mardi 29 septembre 2015

"Time and time again"


2024. Hugh "Guts" Stanton, ex-militaire des forces spéciales et aventurier star d'internet, a perdu sa femme et ses deux enfants dans un accident. C'est un homme solitaire et désabusé, que plus rien ne rattache à la vie - ce qui fait de lui l'exécuteur idéal du projet Chronos selon Sally McCluskey, son ancien professeur d'histoire à Cambridge. Alors qu'une tempête de neige provoquée par le dérèglement climatique fait rage dehors, celle-ci révèle à Stanton l'existence d'une théorie signée Isaac Newton, selon laquelle une boucle temporelle pourrait lui permettre de revenir en 1914 afin d'empêcher le déclenchement de la Grande Guerre... 

Il y a fort longtemps, aux tout débuts de la télé-réalité en France, j'avais lu "Dead Famous" de Ben Elton, et si j'avais bien aimé sur le coup, je n'en conserve aucun souvenir a posteriori. Mais mes lecteurs réguliers savent que je suis incapable de résister à une histoire de voyage dans le temps. Et bien que "Time and Time Again" repose sur une théorie absolument fumeuse selon laquelle le temps serait "un Slinky emmêlé", c'est sans doute un des meilleurs romans que j'ai lus dans le genre.

Ben Elton sait dépeindre de manière vivace et intéressante l'atmosphère de Constantinople, Vienne ou Berlin au début du siècle dernier, et sa projection de ce que serait devenue l'Europe si aucun conflit international n'avait éclaté en 1914 m'a paru très réaliste. Comme souvent dans ce type d'histoire, le héros doit malgré ses scrupules sacrifier des innocents au salut du plus grand nombre, et en essayant d'améliorer les choses, il ne réussit qu'à les aggraver par ailleurs... Jusqu'à 80 pages de la fin, ses (més)aventures en la matière sont très classiques bien que d'excellente facture et fort agréables à lire. Puis soudain, le récit bascule, et quelques éléments auxquels on n'avait pas nécessairement prêté attention jusque là refont surface pour une conclusion stupéfiante qui chamboule la perspective du héros comme celle du lecteur. Franchement, j'en suis restée sur le séant. Si vous aimez les histoires de voyages dans le temps, ne manquez surtout pas celle-là!

lundi 28 septembre 2015

"Les équinoxes"


Quatre ans après l'émouvant "Portugal" qui avait été primé à Angoulême, Cyril Pedrosa revient avec un autre album énorme chez Aire Libre. Découpé en quatre saisons, "Les équinoxes" met en scène des gens ordinaires qui tous à leur façon s'interrogent sur le sens de la vie. Louis a rendu sa carte du Parti en 1968 et perdu autrefois un fils âgé de 11 ans. Sa femme l'a quitté. Aujourd'hui, il vit seul avec ses livres et, parfois, quelqu'un de passage qui a besoin d'être hébergé. Vincent, orthodontiste, est séparé de sa femme Christine. Il habite une somptueuse maison d'architecte au bord de la mer, enchaîne les dîners ennuyeux à mourir et peine à comprendre Pauline, sa fille de 14 ans. Camille, trentenaire à la dérive, sert de fil rouge au récit en photographiant les gens qu'elle croise - et lorsqu'elle les saisit dans son objectif, nous entendons leurs pensées l'espace d'une, deux, trois pages de prose. Un ado mal dans sa peau, un sans domicile fixe, un conducteur de tractopelle bientôt à la retraite, une secrétaire d'Etat que tout le monde aime détester... Leurs trajectoires s'entrecroisent autour de la construction décriée d'un aéroport, jusqu'à ce que celle-ci aboutisse à une étonnante découverte et que l'on comprenne enfin la raison d'être des petits interludes au début de chaque partie. Graphiquement, "Les équinoxes" est splendide, ses couleurs sourdes et son atmosphère crépusculaire soulignant la solitude de ses personnages et la mélancolie de son propos - un album d'une grande maturité artistique et humaine. Vraiment, je ne peux que vous le recommander.



vendredi 18 septembre 2015

"The ancient magus bride"


Lors d'une vente aux enchères, Chise Hatori, jeune orpheline capable de voir les créatures surnaturelles, est acquise pour la somme considérable de £5 millions par l'étrange Elias Ainsworth. Ce magicien qui a un crâne de chèvre en guise de tête la ramène dans son manoir anglais pour faire d'elle son apprentie et, plus tard, son épouse. Malgré son apparence effrayante, il semble faire preuve d'une authentique bienveillance envers l'adolescente dont la vie a été extrêmement difficile jusque là. Il lui apprend qu'elle est une Slay Vega, et possède la capacité de stocker en elle d'énormes quantités d'énergie...

