dimanche 28 octobre 2012

"La vie"


"Enfoiré. On hérite ensemble d'un magnifique manoir à la campagne et il préfère le vendre plutôt que le partager. Si Bonne-Maman n'était pas complètement gaga, elle en mourrait de tristesse...

Je comprends tout mais je fais semblant. C'est beaucoup plus simple. Je suis lasse des déceptions de ce monde, jaime mieux sucrer les fraises en attendant de rejoindre Bon-Papa...

Voilà dix ans que j'attends son arrivée, je nous ai trouvé un petit nuage, je crois qu'elle va l'adorer. C'est drôle de regarder les vaches d'aussi haut, on dirait des fourmis...

Je donnerais tous mes veaux pour être une fourmi. Elles travaillent beaucoup plus que nous mais elles doivent beaucoup moins s'emmerder. Encore quarante minutes avant de voir passer l'omnibus pour Clermont-Ferrand, les autres trains vont trop vite, on n'a plus le temps d'apercevoir les passagers aux fenêtres...

Que c'est beau la France! On dira ce qu'on voudra, c'est beau. J'en parlerais volontiers avec mon voisin, mais il a l'air complètement envoûté par son téléphone... 

Je n'arrive pas à vaincre le monstre du cinquième niveau. J'ai essayé tout le week-end, il est imbattable! Ce jeu est trop difficile pour moi, je ne comprends pas comment mon filleul a réussi à le terminer...

Il faut utiliser les trois bazookas à la fois, pile au moment où il saute en arrière. J'ai mis un peu de temps mais j'ai trouvé. Je n'ai plus personne contre qui me battre maintenant, vivement que ma belle-mère accouche..."

Pendant 120 pages, Régis de Sa Moreira saute ainsi des pensées d'un personnage à un autre. En quelques lignes à peine, il brosse un portrait éphémère tantôt drôle, banal, joyeux ou poignant. Dans son cinquième livre se croisent des amoureux et des époux désabusés, des enfants à naître et des vieillards morts, Julia Roberts et Harrison Ford, des chats et des ours, et puis une caissière, une végétarienne, une blogueuse et un assassin. Enchaînement de brèves tranches de vie hyper-réalistes ou éminemment farfelues, dont certains donnent le sourire et d'autres font froid dans le dos, "La vie" est moins un roman qu'une expérience littéraire savoureuse. En le refermant, j'avais envie de prendre la plume pour continuer à en dérouler le fil. 

jeudi 25 octobre 2012

"Partie commune"


La maison des Manin va être vendue à une curieuse troupe de saltimbanques désireux de la changer en théâtre. Cette transformation est racontée tour à tour par Joseph, le petit-fils des anciens propriétaires qui évoque sa famille éclatée; Iris, une aspirante comédienne qui voit là une occasion de décrocher de la came et d'être autorisée à revoir sa fille de 6 ans; Hector, le directeur artistique étrangement dénué d'émotions; mais surtout par la maison elle-même qui, avide de la compagnie des hommes, va se découvrir une nouvelle vocation... 

Objets inanimés, avez-vous donc une âme? Oui! répond Camille Bordas, jeune auteure de 25 ans à peine. Dans "Partie commune", elle fait s'exprimer non seulement la maison dans laquelle se déroule l'histoire, mais aussi une horloge, un arbre, une tasse, un miroir, une porte, une pompe à bière, une valise ou un ruisseau, auxquels elle prête des sentiments plus humains qu'à certains de ses protagonistes bipèdes. C'est une vraie bonne idée, et la grande force de son roman - avec une écriture qui m'a semblé étonnamment mature pour son âge. Par contre, si j'ai beaucoup aimé les histoires de la famille Manin vues par le regard acerbe et désabusé, mais nullement malveillant, de Joseph, je n'ai pas du tout réussi à m'attacher à Isis et Hector qui sont les narrateurs des deux autres parties, et encore moins aux six acteurs qui les entourent. Ils étaient, à mes yeux, moins vivants, moins réels et bien moins intéressants que cette maison pleine de caractère et d'ambition - la véritable héroïne de "Partie commune". 

mercredi 24 octobre 2012

"Le caveau de famille"


Il y a 3 ans, j'avais passé un très bon moment à lire "Le mec de la tombe d'à côté". La suite des aventures de Désirée la bibliothécaire et Benny le paysan venant de sortir en poche, je me suis dit qu'elle serait parfaite pour occuper quelques heures de train. Et de fait, "Le caveau de famille" m'a occupée - mais essentiellement à rouspéter en mon for intérieur. 

