vendredi 31 mars 2017

"La petite librairie des gens heureux" (Veronica Henry)


Julius, le père bien-aimé qui l'avait élevée seul, vient juste de mourir, et Emily se sent le devoir de reprendre la librairie qu'il avait créée. Hélas, si Nightingale Books est devenu un lieu incontournable dans leur joli village des Cotswolds, elle perd beaucoup d'argent, et un promoteur local insiste pour en faire l'acquisition. Ecrasée par l'ampleur de la tâche, Emily s'interroge sur son avenir tandis que défilent devant elle des clients pour qui Julius était, bien plus qu'un simple commerçant, un passeur et un ami très cher...

En ce moment, j'ai besoin de livres-doudous qui font chaud au coeur, et malgré son titre un peu cucul, "La petite librairie des gens heureux" (en VO: "How to Find Love in a Bookshop") était exactement ce qu'il me fallait. Si quelques romances naissent effectivement dans ses pages, l'histoire est bien davantage centrée autour du deuil d'Emily, des problèmes de ses clients et du pouvoir transformateur de la littérature. Le paisible village de Peasebrook offre un cadre idyllique à l'action, et ses habitants sont si adorables qu'on se surprend à vouloir emménager là pour toujours, au sein de cette communauté chaleureuse et accueillante. Si vous avez lu et aimé Maeve Binchy ou Erica James, vous devriez adorer Veronica Henry.

Article publié à l'origine en octobre 2016, 
et mis à jour en raison de la parution de l'ouvrage en français depuis cette date

mercredi 29 mars 2017

"A gentleman in Moscow" (Amor Towles)


Le 21 juin 1922, le comte Alexander Ilych Rostov comparaît devant un tribunal bolchévique à Moscou. Parce qu'il est l'auteur d'un poème célèbre, publié avant la révolution et que beaucoup considèrent comme un appel aux armes, il n'est pas condamné à être fusillé mais assigné à résidence à l'Hôtel Métropole, où il résidait depuis quatre ans et dont il ne pourra plus sortir jusqu'à la fin de sa vie. Pas question de conserver sa suite somptueuse et ses trésors de famille: il sera installé dans une chambre de bonne avec les seules affaires que celle-ci pourra contenir. Pourtant, le comte ne se laisse pas abattre. Il aménage de son mieux son minuscule logis, développe une routine plaisante à l'intérieur de l'hôtel, se fait des amis parmi le personnel et devient le compagnon d'aventures d'une fillette de neuf ans prénommée Nina...

Voici quelques années, j'avais adoré le premier roman d'Amor Towles. Si l'auteur continue plus ou moins à explorer la même période historique que dans "Les règles du jeu", c'est à l'autre bout du monde qu'il nous emmène cette fois, dans la Russie dirigée par Staline. Et bien que "A gentleman in Moscow" évoque la domination communiste dans toute sa dualité - beaux idéaux et ferveur populaire d'une part, bureaucratie abusive et répression aveugle de l'autre -, c'est pour mieux souligner l'atmosphère presque hors du monde et du temps qui règne à l'intérieur du Métropole. Alexander est un personnage attachant, noble au meilleur sens du terme, plein de beaux principes mais profondément humaniste, doté une grande culture et d'un humour très fin. A l'exception d'un moment de désespoir, il fait toujours preuve de combattivité et de grandes ressources intérieures, porte toujours un regard humble autant qu'intelligent sur la société et les gens qui l'entourent. Et très vite, on se surprend à l'envier plutôt qu'à le plaindre, à vouloir aussi jouer les Eloïse adultes dans cet hôtel cinq étoiles.

lundi 27 mars 2017

"Dark matter" (Blake Crouch)


A 27 ans, Jason Dessen travaillait sur un projet qui aurait pu révolutionner la physique quantique. Puis il a rencontré Daniela Vargas, une jeune artiste qui est très vite tombée enceinte de lui. Tous deux ont alors mis leurs ambitions professionnelles de côté pour fonder une famille. Aujourd'hui, ils sont heureux ensemble et avec leur fils Charlie, mais s'interrogent sur le chemin qu'ils n'ont pas pris.

