mardi 22 mars 2016

"Ta façon d'être au monde" (Camille Anseaume)


Très charmée l'année dernière par le premier roman de Camille Anseaume, et alléchée par les critiques élogieuses sur son deuxième, j'ai été ravie de le trouver samedi matin chez Pêle-Mêle, et je me suis jetée dessus le soir même pour le commencer. 

Dans la première partie de "Ta façon d'être au monde", une narratrice qui utilise le pronom "Tu" pour se désigner décrit l'enfance de sa meilleure amie, "Elle", leur rencontre et les liens qu'elles nouent au fil des ans. "Elle" est fondamentalement inquiète comme "Tu" est fondamentalement joyeuse; "Elle" envie "Tu" et cherche par leur proximité à s'approprier un peu de son insouciance. J'avoue m'être souvent reconnue dans les descriptions que l'auteure fait d'"Elle":

"Elle qui travaille si dur pour réaliser sa chance, elle pense que tu n'es pas foutue de te confronter au pire pour regarder la tienne en face. 
C'est vrai qu'elle travaille dur. Tous les soirs, elle tue sa mère pour tenter de ressentir en l'embrassant au petit matin le même soulagement que si elle était revenue à la vie. Tous les jours, elle imagine les scénarios les plus terribles pour goûter au plaisir qu'ils ne se réalisent pas. C'est une discipline exigeante qu'elle pratique avec rigueur et application." 

Malgré tout, cette histoire d'amitié ne m'accrochait pas spécialement, et j'étais rebutée par l'emploi systématique de ces pronoms là où des prénoms et un "Je" auraient rendu la lecture plus fluide. 

Puis, dans la seconde moitié du roman, on change de point de vue. La narratrice est désormais la jeune femme inquiète, qui dit "Je" pour parler d'elle-même et "Tu" ou "Elle" pour parler de son amie. Déjà, ça m'a perturbée. Ensuite, cette partie raconte un décès subit qui frappe leur petite bande, mais plus particulièrement la jeune femme jusque là insouciante. Pendant cent vingt pages, l'auteure parle de deuil d'une façon pleine de sensibilité et de justesse, mais qui m'a d'autant plus ennuyée que je ne voyais pas du tout l'intérêt du changement complet de point de vue et de sujet. 

Le temps que je comprenne où elle voulait en venir et, du coup, pourquoi elle avait procédé ainsi, j'arrivais presque à la fin du roman, et j'étais complètement passée à côté de celui-ci. Je l'ai refermé avec beaucoup de frustration, en me demandant: "Mais comment se fait-il que...?" et en me disant que j'aurais bien voulu connaître le point de vue de la personne défunte. Pour moi, une rencontre complètement manquée. 

dimanche 20 mars 2016

"Tout va très bien, madame la comtesse!" (Francesco Muzzopappa)


La comtesse Maria Vittoria dal Pozzo della Cisterna est effondrée: elle a dû se séparer de la quasi-totalité de ses domestiques et la voilà réduite à faire ses propres courses au supermarché. Tout ça à cause d'un fils beau comme un dieu et bête comme une huître, qui a jugé malin d'offrir le dernier joyau familial à une starlette décérébrée. Pour se sortir de ce pétrin, il va falloir faire preuve d'imagination...

C'est en cherchant chez Tropismes quelque chose de léger, amusant et rapide à lire que je suis tombé sur le deuxième roman de l'auteur italien Francesco Muzzopappa. Il a parfaitement rempli son cahier des charges: je me suis bidonnée tout au long des aventures de cette comtesse désargentée au parler franc et acerbe, en décalage complet avec la société moderne, les rustres de la plèbe et son abruti de fils. D'autant que Marianne Faurobert propose une traduction française au style très enlevé. "Tout va très bien madame la comtesse !" ne changera pas votre vie, mais si vous êtes sensible au même genre d'humour que moi, il vous fera sans doute passer un excellent moment.

