mercredi 26 octobre 2016

"The Cazalet chronicles T1: The light years" (Elizabeth Jane Howard)


C'est en lisant "How to find love in a bookshop" que j'ai découvert l'existence de ces chroniques familiales apparemment bien connues des lecteurs anglais mais jamais traduites en français à ce jour. Sans être nobles ou riches à millions, les Cazalet jouissent d'un train de vie confortable grâce au commerce de bois dirigé par l'aïeul Willian, surnommé "le Brigadier". Ils possèdent dans le Sussex une grand demeure appelée Home Place où trois générations se réunissent à l'occasion des vacances d'été. Hugh, le fils aîné, reste profondément marqué par la Première Guerre Mondiale lors de laquelle il a perdu une main. Son épouse Sybil, enceinte pour la troisième fois, commence à soupçonner qu'elle attend des jumeaux. Edward, le cadet si séduisant, entretient des liaisons clandestines depuis que sa femme Villy, une ancienne danseuse qui s'ennuie terriblement dans cette vie bourgeoise, se refuse à lui. Rachel s'occupe de ses parents avec dévouement - de toute façon, elle est amoureuse d'une autre femme, à moitié juive de surcroît, et ne pourrait jamais vivre cette relation au grand jour. Rupert, le benjamin, est un artiste coincé entre les enfants qu'il a eu de sa première femme défunte et sa seconde épouse beaucoup plus jeune qui souhaiterait qu'il lui consacre tout son temps et abandonne ses aspirations artistiques pour une carrière plus lucrative. Nous sommes à la fin des années 30, et tandis que la vie s'écoule paisible et languissante à Home Place, la Seconde Guerre Mondiale se profile à l'horizon...

Avant de commander ce premier tome, j'ai lu beaucoup de critiques qui comparaient les Chroniques des Cazalet à "Downton Abbey". Pourtant, les lecteurs qui espéreraient trouver là rebondissements dramatiques en chaîne et répliques acides à la Lady Violet seront bien déçus. Certes, Elizabeth Jane Howard raconte l'histoire, dans la première moitié du XXème siècle, d'une famille anglaise fortunée qui vit une partie de l'année à la campagne et autour de laquelle s'agitent pas mal de domestiques. Mais la ressemblance s'arrête là. "Les Chroniques de Cazalet" ont un rythme très lent et s'attachent surtout à l'observation d'un quotidien bucolique, ponctué par les pensées secrètes des uns et des autres. Les points de vue sont nombreux - rien qui devrait effrayer les fans de "Jalna" et encore moins ceux de "Game of thrones" cependant -, avec une mention spéciale pour ceux des enfants que je trouve particulièrement réussis. Les adultes, bien sûr, ont des préoccupations moins gaies, plus réalistes. La dynamique des trois couples principaux se révèle fort prenante: Hugh et Sybil, touchants et presque comiques dans leur façon de se sacrifier perpétuellement à ce qu'ils croient être les préférences de l'autre; Edward, archétype du coureur de jupons, face à Villy, femme indépendante qui aurait probablement dû le rester; Rupert qui a fait un si mauvais choix en épousant la superficielle et exigeante Zoë et doit renoncer à son rêve de devenir un peintre sérieux. Non, il n'y a pas beaucoup d'action, mais le mode de vie, l'atmosphère de la campagne anglaise et les préoccupations de l'époque sont si bien rendus que j'ai trouvé "The Light Years" très prenant et l'ai dévoré en trois jours malgré sa taille respectable. Vite, la suite!

samedi 22 octobre 2016

"L'épouvantable peur d'Epiphanie Frayeur" (Séverine Gauthier/Clément Lefèvre)


Epiphanie a huit ans et demi. Depuis toujours, elle a peur de son ombre, qui grandit plus vite qu'elle. Sa quête d'un remède lui fera croiser un guide qui a perdu son sérieux et qui est devenu aussi léger qu'un ballon, un docteur qui l'enverra chez un coiffeur sans corps, un preux chevalier qui proposera de la sauver mais qu'elle finira par contaminer, un dompteur et une voyante... Nourrie par toutes ces rencontres, c'est en elle que la fillette finira par trouver le déclic pour maîtriser sa peur. 

