de Papigrand, le patriarche. Comme c'est aussi Halloween, Mamigrand a envoyé les petits chercher des citrouilles au potager pour les voisins américaines. Mais dans le carré de cucurbitacées encore enveloppé des brumes de l'aube, il y a comme un pépin. Un homme étendu de tout son long, plein de taches rouges, silencieux. Mort. A première vue, personne ne le connaît. L'affaire pourrait donc n'être pas si grave que ça. Le problème, c'est que dans la famille, il y a au moins trois mobiles criminels possibles, donc trois assassins potentiels. Sans compter tous les secrets qu'on n'a pas encore découverts..."

J'ai retrouvé avec bonheur l'écriture jubilatoire de Malika Ferdjoukh, son talent pour décrire les vieilles grandes maisons perdues dans la campagne et donner vie à d'attachants personnages d'enfants ou d'ados. Son intrigue policière, qui se déroule sur une unique journée, comporte quelques menues incohérences; mais elle a le mérite de tenir le lecteur en haleine d'un bout à l'autre, et d'offrir également une fin satisfaisante bien qu'entachée d'amertume. Pour ne spoiler personne, je dirais juste qu'ici, à une ou deux exceptions près, les adultes n'ont pas le beau rôle: lâches et influençables dans le meilleur des cas, veules et intolérants jusqu'à la monstruosité dans le pire. On est assez loin des personnages bienveillants de "Quatre soeurs", et c'est très bien comme ça. Inutile de préciser que j'ai beaucoup aimé ces "Sombres citrouilles", et qu'elles m'ont donné très envie de découvrir les autres romans de l'auteur.

jeudi 10 novembre 2011

"It is not a piece of cake"



Ne vous laissez pas abuser par son titre: la bédé dont je vais vous parler aujourd'hui est bien en français - simplement, son action se déroule en Ecosse et est centrée autour d'un biscuit local.

Ce sont les dessins noir/blanc/rouge, dont le style fait irrésistiblement penser à des gravures, qui ont attiré mon regard vers "It is not a piece of cake" de Nancy Pena (rhaaaa, pourquoi n'y a-t-il pas de tilde sur le clavier de mon Mac?) lors de mon dernier passage chez Cook & Book. Quelques secondes passées à le feuilleter m'ont suffi à me rendre compte de la beauté du graphisme et de l'atmosphère victorienne qui se dégageait de ses pages. Et puis, en bonne fan de Sherlock Holmes, je n'ai pu résister à ce résumé:

"Suite à un pari lancé par deux lords, Victor Neville est envoyé en Ecosse pour retrouver la recette des succulents black shortbreads inventée en son temps par la duchesse de Montrose. Face à lui, la très jolie mais néanmoins dangereuse Alice Barnes, ainsi que... son propre frère, Percy Neville. Les deux hommes vont confronter leurs talents dans le château même où leur père exerça les siens peu avant sa mort - et l'on sait bien que les châteaux écossais regorgent de mystères non élucidés..."

Rien ne manque à cette histoire, ni les domestiques qui cachent des secrets, ni la pluie qui confère une atmosphère lugubre au lieu de l'enquête, ni même un pouvoir médiumnique qui se manifeste dans les rêves d'un des protagonistes. A vrai dire, je ne regrette qu'une chose: ne pas avoir lu "Les carnets du kimono", l'histoire en deux tomes qui précède "It is not a piece of cake" et relate le premier affrontement de Victor Neville et Alice Barnes. Mais un petit tour sur Amazon devrait me permettre d'y remédier rapidement.

lundi 7 novembre 2011

"L'extraordinaire garçon qui dévorait les livres"



Montée hier au rayon "enfants" du Cook & Book dans l'idée de commencer à chercher des cadeaux de Noël pour mes neveux, j'en suis redescendue avec un pop-up book (ou livre animé, en bon français) pour lequel je venais d'avoir un coup de coeur et que je n'ai aucune intention de céder à qui que ce soit.

C'est l'histoire d'Henri, qui aime dévorer les livres au sens propre du terme. Il mange de tout, depuis les atlas jusqu'aux traités de mathématiques en passant par les romans d'aventure, avec tout de même une prédilection pour les ouvrages à couverture rouge. Jusqu'au jour où sa boulimie le rend malade...

Un récit qui plébiscite la lecture ne pouvait que me plaire. Mais si j'ai craqué pour "L'extraordinaire garçon qui dévorait les livres", c'est surtout à cause de son graphisme un rien désuet, avec des textes comme tapés sur une vieille machine à écrire et des fonds de page qu'on croirait sortis d'un vieux cahier d'écolier. Je ne saurais dire si un enfant est réellement susceptible d'apprécier ce genre d'ouvrage, mais c'est avec grand bonheur que la vieille gamine que je suis va l'ajouter à sa collection de pop-up books.

Attention, ce livre existe aussi en version non-animée avec une couverture différente.

samedi 5 novembre 2011

"Derniers rappels"



Comme j'avais adoré "De mal en pis", je me suis dépêchée de me procurer l'autre gros pavé d'Alex Robinson, "Derniers rappels". La recette est sensiblement la même dans les deux ouvrages: beaucoup de personnages dont on suit le point de vue tour à tour selon les chapitres, et dont les vies finissent toutes par s'entremêler. Il y a Caprice, une serveuse malchanceuse en amour; Phoebe, qui quitte le Nouveau-Mexique pour partir à la recherche du père qu'elle n'a jamais connu; Steve, un geek qui a décidé d'arrêter de prendre ses médicaments et commence à entendre des voix; Nick, un menteur compulsif qui bosse pour un Russe inquiétant; Ray, une rock star en panne d'inspiration, et Lily, qui va sans le vouloir devenir sa muse.