"Je me rappelle encore l'époque où je caressais mon gros ventre en interrogeant mon mari sur l'avenir de notre petit. Serait-il mathématicien? Homme de lettres? Physicien? 
J'étais convaincue qu'il deviendrait un savant et qu'il consacrerait sa vie à traquer des protons et briser des atomes: inutile de préciser qu'en à peine plus de trois décennies, il parvint à briser bien autre chose...
Dès sa prime enfance, en effet, Emanuele ne fit preuve d'aucune aptitude particulière: à l'école, il peinait pour obtenir un 6; au gymnase, il n'arrivait pas à rester accroché à une barre plus de dix secondes; et au piano, il était incapable de distinguer une croche d'une blanche. 
Pensant qu'un instrument plus discret lui conviendrait mieux, je lui achetai un violon. Lorsqu'il décida d'arrêter, les écureuils revinrent enfin peupler le jardin de la villa." 

"Au moment de doter Emanuele d'un cerveau, le bon Dieu dut s'exclamer quelque chose comme: "Je suis éreinté" avant de passer à l création d'éléments plus complexes, du type éponges de mer." 

"Je dois avoir été contaminée par tous ces films où l'on voit le héros, pour sauver l'honneur de sa famille, se jeter torse nu dans un immeuble en flammes ou affronter au mépris du danger une bande de tigres affamés. Je ne m'attendais certes pas à une pareille attitude de la part d'Emanuele, mais tout de même, à un signe d'intérêt, ne serait-ce qu'un haussement de sourcil. 
"Je ne suis pas prêt" fut sa seule réponse, déclaration qui, pour ma part, n'aurait été recevable que provenant d'un poulet en cours de cuisson." 

jeudi 17 mars 2016

"Le génie des coïncidences" (John Ironmonger)


Depuis que sa mère l'a abandonnée dans une fête foraine à l'âge de trois ans, la vie d'Azalea Lewis a été marquée par une série de coïncidences malheureuses que la jeune femme attribue au destin. Convaincue qu'elle risque de mourir bientôt, elle se décide à consulter un expert en matière de probabilités. Mais lorsqu'elle pénètre dans le bureau du Dr Thomas Post, elle reconnaît l'homme sur qui elle est tombée la semaine précédente lors d'une collision dans un escalier roulant du métro londonien...

Après avoir lu "Sans oublier la baleine", je me suis jetée sur les deux romans précédents de John Ironmonger, et en découvrant l'argumentaire de celui-ci, je me suis souvenue l'avoir examiné à l'époque de sa sortie. J'ai toujours été passionnée par les calculs de probabilités et la différence entre corrélation et causalité (qui reste un de mes grands cheveux de bataille aujourd'hui encore). Mais je me suis également souvenue de la raison pour laquelle je ne l'avais pas acheté sur le coup: une bonne partie de l'action se déroule en Ouganda pendant une guerre civile assez atroce, et ça, par contre, ça me rebutait très fort.

Au final, ce qui m'a le plus dérangée dans le roman, ce ne sont pas les scènes qui se déroulent en Afrique mais l'histoire d'amour entre les deux héros, parce qu'elle est ultra-prévisible et n'apporte pas grand-chose à un ouvrage dont les autres thèmes étaient assez riches et originaux pour se suffire à eux-mêmes. J'ai aimé la façon dont le passé étonnant d'Azalea est reconstitué petit morceau par petit morceau, presque comme dans un thriller, et les arguments rationnels avec lesquels Thomas contre ses croyances tout au long de leur enquête commune. L'un dans l'autre, j'ai eu l'impression que l'auteur essayait de caser un peu trop de choses différentes dans la même histoire, mais "Le génie des coïncidences" ne m'a pas du tout déplu, loin de là.

mardi 15 mars 2016

"Ma fugue chez moi" (Coline Pierré)


Sa mère climatologue va encore passer Noël loin de chez elle, dans une station au fin fond de la Norvège. Non contente de l'avoir laissée tomber, son ex-meilleure amie s'est mise à la harceler au collège. Alors, Anouk décide de fuguer. Mais très vite, elle se rend compte qu'il ne va pas être facile pour une fille de 14 ans de trouver un endroit chaud et sûr où passer la nuit. Alors, elle a une idée: sans rien dire à personne, elle va s'installer dans le grenier de sa propre maison...

Si c'est la très belle photo de couverture qui a attiré mon attention sur la table des nouveautés jeunesse chez Brüsel, je dois avouer que le contenu m'a emballée encore davantage.  Combien de fois ai-je moi aussi rêvé de mener une existence d'ermite avec juste des livres et de quoi me nourrir? Bien qu'elle n'aie pas de problème majeur, Anouk éprouve le besoin de s'isoler pour faire le point. Son amour pour le banjo, sa relation avec sa petite soeur Bena, la façon dont elle organise et raconte son quotidien d'occupante clandestine - tout m'a ravie dans ce court roman qui se dévore d'une traite. Une jolie histoire réconfortante pour ado mal dans sa peau et ayant parfois envie de fuir sa propre vie.