Mon coup de coeur bédé d'octobre, c'est cet album qui, s'il s'adresse apparemment aux enfants, aborde le problème de l'angoisse avec tant d'intelligence et de finesse que ça devrait aussi parler aux adultes concernés. (Suivez mon regard.) "Tu prends toujours tellement de place, dit Epiphanie à l'ombre-peur monstrueuse qui la suit partout. Je n'arrive plus à respirer." Sur ces prémisses peu réjouissantes en apparence, Séverine Gauthier bâtit une histoire aux métaphores aussi justes que poétiques, superbement illustrée par Clément Lefèvre. La fantaisie de leur univers offre un contrepoint bienvenu à la pesanteur de leur sujet. Une vraie réussite. 



mardi 18 octobre 2016

"Hikikomori" (Jeff Backhaus)


Depuis la mort accidentelle de son fils, trois ans auparavant, Thomas Tessler vit barricadé dans sa chambre et refuse tout contact avec le reste du monde. Au Japon, cet enfermement volontaire est un phénomène connu; aux USA, en revanche, le cas de Thomas semble unique. Pour tenter de le sauver, son épouse Silke fait appel à Megumi, une jeune Japonaise expatriée qui connaît bien le problème puisque son propre frère était hikikomori...

C'est un récit à deux points de vue que nous propose Jeff Backhaus: celui de Thomas, narré à la première personne, et celui de Megumi, narré à la troisième (ce que j'ai trouvé un peu dommage, car j'aurais préféré une approche introspective pour elle aussi). Tous les deux en deuil d'une personne chère, ils vont tisser  à huis clos une relation aussi étrange qu'émouvante dont il est impossible de prévoir où elle les mènera - avec en toile de fond, New York au milieu de l'hiver et un aperçu de la société japonaise dans ce qu'elle peut avoir de plus cruel. Les phrases coulent toutes seules, et les pages défilent si bien que j'ai lu "Hikikomori" d'un trait. Un premier roman intimiste, singulier et prenant.

samedi 15 octobre 2016

"Idaho" (Andria Williams)


Etats-Unis, 1959. Lorsque Paul est muté à Idaho Falls, sa femme Natalie et leurs deux petites filles s'installent avec lui dans une base militaire au milieu du désert. Au coeur de cette communauté isolée, il est difficile de se lier d'amitié et dangereux de se faire des ennemis. Dans un climat étouffant de secrets et de trahisons, leur mariage résistera-t-il aux tensions qui montent inexorablement? 

Sur la base d'un fait divers survenu au début des années 60, Andria Williams, elle-même femme de militaire, construit un récit à trois voix psychologiquement très fouillé, où petites lâchetés et non-dits s'accumulent jusqu'à la catastrophe. Personnalité intègre mais rigide, Paul se heurte au je-m'en-foutisme et à l'absence de morale d'un supérieur qui se met à lui pourrir la vie. Esseulée, la jolie Nat qui s'est toujours fichue des conventions de son époque et de son milieu développe une amitié ambiguë et se retrouve la proie des commérages. C'est presque un huis-clos qui se déroule dans les conditions climatiques extrêmes du désert, à l'ombre d'un réacteur nucléaire capricieux dont on sait dès les premières pages qu'il finira par exploser. "Idaho" (dont je préférais le titre original, "The longest night": "La nuit la plus longue") est un premier roman incroyablement subtil et maîtrisé, qui décortique à merveille l'alchimie d'un couple.

jeudi 13 octobre 2016

"Le pays que j'aime" (Caterina Bonvicini)


Valerio et Olivia grandissent ensemble dans la magnifique villa de la famille Morganti, à Bologne; Olivia est l'héritière de riches entrepreneurs du bâtiment et Valerio est le fils du jardinier. Après avoir partagé une enfance de rêve, ils ne cessent de se séparer, de se retrouver puis de se perdre de nouveau. Valero suit d'abord sa mère à Rome quand celle-ci quitte son père. Plus tard, alors qu'ils sont étudiants, c'est Olivia qui part à Paris pour échapper aux disputes de son clan. Chacun d'eux est animé de forces centrifuges qui les empêchent de poursuivre leur relation, aussi sincère que burlesque. Valerio est ambitieux et poursuit le rêve de devenir magistrat; Olivia, elle, tente désespérément de trouver son chemin...

