samedi 28 décembre 2013

"Love saves the day"


Prudence, petite chatte tigrée trouvée dans un terrain vague, partage une vie heureuse et pleine de musique avec Sarah, sa Personne La Plus Importante, dans un quartier populaire de New York. Jusqu'au jour où Sarah ne rentre pas et où Laura, la fille avec qui elle avait des rapports tendus, vient vider son appartement. Bien qu'un peu réticente initialement, cette avocate carriériste emmène Prudence dans les beaux quartiers où elle s'est installée avec Josh, son mari tout neuf. Sarah avait dit un jour à Prudence qu'il fallait se souvenir des gens très fort pour les garder avec soi; alors, Prudence se retranche au milieu des quelques cartons qui contiennent les affaires marquées de l'odeur de Sarah dans l'espoir de la faire revenir... 

Ce livre choisi un peu au hasard chez Sterling Books parce que sa couverture avait attiré mon regard est définitivement ma grosse bonne surprise de fin d'année. Ne vous fiez pas au titre qui laisse présager un quotient cucuterie stratosphérique. Oui, "Love Saves the Day" est plein de bons sentiments, mais de ceux qui remuent en profondeur au lieu de rester dans la guimauve superficielle. Avec une tendresse immense, il parle d'un amour mère-fille brisé par un drame social puis par des années d'incompréhension; il parle de la douleur du deuil, mais aussi de son apaisement et des ponts qui peuvent être tissés par-delà la mort; il parle de lâcher prise et de trouver son chemin dans des circonstances difficiles. En prime, une chouette peinture des quartiers populaires de New York dans les années 70 et les réflexions souvent très drôles de Prudence sur la manière dont il convient de dresser les humains. Même quand c'est triste, ça fait du bien.

jeudi 26 décembre 2013

"Chute libre: carnets du gouffre"


C'est l'histoire d'une dépression qui frappe sans crier gare. Mademoiselle Caroline adore son boulot d'illustratrice, son grand mari barbu, leur petit garçon de 3 ans et le chalet où ils vivent, dans la région d'Annecy. Elle porte de jolies chaussures et fait toujours l'andouille. Pourtant, du jour au lendemain, elle bascule dans un gouffre béant. Et pendant les six années qui suivent, elle tente d'en sortir. Les anti-dépresseurs font effet, mais dès qu'elle les arrête, Mademoiselle Caroline replonge. Elle parvient la plupart du temps à donner le change à son entourage; d'ailleurs, a-t-elle le choix? Chaque fois qu'elle ose évoquer son mal-être, on lui répond qu'elle a "tout pour être heureuse". Oui, mais elle est le contraire d'heureuse. A son plus bas, elle envisage même de tuer ses enfants (entre-temps, son grand mari barbu et elle ont eu des jumeaux) et de se suicider. Elle suit des thérapies inefficaces avec 3 psys diférents avant de trouver la perle rare qui l'aide à reprogrammer son cerveau émotionnel et à guérir, enfin - tout en admettant qu'elle n'osera sans doute jamais se passer de ses cachets. Un récit très sincère et très juste, avec un graphisme simple mais une mise en page percutante, qui raconte extrêmement bien la difficulté à vivre prisonnier de son propre cerveau, que l'on soit dépressif ou angoissé chronique comme moi. 

lundi 16 décembre 2013

"Little fish"


Ramsey Beyer a grandi au sein d'une famille nombreuse dans la minuscule ville de Paw Paw, au coeur du Midwest américain. Elle connaît ses meilleures amies depuis toujours et adore la vie à la campagne. D'un autre côté, elle aspire à devenir artiste, rencontrer d'autres amateurs de punk et sortir de sa zone de confort pour mener une existence plus excitante. Alors, son diplôme d'études secondaires en poche, elle part étudier dans une école prestigieuse de Baltimore - où de gros poisson dans une petite mare, elle devient un petit poisson dans une grande mare.

A l'aide d'un mélange de listes, de collages et de dessins, elle évoque dans ce mémoire l'année charnière de ses 18 ans - le début de sa vie d'adulte. J'ai été particulièrement sensible à son impression d'être partagée entre deux endroits, chez elle dans son bled comme à la fac, à la fois toujours ravie de retrouver l'un ou l'autre après une absence, et toujours en train de soupirer après l'autre ou l'un quand elle n'y est pas. Si je ne suis pas fan de son graphisme naïf (le genre qui donne envie de dire "Non mais un gosse aurait pu faire ça!"), j'ai beaucoup apprécié son enthousiasme et son côté profondément sain. Ramsey est consciente de sa chance, toujours prête à se remettre en question pour évoluer, très fonceuse et amitié mais très hésitante en amour, et elle raconte tout ça avec une grande sincérité. Et puis en tant que maniaque des listes, je suis toujours très curieuse de voir celles que rédigent les gens atteints du même mal que moi: c'est toujours une excellente source d'inspiration!

dimanche 15 décembre 2013

"Deeply Odd"


Quand je pense que cette série avait si bien commencé! Le tome 1, absolument palpitant, nous présentait un des héros les plus attachants de la littérature moderne tous genres confondus. Hélas, la série a rapidement périclité par la suite, et cet avant-dernier tome (Dean Koontz avait annoncé qu'il y en aurait 7) est sans doute le pire de tous.

Plus vraiment d'intrigue ou d'enquête: Odd Thomas se laisse guider par son pouvoir qui lui indique une menace abominable et le conduit à la source de celle-ci. Systématiquement, il rencontre des gens beaucoup mieux informés que lui qui semblent n'avoir rien d'autre à faire que lui fournir argent, armes ou moyen de transport tout en demeurant mystérieux à souhait. 

Mais le pire, c'est la façon dont l'auteur assène ses opinions socio-politiques par la bouche d'un jeune cuisinier de 22 ans, garçon un peu naïf et profondément bienveillant dont on peine à croire qu'il puisse, par ailleurs, être aussi réac et commencer la plupart de ses réflexions par "De nos jours...". Certains dialogues restent des bijoux d'humour décalé; beaucoup trop d'autres sont de la pure propagande raciste, homophobe, anti-écologiste et anti-gouvernementale. Quant aux interminables et platissimes descriptions, j'en ai sauté une grande partie tant je m'ennuyais. 

J'achèterai sans doute le tome 7 quand même, pour voir où Dean Koontz tentait de nous mener, en espérant que ça en vaille la peine - et aussi parce que l'histoire devrait se dérouler à Pico Mundo, où j'espère retrouver les personnages que j'avais tant aimés dans le tome 1. Mais ce sera la dernière fois que je lirai quelque chose de cet auteur. 

samedi 7 décembre 2013

"The ocean at the end of the lane"


Revenant pour assister à des obsèques dans la petite ville où il a passé son enfance, un homme se sent attiré vers la ferme où vivait autrefois son amie Lettie Hempstock. Derrière la bâtisse s'étend une mare que la fillette nommait "océan". Alors qu'il la contemple, l'homme se souvient tout à coup de l'aventure incroyable et terrifiante qui lui est arrivée l'année de ses sept ans... 

"The ocean at the end of the lane" avait a priori tout pour me plaire. Je suis depuis plus de vingt ans fan de l'imaginaire et de l'écriture de Neil Gaiman. Je considère "Neverwhere" et "American Gods" comme de véritables chefs-d'oeuvre de la littérature - pas de la fantasy, mais de la littérature tout court. Et puis, la dissociation entre enfance et âge adulte, c'est un thème qui me parle très fort, tout comme l'impuissance des enfants face à la cruauté des adultes et du monde en général. 

Pourtant, j'ai eu l'impression de survoler "The ocean at the end of the lane" sans jamais m'y immerger vraiment (ha ha). Peut-être à cause de sa brièveté et de la simplicité de son intrigue. Peut-être à cause de son décor champêtre: j'ai bien plus d'affinités avec les histoires urbaines. Peut-être parce que pour m'inspirer de l'effroi, une créature doit se rattacher à une mythologie bien définie et non pas être une entité sortie d'on ne sait où, on ne sait quand, on ne sait pas trop pourquoi. Seule la fin surprenante, magnifique de maîtrise narrative, a réellement su me toucher. 

mercredi 4 décembre 2013

"Lady Hunt"


"Laura Kern est hantée par un rêve, le rêve d'une maison qui l'obsède, l'attire autant qu'elle la terrifie. En plus d'envahir ses nuits, de flouter ses jours, le rêve porte une menace: se peut-il qu'il soit le premier symbole du mal étrange et fatal qui frappa son père, l'héritage d'une malédiction familiale auquel elle n'échappera pas?"

