mercredi 31 octobre 2018

"Coeur battant" (Axl Cendres)


Ils sont cinq dans le groupe des Suicidants, ceux qui ont déjà tenté de se tuer. Colette et son mari ont voulu partir ensemble avant que la mort les sépare, mais elle s'est ratée et se retrouve seule. Jacopo ne trouve aucun intérêt à la vie: malgré sa richesse, tout l'emmerde. Victor souffre de son obésité mais aime tellement manger qu'il ne parvient pas à se freiner. Alice avec son look gothique semble déjà morte, et c'est le plus beau compliment qu'on puisse lui faire. Alex a cessé de ressentir quoi que ce soit après la disparition de sa mère bipolaire quand il n'avait que sept ans, et le jour où son coeur s'est remis à battre, il a trouvé ça insupportable. Tous ensemble, ils concluent un pacte de suicide et fuient la clinique où ils sont traités pour aller se jeter du haut d'une falaise normande...

Depuis plusieurs années déjà, la sortie de chaque nouveau roman d'Axl Cendres est saluée par un concert de louanges. Curieuse, j'ai décidé de m'intéresser à ce "Coeur battant" dont l'idée de départ me faisait beaucoup penser à "Petits suicides entre amis" d'Arto Paasilinna. Arrivée à la fin, je regrette de ne pas partager l'enthousiasme général. Certes, l'autrice a une plume très agréable, vive et directe, émaillées de jolies saillies poétiques. Mais dans le cas de ce roman précis, les nombreux aphorismes dont les Suicidants parsèment leurs dialogues me sont assez vite devenus insupportables. Creux et répétitifs, ils ont tué tout le plaisir que j'aurais pu prendre à ma lecture. Par ailleurs, j'ai trouvé qu'Axl Cendres restait trop en surface de ses personnages et de son thème. Je peux comprendre qu'elle n'ait pas voulu faire dans le pathos, mais de mon point de vue, il y a là un potentiel psychologique et émotionnel insuffisamment exploité. La fin arrive très vite et n'apporte aucune surprise. En ce qui me concerne, un rendez-vous manqué. 

Merci aux éditions Sarbacane pour cette lecture

dimanche 28 octobre 2018

"Words of deep blue" (Cath Crowley)


Juste avant de déménager, Rachel a écrit à son meilleur ami Henry pour lui avouer qu'elle l'aimait. Pourtant, il n'est jamais venu lui dire au revoir. Alors, pendant les 3 années qui ont suivi, Rachel a ignoré toutes ses tentatives de contact. Mais aujourd'hui, elle revient dans leur ville natale complètement transformée: son frère Cal s'est noyé dix mois plus tôt; elle a raté sa dernière année de lycée et ne parvient pas à sortir de sa dépression. Elle n'a aucune envie de revoir Henry. Malheureusement pour elle, c'est dans la librairie d'occasion des parents de celui-ci que sa tante lui a trouvé un petit boulot. Howling Books est un lieu bien particulier, notamment grâce à sa Bibliothèque des Lettres: un coin dans le fond du magasin où les livres ne sont pas à vendre, mais à annoter et à utiliser pour correspondre avec des gens vivants ou morts... 

Vive les recommandations de Good Reads! Sans elles, je ne serais probablement jamais tombée sur ce roman non traduit en français d'une autrice jeunesse australienne inconnue de moi. Alors que c'est une pépite, et que je l'ai dévoré quasiment d'un trait - achevant sa lecture dans un café où j'ai dû baisser la tête pour renifler discrètement dans ma tasse de thé vide depuis belle lurette. J'ai adoré le concept de la Bibliothèque des Lettres, dont Cath Crowley fait un usage astucieux autant qu'émouvant. Je me suis attachée aux héros adolescents: Rachel incapable de surmonter son chagrin, Henry tiraillé entre des aspirations contradictoires, sa petite soeur George, goth farouche à la langue bien pendue, Martin, le geek populaire qui veut absolument gagner son amitié, Lola, bassiste-compositrice lesbienne dont le bon sens ne s'applique qu'à la vie des autres... Bien sûr, j'ai cordialement détesté Amy, la belle gosse qui mène Henry par le bout du nez, et son nouveau petit ami Greg, archétype de la brute sans cervelle. 