Cette fois, il ne s'agit pas de tranches de vie successives, enchaînées de manière brouillonne bien que sympathique, mais d'un récit construit, dont les chapitres numérotés à l'envers égrainent un compte à rebours vers le drame final. "Derniers rappels" est bien plus maîtrisé et plus tragique que "De mal en pis". Je l'ai aussi trouvé beaucoup moins attachant, en partie parce que le milieu de la musique me parle moins que celui de l'édition, en partie parce que deux des personnages sont franchement antipathiques - voire perturbants - et qu'aucun élément n'était susceptible de me faire éprouver de l'empathie pour les autres. En résumé, une bédé réussie mais qui ne m'a pas touchée.

jeudi 3 novembre 2011

"Street Marx"



Thierry Marx, chef étoilé qui nourrit (ha ha, ouais je suis comme ça, je fais de l'humour ravageur de bon matin) une passion pour la cuisine de rue, nous propose de le suivre dans ses voyages aux USA, en Israël, en Thaïlande et au Japon. Dans "Street Marx", chaque chapitre de ses pérégrinations est présenté à la façon d'un manga durant lequel l'auteur commente ce qu'il fait et voit. Au tout début, il donne des impressions d'ensemble sur les villes qu'il visite, avec une assez jolie plume qui restitue bien les ambiances; et à la fin, il livre ses recettes pour préparer les plats évoqués dans les pages précédentes. Voyage, cuisine et bédé mêlés, quelle idée fantastique!

Hélas, presque tout mon plaisir de lecture m'a été gâché par l'atroce manque de qualité des photos utilisées. Celles-ci ont visiblement été prises à l'aide d'un smartphone - mais, comme me l'ont fait remarquer les possesseurs de ce gadget du diable dans mon entourage, l'iPhone par exemple fait d'aussi belles photos qu'un appareil numérique. Donc, j'ignore pourquoi les clichés pris sur le vif par Mathilde de l'Ecotais ont été privés de leurs couleurs et pixellisés de la sorte. J'imagine que ce viol esthétique avait pour but de donner un genre à l'ouvrage. Malheureusement, c'est un genre raté, un genre qui fait que j'ai peiné à finir ce livre alors qu'il avait par ailleurs absolument tout pour me plaire. Je me consolerai en allant voir, la semaine prochaine lors de mon passage-éclair à Paris, l'exposition des photographes en lice pour le Festival de la Photo Culinaire 2011 que parraine Thierry Marx.

samedi 29 octobre 2011

"De mal en pis"



Sherman voudrait devenir écrivain et passe son temps à pester contre son job de vendeur dans une librairie, mais ne fait rien pour en changer. Jane peine pour finir la biographie illustrée qu'elle espère publier un jour. Stephen est un prof d'histoire au physique de tueur en série et au coeur de nounours en guimauve. Ed rêve de s'échapper de la quincaillerie familiale pour publier son premier comics - oh, et aussi, de perdre son pucelage. Dorothy a un job prestigieux mais un tempérament instable et bordélique, ainsi qu'un sérieux problème avec l'alcool. Tous démarrent dans la vie d'adulte en tâtonnant pas mal. Certains vivent un bel amour évident tandis que d'autres enchaînent les déboires relationnels. L'arrivée dans leur vie d'un vieux dessinateur de super-héros qui s'est fait flouer de ses droits par son éditeur va révéler leurs travers les plus honteux comme leurs qualités les plus attachantes.

"De mal en pis", c'est un énorme pavé d'Alex Robinson. 600 pages de tranches de vie d'une longueur variable, entrecoupées d'interludes durant lesquels chacun des personnages répond à une question telle que "Avec qui aimeriez-vous bruncher?", "Quel est l'endroit le plus insolite où vous ayez fait l'amour?" ou "Si vous pouviez changer un détail de votre apparence, lequel choisiriez-vous?". L'auteur est extrêmement doué pour nous faire entrer dans la tête de ses personnages et susciter une forte empathie vis-à-vis d'eux, y compris lorsqu'ils sont odieux. Il retranscrit très bien les doutes et les hésitations qui accompagnent la naissance d'une relation amoureuse, et j'ai souvent eu le coeur serré par les passages les plus durs de son roman graphique. Un conseil: si vous lisez "De mal en pis", faites bien attention aux petits détails qui paraissent sans importance sur le coup, car ils en prendront une plus tard. Ainsi, cette jeune fugueuse qui apparaît de loin en loin sans qu'on sache trop ce qu'elle fait là, et qui connaîtra une fin particulièrement tragique, s'avère au final avoir un lien très important avec l'un des personnages principaux. Je pourrais encore vous vanter la beauté des dessins en noir et blanc d'Alex Robinson et son sens merveilleux de la composition, ou la virtuosité avec laquelle il joue sur toute la gamme des sentiments humains; je pourrais aussi faire valoir la qualité de la traduction de Sidonie Van den Dries, mais je craindrais de retarder le moment où les amateurs de bédé parmi vous fonceront chez leur dealer local ou se connecteront à Amazon pour commander "De mal en pis". Vous aurez rarement aussi bien investi une petite trentaine d'euros.

lundi 24 octobre 2011

"Des vies d'oiseaux"



J'avais lu d'excellentes critiques sur les romans précédents de Véronique Ovaldé, notamment "Et mon coeur transparent" et "Ce que je sais de Vera Candida", sans jamais avoir l'occasion de me pencher sur son travail. Quand j'ai eu vent de l'opération "Les matchs de la rentrée littéraire" organisée par Price Minister, c'est donc tout naturellement que j'ai choisi "Des vies d'oiseaux" comme roman à lire et à chroniquer, parmi une liste ne contenant par ailleurs que des titres qui ne m'inspiraient pas.