Bilan de lecture mitigé pour ce roman de Caterina Bonvicini sur lequel la presse ne tarit pas d'éloges. D'un côté, le lieu et la période sont fort intéressants; l'atmosphère de criminalité et de corruption qui règne dans l'Italie berlusconienne est assez hallucinante, et j'ai trouvé l'écriture vive de l'auteure très agréable. De l'autre, les personnages m'ont paru caricaturaux, sans surprise et ni grand intérêt. Olivia, enfant gâtée inconséquente qui use et abuse de son pouvoir de séduction. Valerio, enfant de famille modeste qui met ses aspirations de côté pour prendre une certaine revanche sociale et s'enrichir d'une façon méprisable. Plusieurs fois, ils auraient l'occasion de se mettre ensemble pour de bon s'ils le voulaient réellement, mais non: il faut qu'il reste séparés pour que leur pseudo histoire d'amour continue à rebondir. Du coup, ils apparaissent moins comme des amants passionnés mais maudits que comme les victimes de leur propre manque de conviction et de suite dans les idées. Au final, dans "Le pays que j'aime", j'ai été bien davantage apprécié la toile de fond que l'action au premier plan. 

mercredi 12 octobre 2016

"Les petites reines" (Clémentine Beauvais)


Mireille Laplanche ne sera pas Boudin d'Or pour la troisième année consécutive. Au cruel concours Facebook organisé par son ex-ami d'enfance, elle s'est fait coiffer au poteau par Astrid Blomvall et Hakima Idriss. De cette triste distinction naît une amitié qui pousse les trois filles à concevoir un projet un peu fou: monter à Paris à vélo, en vendant des boudins sur la route pour financer leur voyage, et taper l'incruste à la garden party du 14 juillet l'Elysée... Pour Mireille, ce serait l'occasion de rencontrer enfin son père biologique, un grand philosophe marié à la présidente de la République et n'ayant jamais reconnu son existence. Astrid, fan absolue du groupe Indochine qui l'a aidée à surmonter l'abandon par son propre père et l'exil dans un pensionnat suisse pendant de nombreuse année, veut en profiter pour rencontrer ses idoles. Quant à Hakima, elle espère se venger du général Sassin à cause duquel son frère aîné a perdu ses deux jambes durant une opération militaire qui a mal tourné. Mais bien vite, leur périple crée le buzz sur les réseaux sociaux...

Je sais: je suis méchamment à la bourre. Le roman de Clémentine Beauvais qu'il faut avoir lu en cette rentrée 2016, c'est "Songe à la douceur", écrit entièrement en vers. Mais moi, c'est "Les petites reines" que je viens de dévorer en un après-midi et dont j'ai envie de recommander la lecture à tous les ados. Parce que Mireille s'est blindée depuis belle lurette contre les commentaires affreux que lui vaut sa mocheté, et que même si elle en souffre toujours un peu, elle fait front très crânement avec les atouts qui sont les siens: pugnacité, sarcasme, esprit d'initiative et tempérament de meneuse. Et parce que, malgré ses allures de conte de fées modernes, la réjouissante épopée cycliste des #3Boudins ne se termine pas par une transformation magique des héroïnes. Aucun cygne n'émerge des plumes des vilains petits canards. Mireille, Astrid et Hakima restent ce qu'elles sont, boulottes et disgracieuses, mais avec un bel exploit à leur actif, un peu plus de sagesse et une amitié forgée dans l'adversité. Pêchu et positif, tour à tour tendre et mordant, refusant de se plier aux diktats de l'apparence et de la coolitude, "Les petites reines" mérite sûrement le titre de Meilleur Livre Jeunesse 2015 que lui a décerné le magazine Lire.

"Pour chaque fois où une personne dit qu'on est géniales, fortes, intelligentes et combatives, il y en a une autre sur un réseau social quelque part qui s'applique à écrire qu'on est des grosses connes moches, des laiderons, des putes, des pouffiasses et des salopes, des sales connasses moches comme des culs, moches comme des truies. Qui sont ces gens? Le mystère reste entier. Y a-t-il des personnes qui existent, qui vivent, qui mangent, qui rient et qui dansent, derrière ces ahurissantes insultes?"

mardi 11 octobre 2016

"Journal d'un homme heureux" (Philippe Delerm)


Je me souviens encore de mon émerveillement lorsque j'ai lu "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules", souvent raillé en raison de son succès commercial et de l'insignifiance apparente des sujets choisis. En vérité, tel un monsieur Jourdain de la pensée positive - et trente ans avant que celle-ci ne devienne à la mode chez les bobos -, son auteur se faisait déjà le chantre de la pleine conscience et de la gratitude pour les petits bonheurs du quotidien. Une philosophie que je m'approprie de plus en plus au fil du temps. C'est dire si j'ai une immense sympathie pour Philippe Delerm malgré les cyniques ou les snobs littéraires qui se plaisent à mépriser son oeuvre.