Jusqu'au jour où un inconnu braque Jason dans la rue, l'entraîne dans un entrepôt isolé et le bombarde de questions sur sa vie privée avant de l'assommer. Quand Jason reprend connaissance, il se trouve dans un autre monde, un monde où il travaille pour une organisation secrète qui a percé le secret du multivers, un monde où il est un génie acclamé mais a quitté Daniela à l'annonce de sa grossesse et sacrifié sa vie privé à sa carrière... 

Ce roman de Blake Crouch était n°1 des ventes sur Amazon lorsque je l'ai acheté, et vous savez combien je suis fan d'uchronies personnelles. Poussée par la curiosité, j'ai donc fait une entorse à ma règle et l'ai commandé en grand format pour me jeter dessus. Et j'avoue m'être retenue de lever les yeux au ciel pendant le premier tiers. Oui, bon, le mystérieux agresseur masqué, il faudrait être débile pour ne pas comprendre tout de suite de qui il s'agit. Franchement, quelle histoire cousue de fil blanc! Et puis cette manie de retourner à la ligne après chaque phrase, argh...

Après, je suis arrivée dans le deuxième tiers avec ses accents post-apocalyptiques, et j'ai trouvé ça tellement noir et angoissant que j'ai failli lâcher l'affaire. Mais même si je voyais toujours comment ça allait se terminer, mon intérêt était piqué. Ce qui ne m'empêchait pas de fulminer: prôner que le bon choix de vie, c'est forcément le mariage et la famille, que réaliser une découverte scientifique majeure pâlit en comparaison des joies du foyer, ça me paraissait terriblement convenu et réducteur. 

Et puis dans le dernier tiers, l'auteur est enfin parti dans une direction totalement inattendue et très intéressante, présentant à son protagoniste un dilemme affreux et apparemment insoluble, et l'histoire a viré au thriller psychologique haletant. Tout le long, j'ai eu l'impression de lire le scénario d'un blockbuster, calibré au millimètre sans aucun temps mort et avec beaucoup de scènes d'action - et de fait, en lisant les remerciements à la fin, j'ai découvert qu'un film était en cours de préparation. 

En conclusion, malgré quelques défauts hurlants, "Dark matter" (en VO ici) vaut bien la peine d'être lu, surtout si vous êtes vaguement fasciné par la physique quantique, le multivers et la notion d'identité.

Article publié à l'origine en août 2016, 
et mis à jour en raison de la parution de l'ouvrage en français depuis cette date

vendredi 24 mars 2017

"Tu sais ce qu'on raconte..." (Daniel Casanave/Gilles Rochier)


Tu sais ce qu'on raconte... dans les bistrots et les salles d'attente, dans les rues et les maisons, sur les chantiers et à l'intérieur des voitures? Il paraîtrait que le fils Gabory est revenu dans cette petite bourgade apparemment tranquille mais où un drame a eu lieu il y a quelques années. Est-il responsable? Certains pensent que non, d'autres en sont convaincus, et pendant toute la journée, les rumeurs vont bon train jusqu'à ce que quelques esprits vengeurs montent une expédition punitive...

Ce qu'il y a de remarquable dans cette bédé aux magnifiques dessins dans les tons rouges et bruns, c'est que le protagoniste principal n'apparaîtra jamais. Toute l'histoire est racontée à travers des tiers, des gens qui n'ont rien à voir avec l'affaire et ne font que rapporter ce qu'ils ont entendu et la façon dont ils l'interprètent. Ce qui, en plus de constituer un procédé narratif original et très bien utilisé, démontre de façon éclatante l'imbécillité des "on dit" et des réactions basées sur des faits non vérifiés. Les pages défilent presque trop vite, et "Tu sais ce qu'on raconte..." se conclut comme une gifle magistrale. Une très belle découverte.




jeudi 23 mars 2017

"Quoi qu'il arrive" (Laura Barnett)


Version Une: En 1958, Eva et Jim sont tous deux étudiants à Cambridge lorsqu'un jour, cherchant à éviter un chien, la jeune fille qui circulait en vélo roule sur un clou et crève. Le jeune homme qui passait justement par là, un livre de poche à la main, s'approche pour lui proposer son aide. Très vite, ils tombent amoureux et se marient dès l'obtention de leur diplôme.
Version Deux: Le chien s'écarte au dernier moment, et la rencontre n'a pas lieu. Eva et Jim font tous deux leur vie avec quelqu'un d'autre, mais se croisent périodiquement grâce à des amis communs et à chaque fois, éprouvent une connexion inexplicable...
Version Trois: La rencontre a lieu, mais Eva se découvre enceinte de son ex et décide de retourner avec lui - sans pour autant cesser de penser à Jim. 

