dimanche 29 juillet 2018

"Birdcage castle" T1 & 2 (Minami Toutarou)


A la recherche d'une de leurs camarades mystérieusement disparue, six lycéens pénètrent dans un château en ruines au fond d'un parc d'attraction abandonné. Là, un personnage mystérieux, le Hibou Bleu, les enferme et les enchaîne par paires pour les forcer à participer à un jeu meurtrier. Deux règles seulement: les binômes ne peuvent jamais être brisés, et il leur est impossible de revenir en arrière. Mais s'ils font les bons choix et réussissent à le trouver, ils pourront sortir sains et saufs... 

Louchant fortement du côté des escape games (dont le concept fut développé au Japon bien avant d'arriver en Europe), "Birdcage Castle" est une série en 4 tomes, terminée dans son pays d'origine et en cours de parution en France. Si, comme moi, vous avez adoré le film "Cube" ou le manga "Dédale", vous devriez vous laisser happer très facilement par ce thriller psychologique. 

La résolution des énigmes et les impératifs de survie posent des dilemmes moraux intéressants, qui révèlent assez vite le vrai visage des personnages. Ceux-ci ne sont pas d'une immense originalité, mais étant donné leur nombre élevé et le format court de la série, il est assez logique que l'auteure ait misé sur des archétypes. Le graphisme est classique, ni sublime ni rebutant, avec des expressions faciales plutôt réussies et des décors sobres mais suffisants pour poser une atmosphère dérangeante. J'ai dévoré coup sur coup les deux tomes actuellement disponibles et attends maintenant avec impatience le troisième, prévu pour mi-septembre. 

jeudi 26 juillet 2018

"The lido" (Libby Page)


Rosemary, 86 ans, a vécu à Brixton toute sa vie, dans un petit appartement qui surplombe le lido où elle va encore nager chaque matin. Cette piscine de plein air, où se mélangent des gens de tous les âges et de toutes les origines, a été le témoin privilégié des grands événements de son existence. Ici mieux que n'importe où ailleurs, la vieille dame se sent proche de Georges, son époux bien-aimé emporté par une maladie peu de temps auparavant. 

Alors, quand la municipalité envisage de vendre le lido à une société immobilière qui souhaite le remplacer par des courts de tennis privés, Rosemary décide de mobiliser la communauté. Une gazette locale envoie une journaliste faire son portrait: Kate, 25 ans, qui se sent horriblement seule à Londres. Depuis qu'elle a débarqué dans cette ville pour y faire ses études, la jeune femme est régulièrement la proie d'horribles attaques de panique. Sa rencontre avec Rosemary et son implication dans le sauvetage du lido vont changer sa vie. 

"Le roman feel-good de l'été" - telle est la promesse avec laquelle m'a appâtée l'éditeur de Libby Page. Il ne mentait pas: "The lido" m'a donné envie de foncer à la piscine municipale, alors que je déteste l'eau à peu près autant que les gens. Oui, il est chouette à ce point. Vue à travers les yeux de la vieille dame désormais veuve, l'adorable histoire d'amour de Georges et Rosemary ferait envie au plus endurci des solitaires. Les portraits de nombreux personnages secondaires, chacun avec ses problèmes petits ou gros, sont autant de fils qui viennent colorer la tapisserie d'une communauté diverse et attachante. Maniant la nostalgie aussi bien que l'espoir, Libby Page signe là un premier roman ultra-touchant. 

mercredi 25 juillet 2018

"La vieille dame qui avait vécu dans les nuages" (Maggie Leffler)


A 87 ans, Mary Browning n'est plus qu'une vieille dame qui a perdu toute sa famille et dont les mains tremblent beaucoup. Mais pendant la 2ème Guerre Mondiale, elle s'appelait Miriam Lichtenstein et elle faisait partie du Women Airforce Service, un corps de femmes pilotes que l'armée américaine s'empressa de démantibuler quand ses hommes rentrèrent du front européen.

Un jour, une adolescente prénommée Elyse débarque dans l'atelier d'écriture que Mary dirige à Pittsburgh. Elle ressemble beaucoup à Sarah, la soeur défunte de la vieille dame. Apprenant que le gouvernement a l'intention de distribuer des médailles aux WASP survivantes, celle-ci se replonge dans les souvenirs de ce qui fut la période la plus heureuse de sa vie et demande à Elyse de l'aider à rédiger ses mémoires...

