mardi 25 juin 2013

"Les lisières"


Tout semble pousser Paul Steiner aux lisières de sa propre existence: sa femme l'a quitté, ses enfants lui manquent, son frère l'envoie s'occuper de ses parents, son père ouvrier s'apprête à voter FN et un tsunami ravage le Japon, son pays de coeur. De retour dans la banlieue de son enfance, il n'aura d'autre choix que de se tourner vers son passé pour comprendre le mal-être qui le ronge. Comment devient-on un inconnu aux yeux de ses proches? Comment trouver sa place dans un monde devenu étranger? 

La quatrième de couverture aurait dû me mettre la puce à l'oreille: "Les lisières" ne s'annonçait pas comme un feel-good book. Et de fait, le narrateur est un type plutôt antipathique, écrivain nombriliste, intellectuel de gauche au jugement péremptoire, dépressif chronique qui ne parvient à s'impliquer dans rien, spectateur de sa propre vie. Ce qui sauve le roman, c'est d'une part son absence totale de complaisance vis-à-vis de lui-même, d'autre part le fait que ses analyses sont toujours très justes - d'une lucidité douloureuse quand il dissèque son propre fonctionnement, d'un bien-fondé irréfutable lorsqu'il parle classes sociales et crise économique. Tout le talent d'Olivier Adam consiste à mélanger les deux sujets de manière inextricable, dans un style prenant qui m'a fait dévorer presque d'un trait une autofiction de 500 pages au climat globalement plombant. Si vous aimez la littérature du très intime; si rien ne vous fascine autant que de plonger dans la psyché d'un personnage pour en explorer jusqu'aux recoins les moins joyeux, "Les lisières" est fait pour vous. 

mardi 4 juin 2013

"Confessions d'un automate mangeur d'opium"


C'est la beauté de ce livre en tant qu'objet qui a d'abord attiré mon attention: couverture et tranche dorées, papier crémeux... Et puis les romans steampunk français ne sont pas légion, surtout les romans steampunk français écrits par de très bons auteurs et possédant un titre aussi alléchant. Il me fallait ces "Confessions d'un automate mangeur d'opium", et j'ai profité des dernières Imaginales pour m'en procurer un exemplaire dédicacé. 

"Paris, 1889. Un monde en transition, où les fiacres côtoient les tours vertigineuses des usines. Une ville brumeuse envahie par les aéroscaphes, d'étranges machines volantes qui quadrillent le ciel, et des nuées d'automates cuivrés... C'est dans cet univers révolutionné par l'éther, la substance verte aux propriétés miraculeuses, que la comédienne Margaret Saunders doit résoudre le mystère de la mort de sa meilleure amie, tombée d'un aérocar en plein vol. Sur la piste d'un créateur de robots dément, Margo, secondée par Théo, médecin dans un asile d'aliénés, va découvrir au péril de sa vie les dangers cachés de l'envoûtante vapeur..."

D'un bout à l'autre, j'ai adoré ce roman très bien écrit. Les chapitres alternent le point de vue de Margo et celui de Théo, avec des voix tout à fait distinctes (et parfois une magnifique incohérence due au fait que les auteurs se sont probablement partagé les deux héros, mais ne chipotons pas). L'action ne faiblit presque jamais; on va de rebondissement en rebondissement. La sempiternelle histoire d'amour à l'eau de rose nous est épargnée, puisque Margo mène l'enquête avec son frère. J'ai beaucoup aimé cette héroïne, lesbienne intrépide et plein de ressources qui n'hésite pas à user de ses charmes sur les hommes pour parvenir à ses fins. L'atmosphère du Paris steampunk est extrêmement bien rendue, et le développement de toute la technologie basée sur l'éther pose, l'air de ne pas y toucher, la question du progrès scientifique: est-il souhaitable en toute circonstance et à tout prix? Bref, un divertissement de grande qualité.