Vida Izzara s'ennuie à mourir dans sa somptueuse villa depuis que sa fille Paloma, en rébellion contre son père et contre leur mode de vie bourgeois, s'en est allée avec un beau garçon un peu inquiétant. Ensemble, ils squattent des demeures de riches dont les propriétaires sont momentanément absents. L'inspecteur Taïbo, appelé à enquêter sur cette affaire de cambriolages sans butin, va ramener Vida à l'endroit sordide où elle est née et a grandi. Il va peut-être, aussi, l'arracher à son apathie et la ramener à elle-même...

Dès les premières lignes, j'ai été choquée par l'utilisation du passé composé comme temps principal de narration - avec parfois une bascule brève et, semble-t-il, totalement arbitraire vers le présent ("Paloma et Chili se sont rencontrées à l'école Santa Teresa de Sonora. Elles ont à l'époque dix ans..."). Puis j'ai commencé à tiquer sur l'utilisation farfelue de la ponctuation: pas de point d'interrogation à la fin d'une question sur deux, virgules absentes là où il en aurait fallu, virgules remplaçant des points en de nombreux endroits et donnant, au final, des phrases interminables (dont une qui va du milieu de la page 117 au milieu de la page 121, si si)...

Je ne suis pas contre le fait de jouer avec les conventions de l'écriture. Les abus de digressions entre parenthèses sont la marque de fabrique d'un Philippe Jaenada, qui les maîtrise parfaitement. Les longues phrases heurtées passent très bien chez Lola Lafon, parce qu'elles retranscrivent l'ardeur impérieuse qui habite l'auteur. Mais ici, les libertés que prend Véronique Ovaldé ressemblent moins à la patte singulière d'un écrivain qu'à un manque d'efforts pour soigner son style. Je ne dis pas que c'est le cas, je dis juste que c'est l'impression que j'ai eue: celle de lire un roman à la rédaction bâclée.

Quant à l'histoire elle-même... Malgré des descriptions très brèves, j'ai trouvé que l'atmosphère de ce pays anonyme (et peut-être imaginaire) d'Amérique du Sud était fort bien rendue. J'ai vu la colline Dollars avec ses maisons de riches semblables à des bunkers, vu le bord de mer accablé par la chaleur en été et déserté en hiver, vu le territoire pauvre et sauvage d'Irigoy prendre vie sous mes yeux, et cela m'a paru être l'élément le plus intéressant de ces "vies d'oiseaux".

En revanche, je me suis peu attachée aux personnages qui sont restés à mes yeux des silhouettes de carton s'agitant dans un film muet. La faute, sûrement, à la rareté des dialogues qui auraient permis de leur donner une voix et une présence. Là, j'avais l'impression de les observer de loin - trop loin pour me soucier réellement d'eux. Je comprendrais que d'autres gens apprécient ce livre, qui n'est pas sans qualités, mais personnellement je suis restée sourde et aveugle à ses charmes.


les matchs de la rentrée littéraire

dimanche 23 octobre 2011

"Ikigami" tomes 1 & 2



Suite au conseil donné par une collègue/amie/lectrice à la suite de mon post sur « Afterschool Charisma », samedi après-midi, j'ai foncé à la Fnac de Toulouse pour acheter les 2 premiers tomes de cette série de Motorô Mase, et je me suis empressée de les lire dans le Teoz qui cet après-midi me ramenait leeeeeeeeeeentement vers Paris. (« Brive-la-Gaillarde, deux minutes d'arrêt ! »)
Au Japon, dans un futur que l'on suppose pas si lointain, tous les enfants sont vaccinés contre une multitude de maladies. Mais cette mesure de protection n'est qu'un prétexte. En effet, une ampoule de vaccin sur mille continent une nano-capsule qui va aller se loger dans le coeur du sujet et exploser à une date prédéterminée, lorsque celui-ci aura entre 18 et 24 ans. Le but officiel ? Enseigner à la population le sens de la vie. Fujimoto Kengo, employé du ministère de la prospérité nationale, est chargé d'apporter leur ikigami aux futures victimes : l'avis de décès qui les prévient qu'elles n'ont plus que 24 heures à vivre. Face à cette sentence aussi arbitraire qu'inévitable, les destinataires réagissent tous de façon très différente. Certains choisissent de régler leurs comptes ; d'autres, de réaliser leurs rêves – tandis qu'au fil des mois, Fujimoto Kengo est de plus en plus tourmenté par les implications morale de sa mission...
"Ikigami: Préavis de mort" est un thriller psychologique et social qui se présente sous la forme de deux histoires individuelles par tome, l'ensemble étant relié par le fil rouge que constitue le parcours de Fujimoto (dont j'adorerais qu'il reçoive un jour son propre ikigami, étant donné qu'il semble avoir l'âge adéquat !). Si toutes ces histoires ne sont pas également émouvantes, toutes ont le mérite de poser un dilemme intéressant. Un châtiment a-t-il encore un sens au bout de plusieurs années, lorsque le malfaiteur est devenu une personne différente et a peut-être oublié ses crimes d'autrefois ? Réaliser un rêve doit-il passer avant tout le reste, y compris la loyauté que nous devons à nos proches ? Rien de très gai, vous l'aurez compris, et je ne lirai sans doute pas les tomes suivants tous à la file. Mais je les lirai, c'est certain.

samedi 22 octobre 2011

"Afterschool Charisma" tome 1



"Vous êtes les clones de personnages célèbres ayant accompli des actes remarquables. Ce qui compte, c'est d'avoir foi en vous-même pour réussir là où votre original a échoué - bref, d'aller encore plus loin que lui. Telle est votre responsabilité. Voilà l'espoir que nous plaçons en vous."