Intriguée par la couverture du tome 1, je me suis jetée sur les deux tomes actuellement disponibles de "The ancient magus bride". Bien m'en a pris, car les personnages et l'histoire sont aussi originaux et envoûtants que l'illustration le laissait supposer. Elias, ses alliés et ses adversaires se révèlent animés par des motivations complexes, jamais manichéennes. Difficile de se faire une opinion sur eux, ou à tout le moins, de la conserver plus de quelques chapitres - et c'est justement ça qui est bon! Les rencontres avec des créatures surnaturelles donnent lieu à des scènes tantôt émouvantes et poétiques (la mort du dragon islandais), tantôt fascinantes dans leur horreur (le parcours du tueur de chats). Et impossible de prévoir à l'avance ce qui va advenir de Chise et de sa drôle de relation avec Elias. Complètement séduite, j'attends la sortie du tome 3 avec impatience.

mercredi 9 septembre 2015

"Un doux pardon"


Hannah Farr est une personnalité en vue de la Nouvelle-Orléans, une animatrice télé dont l'émission quotidienne est suivie par des milliers de fans. Côté coeur, elle file depuis deux ans le parfait amour avec Michael Payne, le maire de la ville. Mais sa vie toute tracée va être bousculée par deux petites pierres. 
Ces "pierres du Pardon" connaissent un immense succès aux Etats-Unis. Le concept est simple: si vous avez quelque chose à vous faire pardonner, il suffit d'envoyer une lettre d'excuse à la personne que vous avez blessée, accompagnée de deux pierres. Si cette personne accepte vos excuses, elle vous renvoie l'une des deux. 
Bien inoffensives à première vue, les pierres du Pardon vont pourtant forcer Hannah à replonger dans son passé, celui-là même qu'elle avait soigneusement mis de côté depuis de nombreuses années, et toutes les certitudes de sa vie vont être balayées comme un château de cartes...

J'avais vraiment bien aimé "Demain est un autre jour", le premier roman de Lori Nelson Spielman, et même si le sujet m'interpelait moins à première vue, je me suis quand même laissée tenter par le second. Je n'ai pas été immédiatement emballée: difficile de m'identifier à une trentenaire obsédée par son apparence et dont le but premier dans la vie est de se faire demander en mariage. Et puis cette histoire de pierres du Pardon, je trouvais ça super cucul. Mais plus l'histoire avançait, et plus j'étais surprise par les secrets assez affreux que cachaient les personnages principaux, par leurs répercussions horribles et irréparables. Je pensais lire un bouquin feel-good, et en fait, pas du tout. 

Au final, il y a bien une morale positive: confesser ses turpitudes soulage et permet de repartir sur de bonnes bases. Mais même sans tenir compte du fait que je ne suis pas vraiment d'accord avec le principe (parfois, avouer une faute sert juste à se faire du bien sans tenir compte du mal qu'on va infliger à la personne d'en face), je n'ai pas apprécié la façon dont l'auteur boucle son récit, un peu hâtivement et sans éclaircir un point crucial. D'un côté, elle prône la vérité à tout crin, et de l'autre, elle conclut qu'il existe des choses qu'il vaut mieux ne pas chercher à savoir? "Bonjour, vous avez appelé la logique? Désolé, elle est aux abonnés absents."