S'inspirant d'un fait historique peu connu - et néanmoins passionnant -, Maggie Leffler invente une héroïne romanesque à souhait, une âme rebelle qui va défier les conventions de son époque pour voler comme elle en rêve depuis l'enfance. Par la suite, hélas, son époque la rattrapera en la forçant à un choix cruel qui conditionnera le reste de son existence. "La vieille dame qui avait vécu dans les nuages" n'a pourtant rien d'une tragédie; c'est plutôt un roman feel-good facile à lire grâce à son écriture fluide et ses révélations habilement dosées. Le passé de Miri/Mary s'entremêle avec son présent, et la voix d'Elyse vient enrichir le tout avec ses préoccupations modernes. Un agréable roman de vacances.

Traduction de Florence Guillemat-Szarvas

lundi 16 juillet 2018

"Mimikaki" (Yarô Abe)


Au Japon, il existe des établissements où l'on peut se faire curer les oreilles la tête posée sur les genoux d'une femme, à l'aide d'un petit instrument appelé mimikaki. Au salon Yamamoto de Nakamachi, la douce Shizue procure à ses clients une volupté auriculaire sans pareille - au point que certains d'entre eux sont littéralement devenus accros...

Je suis très fan de la série "La cantine de minuit" de Yarô Abe. Alors, même si le thème de "Mimikaki" m'inspirait assez peu, je me suis laissée convaincre par les critiques dithyrambiques lues et entendues un peu partout. Et au final, comme je m'en doutais, je n'ai absolument pas accroché. 

D'abord, je ne suis pas fan d'histoires courtes; je ne les apprécie dans "La cantine de minuit" que parce qu'elles sont centrées autour de la nourriture,  (un sujet qui me parle toujours) et parce que, de chapitre en chapitre, on retrouve les mêmes personnages dont on suit ainsi l'évolution en filigrane. Rien de tel ici, et arrivée à la fin de ce recueil, le concept de volupté auriculaire me laissait toujours aussi perplexe. Question de culture, sûrement. 

Traduction de Miyako Slocombe

dimanche 15 juillet 2018

"Les Doldrums" (Nicholas Gannon)


Archer Helmsley, 11 ans, vit dans une maison haute et efflanquée dont il n'a pas le droit de sortir hormis pour aller à l'école: ses grands-parents explorateurs ont disparu dans l'Antarctique, et sa mère craint qu'il n'ait hérité de leur déplorable penchant pour l'aventure. Heureusement que le jeune garçon a toute une ménagerie empaillée pour lui tenir compagnie. Quand il se lie d'amitié avec ses voisins Oliver Glub, aussi intelligent que timoré, et Adélaïde Belmont, une danseuse dotée d'une jambe de bois, il décide de monter une expédition de sauvetage... 

Ce premier tome d'une série jeunesse qui en compte actuellement deux n'est pas du tout le trépidant roman d'aventure qu'on pourrait imaginer. Nicholas Gannon prend son temps pour camper ses protagonistes, développer l'amitié qui se tisse entre eux et dresser maints obstacles réalistes sur leur route. Malgré la scène d'action farfelue dont il gratifie le lecteur dans ses derniers chapitres, "Les Doldrums" est un roman essentiellement contemplatif et atmosphérique, rendu encore plus savoureux par les très belles illustrations qui émaillent ses pages. Je compte enchaîner très vite sur la suite

Traduction de Catherine Nabokov

jeudi 12 juillet 2018

"La course au bonheur" (Maggie Lehrman)


L'hékamie est devenue illégale depuis de nombreuses années. Ses pratiquantes, capables de créer pour leurs clients des sorts sur mesure qu'elles insèrent dans de la nourriture, sont désormais obligées de se cacher - et coupées du groupe qui assurait leur stabilité mentale, elles sombrent peu à peu dans la folie. A Cape Cod, pourtant, une vieille hékamiste reste plus que jamais sollicitée par la population locale.

Ari, ballerine de talent qui s'apprête à rejoindre une compagnie new-yorkaise, veut oublier son petit ami récemment décédé. Kay, dont le physique ingrat la condamne à la solitude, veut modifier son apparence et s'attacher des amis de manière à ce qu'ils ne puissent plus la quitter. Win veut se débarrasser de la dépression qui le ronge. Mais la magie a a toujours un prix...

Ne vous fiez pas à son titre un peu mièvre: "La course au bonheur" est un roman jeunesse plutôt noir, dans la lignée de "Nous les menteurs" ou "Les déviants". En s'appuyant sur les points de vue de quatre ados assez peu sympathiques, Maggie Lehrman tisse une histoire complexe faite de mensonges et de manipulations en cascade. Les personnages désirent tous trouver une échappatoire magique à leurs problèmes, sans se préoccuper le moins du monde des conséquences. Bien entendu, la combinaison de leurs égoïsmes respectifs va entraîner une conclusion dramatique.