Le grand roman gothique anglais réinventé entre Paris, un village breton et la lande galloise - voilà qui semblait prometteur. Et pendant la première centaine de pages, j'ai nourri de grands espoirs pour "Lady Hunt". Bien écrit, il dégageait un charme envoûtant qui donnait envie de percer ses mystères. Hélas! Il n'a pas tardé à s'enliser. Entre les descriptions répétitives de grandes demeures bourgeoises toutes vivantes et atteintes d'un mal surnaturel, les rêves de Laura qui se ressemblent tous et ne font pas tellement avancer l'intrigue, le très beau poème de Tennyson martelé toutes les 3 ou 4 pages (en VO sauf à la fin, merci pour les lecteurs non anglophones...), et une héroïne que seuls définissent ses souvenirs et sa peur de tomber malade, j'ai vite commencé à m'ennuyer. Les chapitres courts, pas toujours très explicites et sautant souvent du coq à l'âne, donnent à l'ensemble un côté destructuré que je n'ai pas apprécié, moi qui aime sentir où un auteur m'emmène. L'envie de savoir de quoi il retournait m'a quand même poussée à continuer jusqu'à une fin insatisfaisante - trop abrupte et qui laisse beaucoup de questions en suspens. Bref, une lecture frustrante qui ne tient pas ses promesses initiales.

Note: 12/20

Roman lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire Price Minister

"Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes?"


Après le magnifique "Lydie", Zidrou nous revient avec une deuxième histoire d'enfant adulte "pas comme les autres" sur lequel un parent seul veille avec courage, abnégation et le soutien d'un entourage bienveillant. Ici, c'est Mme Hubeau, une retraitée à cheveux blancs qui s'occupe de son fils handicapé mental depuis un accident de voiture.

Michel adore jouer au Puissance 4, surtout contre son gentil cousin Philippe - tellement distrait qu'il se fait battre à chaque fois; il pique une crise quand son T-shirt "Hippie Papy", à l'effigie de son héros de télévision préféré, n'est pas propre et bien plié sur sa chaise le matin; comme il déteste le vent, il refuse d'aller au bord de la mer et noue toujours sa capuche un peu trop serré. C'est un enfant, mais un enfant de 40 ans qui pèse plus de 100 kilos et ne deviendra jamais autonome.

Quant à sa mère... Le jour où elle croise l'ancienne petite amie de Michel, qui lui demande des nouvelles, elle lui répond: "Michel vit sa vie, avec ses petites joies et ses grandes peines". "Et vous?" s'enquiert l'ex-petite amie. "Moi aussi, je vis sa vie", lâche Mme Hubeau très simplement et très dignement. La vieille dame n'est pas une martyre; elle aime sincèrement son "gros bonhomme en chocolat", et quand elle tente de partir en vacances sans lui, elle ne peut s'empêcher de rentrer plus tôt que prévu pour le retrouver. Mais elle ne rajeunit pas, et la question de l'avenir de Michel commence à se poser...

Dans de petites séquences courtes, les auteurs de "Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes?" montrent les moments émouvants ou difficiles du quotidien de Michel et de sa mère. C'est bourré d'humanité, ni naïf ni misérabiliste, et ça réchauffe le coeur en même temps que ça le serre.

mercredi 27 novembre 2013

"Esprit d'hiver"


Le matin de Noël, Holly se réveille avec le sentiment d'avoir eu une révélation très perturbante dans son sommeil. Elle aimerait prendre le temps de la coucher sur papier pour ne pas l'oublier, mais voilà: il est déjà tard, et ses invités vont bientôt arriver pour le déjeuner. Son mari Eric file à l'aéroport chercher ses parents. Mais le blizzard se lève; la neige bloque la voiture contenant sa belle-famille et pousse les autres convives à se décommander. Holly se retrouve seule chez elle avec Tatiana dite "Tatty", superbe adolescente de 15 ans qu'elle a adoptée en Sibérie. La mère ressasse des pensées confuses; la fille a un comportement étrange. Quelque chose cloche profondément dans cette maison, mais quoi?

Laura Kasischke fait partie des écrivains que j'apprécie au point de me dire régulièrement que je devrais explorer l'ensemble de leur bibliographie. Les matchs de la rentrée littéraire Price Minister m'ont permis de lire sa dernière parution en français. Comme tous les autres romans de l'auteur, "Esprit d'hiver" décortique la psyché de sa protagoniste de façon très intime - mais aussi biaisée, ménageant une grosse surprise pour la fin. Malgré la poésie du style, une inquiétude diffuse ne tarde pas à sourdre de chaque page. Les scènes du quotidien suscitent un trouble difficile à expliquer, qui joue avec les nerfs du lecteur. Ici, cette impression est encore renforcée par la neige qui isole Holly et Tatiana un jour où les réjouissances familiales sont habituellement de mise. Petit à petit, on découvre le passé douloureux de Holly et les circonstances particulières qui ont présidé à l'adoption de sa fille. Le malaise croît et se précise jusqu'à une conclusion qui coupe le souffle. Mon seul bémol - et ce n'est pas la première fois que je me fais cette réflexion -, c'est que l'écriture particulière de Laura Kasischke est très difficile à transposer en français, notamment pour les dialogues qui sonnent faux dans notre langue. Mais c'est peut-être mon métier qui me rend difficile!

Note: 17/20

mercredi 20 novembre 2013

"Les petits pains de la pleine lune"


"Comme dans toute bonne boulangerie-pâtisserie, il y en a pour tous les goûts dans ce petit livre: du mystère, des choses graves, de l'humour (noir), de la tendresse (cachée). Le héros est un jeune garçon coréen. Sa mère s'est suicidée quand il était enfant et sa belle-mère le harcèle moralement. Un jour, il s'enfuit de chez lui et trouve refuge dans une pâtisserie, lui qui n'était pourtant pas fan de gâteaux! Là, il fait la connaissance d'une fille pas comme les autres, Oiseau-Bleu, et d'un pâtissier un peu sorcier. Car dans cette boutique vraiment banale en apparence, on confectionne des gâteaux aux pouvoirs étonnants qui sont vendus sur internet. Mais attention! N'oubliez pas que la magie peut toujours se retourner contre vous."

De la bouffe et de la magie. Comment aurais-je pu résister à une telle promesse? Pourtant, "Les petits pains de la pleine lune" m'a surprise par sa noirceur. Le héros mène une vie difficile, et sa rencontre avec le magicien créateur de gâteaux qui changent le cours des choses va lui apprendre qu'on ne peut rien faire pour modifier son destin - voire qu'en essayant, on réussit juste à aggraver la situation. "La plupart des gens acceptent ce que la vie leur réserve: les blessures, la perte de leur logement, les conflits. Aussi me suis-je abstenue d'assaisonner mon roman de notes optimistes, comme la guérison, la réconciliation ou l'espoir en l'avenir", écrit l'auteure à la fin de son roman. Euh. OK. C'est donc un peu le contraire d'un feel-good book. Pourtant, je l'ai lu très vite et beaucoup aimé, sans doute pour son côté fantastique qui m'a fait visualiser des personnages et des décors sortis tout droit d'un manga de Clamp. Malgré des événements dérangeants, le mélange de sordide et de merveilleux m'a laissé en bouche un goût sans doute aussi particulier que celui des étranges pâtisseries de Wizard Bakery. Une lecture à part.

mardi 19 novembre 2013

"Andrea's book: carnets du quotidien"


Alors que je me baladais dans le Drugstore Publicis pour tuer un quart d'heure avant un rendez-vous, mon regard a été attiré par la couverture d'un livre qui ressemblait fort à un carnet Moleskine - même format, même élastique de fermeture. Des petits carreaux, une chaussure à bride verte, un jouet pour chat. Intriguée, j'ai feuillé l'objet... et je l'ai immédiatement emporté à la caisse. 

Andrea Joseph est galloise et illustratrice autodidacte. Ce qui dégoûte un tout petit peu quand on voit la beauté et la minutie de ses croquis. Mais plus que par sa virtuosité technique, j'ai été séduite par le regard qu'elle porte sur le quotidien et sa façon de le documenter (une de mes marottes, au cas où vous ne vous en seriez pas aperçus). Je suis particulièrement fan de ses portraits de chaussures - je me suis jadis risquée à l'exercice, certes avec beaucoup moins de talent -, de ses collections de petits objets et de ses intérieurs en perspective bizarre qui me font un peu penser à ceux de Florent Chavouet. Une très jolie découverte à prolonger (ou à anticiper!) sur le blog de l'auteur.

dimanche 10 novembre 2013

"Instructions for a heatwave"


Pendant la canicule de l'été 1976, en Angleterre, le père d'une famille d'immigrés irlandais disparaît sans laisser de traces. Les trois enfants rentrent au bercail de plus ou moins bonne grâce afin d'entourer leur mère. Michael Patrick, l'aîné, a épousé sa petite amie parce qu'elle était enceinte et dû renoncer à son doctorat d'histoire. Aujourd'hui, il végète dans un boulot de prof, et sa femme se désintéresse complètement de lui. Monica, la cadette, est mariée en secondes noces à un antiquaire bien plus vieux qu'elle qui l'a emmenée vivre à la campagne où elle s'ennuie profondément; en outre, elle ne parvient pas à se faire accepter de ses deux belles-filles. Aoife, la benjamine, est partie s'installer à New York des années auparavant afin que personne ne découvre le secret qu'elle cache depuis sa petite enfance. Devenue l'assistante d'une photographe célèbre, elle vit dans la crainte permanente d'être démasquée...