En principe, je ne suis pas une grande fan des histoires d'amour, surtout adolescentes. Ici, j'ai été touchée par celle qui se noue entre George et son correspondant anonyme. Zéro surprise du côté de Rachel et Henry; ce qui m'a intéressée chez eux, c'est leurs problématiques individuelles, la situation sans espoir à laquelle chacun d'eux doit faire face. Rachel ne se remet pas de la mort de son frère. Elle ne parvient plus à approcher de l'océan qu'elle aimait tant et, alors qu'elle a toujours été passionnée par les sciences, a renoncé à son rêve de devenir biologiste marin. Quant à Henry, il se retrouve dans la situation impossible de décider si Howling Books, qui ne rapporte plus assez d'argent pour faire vivre sa famille, doit être vendu ou non: sa mère est pour, son père contre et sa soeur a décidé de se ranger à son avis. Henry est un amoureux des livres qui n'a jamais aspiré à rien d'autre qu'à vivre parmi eux, mais n'est-ce pas justement ce manque d'ambition et cet horizon minuscule qui ont fait fuir Amy? Les discussions entre lui et Rachel, grande pragmatique qui soutient que les mots n'ont aucun pouvoir véritable, devraient trouver écho chez tous les amoureux de littérature. Vous l'aurez compris: "Words in deep blue" est mon coup de coeur du mois!

vendredi 26 octobre 2018

"La marelle" (Samantha Bailly)


Sarah va bientôt avoir trente ans. Tout lui réussit : un poste prestigieux dans l’univers prisé de la mode, une bande d’amis qui brûle la chandelle par les deux bouts, une vie de couple épanouie. C’est alors qu’un soir, elle tombe sur un livre : Marelle, de Julio Cortázar. Cette trouvaille est un séisme. Ce livre n’est pas n’importe lequel : les pages sont annotées de sa main et de celle d’un homme qu’elle a aimé bien des années plus tôt. Le passé ressurgit sans crier gare, et avec lui, les fantômes d’une passion aussi intense qu’insensée. Elle et lui avaient décidé de jouer à un jeu. Le jeu d’une passion véritable, sans se révéler leurs identités, un jeu qui devait rester en périphérie de leurs existences, ne jamais s’inviter dans la réalité. Bouleversée par ce livre qu’elle est incapable d’oublier, dernière trace de cette passion enfouie, Sarah va se lancer dans une enquête éperdue pour retrouver celui dont elle ignore tout, sinon que de l’aimer l’a marquée d’une brûlure indélébile.

Il existe bien des critères susceptibles de me pousser à acheter un livre. Dans ce cas précis, c'était un peu particulier. L'autrice, Samantha Bailly, a beaucoup fait parler d'elle ces derniers mois en devenant en France une des militantes les plus actives pour le droit des auteurs, et en participant à fonder d'abord une Charte des auteurs jeunesse, puis une Ligue des auteurs professionnels dont elle est devenue présidente dans les deux cas. Elle bataille avec énormément de pugnacité et sait utiliser les réseaux sociaux de manière intelligente. Tout récemment, elle a fait de nouvelles vagues en annonçant que son prochain roman (malgré son jeune âge, elle en a déjà publié une vingtaine chez différents éditeurs "classiques") paraîtrait dans un premier temps uniquement en numérique et en auto-édition. Couplé à l'allusion au roman de Cortázar, qui attend dans ma PAL depuis des années, cela a suffi à me rendre assez curieuse pour acheter "La marelle" dès le jour de sa sortie. 

Passons maintenant au livre proprement dit. Et commençons par la partie qui fâche: je n'aime pas le style de Samantha Bailly. Beaucoup trop d'adjectifs. Des dialogues qui ne sonnent pas naturels. Une écriture que je qualifierais globalement d'un peu précieuse, alors que j'aime les plumes fluides et plus spontanées. Et malgré cette réserve, j'ai été happée par l'originalité de son histoire. Au travers d'interrogations amoureuses plutôt classiques au premier abord (la passion avec un homme mystérieux et fantasque, ou un couple stable avec un type solide et peu démonstratif?), son héroïne  est avant tout à la recherche d'elle-même. Incarnation de la Parisienne moderne, professionnellement accomplie et toujours en train de s'étourdir de sorties, Sarah dissimule des interrogations profondes et une quête d'authenticité qu'elle ne sait pas par quel bout prendre. Ses hésitations, ses doutes, ses volte-face sonnent très juste. Et j'ai beaucoup apprécié que la résolution du triangle amoureux ne soit pas celle qu'on aurait pu voir venir à des kilomètres, que la conclusion soit axée sur Sarah en tant que personne et non en tant que moitié d'un couple.