"Les maisons sont les lieux fantômes de nos existences. Elles sont là, immuable,s presque éternelles. Tant qu'on ne vit pas dans un pays en guerre, on peut quitter sa maison confiant, en sachant qu'on la retrouvera en rentrant. J'ai toujours aimé imaginer qu'il s'y passait des choses mystérieuses et fabuleuses en notre absence, que les meubles se mettaient à bouger, que la vaisselle dansait, que les livres papotaient ensemble. Mais maintenant que je vois l'envers du décor, je constate que la vie intérieure de la maison est aussi insignifiante que celle de beaucoup de collégiens. Tout l'après-midi, je lis, je dessine, je joue du banjo, j'écris une chanson qui parle de grenier, je regarde des séries en streaming. Une belle sensation m'envahit: je rattrape du temps perdu. C'est à ça que doit ressembler le quotidien. Personne ne sait mieux que nous ce qu'on a envie de faire de nos journées alors pourquoi confier ça à quelqu'un d'autre, une école, un employeur? Je me demande parfois à quoi servent les autres. On est si bien tout seul." 

"Peu importe où on se trouve, ce qui rend la vie palpitante, c'est ce qui se passe dans notre tête. Tout peut devenir une aventure, même l'immobilité et la solitude." 

"J'ai compris quelque chose sur notre famille: d'une manière ou d'une autre, nous sommes tous des fugueurs. Ma mère s'est enfuie en Norvège, mon père s'échappe dans son travail et ses boîtes, et ma soeur fuit dans ses cours de danse. L'humanité tout entière passe son temps à s'enfuir. Je crois que c'est le cours normal des choses."

dimanche 13 mars 2016

"Un hiver long et rude" (Mary Lawson)


Rien ne va plus chez les Cartwright. Alors qu'Emily s'apprête à donner naissance à son huitième enfant, Megan, fille unique de la fratrie et mère de substitution de chacun, décide de voler de ses propres ailes. A 21 ans, l'heure est venue pour la jeune fille de se libérer des siens. Adieu le Grand Nord canadien, bonjour le swinging London! Mais pendant que Megan se chercher dans la Vieille Europe, les Cartwright, eux, tentent de survivre. Qui pour s'occuper du foyer, désormais? Pour remplir le frigo? Pour protéger Adam, 4 ans, de ses frères et de la folie douce d'Emily? 

Cette chronique familiale à trois voix se déroule à la fin des années 1960. Megan, la deuxième des enfants Cartwright, met un océan entre sa famille et elle pour tenter de se créer une vie bien indépendante dans la capitale d'un pays inconnu, alors qu'elle a toujours vécu dans un petit village et n'a pas fait d'études afin de pouvoir s'occuper de ses jeunes frères. Tom, l'aîné de la famille, brillant ingénieur aéronautique, rentre à la maison après le suicide de son meilleur ami, dont il ne parvient pas à se remettre. Dépressif, il gaspille ses compétences à conduire le chasse-neige local et refuse toute forme de contact humain. Enfin Edward, le père, banquier qui a grimpé les échelons de la hiérarchie à la force du poignet, passe son temps libre retranché dans son bureau à lire des ouvrages sur des endroits loin où il n'a jamais pu se rendre; terrifié à l'idée de reproduire le comportement de son propre père alcoolique et violent, il a complètement démissionné de l'éducation de ses plus jeunes enfants. 

Le plus effrayant, c'est que j'ai eu l'impression de ne pas pouvoir maîtriser cette... explosion de colère. Comme si ce n'était pas moi qui hurlais. Cette idée est ridicule. Si Joel Pickett est responsable de ses actes, je suis responsable des miens. Si vous n'admettez pas ce postulat, ce n'est pas vous qui êtes le maître de votre vie. Vous n'êtes qu'un pantin, et ce sont vos ancêtres qui tirent les ficelles. 