Parfois, il suffit d'un instant, d'un détail en apparence insignifiant pour changer le cours de notre existence. Dans cette uchronie personnelle, Laura Barnett choisit d'explorer trois des chemins alternatifs que pourraient emprunter ses héros - en partant du principe qu'ils sont faits l'un pour l'autre et que leur amour doit s'accomplir d'une façon ou d'une autre, à un moment ou à un autre. Je ne crois pas à la prédestination ni aux âmes soeurs, mais en tant que prétexte littéraire, ici, cela fonctionne très bien. J'aime aussi le fait que, si la Version Une pourrait d'abord être considérée comme "la bonne", et les autres comme de regrettables erreurs de parcours, il apparaît assez vite que pour Eva et Jim, il n'existe pas de moyen de réussir sur tous les plans. Aucun choix ne leur permet de cocher toutes les cases: heureux en amour et en famille, accomplis sur le plan créatif et professionnel... Dans chaque version, les écueils sont différents, mais il est impossible de les éviter tous. On pourrait trouver cette vision des choses un peu décourageante; personnellement, elle me semble juste réaliste et touchante. 

D'habitude, j'accroche fort à un roman quand je reconnais certains de mes traits de caractère ou de mes préoccupations personnelles chez les héros; ici, ce n'est pas franchement le cas. Ce dans quoi je me suis reconnue - ce dans quoi tout lecteur devrait se reconnaître -, c'est dans l'universalité des situations, la valse perpétuelle des choix décisifs, des satisfactions et des regrets, des triomphes et des erreurs, des anniversaires en famille et des deuils successifs. Laura Barnett évoque nombre de sujets douloureux: ici, la maladie mentale et le suicide, là, l'échec et l'alcoolisme; ici, le sentiment que la vie s'écroule quand un conjoint tombe amoureux de quelqu'un d'autre, là, la difficulté de devenir le soignant de l'être aimé dont l'état se dégrade un peu plus chaque jour. Elle réussit à mettre des mots très justes sur toutes les formes de chagrin, sans jamais tomber dans le misérabilisme ou la dramatisation. Bien que je l'aie terminé en larmes, "Quoi qu'il arrive" (en VO: "The versions of us") n'est pas un roman que l'on referme en voyant la vie en noir; il donne, au contraire, le sentiment libérateur que quoi que l'on fasse, on n'aura jamais tout bon - mais jamais tout mauvais non plus, et qu'au final, aucun chemin ne vaut réellement mieux que les autres: ils sont juste tous différents.

Article publié à l'origine en juin 2015, 
et mis à jour en raison de la parution de l'ouvrage en français depuis cette date

mercredi 22 mars 2017

"Sorcières associées" (Alex Evans)


Dans la cité millénaire de Jarta, la magie refait surface à tous les coins de rue. Les maisons closes sont tenues par des succubes, les cimetières grouillent de goules. Pour Tanit et Padmé, sorcières associées, le travail ne manque pas. Mais voilà qu'un vampire sollicite leur aide après avoir été envoûté par un inconnu, tandis que d'étranges incidents surviennent dans une usine dont les ouvriers sont des zombies... Tanit et Padmé pensaient mener des enquêtes de routine, mais leurs découvertes vont les entraîner bien au-delà de ce qu'elles imaginaient. En effet, à Jarta, les créatures de l'ombre ne sont pas les plus dangereuses...