J'avais lu et adoré les trois premiers romans de Maggie O'Farrell ("After You'd Gone", "My Lover's Lover" et "The Distance Between Us"); avec le recul, je ne sais plus bien pourquoi j'ai cessé de suivre cette auteure. Mais après avoir découvert Stewart O'Nan cet été, je suis frappée par les similitudes de leur style: cette façon de rentrer dans la tête de gens proches les uns des autres pour décortiquer leurs rapports, cette sensibilité dans la façon de décrire le quotidien, cet art de tenir le lecteur en haleine des centaines de pages durant sans qu'il se passe grand-chose. La spécificité de Maggie O'Farrell, c'est que ses personnages protègent généralement un secret ou cherchent à en découvrir un, ce qui les isole et les tourmente.  "Instructions for a Heatwave" ne fait pas exception à la règle. Si son thème familial m'a moins touchée que ceux des précédents romans de l'auteure, j'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir la belle écriture intimiste de Maggie O'Farrell.

jeudi 7 novembre 2013

Les carnets de Cerise, tome 2: "Le livre d'Hector'


Cerise vient de finir l'école primaire. Pendant le mois de juillet, ses amies Line et Erica partent en vacances tandis que la fillette reste à la maison avec sa maman célibataire. Désoeuvrée, elle se met en quête d'un nouveau mystère à résoudre et croit le trouver en la personne d'une vieille dame qui, chaque mardi à 15h, prend le bus avec toujours le même livre qu'elle réemprunte à la bibliothèque d'une semaine sur l'autre...

Pas facile d'enchaîner après un tome 1 aussi réussi que "Le zoo pétrifié", mais Joris Chamblain et Aurélie Neyret s'en tirent très honorablement avec "Le livre d'Hector". Cette fois encore, leur jeune détective va rendre le sourire à une personne âgée prisonnière de sa tristesse et de ses souvenirs. Ce ne sera pas sans conséquence pour ses relations avec son entourage, qui se sent utilisé et trahi. Malgré ses bonnes intentions et son grand coeur, Cerise peut être obnubilée par son objectif jusqu'à faire souffrir les gens qu'elle aime... mais cette fillette attachante est aussi capable de trouver le courage nécessaire pour présenter des excuses à ceux qu'elle a blessés. Ainsi les auteurs nous offrent-ils une jolie leçon de vie en plus d'une aventure touchante. 

Du point de vue graphique, l'émerveillement reste intact. Aurélie Neyret crée un univers visuellement chaleureux dans lequel on a envie de se perdre. On aime retrouver les extraits du journal de Cerise, son écriture d'enfant, ses collages et ses gribouillages rigolos. Les deux tomes de cette série sont une vraie réussite qui devrait figurer en tête de votre liste de cadeaux de Noël si vous avez dans votre entourage des enfants d'une dizaine d'années amateurs de lecture.

dimanche 27 octobre 2013

"L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea"




Avec sa couverture qui fait saigner les yeux, ce premier roman d'un ancien DJ-traducteur-steward et actuellement lieutenant de police en région parisienne est un peu l'OVNI de la rentrée littéraire 2013. Au 10 octobre, lorsque je l'ai acheté à la faveur d'une dédicace chez Filigranes, il en était déjà à sa 10ème réimpression, et plusieurs boîtes de prod se battaient pour acheter les droits d'adaptation au cinéma. Quand j'ai entendu Romain Puértolas - un type charmant, très propre sur lui et débordant de gentillesse - expliquer qu'il l'avait écrit sur son smartphone en 3 semaines, pendant ses trajets quotidiens en RER pour se rendre à son travail, j'ai commencé à avoir peur. J'ai pensé que le phénomène littéraire du moment était sans doute une énorme bouse dopée aux bons sentiments, et que j'allais m'ennuyer ferme. 

"L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, c'est une aventure rocambolesque et hilarante aux quatre coins de l'Europe et dans la Libye postkadhafiste, une histoire d'amour plus pétillante que le Coca-Cola, mais aussi le reflet d'une terrible réalité: le combat que mènent chaque jour les clandestins, ultimes aventuriers de notre siècle", affirme l'éditeur. Rocambolesque assurément, puisque le héros poursuivi par un Gitan qu'il a arnaqué se retrouve ballotté malgré lui d'un pays à l'autre dans des véhicules aussi divers qu'une armoire Ikea, une malle Vuitton ou une montgolfière qui fera naufrage. En chemin, il se lie d'amitié aussi bien avec des clandestins soudanais qu'avec une star du cinéma, rencontre l'amour devant une assiette de boulettes suédoises et écrit un roman à l'aveuglette dans la soute d'un avion. 

Hilarante, par contre... bof. J'ai trouvé l'humour souvent forcé: "Marie, de son côté, reposa le combiné, comme nous l'avons déjà dit, dévorée par les flammes d'un feu sauvage, phrase qui ne veut pas dire grand-chose mais possède une force littéraire métaphorique des plus efficaces, ainsi qu'une allitération en "f" non négligeable." Et puis tous ces noms étrangers basés sur des jeux de mots, c'est d'une lourdeur! Le style, empreint de la maladresse d'un auteur débutant, aurait gagné à être quelque peu remanié en aval de la chaîne de production éditoriale. En pensée, j'ai souvent saisi mon crayon rouge pour corriger une phrase grammaticalement incorrecte, supprimer des répétitions ou rectifier des choix de verbes malencontreux. 

Quant aux bons sentiments, en effet, ce roman en déborde. Mais est-ce forcément un mal? Je ne le pense pas. Au milieu d'une histoire dont la tonalité se veut globalement drôle et légère, la question des immigrants illégaux est abordée sans sensiblerie excessive, avec une humanité et une bienveillance dont de nombreuses personnes feraient bien de s'inspirer actuellement. Rien que pour ça, je comprends et me réjouis du succès de "L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea".

mardi 22 octobre 2013

"L'éveil de mademoiselle Prim"


Pour me vendre un bouquin dont je n'ai jamais entendu parler, c'est très simple, il suffit de mettre des livres sur la couverture et de me dire que ça se passe dans une bibliothèque ou une librairie. Si en plus, on me promet un feel-good book, je ne peux absolument pas résister quel que soit l'état de ma PAL et de mes finances. 

"Cherche esprit féminin détaché du monde. Capable d'exercer fonction de bibliothécaire pour un gentleman et ses livres. Pouvant cohabiter avec chiens et enfants. De préférence sans expérience professionnelle; Titulaires de diplômes d'enseignement supérieur s'abstenir."
Mademoiselle Prim ne répondait qu'en partie à ce profil: bardée de diplômes et sans aucune expérience des enfants et des chiens. Elle est engagée et, après quelques heurts avec son employeur, un homme aussi intelligent et cultivé que peu délicat, elle découvre le style de vie et les secrets des habitants de Saint-Irénée d'Arnois. Mademoiselle Prim tombe très vite sous le charme de ce village hors normes où les voisins s'adonnent à leur passion et où l'intérêt de la communauté prédomine. Pour eux, le temps n'a pas d'importance et la littérature ne sert qu'à s'épanouir...

Si j'ai lu très vite ce premier roman de l'Espagnole Natalia Sanmartin Fenollera, je l'ai aussi refermé avec des sentiments partagés. De "L'éveil de mademoiselle Prim", j'ai apprécié la peinture de Saint-Irénée d'Arnois, village à l'atmosphère douillette, bienveillante et cultivée où j'ai eu aussitôt envie d'emménager, le niveau de vocabulaire bien au-dessus de la moyenne (j'ai appris plusieurs mots!) et le fait que l'auteur flirte avec la possibilité d'une histoire d'amour pour finalement y renoncer d'une manière que j'ai applaudie à deux mains. J'ai moins aimé le personnage de mademoiselle Prim, dont la délicatesse anachronique qui m'avait séduite au premier abord se révèle au fil des pages une raideur de l'esprit assez peu sympathique, et certaines déclarations sur la condition féminine qui m'ont carrément fait bondir. Néanmoins, je prescrirais volontiers ce roman à qui cherche une lecture idéale pour accompagner un jour de neige, un feu de cheminée et une tasse de chocolat chaud.

samedi 12 octobre 2013

"Venetian stories"


"Venetian stories" n'est ni tout à fait un roman, ni tout à fait un recueil de nouvelles. Chacun de ses chapitres, portant l'intitulé d'une profession ou d'une occupation sociale, brosse le portrait d'un Vénitien d'origine, d'adoption ou même de passage. Nous suivons tour à tour un facteur, un architecte, une collectionneuse, une comtesse, un maçon, un touriste, le maire de la ville, un gondolier, une mère de famille... Ainsi Jane Turner Rylands nous présente-t-elle l'ensemble des facettes de la Cité des Doges, de la plus populaire à la plus huppée. Sa vraie bonne idée, c'est de faire s'entrecroiser les trajectoires de tous les personnages, de sorte que l'histoire des uns éclaire celle des autres, et que le dernier chapitre referme la boucle d'une manière joliment ironique. Si son style m'a paru appliqué, parfois à la limite du scolaire, j'ai apprécié les quelques retournements de situation dont elle sait ne pas abuser et dont l'esprit rappelle un peu les romans d'Edith Wharton.