C'est en ces termes qu'un professeur s'adresse aux élèves de l'élitiste académie St. Kleio. Leur destin semble donc tout tracé... Pourtant, Marie Curie n'aspire qu'à jouer de la musique; Napoléon mesure déjà 1,76 mètre; Mozart est certes un génie, mais caractériel et d'une violence inexplicable; Elizabeth 1ère rêve de se marier et de fonder une famille; Jeanne d'Arc redoute de périr comme son originale; quant à Adolf Hitler, il fait preuve d'une empathie hors du commun. Et au milieu de tous ces personnages célèbres, il y a Shiro Kamiya, un humain ordinaire qui ne comprend pas bien ce qu'il fait là...

Quand JFK est de nouveau assassiné pendant une campagne présidentielle, les couloirs de l'académie se remplissent d'hommes en armes. Etrange, juge Sigmund Freud, qui entreprend de pirater le système informatique pour découvrir de quoi il retourne. Qui est à l'origine du programme de clonage? Que deviennent les élèves qui faillissent à leur "mission"? Quel ennemi mystérieux vient de déclarer la guerre aux organisateurs du projet?

C'est un autocollant "Coup de coeur" dans les rayons de la Fnac Jaurès, à Toulouse, qui m'a inspiré l'achat du premier tome d'"Afterschool Charisma". J'y ai trouvé ce que je cherchais: un thriller psychologique rondement mené, avec au niveau de l'atmosphère une vague réminiscence de "L'infirmerie après les cours". Si je voulais pinailler, je pourrais dire qu'il manque au graphisme de Kumiko Suekane une petite touche d'étrangeté ou de noirceur pour mieux coller à l'ambiance de l'histoire. Qu'importe: j'ai déjà pré-commandé le tome 2 qui sort le 10 novembre, en espérant que la suite de la série sera à la hauteur de cet excellent démarrage.

vendredi 21 octobre 2011

"En un monde parfait"



Jiselle, une hôtesse de l'air qui a dépassé la trentaine et été demoiselle d'honneur trop de fois à son goût, se voit demander en mariage par le beau commandant Dorn sur lequel fantasment toutes ses collègues. Elle a l'impression de vivre un rêve, jusqu'au jour où son nouvel époux la ramène dans sa maison perdue au fond des bois, où vivent les trois enfants qu'il a eus avec sa femme précédente. Assez vite, Jiselle, qui a démissionné de son emploi, se retrouve coincée dans un rôle de gouvernante que personne ne lui est reconnaissant de remplir.

Puis une maladie mystérieuse commence à se propager aux Etats-Unis, leur donnant des allures de pays en guerre: coupures d'électricité de plus en plus fréquentes, pénurie d'essence et de produits alimentaires, apparition de charniers sauvages et de gangs de pillards... Livrée à elle-même avec ses beaux-enfants depuis que son mari est retenu en Allemagne par une interminable quarantaine, Jiselle va se découvrir des ressources qu'elle ne soupçonnait pas pour prendre soin de cette famille qui, malgré l'hostilité initiale de ses belles-filles, est peu à peu devenue la sienne.

Je l'avoue: je me suis pas mal ennuyée pendant la première partie de ce roman. Je trouvais que le personnage de Jiselle manquait de consistance et que sa romance avec un veuf séduisant était extrêmement téléphonée, tout comme ses rapports tendus avec ses beaux-enfants. Mais dès que l'angoisse a commencé à s'installer insidieusement, mon intérêt s'est éveillé. J'ai pensé à "Girlfriend dans le coma" de Douglas Coupland, lu et adoré il y a quelques années sur ce même thème de fin du monde tel que nous le connaissons. Et même si "En un monde parfait" ne m'a pas autant fascinée, j'ai apprécié la transformation de Jiselle dans la deuxième partie.

Il n'en reste pas moins que comparé (par exemple) à "La Vie devant ses yeux" qui traite pourtant un sujet bien moins dramatique, ce roman de Laura Kasischke manque à mon goût de profondeur psychologique. J'ai également été gênée par une traduction lourde et malhabile à certains endroits, l'utilisation régulière de "point" à la place de "pas" ou d'expressions désuètes telles qu'"appliquer une bourrade" au lieu de simplement la donner. Une lecture semi-satisfaisante, donc.

mercredi 12 octobre 2011

"Mes chères voisines"