Chouette découverte que ce roman d'Alex Evans paru dans la nouvelle collection Bad Wolf d'ActuSF. Les deux protagonistes (dont j'ai parfois eu du mal à distinguer les "voix", même si Tanit est du genre à jurer beaucoup et à employer plus d'argot que Padmé) enquêtent en parallèle sur des affaires aussi variées qu'intrigantes - et qui, on s'en doute, vont se révéler liées entre elles. Si le monde est presque trop touffu, et si on se perd un peu entre les différentes cultures présentées, la cité de Jarta offre un cadre agréablement animé et métissé. Tanit et Padmé ont toutes les deux un lourd passé pour avoir combattu dans les camps opposés d'une guerre récurrente; avant d'ouvrir ensemble un cabinet de sorcellerie, la première était une espionne et la seconde une chirurgienne, des compétences qu'elles continuent à mettre à profit dans leur nouvelle vie et qui donnent un relief agréable à leurs personnages. L'action avance sans temps morts ni à-coups, et pour ma plus grande joie, l'auteure nous épargne le poncif fantasy-esque de la grosse bataille finale. Malgré quelques tentatives de drague, elle n'encombre pas non plus ses héroïnes hautes en couleur avec une bête histoire d'amour, et j'ai beaucoup apprécié sa critique sous-jacente du capitalisme effréné. Bref, j'espère bien retrouver Tanit et Padmé dans d'autres aventures!

mardi 21 mars 2017

"Nous autres simples mortels" (Patrick Ness)


Tout le monde ne peut pas être l'Elu(e). 
Au fil des générations, les indie kids au prénom et à la destinée hors du commun ont repoussé une vague de zombies, une autre de fantômes mangeurs d'âmes, et ont mis fin à une épidémie de romance vampirique. Cette fois, ils luttent contre la Cour des Immortels qui à coups de faisceaux de lumière bleue explosive tente de prendre possession de la Terre. 
Mais ceci n'est pas leur histoire. 
"Nous autres simples mortels" (en VO: "The rest of us just live here") est l'histoire de la majorité généralement invisible dans les histoires fantastiques, celle des jeunes gens ordinaires qui assistent à ces combats épiques en simples spectateurs tout en essayant de survivre aux maux habituels de l'adolescence. 
Il y a Mikey, le narrateur, bouffé par des troubles obsessionnels compulsifs. Il y a sa soeur Mel, toujours à la limite de retomber dans l'anorexie qui l'a déjà tuée une fois. Il y a leurs amis Jared, joueur de foot américain bien en peine de vivre son homosexualité dans leur petite ville de province, et Henna, fille de missionnaires très stricts qui veulent l'entraîner dans la Centrafrique en guerre pendant les grandes vacances. Tous disent n'aspirer qu'à survivre à leur remise de diplômes et pouvoir enfin partir à la fac, mais Mikey voit venir avec angoisse le moment où leur petite bande se dispersera. 
Et pendant qu'ils gèrent leurs problèmes scolaires, familiaux et amoureux, l'en-tête de chaque chapitre raconte en quelques phrases lapidaires les retournements de situation abracadabrants de la bataille entre les indie kids et la Cour des Immortels, de sorte que les héros habituels des romans fantastiques sont réduits au rôle d'ombres chinoises s'agitant à l'arrière-plan.
Dans un univers qui rappelle fortement le Buffyverse, Patrick Ness se moque gentiment des codes du genre en soulignant leur absurdité (les adultes qui ne voient jamais rien, sont frappés d'amnésie sélective ou imputent les explosions bizarres à une énième "fuite de gaz"). Par contraste, sa peinture des troubles de l'adolescence est hyper-réaliste, voire poignante par moments. La juxtaposition des deux produit un roman original et rafraîchissant, qui mérite d'être découvert.