C'est dire aussi si je me délectais d'avance de ce "Journal d'un homme heureux" qu'il a tenu de septembre 1988 à décembre 1989, et annoté en début d'année 2016 avant de le publier au Seuil. Hélas! Le plaisir anticipé ne fut pas au rendez-vous. Dans ces pages, l'auteur parle des fleurs du jardin de sa femme, de la peinture écaillée sur les fenêtres de la maison où ils ont emménagé un an auparavant, de la météo au fil des saisons, du calme bienfaisant de la vie en province. Tous les trois jours, il répète combien il est heureux, et on s'en réjouit pour lui - mais en même temps, on s'ennuie ferme. Ca et là, quelques considérations littéraires, un commentaire pertinent sur l'actualité, une scène de village pittoresque viennent piquer l'intérêt. Je ne suis pas certaine que cela suffise à justifier la parution d'un document intime qui n'a au final de valeur que pour son auteur.

lundi 10 octobre 2016

"Les brumes de Sapa" (Lolita Séchan)


En 2002, Lolita a 22 ans, vit encore chez sa mère, n'a pas franchement de projets d'avenir et désespère de se trouver. Alors, elle part se chercher à l'autre bout du monde - plus exactement, au Vietnam. Au nord du pays, dans une petite ville de montagne, elle rencontre Lo Thi Gom, une fillette avec qui elle crée en quelques jours un lien très fort. Après son retour à Paris, elle va étudier au Québec mais ne parvient pas à l'oublier. L'année suivante, et toutes celles d'après pendant une décennie, elle retourne au Vietnam voir sa "petite soeur". Lo Thi Gom l'emmène dans sa famille et lui fait découvrir les injustices dont sont victimes les Hmongs, la minorité à laquelle elle appartient...

Il y a quelques années, j'avais lu "Marshmalone", la première bédé de l'auteure, et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ne m'avait pas bouleversée. Mais impossible de résister à la promesse d'un récit initiatique et biographique en Asie du Sud-Est! De fait, c'est une histoire très personnelle et très émouvante que Lolita Séchan raconte dans cet énorme roman graphique. Difficile de ne pas être touchée par ses interrogations de jeune femme, ses déboires de voyageuse, son rapport à ses parents, ses angoisses vis-à-vis de l'avenir, sa peur de s'engager, mais surtout l'amitié improbable et parfois incompréhensible (y compris pour elle-même) qui l'attache à la petite Lo Thi Gom. Intime et sincère, fruit de cinq ans de travail presque obsessionnel, "Les brumes de Sapa" mérite que l'on s'y plonge.



dimanche 9 octobre 2016

"Nous sommes l'eau" (Wally Lamb)


Annie Oh, artiste dont l'oeuvre a souvent été qualifiée d'"en colère", s'apprête à épouser en secondes noces sa galeriste Viveca. Elle a insisté auprès de son ex-mari Orion pour que le mariage se déroule à Three Rivers, à l'endroit où ils ont vécu pendant vingt-sept ans. Toujours épris d'elle, Orion hésite: doit-il assister à la cérémonie, ou prendre un mois de vacances dans la villa de Cape Cod que Viveca propose de lui prêter? De leur côté, les trois enfants d'Annie et Orion ont des réactions assez différentes. Andrew, militaire stationné au Texas qui a récemment trouvé la foi, estime que l'homosexualité est contre nature. Ariane, sa soeur jumelle qui dirige une soupe populaire à San Francisco, se montre d'autant plus tolérante qu'elle-même vient de prendre une décision assez choquante au premier abord. Quant à la petite dernière, Marissa, actrice new-yorkaise ayant du mal à percer, elle adore Viveca qui la couvre de cadeaux coûteux. Dans les jours précédents le mariage, Annie ressasse les souvenirs de l'enfance douloureuse qui l'a façonnée et les secrets dont elle n'a jamais parlé à personne...

Une fois de plus, Wally Lamb livre ici un roman américain ample, profond et ambitieux. Les membres de la famille, qui narrent leur partie de l'histoire tour à tour, ont une psychologie tellement fouillée qu'on ne peut s'empêcher de comprendre et d'excuser même leurs actions les plus terribles. Entre la fin des années 50 et notre présent, Wally Lamb balaye nombre de problèmes de société: le racisme, l'alcoolisme, la pédophilie, les maltraitances, l'homophobie... Il a assez de talent pour démontrer la manière dont le cycle des abus et de la violence se perpétue sans que cela ne phagocyte tout le récit. Les pages défilent à toute allure jusqu'à une fin que j'ai malheureusement trouvée un peu too much. Si "Nous sommes l'eau" n'est peut-être pas le meilleur roman de l'auteur, il vaut tout de même largement la peine d'être lu.