Pour le reste, c'était un vrai bonheur de découvrir "Venetian stories" alors que je me trouvais très exactement aux endroits évoqués par l'auteur, ou que j'y étais passée un peu plus tôt dans la journée. Cette complémentarité lecture/voyage m'a enchantée au point que j'envisage la création d'une liste de romans à lire pendant qu'on séjourne dans telle ou telle ville...


 Dans la cour du Palais des Doges

Au café Florian

mercredi 9 octobre 2013

"Avant d'aller dormir"


Je ne suis pas très polar, mais quand je lis plusieurs bonnes critiques d'un même roman, il m'arrive de faire une petite incursion dans le genre. C'est ainsi que j'ai découvert et adoré "Les apparences" de Gillian Flynn. Et c'est pour ça que j'ai acheté et lu "Avant d'aller dormir". 

Christine se réveille dans une maison qui n'est pas la sienne, à côté d'un homme qu'elle ne connaît pas. Elle croit avoir une vingtaine d'années, mais en se regardant dans le miroir de la salle de bain, elle constate qu'elle approche plutôt de la cinquantaine. L'homme s'appelle Ben. Il lui annonce qu'ils sont mariés depuis longtemps, mais qu'un accident de voiture a laissé Christine amnésique. Chaque nuit, ses souvenirs de la journée écoulée s'effacent, et le lendemain matin, elle doit tout reprendre à zéro. Un peu plus tard, alors que Ben est parti au travail, Christine reçoit un coup de fil du Dr Nash. Celui-ci lui révèle qu'elle suit une thérapie et tient un journal dans lequel, chaque soir, elle consigne ce qui lui arrive. En lisant ce journal, Christine se rend bientôt compte que Ben lui ment sur de nombreux points... Le fait-il pour la protéger, pour se protéger lui-même ou pour une autre raison plus sinistre? 

Ce que j'ai préféré dans ce roman, c'est l'exploration du thème de la mémoire, un de mes préférés en littérature. "J'ai pensé à la fin de ma vie. A quoi ressemblera ma vieillesse? Vais-je me réveiller sans savoir que mes os sont vieux, mes articulations raides et douloureuses? Je n'arrive pas à imaginer comment je supporterai de découvrir que ma vie est derrière moi, qu'elle s'est déjà déroulée et qu'il n'en reste pas une trace. Pas de coffre aux trésors plein de souvenirs, pas la moindre richesse issue de l'expérience, pas de sagesse accumulée à transmettre. Que sommes-nous d'autre que la somme de nos souvenirs?" Christine se retrouve dans une situation aussi frustrante que poignante; l'auteur retranscrit à merveille ses questionnements et ses dilemmes. Qui peut-elle croire alors que son mari ne lui dit pas la vérité? Alors que les rares images du passé qui lui viennent en tête sont peut-être issues de son imagination plutôt que de sa mémoire défaillante? Alors que les avertissements qu'elle s'adresse à elle-même au travers de son journal pourraient être uniquement motivés par sa paranoïa? 

Ce que j'ai moins aimé, c'est le rythme très lent de la narration, induit par le sujet même. Chaque matin, Christine redécouvre sa vie et passe en revue les éléments déjà évoqués les jours précédents. J'avoue m'être ennuyée parfois, et avoir lu en diagonale certains passages qui ne contenaient aucune révélation. La fin m'a paru assez peu prévisible, non parce que géniale, mais parce que franchement improbable. L'un dans l'autre, le scénario d'"Avant d'aller dormir" n'est pas haletant, et j'ai été plus intéressée par la lutte de l'héroïne pour reconquérir sa mémoire que par la découverte de la vérité concernant son histoire. Mais je suis sûrement un public difficile...

vendredi 20 septembre 2013

"Le restaurant de l'amour retrouvé"


Un soir, alors qu'elle rentre du restaurant turc où elle travaille comme cuisinière, Rinco trouve son appartement complètement vide. Son petit ami indien, avec qui elle vivait depuis 3 ans, est parti en emportant toutes leurs affaires et sans même laisser un mot d'explication. Par chance, la saumure que Rinco a héritée de sa grand-mère - son bien le plus précieux - était cachée dans le compteur électrique.

Sa jarre sous le bras, la jeune femme que le choc a rendu muette rentre dans le village de montagne où elle a grandi et qu'elle n'avait pas revu depuis dix ans. Elle y retrouve sa mère, personnage fantasque qui a adopté un cochon en guise d'animal domestique, papy hibou qui hulule toujours à minuit précise, et son vieil ami Kuma qui était autrefois le concierge de son lycée. Et parce qu'il faut bien qu'elle gagne sa vie, Rinco décide de réaliser son rêve: ouvrir un restaurant. Mais un restaurant très particulier, qui ne servira qu'une seule table par jour et dont le menu sera composé en fonction des convives...

Sympathique découverte que ce premier roman d'Ito Ogawa. Le thème de la cuisine thérapeutique, à la fois pour celui qui la prépare et celui qui la mange, ne pouvait que me séduire. Devant ses fourneaux, Rinco trouve un sens à sa vie et exauce les voeux de ses clients. Son retour à la maison va également lui permettre d'éclaircir le mystère de ses origines, de comprendre l'histoire sous-jacente de sa famille de femmes et de construire un pont entre elle et sa mère. Dommage que l'écriture de l'auteur, bien que marquée par la pudeur qui caractérise beaucoup d'écrivains japonais, manque de la subtilité et de la poésie qu'on retrouve chez sa célèbre homonyme Yoko. J'ai trouvé son style un peu pauvre et malheureusement pas à la hauteur d'une histoire qui, mieux racontée, aurait pu devenir vraiment magique.

mercredi 18 septembre 2013

"Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage"


"On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Lorsque son ex-femme Geraldine disparaît, Ethelred décide de mettre à profit ses talents de détective pour la retrouver. Petit problème: les connaissances en criminalité d'Ethelred, écrivain professionnel, proviennent de romans policiers tout droit sortis de son imagination qui, depuis un moment, s'est elle aussi volatilisée. Quoi de mieux, pour retrouver l'inspiration, qu'une enquête grandeur nature? De fausses pistes en révélations renversantes, la réalité dépasse de loin la fiction..." 

Ce petit bouquin à la couverture rétro et au titre à rallonge m'a immédiatement inspiré un mélange de curiosité et de méfiance. Il m'a suffi de parcourir ses trois premières pages pour savoir que j'allais beaucoup l'aimer. L'histoire est narrée tour à tour par Ethelred Tressider, personnage un peu fallot sauvé par son humour typiquement anglais, et Elsie Thirkettle, son agent littéraire aux tenues extravagantes et au franc-parler réjouissant. 

"Elle est aussi très honnête dans ses critiques.
- C'est de la merde.
- Tu pourrais être un peu plus précise? 
- C'est de la merde de chien. 
- Je vois, répondis-je en tripotant le manuscrit posé sur la table entre nous. 
C'était seulement le premier jet de quelques chapitres, mais j'avais espéré qu'ils seraient universellement salués comme un chef-d'oeuvre. 
- Laisse le polar littéraire à Barbara Vine, nom d'une pipe. Ce n'est pas ton truc. Ou, si tu préfères, elle sait y faire, pas toi. C'est suffisamment précis à ton goût, ou tu veux que je te le brode au point de croix sur un cache-théière?"

Accro au chocolat et épouvantablement sans-gêne, Elsie m'a fait hurler de rire d'un bout à l'autre de cette enquête dans laquelle elle s'incruste sans qu'Ethelred parvienne à la déloger. Il n'y a qu'une seule personne au monde qu'elle aime moins que les auteurs, et c'est justement Geraldine, qu'elle surnomme "la Salope". Si j'avais la place et si je ne craignais pas de vous spoiler, je vous citerais l'intégralité de ses répliques tant je les trouve savoureuses.