J'étais par ailleurs curieuse de voir à quel point l'absence d'intervention d'un éditeur professionnel se sentirait dans le bouquin. Si je suis souvent en bisbille avec les maisons d'édition pour les conditions de travail qu'elles nous imposent, j'ai toujours pensé que, sauf auteur très chevronné et doté d'un excellent recul sur son propre texte, le travail d'édition était indispensable à l'obtention d'un ouvrage de qualité. Je ne sais pas par qui ni comment Samantha Bailly s'est fait relire et corriger sur "La marelle", mais au final, je n'ai pas relevé plus de problèmes que dans un roman publié de manière classique (quelque soin qu'on apporte à cette étape, il reste toujours quelques broutilles par ci par là dans la version qui atterrit en librairie). En ce qui me concerne et bien que je ne raffole pas de son style, c'est donc un essai joliment transformé.

dimanche 21 octobre 2018

"Nine perfect strangers" (Liane Moriarty)


Ils ne se connaissent pas, mais ils ont tous une bonne raison d'avoir payé très cher pour une cure de 10 jours à Tranquillum House. Tenu par une étrange gouroute, cet établissement est réputé pour utiliser des méthodes inattendues dans le but  de transformer radicalement ses clients.

Frances Welty, fraîche quinquagénaire en proie aux affres de la ménopause, vient d'être victime d'une arnaque amoureuse sur internet, et son éditeur a refusé le manuscrit de sa dernière romance. Elle s'est inscrite à la cure sur un coup de tête, et avant même son arrivée, elle le regrette déjà...

J'avais adoré les trois romans précédents de Liane Moriarty: "Le secret du mari", "Un peu, beaucoup, à la folie" et bien sûr "Petits secrets, grands mensonges" adapté en série télé avec Reese Witherspoon et Nicole Kidman. Mais si "Nine perfect strangers" reprend la formule attrayante des points de vue multiples et des personnages qui ont presque tous quelque chose à cacher, cette fois, je n'ai pas du tout été tenue en haleine.

Bien que l'auteure s'amuse visiblement avec Frances, qu'on imagine être une sorte de double dont elle se moque affectueusement (en particulier dans une scène d'hallucinations où elle casse presque le 4ème mur), dans l'ensemble, le casting de "Nine perfect strangers" m'a laissée complètement froide. D'habitude, Liane Moriarty réussit grâce à une psychologie toujours très juste à me faire éprouver de l'empathie pour des personnages qui n'ont rien en commun avec moi; là, aucun d'entre eux ne m'a touchée, pas même ceux qui faisaient la révélation la plus tragique. Beaucoup de profils m'ont semblé très caricaturaux: Ben et Jessica, le jeune couple dont l'argent a gâché le mariage - lui ne s'intéresse qu'à sa voiture de luxe, elle qu'à ses multiples opérations de chirurgie esthétique; Carmel, la mère de famille nombreuse abandonnée pour une fille plus jeune et désormais obsédée par son poids...

Mais le pire, c'est que le ressort principal de l'histoire ne fonctionne pas. Les méthodes employées par la gouroute de Tranquillum House sont si extrêmes et dénuées d'éthique que je n'ai pas pu y croire une seconde - alors que les coïncidences improbables des romans précédents de l'auteure m'avaient juste fait brièvement lever les sourcils. Je veux bien suspendre mon incrédulité, mais pas à ce point. Si la première moitié de "Nine perfect strangers" reste à peu près acceptable, la seconde bascule rapidement dans un grotesque où elle ne cesse de s'enfoncer jusqu'à la fin. Je suis curieuse de voir ce qu'en auront pensé les autres lecteurs.

lundi 8 octobre 2018

"The book of M" (Peng Shepherd)


Il y a 5 ans, un phénomène aussi étrange qu'inexplicable s'est abattu sur l'humanité. Un par un, les gens ont commencé à perdre leur ombre et, dans les jours suivants, leur mémoire, jusqu'à oublier leur identité et devenir dangereux pour leur entourage. Ce fut la fin de la civilisation telle que nous la connaissons, tandis que les humains possédant toujours une ombre se regroupaient en bandes pour éliminer impitoyablement les autres - avant de succomber à leur tour au mal mystérieux. 