Article publié à l'origine en juillet 2016, 
et mis à jour en raison de la parution de l'ouvrage en français depuis cette date

lundi 20 mars 2017

"Alex Woods face à l'univers" (Gavin Extence)


A l'âge de 11 ans, Alex est touché par la chute d'un météore et survit à peu près indemne - à ceci près qu'il devient épileptique, et une curiosité pour tous les scientifiques du monde. Tandis qu'il s'efforce d'apprendre à contrôler sa maladie, il fait la connaissance d'Isaac Petersen. Ce vieux monsieur qui a combattu au Vietnam est revenu blessé à la jambe et fervent pacifiste, mais aussi quelque peu misanthrope. Pourtant, une amitié très forte se développe entre lui et l'adolescent dépourvu de père autant que de copains de son âge. M. Petersen fait découvrir Kurt Vonnegut  et la musique classique à Alex; il lui enseigne quelques vérités essentielles et lui apprend à conduire. Aussi, quand il apparaît que son vieil ami est atteint d'une maladie incurable, Alex décide de l'accompagner jusqu'au bout de son voyage...

D'accord, le suicide assisté, ce n'est pas ce qui se fait de plus gai comme thème de roman (du moins le vieux monsieur ne se meurt-il pas d'un cancer, OUF!). Mais en vérité, ce n'est que le prétexte à raconter une amitié hors-normes et l'initiation à la vie du jeune narrateur. Mélange de grande précocité et d'attendrissante candeur, Alex m'a beaucoup fait penser au prodigieux T. S. Spivet. Et j'ai ri de ses mésaventures au moins aussi souvent que j'ai eu la gorge nouée. Les romans intelligents, drôles et émouvants à la fois ne courent pas les rues. Si vous n'êtes pas rebuté par le sujet, je vous conseille vraiment de vous pencher sur  "Alex Woods face à l'univers" (en VO: "Universe Versus Alex Woods").

Article publié à l'origine en juin 2013, 
et mis à jour en raison de la parution de l'ouvrage en français depuis cette date

samedi 18 mars 2017

"Every anxious wave" (Mo Daviau)


Ex-guitariste d'un groupe d'indie rock assez connu et désormais propriétaire de bar, Karl Bender aborde la quarantaine solitaire et désabusé, avec un appart' pourri et un seul véritable ami - un über geek du nom de Wayne DeMint. Jusqu'au jour où il tombe tête la première par le plancher de sa penderie et atterrit trois mois plus tôt. Avec l'aide de Wayne, il construit une machine à voyager dans le temps qui permet d'utiliser son "trou de ver" pour assister à des concerts mythiques ou voir sur scène des musiciens disparus. Il en fait même un petit business assez rentable, mais avec des règles très strictes: ne jamais se rendre dans le futur, ne jamais interagir avec le passé, ne jamais rien en rapporter. Puis un jour, Wayne décide d'empêcher l'assassinat de John Lennon, et Karl l'envoie par erreur, non pas en 1980, mais en 980 où il est impossible de trouver une charge électromagnétique suffisante pour le voyage de retour. Afin de récupérer son ami, il se met en quête qu'un astrophysicien. Entre en scène Lena Geduldig, une punk brillante et sarcastique de 99 kilos qui s'est fait tatouer le même extrait de chanson que Karl. La connexion est immédiate... 

Peu de temps avant de tomber sur ce premier roman de Mo Daviau, j'avais failli être dégoûtée des histoires de voyage dans le temps par "All our wrong todays" d'Elan Mastai, atrocement mal écrit et épouvantablement sexiste. Comme quoi, les romans à thème se suivent et ne se ressemblent pas. Parce qu'"Every anxious wave" est une réussite à tous les niveaux. Un style superbe, mordant et mélancolique à la fois, qui donne envie de coller des Post-It partout pour retrouver tel ou tel passage plus tard. Une héroïne glorieusement imparfaite comme on aimerait en rencontrer plus souvent. Une histoire bien ficelée et pas particulièrement prévisible, qui joue autant sur la nostalgie du passé que sur la crainte de l'avenir. Des péripéties qui exploitent à fond la faillibilité humaine des personnages. Les lecteurs avides d'explications scientifiques seront probablement déçus, tandis que ceux qui connaissent bien la scène indie rock des années 1990 auront droit à un supplément de kif. Je ne suis ni dans le premier ni dans le second cas, et j'ai absolument adoré. 

samedi 11 mars 2017

"Le gardien des choses perdues" (Ruth Hogan)


A la mort de son patron, l'écrivain Anthony Peardew, Laura hérite de la demeure victorienne de celui-ci ainsi que d'une étrange mission: tenter de restituer à leur propriétaire tous les objets perdus qu'il a collectionnés au fil des ans pour tenter de se racheter. En effet, dans les années 70, le jour de la mort de sa fiancée Thérèse, Anthony a lui-même inexplicablement égaré la médaille qu'elle lui avait confiée en lui faisant promettre de ne jamais s'en séparer...