Pourtant, "Un doux pardon" a réussi à me toucher suffisamment pour que je le lise tout entier en l'espace d'un après-midi et d'une soirée. J'ai aimé le fait qu'Hannah, si lisse en apparence, vive avec un secret aussi lourd depuis son adolescence, tout comme sa vieille amie Dorothy qui semble pourtant la bienveillance incarnée. Cette dernière affirme qu'on naît tous avec une certaine quantité de bougies: chaque fois qu'on fait du mal à quelqu'un, l'une d'elles s'éteint; chaque fois qu'on fait une bonne action, une autre s'allume. Et le but, c'est de quitter cette vie en laissant derrière nous plus de lumière qu'il n'y avait à notre arrivée. Une philosophie qui pourrait sembler bien commode (on peut commettre toutes les horreurs qu'on veut du moment qu'on compense plus tard!), mais qui dit surtout qu'aucun être humain n'est un ange, qu'on peut nuire sans en avoir eu l'intention et que l'essentiel, c'est de faire de son mieux dans l'ensemble. 

mardi 8 septembre 2015

"Les Intéressants"


En 1974, la provinciale Julie Jacobson passe ses vacances d'été au camp de Spirit-in-the-Woods, conçu pour favoriser la créativité des adolescents. Elle y intègre une petite bande d'amis venus de New-York qui se surnomment eux-mêmes "Les Intéressants": Goodman, beau gosse de parents fortunés, essentiellement doué pour gâcher son potentiel; sa soeur Ash, favorite de tous et passionnée de théâtre; Ethan, prodige de l'animation handicapé par sa laideur; Jonah, fils d'une célèbre chanteuse folk qui entretient un rapport conflictuel avec la musique, et Cathy, danseuse douée mais trahie par un corps aux formes trop prononcées. A la fin de l'été, Julie est devenue Jules et nourrit de nouvelles ambitions artistiques qui vont l'éloigner de sa famille trop terne à ses yeux. Désormais, c'est son amitié avec les Intéressants qui va forger sa vie...

Pendant 40 ans, nous suivons Jules et des autres à travers les vicissitudes de leur existence d'adulte. Si certains réussissent très bien dans leur domaine d'élection, d'autres doivent remiser leurs rêves au placard et se contenter d'une carrière alimentaire dans laquelle ils s'épanouissent plus ou moins. Et tous sans exception sont confrontés à des épreuves difficiles. Jules, pourtant décrite par sa grande amie Ash comme une personne drôle et réconfortante, apparaît surtout comme rongée par l'envie, une femme amère dans la peau de laquelle on détesterait se trouver. Mais il est intéressant de voir que, malgré tous leurs problèmes, son mariage avec un grand dépressif parvient à tenir la route au fil du temps. Plusieurs des autres protagonistes sont rongés par un traumatisme ou un secret modérément crédible qui modèle le cours de leur vie de façon déterminante. Au final, "Les Intéressants" est avant tout l'histoire de leurs désillusions et de leurs compromissions - un récit pas très gai mais prenant dont j'ai dévoré les 600 pages en l'espace de deux jours. 

lundi 7 septembre 2015

"Eloge de la névrose en 10 syndromes"


Je suis loin d'être une fan inconditionnelle de Leslie Plée. Si j'ai adoré "Vivre vieux et gros, les clés du succès", j'ai été très déçue par sa suite "Michel, un chat sauvage", et je n'ai pas vraiment accroché à "Moi vivant, vous n'aurez jamais de pause", pourtant applaudi par la critique, ni à "L'effet Kiss pas cool" où l'auteur abordait déjà le sujet de ses angoisses et qui aurait dû susciter chez moi un maximum d'empathie. 

Alors pourquoi, me demanderez-vous, ai-je choisi d'acheter sa nouvelle bédé parmi les centaines d'autres ouvrages parus en cette rentrée littéraire? Parce qu'elle est BELLE. Pour la première fois (me semble-t-il), Leslie Plée passe à la couleur, et ses dessins à l'aquarelle ont un charme fou, au point que j'aurais aimé cette bédé même si son texte m'avait laissée assez froide. 

Ce qui n'a pas été le cas: je me suis régalée à la lire, tant ses petites vignettes d'un quotidien placé sous le signe de névroses multiples sont finement observées et retranscrites avec un parfait mélange de dérision et de fatalisme. Alors que je ne partage pas du tout la réticence de l'auteur à voyager, j'ai adoré le récit de son séjour à Stockholm. Et le chapitre sur les règles bleues, où elle fustige le machisme de la société actuelle en parlant crûment de sexualité avec son chat (!), est à mettre aussi bien sous les yeux des féministes qui approuveront à 100%, que de ceux qui pensent que lesdites féministes font une montagne d'une taupinière. 

Réussir à pondre une bédé jolie et drôle, à la fois autocentrée et militante: je dis chapeau, Leslie Plée.