Ayant entamé « Mes chères voisines » lors d'un précédent voyage en train, je l'avais abandonné au bout d'un chapitre seulement au prétexte que ce pseudo « Desperate Housewives », les crimes improbables et l'humour outrancier en moins, s'annonçait ennuyeux comme la pluie. Je ne saurais dire pourquoi je ne l'ai pas immédiatement fourré dans le sac pour Pêle-Mêle, et encore moins pourquoi j'ai fini par le terminer d'une traite aujourd'hui lors d'un autre voyage en train. Mais au bout du compte, je m'étais trompée du tout au tout sur ce joli roman, que j'ai refermé avec le sourire aux lèvres.
Ennuyeux, « Mes chères voisines » ? Absolument pas. Surprenant par la délicatesse de ses sentiments, plutôt ; par l'habileté avec laquelle l'auteur parvient à entremêler les fils d'existences très disparates pour peindre un tableau d'ensemble plein de vie. Cornelia et Teo forment en apparence un couple idéal mais peinent à concevoir un enfant ; Piper, clone de Martha Stewart au brushing impeccable et à la langue acérée, apprend que son mari la trompe et veut divorcer alors qu'elle assiste sa meilleure amie en train de mourir d'un cancer ; Dev l'enfant prodige et solitaire recherche le père qu'il n'a jamais connu... Leur existence n'est pas exempte de chagrin et de douleur, non plus que de secrets et de révélations surprenantes. Mais ce sont la joie et l'apaisement qui finiront par triompher.
« J'ai découvert que l'amour pouvait être une décision », déclare un des personnages dans l'épilogue de « Mes chères voisines ». J'ajouterais : le bonheur aussi, et Marisa de los Santos l'illustre à la perfection.

vendredi 7 octobre 2011

"Complément affectif" T10



Malgré une couverture assez peu accrocheuse par rapport aux précédentes, ce tome 10 vient conclure en beauté la série "Complément affectif". Les dessins de Mari Okazaki sont toujours aussi beaux, les sentiments exprimés toujours aussi subtils et forts à la fois. Plus que jamais, Fuji va être tiraillée entre son travail monstrueusement prenant dans la pub et son amour pour le photographe Sahara, appelé à l'autre bout du monde par son art. La fin toute en délicatesse ne renie pas les bases posées tout au long de la série, ni les valeurs de son héroïne merveilleusement moderne et sensible à la fois.

Si vous êtes attirée par la culture japonaise mais n'y connaissez pas grand-chose en manga et ne savez pas trop par où commencer votre exploration du genre, "Complément affectif" est une série idéale, qui illustre à la perfection le dilemme auquel sont confrontées les jeunes Japonaises d'aujourd'hui. Bien que très désireuse de trouver le grand amour, Fuji n'est pas prête à sacrifier ses ambitions professionnelles. A l'approche de la trentaine, elle commence à être considérée comme une "vieille fille" par tous ses collègues, et ça ne l'empêche pas de se donner à fond dans un travail ingrat qui occupe ses jours, ses nuits et ses week-ends sans lui valoir beaucoup de reconnaissance. Sous son attitude conciliante et les doutes qui l'assaillent parfois, elle cache une volonté de fer et un coeur d'artichaut - une combinaison qui la rend extrêmement attachante. J'ai pris beaucoup de plaisir à la suivre pendant ces 10 tomes.

mercredi 5 octobre 2011

"The clothes on their back"



Londres, années 70. Vivien Kovacs, fille d'un couple d'immigrés hongrois qui mènent une vie de reclus et ne parlent jamais de leur passé, est irrésistiblement attirée par l'oncle dont tous les journaux, au moment de son arrestation, ont publié la photo avec la légende "Est-ce là le visage du mal?". Fascinée par ce personnage haut en couleurs dont elle se sent beaucoup plus proche que de ses timides parents, elle l'approche sous un faux nom et devient sa secrétaire. Son travail? Recueillir les confidences de Sàndor sur sa vie extraordinaire et les mettre en forme en vue d'une publication...

"The Clothes on Their Backs", publié en France sous le titre "Ce qu'ils se mettent sur le dos", m'a laissé une impression mitigée. J'ai beaucoup aimé le style de Linda Grant, évocateur sans lyrisme excessif. Le personnage de l'oncle, ex-prisonnier de guerre torturé par les Nazis devenu propriétaire immobilier véreux, m'a paru très intéressant tant il est impossible de porter un jugement sur lui. Il illustre parfaitement la nature humaine, souvent composée de nuances de gris plutôt que toute blanche ou toute noire. Par contraste, la narratrice vingtenaire semble presque falote. Elle passe tout le livre à se chercher, essayant de se situer aussi bien sur le plan familial qu'idéologique ou vestimentaire. Le dénouement tragique survient d'une façon un peu brutale; il aurait pu être amené de manière plus subtile et plus progressive, après qu'on ait davantage exploré le passé de Sàndor. Globalement, malgré des thèmes forts et prometteurs, j'ai trouvé que l'auteur restait un peu trop à la surface des choses. J'ai pourtant déjà un autre de ses romans dans ma PAL: "We had it so good".

vendredi 30 septembre 2011

"Shä et Salomé: Jours de pluie"



Ces derniers temps, j'en ai plus que ras-le-bol de la "bédé de blogueuse fille", ces ouvrages au style honteusement repompé sur Pénélope Bagieu ou Margaux Motin qui mettent inévitablement en scène une célibataire pourvue de quelques kilos en trop et d'une tonne de mauvaise foi. Mais si, vous savez, la caricature de lectrice de Cosmo qui claque beaucoup trop de thunes en fringues importables, glousse aux terrasses des cafés avec ses copines et dit du mal des hommes alors que son seul rêve dans la vie, c'est d'en choper un pour se faire offrir une bague en diamant et 2,1 marmots. Au bout d'un moment, tant de stéréotypes et de manque d'imagination finissent par lasser.