Certains aspects de ce livre m'ont beaucoup plu, notamment la description de la vie dans une province isolée du Canada, la quête d'indépendance de Meg, mais aussi la façon dont Edward analyse dans son journal les traumatismes d'enfance qui ont modelé son comportement d'adulte. En revanche, j'ai très souvent eu envie de hurler à l'injustice et de secouer à peu près tous les membres de la famille restés à Struan pour qu'ils se décident à bouger un peu. Que des gens qui n'ont même pas de problèmes d'argent pour les excuser laissent un foyer partir ainsi à la dérive, ça m'est vraiment resté en travers de la gorge, et bien que j'aie globalement apprécié "Un hiver long et rude", j'ai détesté la façon dont il se termine. 

samedi 12 mars 2016

"La photographe T1" (Kenichi Kiriki)


Une adolescente qui vient d'intégrer le club photo de son lycée se promène dans Tokyo et ses environs avec un vieil appareil argentique, à la recherche d'endroits possédant un intérêt historique ou culturel. "Un titre d'exception à mi-chemin entre "L'homme qui marche" et "Le gourmet solitaire" de Jiro Taniguchi", affirme la quatrième de couverture. Forcément, je me suis laissée tenter. Et la déception a été à la hauteur de mes espoirs. D'abord, les promenades d'Ayumi sont découpées en chapitres de 5 pages seulement, ce qui est bien trop court pour avoir le temps d'instaurer une ambiance ou une émotion. L'auteur a cherché à caser un maximum d'informations sur les endroits qu'il montre, ce qui pouvait être très intéressant mais qui, en gros pavés de texte tassés sur des dessins en noir et blanc, nuit gravement à la lisibilité de l'ensemble. Et puis le dessin m'a paru très vieillot et vraiment peu attrayant. Bref, j'ai eu du mal à parvenir au bout du tome 1 et je n'achèterai pas les suivants.




jeudi 10 mars 2016

"Le Club" (Michel Pagel)


Longtemps, ils avaient été cinq. 
François, Claude, Mick, Annie et Dagobert, quatre enfants et un chien, ont autrefois formé un Club et vécu bien des aventures extraordinaires. Trente ans plus tard, le chien est mort depuis longtemps quand trois membres du Club, devenus adultes, séparés par la vie, sont invités par le quatrième à l'endroit même où ils passaient leurs vacances dans leur enfance. 
Bientôt, alors que la maison est isolée par d'importantes chutes de neige, la vieille mère de Claude est assassinée... Mick est-il le responsable, comme semble le penser François? A moins qu'un assassin se dissimule dans les environs enneigés? Et pourquoi Claude se retrouve-t-elle régulièrement projetée sur un rivage anglais, à la rencontre d'enfants et d'un chien ressemblant singulièrement à ceux qu'ils étaient autrefois, elle et ses cousins?

Mes collègues-et-néanmoins-amis Mélanie Fazi et Patrick Marcel avaient dit sur Facebook tout le bien qu'ils pensaient de ce roman juste avant sa sortie il y a quelques jours, en précisant qu'ils ne pouvaient donner aucun détail pour ne pas gâcher la surprise. Comme j'ai grandi avec la série d'Enid Blyton, j'étais un peu obligée (si, si) de me jeter sur "Le Club" et de le dévorer d'une traite devant un Fukamushi Sencha et un moelleux au matcha, hier après-midi chez Unami. Et je confirme: c'est un bouquin formidable, mais dont on ne peut rien révéler dans l'intérêt même des futurs lecteurs. Sachez juste qu'il joue dans le registre cruel et inattendu plutôt que dans la guimauve convenue, et que c'est ce qui fait une grande partie de son intérêt - avec, bien évidemment, cet élément fantastique qui... que... enfin bref. Non, je ne me foule pas sur ce coup-là, mais c'est pour votre bien. Lisez-le et vous comprendrez.

mardi 8 mars 2016

"Sans oublier la baleine" (John Ironmonger)


A Saint-Piran, en Cornouailles, on se souvient encore du jour où le jeune homme nu a été rejeté sur la plage par l'océan. Une entrée en scène des plus originales. Les villageois se portent bien sûr à son secours: l'ineffable Dr Books, le glaneur Kenny Kennett, Demelza, romancière à l'eau de rose... ou encore la pimpante épouse du vicaire. Sans oublier la baleine, à l'arrière-plan, qui ne veut plus quitter la côte. Personne ne sait alors que Joe Haak a fui la City, terrorisé à l'idée que le programme de prédictions qu'il a inventé n'entraîne l'effondrement de l'économie mondiale. Avec ce nouveau venu, un sentiment de fin du monde vient contrarier la quiétude de Saint-Piran...