Quant à l'enquête à proprement parler... La grosse ficelle m'est apparue dès les premiers chapitres, sans doute parce qu'à cause de mon métier, j'ai l'habitude de faire très attention au choix des mots employés (ou pas) par un auteur. Il me semble que tous les amateurs de romans policiers devineront rapidement de quoi il retourne. Mais même privée de suspens, j'ai pris un énorme plaisir à dévorer cet "Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage" quasiment d'une traite: il est drôle, bien traduit, et égratigne la profession littéraire d'une façon que j'ai trouvée tout à fait jubilatoire.

Les aventures d'Ethelred se poursuivent dès demain dans "Homicides multiples dans une auberge miteuse des bords de Loire". Pourvu qu'Elsie soit toujours de la partie!

lundi 9 septembre 2013

"Chroniques de la vigne"


Dans le sillage du succès inattendu remporté par "Les ignorants" d'Etienne Davodeau, l'an dernier, les rayons des librairies ont vu fleurir tout un tas de bédés consacrées au vin. Généralement, je ne leur jette qu'un regard distrait. Mais cette fois, c'est Fred Bernard qui s'y colle, et comme je suis fan des aventures de Jeanne Picquigny, j'ai été incapable de résister à l'achat de ses "Chroniques de la vigne".

Issu d'une famille de vignerons bourguignons, l'auteur retranscrit ici ses conversations avec son grand-père, le nonagénaire aux 40 000 bouteilles bues dans sa vie ("Ca ne fait qu'un peu moins de deux par jour", se défend-il.) Encore bon pied bon oeil, le vieil homme plein de malice parle du travail de la vigne, fustige le snobisme de certains amateurs et relate une foule d'anecdotes liées au vin - certaines drôles, d'autres touchantes voire tragiques. Entre ses histoires, Fred Bernard intercale des aquarelles pleine page réalisées dans les coteaux de son village natal de Savigny-lès-Beaune. Une bédé qui fleure bon le terroir, et qui se savoure à petites gorgées comme un bon cru.

dimanche 8 septembre 2013

"Stars of the Stars" T1


J'aime bien Joann Sfar et Pénélope Bagieu séparément, aussi étais-je curieuse de ce qu'ils pourraient produire ensemble. 

"Stars of the Stars" est une histoire déjantée d'aliens qui, considérant la Terre comme un obstacle gênant sur leurs routes commerciales, décident de la faire exploser purement et simplement. Mais avant ça, ils enlèvent sept danseuses censées les représenter à un concours intergalactique. Problème: elles sont toutes nulles, et la plupart ne s'entendent pas du tout entre elles, si bien que ça devient rapidement le bordel à bord du vaisseau spatial...

Malgré ma curiosité initiale, "Stars of the Stars" ne m'a pas convaincue. Je n'ai pas été sensible à son humour vaguement trash, ni séduite par ses personnages de danseuses calamiteuses et toutes plus ou moins hystériques. Reste l'originalité d'une histoire rondement menée, mais je doute qu'elle suffise pour m'inciter à poursuivre la série.

samedi 7 septembre 2013

"Nos plus beaux souvenirs"


Pendant les vacances, j'ai lu et adoré "Emily", beau portrait de femme seule au crépuscule de sa vie. Du coup, j'ai eu envie de découvrir le roman auquel il faisait suite, et dont l'action se déroule quelques années plus tôt, juste après la mort de l'époux d'Emily. Toute la famille se retrouve une dernière fois dans la maison au bord du lac de Chautauqua, où les Maxwell passaient leurs vacances depuis plusieurs décennies et qu'Emily a décidé de vendre. Une semaine durant, nous suivons tour à tour chacun des protagonistes: Emily, sa belle-soeur Arlene, ses enfants Margaret et Kenneth, sa bru Lise, ses petits-enfants Sarah, Justin, Ella et Sam. La pluie s'en mêle, limitant les activités et favorisant les ruminations nostalgiques sur le passé ou inquiètes quant à l'avenir.

Stewart O'Nan a un incroyable talent pour disséquer les gestes les plus banals, mettre à jour les motivations les moins évidentes et retranscrire quasiment mot pour mot, émotion pour émotion la chaîne de pensées de ses personnages. Au fil des 600 pages de "Nos plus beaux souvenirs", il tisse avec une patience infinie la toile des rapports humains entre les membres de la famille Maxwell - des gens à la fois parfaitement ordinaires et extrêmement complexes comme nous le sommes tous. Sa chronique familiale n'est pas juste très bien écrite (et traduite): elle possède une qualité universelle qui a ressuscité, le temps de ma lecture, les vacances que je passais autrefois chez mon grand-père, et qui a m'a serré le coeur pendant les évocations du patriarche défunt. C'est pour moi la marque d'un grand écrivain, que je suis ravie d'avoir découvert grâce à Miss Sunalee et dont je lirai sûrement d'autres ouvrages.


lundi 2 septembre 2013

"Snaps: instantanés volés"


Après avoir trouvé, sur un marché aux puces, un album rempli de photos des années 40, Rebecca Kraatz s'est amusée à inventer une histoire aux personnes figurant sur les clichés. Ainsi est né "Snaps : instantanés volés", dans lequel s'entrecroisent les trajectoires d'une trentaine de Canadiens jeunes et vieux dont la vie va être, directement ou non, affectée par la guerre qui se livre en Europe.

J'aime beaucoup le principe du "puzzle" narratif, dans lequel le lecteur reconstitue au fur et à mesure la toile des liens unissant les divers personnages. J'ai également apprécié la grande variété de ton des portraits: certains donnent dans une poésie presque surréaliste, d'autres dans le romantisme plus ou moins tragique, tandis que d'autres encore exposent des situations et des sentiments bien peu glorieux. En revanche, j'ai eu beaucoup de mal à me faire au dessin, surtout celui des visages, ce qui a pas mal gâché mon appréciation globale de l'ouvrage.

dimanche 1 septembre 2013

"La rue des autres"


Sacha est vendeuse dans une librairie dont le patron préfère les chiffres aux lettres. Régulièrement, elle arrive en retard à son travail. Mais c'est à cause de Marcel-James, ce vieux clochard en fauteuil roulant qui a toujours des histoires extraordinaires à lui raconter... 

"La rue des autres", c'est l'histoire d'une amitié entre une jeune femme un peu en retrait de sa propre vie et un de ces marginaux dont les passants détournent très vite le regard. Violaine Leroy parle de solitude urbaine et de rejet de la différence, mais d'une façon plus humaine et positive que moralisatrice ou culpabilisante. Le bleu-gris qu'elle a choisi comme unique teinte de ses dessins reflète bien la tonalité de son récit: ni vraiment triste ni vraiment gai, juste émouvant et un peu mélancolique. Une très jolie bédé publiée par les éditions canadiennes La Pastèque auxquelles on doit entre autres "Paul", la merveilleuse série de Michel Rabagliati.

jeudi 29 août 2013

"La nostalgie heureuse"


Des années que je n'avais pas lu un roman d'Amélie Nothomb qui, selon moi, peine vraiment à renouveler ses thèmes. J'ai rempilé avec "La nostalgie heureuse" parce que j'avais beaucoup aimé le récit autobiographique de ses précédentes aventures nippones. Ici, pour les besoins d'un reportage télé, l'auteur retourne au Japon sur les traces de son passé pour la première fois depuis seize ans. Elle va faire un petit tour à Fukushima, où elle est effarée par la dévastation. Elle revoit sa nourrice Nishio (un des personnages principaux de "Métaphysique des tubes"), qu'elle étreint en pleurant, puis son ex-fiancé Rinri (à qui elle avait consacré "Ni d'Eve ni d'Adam") avec qui elle partage un agréable dîner au restaurant. La présence ses caméras la gêne. Plantée au milieu du carrefour de Shibuya, elle connaît une sorte d'épiphanie. Et au retour, son avion frôle l'Everest, lui inspirant quelques considérations sincères mais d'une grande banalité sur la beauté du monde. Voilà, c'est tout. Malgré une humilité et un humour toujours aussi sympathiques chez cette écrivaine merveilleusement barrée, j'ai trouvé sa Nostalgie plutôt creuse et dénuée d'intérêt. Et puis, 16€ le bouquin lu en trois quarts d'heure? C'est un peu court, jeune fille. 

lundi 26 août 2013

"Une part de ciel"


Il est quelques auteurs dont je ne réfléchis même pas avant d'acheter les nouveaux livres: quel que soit le sujet, je sais que je passerai un bon moment avec eux. Depuis "Seule Venise", "Les déferlantes" et "L'amour est une île", Claudie Gallay fait partie de ce petit club très fermé. Aussi, je me suis jetée sur "Une part de ciel" dès sa parution, la semaine dernière. Je n'aurais de toute façon pas pu résister bien longtemps à sa ravissante couverture... 