Je n'ai pas raffolé de la traduction trop littérale à mon goût; pourtant, je n'ai pas pu lâcher le livre avant la fin tant je voulais voir de quelle façon les différents éléments allaient se combiner. J'ai beaucoup aimé aussi le concept de l'hékamie, l'idée que toute amélioration sur un plan donné doit se payer par une diminution dans un autre domaine, sans qu'il soit possible de choisir lequel. Et qu'à cause de cette magie, les protagonistes du roman ne peuvent faire confiance à rien ni à personne, pas même à leurs propres désirs. 

Traduction d'Antoine Pinchot

Merci à Casterman pour cette lecture

mercredi 4 juillet 2018

"Les jours de Vita Gallitelli" (Helene Stapinski)


Journaliste et écrivaine résidant dans le New Jersey, Helene Stapinski est depuis toujours très inquiète à l'idée de porter des gènes criminels qu'elle aurait pu transmettre à ses enfants. En effet, selon la légende familiale, son arrière-arrière-grand-mère Vita aurait fui le sud de l'Italie après avoir commis un meurtre; son grand-père Beansie a passé une bonne partie de sa vie en prison, et un de ses cousins est conseiller d'un parrain de la Mafia...

Helene finit par se rendre en Basilicate, la région d'origine de Vita, pour y mener elle-même son enquête. Elle découvre un lieu mal connu où régnait autrefois une pauvreté ahurissante, et que sa population a fui en masse au XIXème siècle. Si elle se heurte à la méfiance de certains autochtones, elle fait cependant des rencontres qui lui permettent de progresser dans ses  recherches. Les archives locales vont lui révéler une vérité bien différente de ce qu'elle imaginait, et qui changera à jamais sa conception d'elle-même.

Si on ignorait que "Les jours de Vita Gallitelli" est un mémoire, on n'aurait aucun mal à croire à une fiction tant l'histoire qu'il raconte est romanesque. C'est d'abord le sort qui s'acharne sur Helene, telle une malédiction lancée par une vieille sorcière pour la dissuader de remuer un passé honteux. Puis les heureux hasards qui lui ouvrent les bonnes portes et lui permettent de reconstituer peu à peu la vie mouvementée de son ancêtre. Le décor, cette Basilicate si méconnue et si rude, frappe particulièrement l'imagination, tout comme la reconstitution de la vie des paysans d'autrefois. En revanche, j'ai eu plus de mal avec les chapitres où l'auteure met Vita en scène comme si elle disposait de son journal intime ou de récits détaillés de l'époque - des extrapolations qui détonnent avec l'aspect par ailleurs purement documentaire de sa démarche. 

Traduction de Pierre Szczeciner

Merci aux éditions Globe pour cette lecture

mardi 3 juillet 2018

"Un petit carnet rouge" (Sofia Lundgren)


Au crépuscule de sa vie tumultueuse, Doris Alm, une Suédoise de 96 ans, décide de rédiger ses souvenirs pour l'unique famille qui lui reste: sa petite-nièce Jenny, qui vit aux USA. Pour ce faire, elle se base sur le carnet d'adresses que son père lui offrit autrefois et dans lequel elle a, au fil des ans, soigneusement barré le nom de ses connaissances au fur et à mesure que celles-ci décédaient...

Ce bouquin avait tout pour me plaire. L'histoire d'une femme forte et indépendante qui traverse le XXème siècle en s'expatriant plusieurs fois et en multipliant les rencontres; le petit carnet utilisé comme fil rouge et structure de la narration; un regard contemplatif et apaisé sur la fin de vie... Correctement employés, ces ingrédients pouvaient faire un vrai page turner. Hélas! La platitude du style de Sofia Lundgren n'a d'égale que la lourdeur des ficelles scénaristiques qu'elle emploie, des invraisemblances qu'elle multiplie et des poncifs dont elle abuse à longueur de chapitres. 

Mais le pire, c'est l'histoire d'amour qu'on nous vend comme merveilleuse et qui est un parfait exemple d'instalove, ce procédé insupportable selon lequel deux parfaits inconnus tombent amoureux au premier regard. Seules justifications à leur passion brûlante: l'homme "fait rire" la femme, et ils ne sont "jamais à court de sujets de conversation" (mais l'auteure se garde bien de donner le moindre exemple d'humour ou de préciser de quoi ils parlent ensemble). Ils filent le parfait amour pendant royalement quatre mois; puis le sort les sépare, et au lieu de passer à autre chose comme toute personne normalement constituée, ils continuent à soupirer l'un après l'autre pendant 70 ans. A ce stade, ce n'est plus du romantisme mais du gâtisme pur. Bref, après un démarrage prometteur, j'ai trouvé qu'"Un petit carnet rouge" s'envolait vers des sommets de ridicule. Ne faites pas comme moi: économisez 20€ et deux ou trois précieuses heures de vie en évitant de l'acheter. 