J'avoue: sans cette couverture sublime, je n'aurais peut-être jamais prêté la moindre attention à ce roman dont je n'avais jamais entendu parler et ne connaissais même pas l'auteur. Comme quoi, se fier à des critères superficiels donne parfois de bons résultats! En mélangeant deux extrêmes de notre civilisation occidentale - un cabinet de traders qui manipulent les marchés sans scrupules ni souci des conséquences, et un village isolé de pêcheurs comptant à peine 307 âmes paisibles et droites dans leurs bottes -, John Ironmonger tisse une fable édifiante. La frayeur inspirée par une catastrophe tristement réaliste se mue bientôt en espoir devant le bel élan de solidarité qu'entraîne cette dernière, et on se surprend presque à vouloir être transporté à Saint-Piran pour partager une si jolie fin du monde. Il paraît que "n'importe quelle société n'est qu'à trois repas de l'anarchie". Peut-être, mais c'est sans compter Joe Haak et la baleine. Un roman original et vivifiant, qui bénéficie en outre d'une excellente traduction de Christine Barbaste.

"- Cassandre était la soeur d'Hector, dit Jeremy. Elle prédit qu'il périrait entre les mains d'Achille, mais personne ne la crut. 
- Ne voyez-vous pas que c'était sa malédiction? s'impatienta Demelza. Apollon lui a offert le don de prophétie, mais il s'est débrouillé pour que jamais personne ne croie ses prédictions. C'était bien un homme, celui-là, tout dieu qu'il était! Ils ne supportent pas qu'une bonne femme en sache plus qu'eux. 
- Demelza, vous ne pouvez pas mettre tous les hommes dans le même panier! Quel sectarisme! 
- Pourquoi pas? Apollon était un connard. (...)
- Un connard fictif, précisa Books. Ne perdons pas de vue ce détail. 
- Comment en est-on venu à parler de lui, déjà? demanda Demelza. 
- J'étais en train d'expliquer mon système informatique, répondit Joe mollement. 
- ...que vous aviez baptisé Cassandre, c'est ça? 
- Non, Cassie. Mais ce n'est pas vraiment le sujet. J'essayais d'expliquer pourquoi je me suis enfui." 

dimanche 6 mars 2016

"Pour Sanpei" (Fumiyo Kouno)


Après la brusque disparition de sa femme, Sanpei, la soixantaine bougonne, part vivre chez son fils qui lui a toujours reproché d'être un père peu impliqué et pas du tout démonstratif. Il peine à trouver sa place dans son nouveau foyer lorsqu'il découvre un gros album laissé par la défunte Tsuruko, dans lequel celle-ci lui explique les goûts de chacun des membres de sa famille, ainsi que la manière d'effectuer toutes les tâches du quotidien - cuisine, ménage, repassage ou couture. Muni de ce précieux ouvrage, Sanpei se rend peu à peu indispensable à la bonne marche de la maison et se rapproche de sa petite-fille Nona, une enfant peu attachante au premier abord...

C'est grâce à Shermane que j'ai découvert ce manga en deux tomes signés Fumiyo Kouno et datant de 2009. Ici, pas d'exploits héroïques ni de grandes passions: juste la peinture d'une transition difficile dans la vie d'un vieux Japonais forcé de remettre en cause son mode de fonctionnement et son rapport aux autres. Il n'est jamais trop tard pour apprendre et bien faire, semble dire l'auteur en alignant les scènes amusantes ou touchantes du nouveau quotidien de Sanpei. Son trait simple mais expressif, ses compositions épurées s'harmonisent parfaitement avec le stoïcisme pudique du héros, de sorte qu'on prend beaucoup de plaisir à voir celui-ci effectuer même les gestes les plus simples et les plus répétitifs de la tenue d'un foyer. Et puis parfois, au détour d'une page, on se laisse cueillir par l'émotion d'une case pleine de nostalgie, voire de poésie. Un manga peu connu mais qui mérite le détour. 





vendredi 4 mars 2016

"On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en s'en allant" (Marie Griessinger)


Il fut un jeune océanographe militaire plein de fougue, qui rencontra à Tahiti une femme déjà mariée et mère de deux enfants. Leur amour plus fort que tout les emmena à Santa Monica pour apprendre l'anglais, à Cayenne où grandit leur fille Marie, en région parisienne où il se retrouva dans un bureau sur la ligne de RER C, puis à Uzès pour une retraite qu'ils espéraient paisible. C'était sans compter la démence à corps de Lewy, une pathologie incurable qui allait peu à peu priver Jean-Michel de ses facultés mentales et de ses capacités motrices.