C'est pour ça que même si j'avais repéré "Shä & Salomé : Jours de pluie" depuis ma dernière virée au Cook&Book, je ne me suis décidée à l'acheter qu'hier après avoir eu le temps de parcourir le début et de m'assurer que, ouf, rien à voir avec toutes les bédés en question. Je l'ai emportée chez Les Gens Que J'Aime (définitivement mon QG lecture en centre-ville). Je me suis assise au frais mais en pleine lumière, dans l'un des fauteuils avachis qui occupent le petit coin entre vitrine et bar. Tous les autres clients se pressaient en terrasse pour profiter de ces 25° si incongrus fin septembre à Bruxelles, et la salle était déserte - juste le barman qui ne faisait pas de bruit derrière son comptoir, un fond musical de qualité comme toujours, un verre de limonade citronnade maison bien fraîche et moi.

Pendant une heure de pur bonheur, j'ai savouré les tranches de vie d'un couple atypique et touchant. Salomé est rousse mais le nie farouchement; Shä est un chat, et ça ne leur pose aucun problème. Salomé collectionne les vieilles consoles de jeu et consacre ses soirées à faire des raids sanglants dans WoW; Shä est un écrivain en panne d'inspiration qui porte toujours la même vareuse de marin, fume la pipe et tape encore ses manuscrits sur une Olivetti. Salomé passe toutes ses nuits chez Shä, dont elle a colonisé la maison avec ses affaires, mais flippe à l'idée d'emménager avec lui. Shä compose des ritournelles absurdes, récupère les peluches de nombril de Salomé pendant qu'elle dort et les colle dans un cahier avec la date. Salomé soutient l'(éternellement perdante) équipe de foot de Papouasie-Nouvelle-Guinée; Shä a apprivoisé une mouche nommée Gencive, et il est persuadé que Dieu est un poney. Ces deux-là s'aiment avec une conviction inébranlable et une fantaisie débridée. Ce n'est pas qu'ils se rebellent contre les conventions, c'est juste qu'ils ont su se créer une bulle bien à eux, pleine de tendresse et de chaleur. Une bulle dont je ne suis sortie qu'à grand regret au bout de 110 pages. En principe, je déteste relire romans ou bédés, mais je sais que "Shä et Salomé" fait partie des ouvrages que je revisiterai encore et encore.

Un p'tit tour sur le blog de la dessinatrice?

samedi 24 septembre 2011

"Chimère(s) 1887, T1: La perle pourpre"



Fin du XIXème siècle. Tandis que Ferdinand de Lesseps s'obstine à tenter de percer le canal de Panama en dépit d'un monstrueux coût matériel et humain, la jeune Chimère, une orpheline de 13 ans, est vendue par ses tuteurs à la patronne d'une maison close très chic. Sa virginité est mise à prix et suscite des enchères record, mais son premier client commence par la tabasser avant de coucher avec elle. Pourtant, Chimère n'est pas une victime: forte et déterminée, elle a déjà calculé combien de temps elle mettrait pour racheter sa liberté à Madame Gisèle. En attendant, elle découvre ses compagnes et les règles de la vie au bordel...

Ce sujet controversé, que Christophe Pelinq alias Arleston avait d'abord proposé à Canal + pour en faire une série télé (il se fera gentiment éconduire, et "Maison Close" sera produit quelques mois plus tard...), aurait pu donner une bédé sulfureuse, ou du moins très crue. Ce n'est pas le cas. Oui, les pensionnaires de Madame Gisèle se promènent les seins à l'air, mais on ne voit jamais une seule scène de fesses, tout au plus quelques bisous lesbiens. Après tout, pourquoi pas? Eviter le racolage est une intention louable. Le problème, c'est qu'il ne se passe pas grand-chose d'autre dans ce tome 1. Les scénaristes nous présentent un contexte historique intéressant, dont on devine qu'il aura un rôle à jouer plus tard; mais en attendant, on peine à trouver crédible cette héroïne qui a grandi à la campagne, exploitée par ses tuteurs, et qui est pourtant déjà si douée pour manipuler les gens. Un tome de mise en place qui laisse un peu le lecteur sur sa faim.

vendredi 9 septembre 2011

"Le retour"



Je n'aurais sans doute jamais prêté attention à ce roman d'une auteur néerlandaise, paru chez Babel il y a deux ans déjà, si Filigranes n'y avait pas apposé une étiquette "Coup de coeur".

"Au printemps 1775, Elizabeth Cook, 34 ans, seule depuis trois ans, attend le retour de son célèbre époux, James Cook, qui effectue son second voyage exploratoire.
Alors qu'elle se prépare à l'accueillir, qu'elle imagine une vie nouvelle, la reconstruction d'une relation conjugale et familiale authentique, l'angoisse l'étreint. Déroulant le fil de sa mémoire, Elizabeth revisite ses longues années de solitude, ses difficultés, ses douleurs, ses drames vécus dans le secret - et s'interroge sur la possibilité de recréer un lien si ténu.
James Cook revient enfin, mais la mer l'attire plus que tout, et il ne pense bientôt qu'à repartir..."

Malgré sa très grande exactitude historique, ce roman dont j'ai dévoré les presque 500 pages est avant tout le portrait d'une femme extraordinaire. Elizabeth est tout sauf l'épouse effacée et soumise d'un mari célèbre. C'est son caractère qui lui permet de tenir sa maison pendant les longues absences de James et de faire face, seule, au deuil successif de ses six enfants. Anna Enquist la dépeint comme instruite, ouverte d'esprit et résolument moderne. La finesse avec laquelle elle décrit ses doutes, ses interrogations et ses tourments intérieurs n'est pas sans rappeler Virginia Woolf.