Dans "Le gardien des choses perdues", on suit simultanément deux histoires. De nos jours, Laura, l'ancienne assistante d'Anthony, tâtonne pour exécuter les dernières volontés du défunt tout en tissant maladroitement des liens avec Sunshine, une jeune voisine trisomique, et Freddy, le jardinier taciturne avec qui elle aimerait bien retrouver l'amour après un premier mariage raté. Ses efforts sont compliqués par les manifestations de l'esprit de Thérèse, qui semble incapable de trouver le repos. Elle attend manifestement quelque chose, mais quoi?

Parallèlement, dans les années 70, une jeune femme nommée Eunice croise sans le savoir la route d'Anthony au moment du décès de Thérèse - et ramasse la médaille de celle-ci, qu'il a fait tomber par inadvertance. Elle se rend à un entretien pour un poste de secrétaire dans l'édition. Embauchée sur-le-champ, elle développe très vite une grande complicité avec son patron Bomber, dont elle partage l'amour du cinéma et des chiens...

Ce roman de Ruth Hogan m'a laissée très partagée. D'un côté, j'ai aimé le thème des objets perdus à l'histoire souvent douce-amère sinon tragique, insérée dans le récit principal sous forme de nouvelles; la façon dont les deux lignes temporelles se font écho en reprenant un même élément marquant lors de chaque transition; le personnage d'Eunice et son choix délibéré d'un "mariage" platonique avec l'homme dont elle est folle mais qui préfère les autres hommes; l'atmosphère délicieusement anglaise - soulignée par la consommation de moult tasses de thé - de Padua, la maison d'Anthony.

De l'autre, je me serais bien passée de la gentillette histoire de fantôme; je suis partagée sur la présence de Sunshine (c'est sympa de montrer une ado trisomique sous un jour positif, mais son côté envahissant m'a mise assez mal à l'aise); j'ai trouvé Laura, Freddy et leur relation d'une fadeur absolue, le succès instantané de leur site internet pas crédible du tout et la traduction terriblement littérale, émaillée d'un tas de détails qui m'ont fait grincer des dents (non, ce n'est pas sur un vélo que Tom Cruise circule dans "Top Gun", et le Diet Coke a un nom en français...). Au final, j'ai eu l'impression qu'il y aurait eu de quoi faire un très chouette roman à condition de moins abuser des bons sentiments et des facilités scénaristiques.

lundi 6 mars 2017

"A cause de la vie" (Véronique Ovaldé/Joann Sfar)


Nous sommes en octobre 1984 à Paris. Nathalie, 11 ans, vit seule avec sa maman dans un immeuble de six étages sans ascenseur, rue Céleste-Cannard. Parce qu'elle pense qu'un vrai prénom doit venir du fond de soi, elle s'est rebaptisée Sucre de Pastèque. Elle va à l'école en peignoir de catcheur marqué Demonius dans le dos et serre-tête à plumes. C'est une enfant solitaire et mélancolique, qui rêve qu'un parfait gentleman viendra un jour l'arracher à sa morne existence. Ce gentleman, elle croit le trouver en Eugène, le fils bègue des nouveaux voisins du dessus qui vient lui emprunter une pompe à vélo. Ebloui par cette divine créature, Eugène s'applique à relever les défis qu'elle lui dépose chaque jour dans le ficus du couloir - jusqu'à ce qu'un drame survienne...

Belle surprise que cet ouvrage conçu conjointement par l'écrivaine Véronique Ovaldé et le bédéaste multi-casquettes Joann Sfar. J'imaginais une bédé classique lorsque je l'ai acheté sous cellophane; en réalité, il s'agit plutôt un court roman illustré en grand format. Difficile à classer dans une bibliothèque, donc - mais qu'importe: c'est une merveille de sensibilité et de nostalgie, à la prose évocatrice et délicieusement fantaisiste.