L'auteure assiste impuissante au déclin de ce père qui ne lui avait jamais dit "Je t'aime" jusque là, et entre les scènes dépeignant la progression inexorable du mal, elle évoque par petites touches les souvenirs d'un passé heureux, mais aussi et surtout l'amour extraordinaire qui continue à unir ses parents jusque dans cette ultime épreuve. Un court récit en camaïeu d'ombre et de lumière, de chagrin et de beauté. 

"J'ai pensé: "Et si je disais à mon père tout ce qu'il aimerait entendre...". Je pourrais lui dire que je suis devenue expert-comptable, comme il en rêvait, même si ce n'est pas vrai, même si ça n'arrivera jamais, je pourrais lui dire que ça marche très bien et que j'ai plein de clients... Oui, j'ai envie de mentir à mon père, de lui donner de bonnes nouvelles, des nouvelles pour le rendre heureux, tant qu'il peut encore les entendre, et les jeter par la porte entrouverte de son esprit pour que ça lui fasse une lumière à l'intérieur, un feu pour l'éclairer et pour le réchauffer, un feu pour ses nuits de solitude, avant que tout ne se referme."

"Il y a quelque chose que j'aimerais dire à tous les bienheureux, tous ceux qui ont la chance d'avoir un père vaillant, un père qui peut prononcer leur nom, se lever, marcher avec eux, j'aimerais leur dire: "Fermez ce livre, ce plaisir solitaire du livre, vous avez toute la vie pour être seuls face à un livre, et sortez, descendez dans la rue, videz les artères des immeubles, répandez-vous sur les chemins en une hémorragie de fils et de filles, suivez le bruit de votre coeur qui bat et courez le retrouver. Mon père n'était pas parfait. Il l'est devenu le jour où il a arrêté de parler, d'être froid, de toujours donner raison à ma mère, de me contredire. Ce jour où mon père est devenu invalide, je l'ai mis sur un piédestal. Mais ce sont toutes ses imperfections qui me manquent."

jeudi 3 mars 2016

"Juliette: Les fantômes reviennent au printemps" (Camille Jourdy)


Une jeune Parisienne hypocondriaque et sans doute dépressive revient pour un laps de temps indéterminé dans la ville de province où elle a grandi. Son père n'a jamais refait sa vie depuis le départ de sa mère, une excitée New Age qui change de petit ami comme de chemise bariolée. Sa grand-mère perd la boule et va devoir être placée dans une maison de retraite. Sa soeur aînée en a un peu marre que tout le monde se repose sur elle au prétexte qu'elle est forte, et s'évade le jeudi dans les bras d'un amant dont elle n'attend rien. Son beau-frère s'est récemment découvert une passion pour les flans. L'aîné de ses neveux, sur le point d'avoir onze ans, est atteint de tics nerveux qui le défigurent. Alors qu'elle va revoir la maison de son enfance dans l'espoir de ressusciter ses souvenirs enfuis, Juliette rencontre le nouveau locataire, un pilier de bistrot malchanceux en amour...

Comme "Rosalie Blum" que j'avais tant aimé, "Juliette : Les fantômes reviennent au printemps" s'attache à suivre le quotidien de provinciaux très ordinaires, voire passablement ennuyeux, mais qui dès qu'on s'intéresse à eux d'un peu plus près se révèlent gentiment barrés chacun à leur façon, et finissent tous par inspirer une tendresse à mi-chemin entre amusement et résignation. Cette histoire sans véritable histoire pourrait déprimer le lecteur si le dessin n'était pas aussi coloré et faussement naïf, et si l'auteure ne s'amusait pas à semer des petits grains de folie par-ci par-là: un caneton nommé Norbert Magret, un poisson pané sauvage, un vendeur de déguisements qui se rend chez sa belle dans la peau d'un ours, d'un lapin ou d'un fantôme... La vie passe quoi qu'il arrive, avec ses angoisses, ses peines et ses chamailleries, mais même sans rien en faire de grandiose, on peut toujours y trouver une forme de douceur, un réconfort, un apaisement, semble dire Camille Jourdy. J'ai été très sensible à la représentation ultra-fidèle de l'hypocondrie, mais aussi à la dynamique des rapports familiaux conditionnés par le poids des non-dits et des rôles définis dans l'enfance. Une oeuvre pleine de sensibilité, mais au charme de laquelle on ne se laissera prendre qu'à condition d'être dans un certain état d'esprit.