"Aux premiers jours de décembre, Carole regagne sa vallée natale, dans le massif de la Vanoise, où son père Curtil lui a donné rendez-vous. Elle retrouve son frère et sa soeur, restés depuis toujours dans le village de leur enfance. Garde forestier, Philippe rêve de baliser un sentier de randonnée suivant le chemin emprunté par Hannibal à travers les Alpes. Gaby, la plus jeune, vit dans un bungalow où elle attend son homme, en taule pour quelques mois, et élève une fille qui n'est pas la sienne. Dans le Val-des-Seuls, il y a aussi le vieux Sam, pourvoyeur de souvenirs, le beau Jean, la Baronne et ses chiens, le bar à Francky avec sa jolie serveuse... 

Dans le gîte qu'elle loue à côté de la scierie, Carole se consacre à une traduction sur la vie de Christo, l'artiste qui voile les choses pour mieux les révéler. Les jours passent, qui pourraient lui permettre de renouer avec Philippe et Gaby un lien qui n'a rien d'évident: Gaby et Philippe se comprennent, se ressemblent; Carole est celle qui est partie, celle qui se pose trop de questions. Entre eux, comme une ombre, cet incendie qui a naguère détruit leur maison d'enfance et définitivement abîmé les poumons de Gaby. Décembre s'écoule, le froid s'installe, la neige arrive... Curtil sera-t-il là pour Noël?" 

Une fois de plus, Claudie Gallay nous livre le monologue intérieur d'une femme seule qui observe attentivement le monde et les gens alentour; une femme sans but véritable, qui s'interroge trop pour être tout à fait présente à sa propre vie - mais qui va apprendre à le devenir. On aime ou on n'aime pas; personnellement, j'adore. Le style est toujours aussi particulier: phrases courtes, parfois incomplètes, écrites comme on pense. Claudie Gallay égrène les gestes du quotidien; elle bâtit les trois quarts de son roman sur des choses banales que d'autres auteurs passeraient sous silence en les considérant comme sans intérêt. Du coup, la narration est d'une extrême lenteur, et l'action quasi inexistante. Mais j'adore ce sentiment d'être dans la tête de ses héroïnes, de voir véritablement à travers leurs yeux. 

Pour le reste, j'avoue que le décor du village de montagne m'a moins touchée que les rues de Venise en hiver ou les falaises battues par les embruns de la côte Atlantique. "Seule Venise" et "Les déferlantes" m'avaient donné envie de partir en voyage; "Une part de ciel" m'a plutôt donné envie de fuir cet endroit déprimant qu'est le Val-des-Seuls: sa taille mise à part, il m'a fortement m'a rappelé la petite ville dans laquelle se déroule l'action de la série télé "Les revenants". En résumé, bien que j'aie dévoré ce roman, il ne m'a pas enchantée autant que les précédents de Claudie Gallay. Ce qui ne m'empêchera pas d'attendre le prochain avec impatience. 

jeudi 22 août 2013

"Grand-mère déballe tout"


"Il n'est pas bon que les enfants se sentent admirés. Ca les rend vaniteux et leur gâte le caractère."

Pure aryenne issue d'une "très bonne famille" de la grande bourgeoisie allemande, Elizabeth a eu le malheur de tomber amoureuse d'un médecin juif pendant qu'elle officiait au front en tant qu'infirmière, durant la Première Guerre Mondiale. Carl s'est promptement converti au catholicisme et ensemble, ils ont eu une fille, la très indomptable et très brillante Renate, qu'Elizabeth élève sévèrement avec l'aide d'une domestique bourrue. Toute la famille mène une vie agréable dans une petite ville de province... jusqu'au jour où les rafles commencent. Quand les hommes de la famille de Carl sont emmenés et que Carl lui-même se voit retirer l'autorisation d'exercer, Elizabeth décide de l'envoyer en Amérique pour le mettre en sécurité...

Chronique familiale dépeignant trois générations de femmes à fort caractère, "Grand-mère déballe tout" évoque dans un premier temps la montée du nazisme et la difficulté à reconstruire sa vie ailleurs en tant que réfugiés. Non que la narratrice se laisse jamais abattre: c'est une femme dure et volontiers moqueuse, qui ne cesse de houspiller son entourage. Même si elle prédit sans cesse l'imminence de sa propre mort, elle finit par triompher de tous les revers de fortune - fût-ce en se plaignant un maximum. Dans la seconde partie du roman, elle raconte sur un ton très critique la vie et les choix de sa fille Renate, que bien sûr elle désapprouve, puis ceux de sa petite-fille Irene (l'auteur du roman), que bien sûr elle désapprouve aussi. Une grand-mère vache mais haute en couleurs.

lundi 19 août 2013

"Les débutantes"


"Bree, Celia, April et Sally avaient quitté leurs chambres de bonne et emménagé à l'étage principal. Elles laissaient leurs portes ouvertes pendant la journée et criaient simplement pour se parler. Elles se vautraient sur les divans du salon après le repas du soi, se racontant des ragots et se lisant à voix haute des passages du New Yorker et de Vogue."

Elles se sont connues et aimés à l'université de Smith, haut lieu de la culture féministe. Le temps, le mariage, la vie d'adulte les ont séparées... jusqu'à la disparition de l'une d'entre elles. Face aux déceptions de l'existence, rien n'est plus précieux que les souvenirs et les amies des années de fac. Bree, Celia, April et Sally vont s'en rendre compte. 

J'avais vu "Les débutantes" à la Fnac, et très honnêtement, sa quatrième de couverture ne m'avait pas fait envie. Les bandes de filles à l'amitié fusionnelle, la nostalgie des études supérieures sont deux sujets pour lesquels je n'éprouve aucun intérêt tant ils sont éloignés de mon propre vécu. Quant à l'entrée dans la vie adulte... la mienne remonte déjà à fort longtemps. Puis j'ai lu d'excellentes critiques sur ce premier roman de J. Courtney Sullivan, et je me suis dit que, peut-être, il ferait quand même une bonne lecture de vacances dans le genre léger et pas prise de tête. 

Une bonne lecture de vacances? Oui, sans aucun doute, étant donné que j'ai dévoré ses 540 pages en moins de 48h. Pour ce qui est du genre léger, par contre... Une des filles a perdu sa mère juste avant d'entrer en fac. Une autre est rejetée par sa famille qui n'admet pas qu'elle ait une relation lesbienne. Une troisième a été abusée par un ami de sa mère quand elle avait treize ans, s'est retrouvée enceinte et a dû avorter. La dernière se fait violer par son cavalier d'un soir, hésite à considérer l'agression comme telle car elle n'a pas protesté suffisamment et se montre presque contente quand le garçon finit par la rappeler. 

Bref, si le roman commence sur un ton relativement insouciant, ses héroïnes ne tardent pas à être confrontées à toutes sortes de drames. Dans la première partie, elles ont quitté la fac depuis 5 ans et s'apprêtent à se retrouver pour le mariage de l'une d'elles. En leur donnant la parole tour à tour, l'auteur nous raconte les circonstances de leur rencontre, la naissance de leur amitié, la parenthèse quasi enchantée de leur passage à Smith, puis leurs premiers pas hésitants dans la vie adulte. Les noces de Sally est l'occasion de montrer à quel point elles se sont éloignées les unes des autres - irrémédiablement, peut-être.

Mais au début de la seconde partie, April, devenue activiste féministe, disparaît brusquement, et les trois autres, qui se demandent chacune à sa façon si elles ne se sont pas fourvoyées dans leurs choix de vie, reforment instinctivement les rangs. Le roman prend alors un ton beaucoup plus grave, même si l'amitié y reste une source constante de lumière et de chaleur. La fin, où l'on apprend ce qui est arrivé à April, flirte avec le sordide à travers un problème de société typique de la culture patriarcale et généralement passé sous silence.

Plus sérieux qu'il n'y paraît au premier abord, "Les débutantes" pose d'excellentes questions sur la condition féminine. Il aura réussi à me surprendre jusqu'au bout.

jeudi 15 août 2013

"Emily"


"Dans la vie d'Emily, il y a eu les repas animés, la ronde des jours et des choses à faire. Aujourd'hui, Emily est veuve. Ses enfants sont loin. Sa belle-soeur, Arlene, lui tient compagnie. Emily aime la musique classique, les musées, les petits déjeuners copieux du Eat'n Park. Sa santé est bonne. Elle ne manque de rien. A 80 ans, le temps semble infini et la solitude se change en une liberté inédite."