(Attention, spoilers!) Désirée tombe enceinte des oeuvres de Benny comme prévu. Du coup, elle va s'installer avec lui à la ferme. Où elle rechigne à participer aux travaux quotidiens et se révèle une piètre ménagère. Et où elle enchaîne les pontes successives de marmots jusqu'à épuisement total. Pendant ce temps, Benny râle qu'elle ne fout pas grand-chose et que, quand même, elle pourrait se fendre d'un petit effort: sa mère, elle, tenait parfaitement son intérieur et secondait son père comme une bonne épouse d'exploitant agricole se doit de le faire. Désirée et Benny ont toujours autant de mal à se comprendre mais de temps en temps, l'un d'eux lâche qu'il n'échangerait leur vie commune contre rien d'autre au monde parce que les enfants, y'a que ça de vrai ma bonne dame. 

Voilà voilà voilà. 

Envolée, la comédie drôle et grinçante qui m'avait séduite dans "Le mec de la tombe d'à côté". Ici, une femme adopte la vie de son homme - vie qui clairement ne lui convient pas du tout - et elle s'en dit heureuse au nom de l'amûr et de la maternité. Pitié, qu'on me file une bassine. 

mardi 16 octobre 2012

Wilma Tenderfoot Tome 1: "L'énigme des coeurs gelés"


Wilma vit sur l'île imaginaire de Cooper, qu'un mur sépare en deux zones: le Haut et le Bas. Agée de dix ans, c'est une orpheline minuscule et extrêmement bavarde qui s'est mis en tête de marcher dans les traces du grand détective Théodore P. Lebon. Et comme sa détermination n'a d'égale que sa maladresse, elle se fourre très souvent dans le pétrin. 

Un jour, l'Institution pour Petits Malchanceux où Wilma vit depuis qu'elle a été abandonnée l'envoie travailler comme domestique chez Mme Ronchard, une vieille dame tyrannique et effrayante. Au même moment, le plus gros diamant du monde disparaît, et l'homme qui l'a découvert est retrouvé assassiné avec le coeur gelé. Wilma tient une occasion rêvée de prouver à Théodore P. Lebon qu'elle est digne de devenir son apprentie!

Dès la première page, le ton de ce roman jeunesse est donné: une illustration montre notre héroïne suspendue par son fond de culotte à un crochet à jambon, un rouleau de PQ contre l'oeil en guise de longue-vue. Wilma Tenderfoot est une mini-Miss Catastrophe, pleine de bonne volonté mais qui réussit essentiellement à semer la pagaille autour d'elle. Difficile, cependant, de ne pas s'attacher à cette orpheline têtue et volubile imaginée par la britannique Emma Kennedy. L'histoire est bien troussée, avec des personnages manichéens et d'autres plus nuancés ou surprenants. Casterman en propose une édition française de qualité, avec une excellente traduction de Corinne Daniellot et des dessins amusants de Nancy Pena (y compris un monogramme rigolo à chaque début de chapitre et, dans le coin inférieur droit des pages impaires, un chien que l'on peut faire courir façon flip book). 

Sur les quatre tomes que doit comporter la série, deux sont déjà parus en français. Je trouve qu'ils feraient un très bon cadeau de Noël pour une fillette de 8 à 10 ans aimant la lecture et les histoires de détective. Je dis ça, je dis rien. 

mercredi 10 octobre 2012

"L'étrange Odd Thomas"


J'ai une sale manie: j'adore les spoilers. Quand je suis fan d'une série télé que je découvre avec un peu de retard, je ne peux pas m'empêcher d'aller regarder sur un guide quelconque comment elle se termine. Et quand je lis un roman, particulièrement s'il s'agit d'un thriller, je commence par survoler le dernier chapitre pour voir qui a fait le coup. Ainsi, au lieu de me retourner les méninges à chercher le coupable, je peux admirer la façon dont l'auteur construit son histoire et sème des indices dans le texte. Libérée de la pression du suspense, je décortique paisiblement la mécanique, je traque les incohérences, je mesure le savoir-faire de l'artisan. Ca ne me gâche pas mon plaisir, bien au contraire. 