mercredi 2 mars 2016

"La doublure" (Meg Wolitzer)


Un célèbre écrivain américain se rend en Finlande, où il doit recevoir le prestigieux prix Helsinki censé couronner l'ensemble de son oeuvre. Il l'ignore encore, mais sa femme a décidé de le quitter au terme de ce voyage...

Dans ce roman beaucoup plus bref que "Les Intéressants", Meg Wolitzer raconte la trajectoire d'un couple du point de vue de la femme, habituée à vivre depuis le début dans l'ombre de son homme assoiffé de reconnaissance et de gloire. Quand ils se rencontrent dans les années 50, il est marié à une autre, papa depuis peu et aspirant romancier; elle est son étudiante en lettres et elle-même un écrivain prometteur. Durant les décennies qui suivent, elle sacrifie sa carrière pour aider à asseoir celle de son mari, fermant les yeux sur ses défaillances d'époux et de père tandis que la passion charnelle du début cède la place à un arrangement assez inégal dont elle se satisfait pourtant.

Je me demande un peu ce que l'éditeur français avait dans la tête en choisissant un titre qui permet de deviner l'arrangement en question avant même la page 60, alors que le titre original "The wife" ("L'épouse") résumait mieux la problématique du roman sans vendre la mèche. Tout suspens éventé, je me suis ennuyée ferme durant cette évocation pourtant très bien vue et très bien écrite d'un destin choisi jusqu'au bout plutôt qu'imposé par les normes d'une époque.

"Tout le monde sait à quel point les femmes savent se montrer persévérantes en dépit de tout, qu'elles rêvent de projets, de recettes, d'idées participant d'un monde meilleur, avant de les abandonner en chemin à cause du berceau au milieu de la nuit, des courses au Stop & Shop, ou du bain des enfants. Elles les égarent en chemin lorsqu'elles aplanissent la voie où leur mari et leurs enfants vont pouvoir progresser dans l'existence en toute sérénité. 
Mais c'est leur choix, aurait pu objecter Bone. Elles font le choix d'être ce genre d'épouses, ce genre de mères. Personne ne les force plus. Tout cela, maintenant, c'est terminé. Nous avons eu un mouvement des femmes en Amérique, nous avons eu Betty Friedan, et Gloria Steinem avec ses lunettes daviateur et ses deux mèches de cheveux en forme de parenthèses congelées. Nous sommes désormais entrés dans un monde tout à fait neuf."

mardi 1 mars 2016

Les sorties bédé que j'attends avec impatience en mars



Le 23: "Les rêveries d'un gourmet solitaire"
C'est avec "Le gourmet solitaire", séries d'histoires courtes centrées autour d'un voyageur de commerce et de ses découvertes culinaires au fil de ses déplacements, que je m'étais initiée à l'oeuvre contemplative de maître Jirô Taniguchi,. Aussi ai-je été ravie de découvrir récemment qu'une suite sortait en mars. (Amazon l'annonce pour le 2 et l'éditeur pour le 23; j'ai plutôt tendance à croire ce dernier.)



Le 24: "Orange, Tome 5"
Conclusion très attendue d'une uchronie personnelle mélangée à un délicat triangle amoureux. Les amis de Kakeru réussiront-ils à changer le cours de son histoire tragique? Naho finira-t-elle avec lui cette fois? Tout est possible...



Le 31: "Mes petits plats faciles by Hana, Tome 3"
Les deux premiers tomes de ce manga culinaire ultra-rigolo sont sortis à quelques mois d'intervalle il y a déjà trois ans. Depuis, je rongeais mon frein en guettant la suite. J'ai hâte de voir quels délices Hana-la-feignasse va encore improviser avec ses fonds de frigo et savourer avec des couinements de bonheur.