Ce roman m'a été conseillé par Miss Sunalee, dont les goûts en la matière sont radicalement opposés aux miens. Mais le sujet me séduisait, et un coup d'oeil à l'intérieur a suffi à me convaincre que le style devrait me plaire aussi. Résultat: j'ai passé quelques heures délicieuses en compagnie d'Emily. Sans toutefois rivaliser avec Tatie Danielle, cette vieille dame à la forte personnalité n'a pas que des traits de caractère sympathiques. Elle est plutôt maniaque, très conservatrice (même si, par amour, elle accepte l'homosexualité d'une de ses petites-filles), d'une frugalité qui confine à la pingrerie et pas toujours d'une grande générosité de coeur. Mais Stewart O'Nan fait entrer le lecteur dans ses pensées de telle sorte qu'il devient presque impossible de la juger - parce qu'on comprend trop bien ce qui, dans son parcours, conditionne chacune de ses réactions. A partir d'un quotidien extrêmement banal et répétitif, il réussit l'exploit d'écrire un roman passionnant, dont chaque chapitre court est consacré à un micro-événement de la vie d'Emily. Bien qu'elle se laisse parfois aller à une inévitable nostalgie, son héroïne n'est pas du genre à cultiver l'amertume ou les regrets, mais plutôt à profiter de ce que le présent peut encore lui offrir. La mort ne lui fait pas peur. Ainsi, "Emily" est à la fois un beau et vivant portrait de femme au crépuscule de sa vie, et une collection de petits riens qui devrait plaire à tous les amateurs de littérature du quotidien.

(Avant "Emily", il y a eu "Nos plus beaux souvenirs", qui met en scène la même famille quelques années plus tôt, juste après la mort de l'époux d'Emily. J'ai très envie de le lire maintenant, mais je crains que le faire "à l'envers" m'empêche de l'apprécier correctement.)

vendredi 9 août 2013

"Les quatre soeurs: Quatre saisons"


La merveilleuse série de romans jeunesse de Malika Ferdjoukh ne cesse de faire des petits, et c'est tant mieux! Après l'excellente adaptation en BD réalisée par Cati Baur, dont le tome 2 doit - enfin! - sortir début septembre, c'est Lucie Durbiano qui s'y colle en mettant en images, au rythme des saisons, des anecdotes rédigées par Malika Ferdjoukh elle-même. Chaque double page présente ainsi une historiette narrée par tour à tour l'une des quatre soeurs Verdelaine (qui sont cinq en réalité, mais comme dans les romans, l'aînée Charlie ne donne jamais son point de vue... ou presque).

Ces historiettes ne sont pas extraites des romans; elles se contentent d'en reprendre les personnages, le contexte et le ton. Elles ne se situent ni avant ni après l'action des romans, mais plus probablement pendant, à côté de la trame principale. "Les quatre soeurs : Quatre saisons" constitue donc une excellente façon, soit d'aborder la série de romans, soit d'en prolonger le plaisir. J'avoue cependant que, de mon point de vue, les dessins de Lucie Durbiano souffrent beaucoup de la comparaison avec ceux de Cati Baur. Non qu'ils soient vilains, mais j'y retrouve moins les soeurs Verdelaine et la Vill'Hervé tels que je les imagine dans ma tête.

Maintenant, si ce n'est pas trop demander, j'adorerais un film ou une série télé "Les quatre soeurs" - la série se prêterait particulièrement bien à une adaptation sur grand ou petit écran!

mardi 6 août 2013

"La dernière conquête du major Pettigrew"


J'ai reçu ce roman en VO à l'occasion du swap bonne humeur, et la couverture (infiniment plus croquignolette que celle de la VF!) m'a donné envie de l'entamer tout de suite. Bien qu'il soit assez épais, je l'ai dévoré en l'espace de cinq jours - à la terrasse d'un café ou d'un resto, vautrée sur mon canapé ou sur mon balcon, voire le soir dans mon lit. Il m'a inspiré le cruel dilemme propre à tous les bouquins géniaux: l'engloutir tout rond, ou l'économiser pour faire durer le plaisir? Si je ne suis pas boulimique avec la nourriture, il en va tout autrement avec la littérature, et j'avoue que j'ai dû me discipliner pour, pendant ces cinq jours, poursuivre parallèlement une activité normale telle que bosser ou entretenir mon logis. 

Vous l'aurez compris, j'ai ADORE "La dernière conquête du major Pettigrew". 

Retraité de l'armée britannique et veuf depuis six ans, le major Pettigrew vit à Edgecombe St Mary, au coeur de la campagne anglaise. C'est un homme d'honneur, doté d'un sens aigu des convenances mais aussi d'un humour fin et cinglant. Bien qu'il joue au golf, jardine et chasse volontiers, il préfère maintenir une distance polie vis-à-vis du reste du monde, amis et voisins compris. Son fils Roger, devenu banquier à Londres, est l'archétype du métrosexuel flambeur et arrogant; aussi n'ont-ils pas grand-chose à se dire. Du coup, lorsqu'un coup de fil lui apprend la mort de son frère cadet Bertie, le major Pettigrew éprouve cruellement sa solitude d'homme vieillissant. Les circonstances et un amour commun de la lecture vont le rapprocher de Mme Ali, la veuve d'origine pakistanaise qui tient l'épicerie du village...

Le thème du premier amour ayant déjà été vu, revu et corrigé par de nombreux écrivains, il est rafraîchissant, pour une fois, de lire une histoire de dernier amour. D'autant que le roman d'Helen Simonson est loin de se limiter à la peinture d'une idylle naissante. Autour du major Pettigrew et de Mme Ali, l'auteur développe une belle galerie de personnages et d'intrigues secondaires qui donnent vie à la petite communauté si typiquement anglaise et provinciale d'Edgecombe St Mary.

Le rythme est plutôt lent, voire très lent, mais il permet de savourer la finesse souvent acide des portraits et de s'attacher à un héros improbable, droit mais pas rigide, fidèle défenseur des traditions mais capable d'une belle ouverture d'esprit. Derrière des situations qui flirtent souvent avec la pure comédie, Helen Simonson parle de racisme ordinaire avec une très grande intelligence. "La dernière conquète du major Pettigrew" est l'équivalent littéraire d'un délicieux high tea pris au coin du feu dans un canapé en cuir avachi juste ce qu'il faut. Il donne envie de louer un cottage anglais pour les prochaines vacances de la Toussaint, et aussi de se ruer sur le deuxième roman d'Helen Simonson sa parution. C'est simple: dans ma liste de lectures du trimestre en cours, je lui ai attribué cinq étoiles.

jeudi 1 août 2013

"C'est moi qui éteins les lumières"


Paisible femme au foyer, Clarisse habite la ville iranienne d'Abadan, probablement vers le début des années 70. Son mari Artush est ingénieur à la compagnie des pétroles; passionné de politique et d'échecs, il est avare de paroles comme de gestes affectueux, et même s'il pourrait du fait de son grade prétendre à un logement dans un quartier plus prestigieux, il part du principe que sa famille a déjà plus que le nécessaire pour vivre confortablement. 

Les journées de Clarisse sont bien remplies: quand elle ne s'occupe pas de son fils aîné Armen, 15 ans, et de ses malicieuses jumelles Armineh et Arsineh, elle doit supporter l'envahissante présence de sa propre mère, qui critique toujours tout, et de sa soeur Alice, une vieille fille qui désespère de se marier. Mais cette routine semble convenir à Clarisse, qui met constamment en oeuvre le principe inculqué par son père défunt: être d'accord avec tout le monde, ne jamais faire de vagues. Jusqu'au jour où de nouveaux voisins s'installent dans la maison d'en face...

Ce roman de Zoyâ Pirzâd, c'est un peu "Desperate Housewife en Iran". Avec drôlerie et pudeur, il relate les émois réprimés d'une femme bien sous tous rapports, bonne épouse et bonne mère plutôt gâtée par la vie qui voit soudain son confortable train-train bouleversé à tous les niveaux. Il nous offre aussi un aperçu du fonctionnement de la communauté arménienne - une communauté en apparence patriarcale, mais où les femmes régissent tout. Je l'ai dévoré avec un grand plaisir.

Les éditions Zulma, dont j'apprécie les sublimes couvertures graphiques et l'excellente sélection de littérature étrangère, publient avec "C'est moi qui éteins les lumières" le 4ème ouvrage de leur nouvelle collection de poche. Je me permets quand même de déplorer les fautes de grammaire atroces que contient la traduction du persan, et qui n'ont pas été rectifiées à cette occasion: "J'ouvrai" (à la place de "J'ouvris", et même pas de "J'ouvrais"!), "pendant que Nina me poussa presque sur un siège" ou encore "tandis que la princesse attendit leur retour" - et il y en a beaucoup d'autres. Je trouve vraiment dommage que de plus en plus d'éditeurs estiment pouvoir se passer d'une correction réalisée par un professionnel. Croient-ils vraiment que ça ne se verra pas? (Spoiler: ils se trompent!)

mardi 30 juillet 2013

"Le magicien de Brooklyn"


Enfants d'immigrés russes, Vaclav et Lena se rencontrent à Brooklyn alors qu'ils n'ont que cinq ans et deviennent très vite inséparable. La fillette, dont les parents ont disparu, vit avec une tante prostituée qui la néglige gravement. Chez Vaclav, elle trouve un refuge, de quoi manger à sa faim et un peu de la chaleur maternelle qui lui manque tant. Le petit garçon rêve de devenir le plus grand magicien du monde, et il lui semble évident que Lena sera sa ravissante assistante. Ensemble, ils passent leur temps à échafauder des plans, dresser des listes et répéter leur futur numéro. Puis, l'année de leurs dix ans, Lena est emmenée par les services sociaux. Pendant sept longues années, Vaclav, qui ignore ce qu'elle est devenue, continue à lui souhaiter bonne nuit chaque soir pour la protéger où qu'elle se trouve. Jusqu'à ce que son téléphone sonne, le jour des 17 ans de Lena...

