mercredi 25 novembre 2015

"Ca aussi, ça passera" (Milena Busquets)


La mère de Blanca, le grand amour de sa vie, est morte il y a un mois. L'été arrivant, la narratrice quadragénaire va s'installer dans la maison de vacances familiale, à Cadaquès, en compagnie de toute sa tribu: ses deux ex-maris et les enfants qu'elle a eus d'eux, la nounou, ses amies Sofia et Elisa... Même son amant marié, Santi, n'est pas loin. Au fil des baignades et des promenades en bateau, des verres en terrasse et des dîners au jardin qui se prolongent tard dans la nuit, Blanca convoque ses souvenirs et continue à converser avec la défunte. Pour tromper son immense chagrin et se sentir vivante malgré tout, elle ne connaît qu'un seul moyen: s'étourdir de séduction et de sexe...

De toute évidence, Blanca et moi avons des manières très différentes de gérer le deuil. C'est pour cette raison que malgré des critiques ultra-élogieuses, j'ai mis assez longtemps à me décider à lire "Ça aussi, ça passera". J'ai fini par attaquer ce roman d'été au coeur d'un automne parfaitement lugubre, et au final, je l'ai dévoré dans la journée. D'abord pour la très belle écriture de Milena Busquets, admirablement traduite de l'espagnol par Robert Amutio. Ensuite pour la sensibilité aiguë dont l'héroïne fait montre, à la fois dans ses observations sur la vie et dans l'expression de son chagrin. Parler de choses extrêmement intimes sans jamais sombrer dans l'impudeur ou la vulgarité n'est pas donné à tout le monde. L'auteur fait encore mieux que cela: elle parvient, sur un thème casse-gueule, à produire un roman introspectif aussi solaire que la saison et le lieu qui lui servent de cadre. Je dis bravo. 

Je suis folle de mon corps asymétrique, doux, maigre, imparfait, disproportionné, je le gâte, je le tripote, je lui donne tout ce qu'il me demande, je le suis partout, je lui obéis docilement, je ne le contredis jamais. C'est le contraire d'un temple. J'ai essayé, j'essaie, sans trop de succès, de faire de ma tête un temple, mais le corps devrait être toujours un parc d'attractions.

Je remarque les mêmes choses, le petit chien monté sur ressorts dont la tête apparaît et disparait à la fenêtre d'un rez-de-chaussée, le grand-père qui donne la main à son petit-fils, les beaux mecs avec le radar branché, l'éclat du rayon de soleil sur mes bracelets cliquetants, les personnes âgées et seules, les couples qui s'embrassent avec passion, les mendiants, les vieilles suicidaires et provocatrices qui traversent la rue à la vitesse d'une tortue, les arbres. Nous voyons tous des choses différentes, nous voyons toujours les mêmes choses, et ce que nous voyons nous définit absolument. Nous aimons instinctivement ceux qui voient comme nous, et nous les reconnaissons tout de suite.

C'est l'observation, pas seulement l'amour, qui nous rend maîtres des choses, des villes que nous avons visitées, des histoires que nous avons vécues, des gens, de tout. Tout ce que tu as connu et vécu sans indifférence, avec attention, tout cela est à toi. Tu peux tout convoquer quand tu en as envie.

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