"Sucre de Pastèque se lève pour se préparer un grand bol de chocolat au lait (lait écrémé, capsule verte). En le dégustant à petites gorgées, elle se dit, bien calée dans ses oreillers, que c'est délicieux d'être malheureuse quand on l'a décidé, pour se distraire, un jour de congé. Elle sent qu'elle va pleurer un peu et que ce sera très agréable." 

"En fait le chat de monsieur Ripolino n'entre jamais nulle part, il reste sur le seuil et jette des regards circonspects à l'intérieur des domiciles de chacun, assis sur le paillasson. Il a toujours le même air méditatif, un peu condescendant, de celui qui pourrait tout à fait vivre en autogestion et qui vous accorde, magnanime, de prendre soin de lui." 

"Nathalie écoute le bruit du square et de la rue en juillet, elle se sent prise d'un doux accablement. C'est une langueur très particulière, une langueur urbaine et estivale, quelque chose qui a à voir avec la poussière, la dioxyde de carbone, le cri des martinets, l'absence de Dieu et notre nature provisoire."





samedi 4 mars 2017

"Un clafoutis aux tomates cerise" (Véronique de Bure)


Jeanne a 90 ans. Veuve depuis des années, elle vit à la campagne, dans une vieille maison désormais trop grande pour elle, avec un couple d'agriculteurs presque aussi âgés pour seuls voisins proches. Pourtant, elle ne s'ennuie jamais. Quand elle ne retrouve pas ses amies pour un goûter - ou un apéro au muscat - et de longues parties de bridge, Jeanne faits des mots croisés et des patiences, cuisine les fruits et les légumes de son jardin en prévision d'une visite de ses enfants et petits-enfants, observe l'évolution de la nature et note ses pensées dans un carnet au jour le jour. ("Finalement, les seuls moments où je m'ennuie, ce ne sont pas ceux où je suis seule, ce sont ceux où je suis en compagnie de gens ennuyeux.") Elle ne rate jamais la Messe le dimanche, a un mal fou à comprendre comment fonctionne son téléphone portable et se sent totalement larguée par la technologie moderne, mais fait parfois preuve d'une plus grande ouverture d'esprit que sa descendance. ("Mon neveu affirme que l'homosexualité est la cause majeure du déclin des empires grec et romain. Ca m'étonne un peu.")

Très en forme pour son âge, elle voit néanmoins tomber un par un les gens de sa génération et adopte un certain détachement fataliste pour se protéger ("Comme le reste, les sentiments s'usent. La colère se tempère, l'affection s'assoupit, la compassion s'étiole. Le bruit du monde ne nous parvient plus que de très loin, vague écho d'une vie qui ne nous concerne plus. Les chagrins des autres se diluent dans les brumes de plus en plus épaisses de nos existences fragiles, ils nous atteignent moins. Les gens meurent, souffrent, pleurent, et nous, on ne pense qu'à se sauver. On ne veut pas se voir dans le miroir de la vieillesse que nous renvoient les autres, ceux qui n'ont pas notre chance. Alors on détourne le regard et on poursuit notre petite existence en s'efforçant d'oublier que nous aussi, on arrive à la toute fin."). Si elle a conscience que le bout du chemin approche pour elle, cela ne l'empêche pas de profiter des plaisirs simples que la vie peut encore lui offrir et d'être très lucide sur les changements que la vieillesse provoque chez elle. 

"Un clafoutis aux tomates cerises" est le journal que Jeanne tient pendant un an, depuis le premier jour du printemps jusqu'à la fin de l'hiver suivant. Dans un style sans fioritures, elle y décrit son quotidien tranquille mais agréable, convoque ses souvenirs désormais adoucis par le passage du temps, confesse son égoïsme grandissant et ses difficultés lorsqu'on bouscule ses habitudes. Avec une totale absence de sentimentalisme, Véronique de Bure dresse le portrait nuancé et apaisant d'une nonagénaire à qui on aimerait tou(te)s ressembler plus tard.