"Le magicien de Brooklyn" conte une histoire d'amour qui, pour le bien ou pour le mal, semble marquée du sceau de la destinée - une histoire d'amour qui s'impose à ses protagonistes comme une irréfutable évidence, mais dans les roues de laquelle une réalité parfois sordide va venir mettre des bâtons. J'ai particulièrement aimé le style de l'auteur. Son choix d'une narration au présent colle très bien avec le ressenti et les horizons des deux jeunes héros. Couplée à sa naïveté, la foi inébranlable de Vaclav en fait un personnage très touchant, tandis que face à lui, Lena aux yeux noirs insondables demeure un mystère pour tous, y compris pour elle-même. Et la fin a un charme fou. Pour les âmes romantiques qu'un peu de noirceur ne rebute pas.

J'ai lu ce roman en anglais et ne peux donc garantir la qualité de sa traduction.

jeudi 25 juillet 2013

"Le sablier"


"Un jour, quelle que soit la blessure, elle fera partie du passé."

Suite au divorce de ses parents, An Uekusa quitte Tokyo pour aller vivre à la campagne chez ses grands-parents. Elle commence tout juste à se faire des amis et à s'habituer à sa nouvelle existence quand sa mère se suicide. Brisée par le chagrin, An ne trouve de réconfort qu'auprès de son jeune voisin Daigo, qui lui fait la promesse d'être toujours là pour elle...

"Le sablier", manga en 10 volumes, nous fait suivre son héroïne depuis l'âge de 12 ans jusqu'à l'approche de la trentaine. A travers le parcours d'An, l'auteur aborde des sujets graves tels que le deuil, la dépendance amoureuse et la difficulté à vivre. Elle évoque tous les émois du premier amour, y compris le vide béant laissé par la rupture, avec une justesse sidérante - la fin du tome 5 m'a poignardée en plein coeur, et je me considère comme quelqu'un de très peu sentimental.

An, infiniment fragile sous son dynamisme apparent, doit grandir et apprendre à tenir debout seule. Et alors que je ne partage pas son histoire, je me suis reconnue dans nombre de ses émotions qui, elles, sont universelles. Hinako Ashihara dessine avec autant de délicatesse qu'elle parle du passage du temps à travers le symbole du sablier, titre et fil rouge de la série. (Attention: spoiler!) Je regrette seulement la fin précipitée qui, en quelques pages, semble contredire toute l'évolution des personnages pour proposer le happy end qu'attendaient sans doute les lectrices japonaises. Un bémol qui ne parvient pas à ternir le plaisir énorme que j'ai pris à dévorer ce manga, ni l'enthousiasme avec lequel j'en recommande la lecture aux amateurs de shojo intelligent.

"Même quand on s'aime depuis des années, il y a toujours chez l'autre une partie inaccessible. Finalement, on ne peut sauver que soi-même."

dimanche 21 juillet 2013

"Where'd you go, Bernadette"


Architecte de génie et pionnière du mouvement écolo, Bernadette Fox s'est retirée du monde.  Elle vit désormais à Seattle, dans une ancienne école dont le toit fuit de partout et où des ronces jaillissent du plancher. Bien que pourvue d'un mari travaillant chez Microsoft et d'une fille de quinze ans qui est une élève modèle, Bernadette déploie une énergie folle pour fuir les contacts sociaux. Elle a même engagé une assistante indienne qui gère sa vie par internet depuis l'autre bout du monde. Mais à quelques jours de partir en croisière dans l'Antarctique avec sa famille, Bernadette disparaît sans explication. Sa fille Bee (diminutif de Balakrishna) tente de reconstituer les événements qui l'ont poussée à fuir pour, peut-être, la retrouver... 

Roman essentiellement épistolaire, composé d'emails échangés par les différents protagonistes mais aussi des souvenirs et des réflexions de Bee, "Where'd yo go Bernadette" a été la bonne surprise de ce début d'été - drôle et inattendu à la fois. J'ai adoré son héroïne, génie névrosée, misanthrope et farfelue, incomprise par son mari comme par les autres parents d'élèves qu'elle surnomme "les blattes". Ses stratégies d'évitement sont tout à fait hilarantes. La voix de Bee, qui raconte l'histoire, offre un contrepoint agréablement stable et mature aux excentricités de sa mère adorée. "Where'd You Go, Bernadette?" n'est pas encore disponible en français - mais si un éditeur passe par là et envisage d'en acheter les droits, je serai ravie de le traduire pour lui!

mercredi 10 juillet 2013

"Le mystérieux cercle Benedict"


Orphelin surdoué, Reynie Muldoon répond à une annonce: on recrute des enfants pour un mystérieux projet. Après avoir passé des examens fort incongrus, le jeune garçon est sélectionné en compagnie de Sticky Washington, qui possède une mémoire phénoménale, de Kate Wetherall, qui a grandi dans un cirque, et de Constance Contraire dont le seul don apparent est d'agacer son entourage. Leur "employeur", Mr Benedict, leur demande d'infiltrer le pensionnat tenu par Ledroptha Curtain, un savant mégalo qu'il soupçonne de mettre au point un système de contrôle des esprits...

De l'aventure dans un cadre plutôt flippant, de l'amitié entre quatre gamins aux personnalités très différentes, des rebondissements souvent inattendus, de jolies considérations sur la famille et une réflexion intéressante sur la tyrannie: si j'avais des enfants d'une dizaine d'années, c'est sûr, je leur mettrais "Le mystérieux cercle Benedict" entre les mains. Comme je n'en ai pas, je me contente de le recommander ici aux lecteurs petits et grands capables d'apprécier la bonne littérature jeunesse. C'est le premier tome d'une série qui en compte pour l'instant 3 plus un prequel - mais la suite n'est pas encore disponible en français. 

samedi 6 juillet 2013

"Le reste est silence"


Tommy a douze ans, mais c'est à peine s'il en paraît huit. Atteint d'une grave malformation cardiaque, il ne peut pas pratiquer les mêmes activités que les autres enfants de son âge, et ceux-ci le raillent cruellement. Alors, Tommy - enfant intelligent et sensible - s'est créé un petit monde à lui. Avec son ami imaginaire Kàjef, il fait du canoë sur l'océan. Il aime aussi enregistrer les conversations des adultes pour tenter de les comprendre. A l'occasion d'un mariage, il découvre ainsi que sa mère n'est pas morte d'une rupture d'anévrisme comme on le lui a fait croire, mais qu'elle s'est suicidée... 

Alma est la belle-mère de Tommy, qu'elle aime comme s'il était son propre fils. Elle s'est construite en opposition à sa propre mère, coureuse invétérée, fantasque et irresponsable, qu'elle appelle Manà. Mais quand son ancien amant Leo réapparaît lors de ce fameux mariage, Alma, délaissée par son époux, se surprend à s'engager dans les traces de sa mère...

Juan est le père de Tommy et le mari d'Alma, un homme sévère et entièrement dévoué à son travail de chirurgien cardiologue. Il n'a rien pu faire pour sa première femme et il craint constamment pour la vie de son fils; alors, comme pour conjurer le sort, il s'efforce de sauver d'autres malades. Et quand la pression devient trop forte, il s'évade à bord de son petit avion... 

Impossible de communiquer pour les membres de cette famille recomposée. Chacun est seul, enfermé en lui-même avec les pensées qui le tourmentent, et ne peut ou n'ose pas compter sur les autres pour l'aider. L'enquête de Tommy pour découvrir ce qui est réellement arrivé à sa mère, la liaison d'Alma et de Leo, l'impuissance de Juan face à la détérioration rapide d'un de ses jeunes patients vont renforcer leur isolement et les mener jusqu'au drame. Pourtant, "Le reste est silence" n'est pas un roman déprimant. Douloureux, sans doute. Mais ce que j'en retiendrai surtout, c'est sa justesse et sa force émotionnelles. Babel/Actes Sud s'impose décidément comme mon fournisseur n°1 de littérature contemporaine de qualité.