Elizabeth reste éternellement à terre, ancrée dans une réalité domestique parfois apaisante et parfois cruelle, tandis que loin d'elle, son époux vogue sur les océans pour assouvir sa passion du voyage et des découvertes. J'ai beaucoup aimé le mélange de réalité historique, qui m'a appris une foule de choses sur la navigation exploratoire, et d'extrapolation psychologique aussi crédible que pleine de sensibilité. "Le retour" est un roman intelligent qui transporte et qui émeut. Et comme il est extrêmement bien traduit, je n'ai même pas eu à regretter de ne pas connaître le néerlandais!

mardi 6 septembre 2011

"Chapellerie pour dames de coeur, chats bottés et enfants songes"



Il y a quinze ans, j'avais craqué un peu au hasard pour le "Magasin zinzin" de Frédéric Clément, inventaire farfelu illustré par de magnifiques collages. Le mois dernier, j'ai trouvé chez Contrebandes la "Chapellerie pour dames de coeur, chats bottés & enfants songes" du même auteur. Il y est question qu'Aquilon Aquilon, vent du nord et fieffé voleur de couvre-chefs, qui se trouvant un jour emprisonné dans le melon de Magritte fait miroiter les plus belles pièces de sa collection à qui le délivrera: Stradivari Capello chantant, nid de cendres de phénix, Lacrima Bibi qui se nourrit de larmes, sombrero héroïque Zapatero criblé de trous de balles, chou turc du Grand Mamamouchi, chapeau à fleur carnivore... Cet ouvrage, merveille de poésie fantaisiste pour petits et grands imprimée sur un papier somptueux, me donne envie de commander sur le champ tout ce que l'auteur a publié un jour. Allez donc faire un tour sur son site internet, vous comprendrez mieux mon ravissement...

lundi 5 septembre 2011

"Les enfants d'Evernight" T1



Si j'ai pas mal d'amis écrivains, j'ai connu la plupart d'entre eux à une époque où ils étaient déjà publiés; je n'ai pas été témoin de leurs efforts pour trouver un éditeur et accoucher de leur premier "bébé". Voilà pourquoi j'ai éprouvé une joie particulière à découvrir dans les rayons de la Fnac le tome 1 des "Enfants d'Evernight", paru la semaine dernière chez Delcourt. Parce que ça fait plusieurs années que je suis épatée par l'énergie et la productivité d'Andoryss qui concilie boulot de jour prenant, écriture à un rythme effréné et entraînement intensif sur tatami. Parce que j'ai observé, de loin, la façon dont elle s'est démenée pour que son projet atterrisse enfin sur les tables des librairies. Du coup, j'espérais vraiment pouvoir dire quelque chose de sympa sur cette bédé (la première!) dont elle signe le scénario.


"Londres, 1899. Camille refuse d'aller au pensionnat où son père a décidé de l'envoyer. La nuit venue, elle fait le voeu de ne pas se réveiller... et se retrouve de l'autre côté de la nuit, dans un univers magique aux règles très strictes où les voyageurs égarés n'ont pas le droit de rester. L'arrivée de la jeune fille va pourtant bouleverser ces règles et la plonger dans une grande aventure..."


Tout comme l'héroïne, on se sent d'abord passablement paumé en débarquant à Evernight, bombardé de noms inconnus et de visions étranges. On peine à comprendre comment fonctionne cet univers riche et original. On s'interroge sur les motivations des protagonistes; on se demande qui sont les gentils et les méchants, à qui on peut se fier et de qui on doit se méfier. Bien qu'il s'agisse d'un tome d'exposition, les événements s'enchaînent déjà très vite, jusqu'à un retournement final qui fait trépigner le lecteur et lui donne juste envie de réclamer la suite.


Graphiquement, c'est très beau, même si je déplore le côté trop lisse du DAO. Il y a beaucoup de recherche dans les décors et les costumes. Marc Yang, dont c'est également le premier travail publié, a fait un travail qui serait déjà remarquable de la part d'un professionnel confirmé. Espérons qu'il mette le turbo pour produire très vite le second tome de cette série qui devrait en compter quatre en tout.

vendredi 2 septembre 2011

"Mille jours à Venise"



A l'issue d'un séjour à Venise, une Américaine plus toute jeune dîne avec ses amis quand un serveur vient lui annoncer: "Téléphone pour vous". A l'autre bout du fil, un client qui vient de sortir du restaurant. Il l'a aperçue lors d'un séjour précédent, il est instantanément tombé amoureux d'elle, et puisque le destin les a remis en présence, il sollicite un rendez-vous galant...


Si un auteur avait osé commencer son roman de la sorte, j'aurais violemment protesté que la suspension d'incrédulité avait des limites. Mais voilà, "Mille jours à Venise" est un récit autobiographique. Après avoir passé seulement quelques jours avec son bel étranger aux yeux couleur myrtille, Marlena décide de lâcher toute sa vie en Amérique afin de le rejoindre et de l'épouser. Elle vend la jolie maison qu'elle vient de finir de rénover, cède ses parts dans le restaurant dont elle est le chef depuis un an à peine et prend un aller simple pour l'Italie. Oui mais voilà: le bel étranger aux yeux couleur myrtille habite un appartement sinistre et ne goûte guère sa cuisine trop sophistiquée selon lui. Très vite, Marlena se senti isolée dans ce pays dont elle ne parle pas la langue, cette ville où les gens considèrent sa spontanéité comme un insupportable manque de raffinement. Mais au nom de son amour pour Fernando qui ne lui facilite pourtant pas la vie, elle va peu à peu surmonter sa déprime et apprivoiser sa nouvelle vie...