Traduction de Caroline Berg

lundi 2 juillet 2018

"Les Suprêmes chantent le blues" (Edward Kelsey Moore)


Cinq ans après la conclusion de "Les Suprêmes", nos trois héroïnes vivent toujours à Plainview, dans l'Indiana. Clarice est désormais séparée de son coureur de mari et mène la carrière de pianiste de concert dont elle a toujours rêvé. Odette s'est remise de son cancer et continue à parler aux fantômes de sa mère, de sa tante Marjorie et d'Eleanor Roosevelet. Barbara Jean file le parfait amour avec le Roi des P'tits Blancs et promène son élégance impeccable dans les couloirs de l'hôpital que sa fortune contribue à financer. 

C'est alors qu'un vieux chanteur de blues disparu depuis plusieurs décennies revient en ville pour chanter au mariage de Beatrice, la mère bigote de Clarice, avec Forrest, le tenancier du club de strip-tease local. Sa présence va faire ressurgir beaucoup de souvenirs douloureux, mais aussi donner à plusieurs des protagonistes une chance de faire la paix avec leur passé...

Je suis toujours un peu craintive quand un roman prévu pour être un one-shot connaît un tel succès populaire que son auteur finit par écrire une suite non prévue au départ. Comme il est censé avoir tout raconté dans son premier opus et tout résolu à la fin de celui-ci, souvent, il doit recourir à un procédé quelque peu artificiel pour lancer une nouvelle intrigue. Ici, c'est le retour d'Ed Walker, qui portait jadis un autre nom et fut une figure capitale dans la construction d'un des personnages originels. 

J'avoue avoir d'abord eu du mal à m'intéresser à ce musicien éternellement tourmenté par le démon de la drogue, un profil qui me semblait un peu trop archétypal. Je trouvais qu'on ne voyait pas assez les Suprêmes, alors que c'était pour elles que j'avais eu envie de lire le livre! Mais au fur et à mesure que les liens se révélaient et que le passé se apparaissait en filigrane, j'ai réalisé que sa présence apportait une épaisseur supplémentaire à l'histoire des trois femmes et de leur entourage immédiat. 

Par ailleurs, j'ai aimé retrouver ces héroïnes si différentes les unes des autres, et pourtant unies par une amitié indéfectible qui les aide à surmonter toutes les épreuves. Edward Kelsey Moore continue à doser habilement sujets graves et moments qui réchauffent le coeur, confrontations pénibles et scènes hilarantes en évitant les violons autant que la guimauve. "Les Suprêmes chantent le blues" n'est pas une suite indispensable. Mais si vous avez apprécié l'original, il devrait vous plaire quand même. 

Traduction d'Emmanuelle et Philippe Aronson

Merci aux éditions Actes Sud pour cette lecture

dimanche 1 juillet 2018

"Viens ici que je t'embrasse" (Griet Op de Beeck)


Sa mère dure et peu affectueuse meurt dans un accident de voiture quand elle n'a que neuf ans. Son père, un dentiste nettement plus investi dans son travail que dans sa famille, se dépêche de se remarier avec une jeune femme peu sûre d'elle-même, qui a constamment besoin d'être rassurée. Résultat: Mona grandit en essayant d'être l'enfant parfaite qui satisfait les désirs de tout le monde sans jamais faire de vagues. Devenue adulte, elle peine à s'affirmer aussi bien dans son travail de dramaturge pour un célèbre metteur en scène que dans le couple qu'elle forme avec un écrivain égocentrique de quatorze ans plus âgé qu'elle...

Dans la lignée de l'intimiste "Bien des ciels au-dessus du septième", "Viens ici que je t'embrasse" démonte la mécanique d'une famille un peu plus dysfonctionnelle que la moyenne, mettant en évidence la façon dont les défaillances parentales modèlent le caractère et les choix de l'héroïne jusque dans l'âge adulte. L'histoire se décompose en trois parties dans lesquelles on voit Mona d'abord âgée d'une dizaine d'années, puis de 24 et enfin de 35 ans, ce qui permet de suivre son évolution. Ca traîne parfois un peu en longueur, mais c'est toujours psychologiquement très fin et sans pathos, y compris dans la dernière partie où Mona se rapproche de son père mourant - et commence enfin à oser s'affirmer. Un portrait de femme tout en subtilité. 

Traduction d'Isabelle Rosselin

Merci aux éditions Héloïse d'Ormesson pour cette lecture