Il y a 5 ans, Ory et Max sont venus dans cet hôtel perdu au milieu des montagnes pour y assister au mariage de leurs amis Paul et Imanuel. Depuis, les autres invités sont morts ou partis pour tenter de rentrer chez eux tandis que le couple continue à vivre en autarcie, avec des réserves de nourriture presque épuisées. Le jour où l'ombre de Max disparaît, leur existence vacille. Ne voulant pas devenir un poids pour son mari, la jeune femme quitte l'hôtel sans le prévenir. Autour du cou, elle porte un magnéto qu'Ory lui a donné et par l'intermédiaire duquel elle va continuer à lui parler tandis que ses souvenirs s'évaporent un par un. 

En se lançant à la recherche de Max, Ory rencontre une poignée de survivants qui s'apprêtent à partir pour la Nouvelle-Orléans. Selon la rumeur, un prophète surnommé Celui Qui Rassemble se trouverait là-bas... 

Le post-apocalyptique est un genre que j'ai longtemps évité, le trouvant trop anxiogène, mais auquel j'ai fini par m'intéresser un peu ces dernières années grâce à des romans tels que "Station Eleven". "The book of M" raconte une histoire très originale, teintée de mysticisme et de magie, à travers le point de vue de plusieurs survivants: Ory et Max, mais aussi Naz, une archère iranienne venue aux Etats-Unis afin de s'entraîner pour les Jeux Olympiques, et l'Amnésique, un homme qui peu avant le déclenchement du phénomène avait perdu la mémoire et un oeil dans un accident de voiture. Avec un style déjà très maîtrisé pour son premier roman, Peng Shepherd entraîne le lecteur dans des aventures poignantes et lui coupe le souffle avec une fin des plus inattendues, prétexte à poser des questions fascinantes sur la notion d'identité. J'ai tellement aimé que je ne lui en ai même pas voulu de ne fournir aucune explication sur l'origine du phénomène. Et je ne doute pas qu'un éditeur français proposera bientôt une traduction de ce livre. 

dimanche 7 octobre 2018

"Bouillon" (Olivier Milhaud/Sandra Cardona)


Eugénie Croque-Bol a du caractère et de l'ambition. Mais quand elle se rend sur l'île de Bouillon pour devenir commis de cuisine au célèbre restaurant Caldo, elle découvre qu'en fait, on l'a engagée pour la moins prestigieuse brasserie. Bien que dépitée, la jeune femme accepte de rester. Très vite, elle devient amie avec sa colocataire Bigoudi, une danseuse de cancan doublée d'une mangeuse d'hommes, et se fait bien voir du sévère mais juste Chef Gilbert qui la surnomme Môme. Elle peut donc envoyer des lettres rassurantes à son Papino - jusqu'au jour où Maître Crouzille, le chef du Caldo, est assassiné... 

Si je suis toujours bonne cliente pour les bédés culinaires, je n'avais pas entendu parler de ce titre avant de tomber dessus chez mon libraire, ne connaissais pas ses auteurs et ne savais pas du tout à quoi m'attendre en l'achetant. Ce fut une très bonne surprise, notamment grâce à l'esthétique Art Déco de l'univers qui m'a tout de suite enchantée. Ile à la géographie improbable, Bouillon offre un cadre fascinant aux aventures de l'opiniâtre Eugénie. Mêlant découvertes culinaires et investigations policières, les 124 pages de l'album défilent trop vite tant on aimerait s'attarder dans ces ruelles tortueuses bordées de gargotes ou traîner encore un peu dans l'adorable studio de l'héroïne. Un one shot très réussi.