Même en sachant qu'il s'agit d'une histoire vraie, j'ai eu du mal à croire qu'une femme ayant subi une enfance difficile et un premier mariage raté puisse croire aussi aveuglément en l'amour, au point d'abandonner tout ce qu'elle a construit pour foncer tête baissée de l'autre côté d'un océan. D'autant que son bel étranger aux yeux couleur myrtille n'est pas vraiment dépeint comme un cadeau du quotidien! Donc, je suis sans doute passée à côte de l'histoire d'amour de l'auteur. Mais j'ai beaucoup apprécié ses descriptions sensuelles de Venise, ses efforts d'adaptation à une nouvelle culture, et surtout la dimension culinaire de son récit. A la fin de "Mille jours à Venise", elle livre quelques-unes des recettes dont elle parle dans son livre. Je suis très impatiente d'essayer son gratin de poireaux à la vodka ou ses pâtes à la sauce aux noix. Et je lirai probablement la suite de ses pérégrinations italiennes: "Mille jours en Toscane".

vendredi 26 août 2011

"Amy & Roger's epic detour"



Du rose, une profusion de symboles américains artistiquement agglomérés: il n'en fallait pas plus pour que je saisisse "Amy & Roger's Epic Detour" sur la table des nouveautés de Sterling Books. Je le retourne pour lire la quatrième de couverture et voir de quoi ça cause. Un road trip à travers les USA. J'embarque en me disant que même si c'est mal écrit et que l'histoire est inintéressante, ça me rappellera toujours des souvenirs.


Amy Curry a 17 ans et vit en Californie. Sa vie a basculé trois mois auparavant, lorsque son père est décédé dans un accident de la route. Depuis, sa mère et son frère jumeau sont partis s'installer sur la côte Est. L'adolescente doit les rejoindre avec leur voiture, et comme elle refuse de conduire, c'est le fils d'une amie de la famille qui lui servira de chauffeur. La mère d'Amy leur a préparé un itinéraire et réservé des hôtels sur la route, mais dès le départ, les jeunes gens décident de jeter ses instructions aux orties...


Quand j'ai découvert l'âge de l'héroïne, je me suis dit "Aïe aïe aïe, un roman YA*". J'ai craint une niaiserie consommée, et puis pas du tout. C'est vrai qu'au cours de leur périple transaméricain, les deux héros vont finir par tomber amoureux l'un de l'autre comme on s'en doutait dès le début. Ceci mis à part, Morgan Matson évite tous les écueils du genre. Ses personnages n'ont rien de stéréotypé; au fil des pages, ils révèlent leur caractère, leurs goûts, leur sensibilité et leurs blessures tandis que l'asphalte défile sous les roues de leur voiture.


J'ai aimé les flash-backs qui dévoilent la vie d'Amy avant l'accident et juste après celui-ci, aimé revoir par procuration certains lieux que j'ai visités, aimé l'émotion sincère et le sens de l'aventure qui imprègne chacune des rencontres faites par les deux héros, aimé la mise en page qui intègre des éléments de scrapbooking au texte du roman (playlists spécialisées par Etat traversé, photos, tickets de restaurants, de fast-foods ou de mini-marts...). Et j'ai plus que jamais envie de faire mon propre road-trip américain avec Chouchou.


*YA = Young Adults, c'est-à-dire qui vise la tranche des 15-20 ans

mercredi 24 août 2011

"Margherita Dolcevita"



Apparemment, plus le temps est apocalyptique dehors, plus j'ai la main heureuse en matière de bouquins. Ma grande veine littéraire de l'été se poursuit avec "Margherita Dolcevita", roman de l'auteur italien Stefano Benni que j'avais découvert à Noël 2009 avec "La grammaire de Dieu". La quatrième de couv me paraissant excellente, je vous la livre telle quelle:


Quinze ans, quelques kilos en trop et un (grand) coeur qui bat sur un rythme atypique, voici Margherita Dolcevita. Elle écrit des poèmes et dialogue avec la Petit Fille de poussière, qui hante une maison jadis frappée par un bombardement. Un père bricoleur acharné, une mère qui fume des cigarettes virtuelles, deux frères, l'un fana de foot, l'autre de mathématiques, un grand-père qui avale des yaourts périmés pour se mithridatiser et un chien de race indéfinissable: c'est la famille de Margherita, qui habite un reste de campagne aux abords d'une petite ville.

Quand apparaît un jour juste en face un énorme cube noir et menaçant, la maison des nouveaux voisins, les Del Bene, l'adolescente est la seule à mesurer les risques qu'encourt leur vie paisible. Mais elle est décidée à se battre jusqu'au bout contre la modernité maléfique que les Del Bene incarnent, avec son humour, son intelligence et son refus des stéréotypes qui font d'elle une sorte de Zazie italienne.


"Margherita Dolcevita" est un roman inclassable. A la fois poétique et politique, il emprunte avec bonheur des éléments à la satire, à la littérature fantastique mais aussi au thriller. Stefano Benni déploie un style vigoureux, inventif et jubilatoire, très bien servi par une merveilleuse traduction de Marguerite Pozzoli. Avec un humour féroce, il crucifie le capitalisme et la société de consommation auxquels il oppose la fantaisie et l'individualité dans le meilleur sens du terme. "Parfois, les nomades volent, mais beaucoup moins que les gens domiciliés à Monte-Carlo", fait remarquer sa piquante héroïne. Je l'aurais aimée rien que pour cette phrase, mais chaque page de "Margherita Dolcevita" contient au moins un passage que j'ai envie de citer d'un air triomphant pour vous convaincre de le lire toutes affaires cessantes. Quand je pense que ma pile contient encore un bouquin de Stefano Benni, j'en frétille d'avance.