Pourtant, une fois n'est pas coutume: je regrette d'avoir regardé dès la page 100 comment allait se terminer le premier volume des aventures de Odd Thomas. 

Ce roman de Dean Koontz avait peu de chances d'atterrir entre mes mains. En principe, je ne suis pas ou peu cliente de la catégorie horreur/fantastique. Mais la critique lue sur le blog de Sun-Jae m'avait suffisamment intriguée pour que je décide de sortir un peu de ma zone de confort littéraire. 

Odd Thomas habite une petite ville californienne recuite par le soleil, au milieu du désert du Mojave. Agé de vingt ans, il n'a pas d'autre ambition dans la vie qu'aimer pour toujours sa petite amie Stormy Llewellyn et préparer les meilleurs pancakes de Pico Mondo... s'il ne se reconvertit pas un jour dans la vente de pneus. Mais comme son nom l'indique (en anglais, du moins), Odd Thomas possède un don étrange: un sixième sens hyper développé qui lui permet, entre autres choses perturbantes, de voir les morts. Quand il le peut, il se fait un devoir d'aider les victimes d'assassinat à obtenir justice pour qu'elles puissent enfin passer dans l'au-delà. Mais en ce 14 août écrasé de chaleur, c'est à un phénomène bien plus perturbant qu'assiste le jeune cuisinier: il voit grouiller dans la ville des centaines de bodachs, créatures d'ombres attirées par l'imminence d'un massacre à grande échelle...

Dès les premières pages, j'ai été séduite par le ton de l'auteur et par la personnalité attachante de son héros. Odd Thomas a beaucoup souffert et été témoin de quantité d'horreurs; pourtant, il conserve une fraîcheur, voire une naïveté, extrêmement touchante. L'amour qu'il porte à Stormy Llewellyn est pur et absolu, mais même s'il n'est pas immunisé contre la peur, le jeune homme n'hésite ni à enfreindre la loi ni à se mettre en danger pour sauver des innocents. On pourrait le croire un peu simple d'esprit: c'est, au contraire, un sage capable d'accepter les failles des autres et le sort qui lui est échu dans la vie. Sa grande lucidité transparaît dans l'humour ironique et légèrement distancié avec lequel il raconte son histoire à la première personne. 

Dean Koontz réussit le tour de force d'écrire un roman très noir, voire glaçant par moments, sans jamais en plomber l'atmosphère - y compris à la fin qui, alors que je la connaissais d'avance, a quand même réussi à m'arracher une larme. Pour une fois, j'aurais aimé ne pas savoir ce qui allait se passer afin de me laisser cueillir complètement par l'émotion au lieu d'être dans l'analyse du scénario. Quoi qu'il en soit, "L'Étrange Odd Thomas" est une sacrée réussite que je recommande sans réserve aux lecteurs de tous horizons. Et dès début novembre, je m'offre la suite de ses aventures! 

J'ai lu ce roman en VO et ne peux donc rien vous dire sur la qualité de sa traduction française.

mardi 9 octobre 2012

"Comment j'ai arrêté de CONsommer"


J'ai déjà plusieurs fois évoqué ce livre dont la lecture a accompagné la première semaine de mon mois de "no buy". Frédéric Mars, auteur de plusieurs romans et essais, y raconte son "année de lutte contre l'enfer marchand". L'expérience - dans laquelle il entraîne sa compagne et leur fils de 7 ans - commence de manière assez soft, quand il décide de ne pas faire les soldes d'hiver et de soumettre tous ses achats envisagés au verdict de l'indice MBA ("Minimum de Bonheur Acheté"). Chaque objet convoité est noté selon divers critères, et s'il n'atteint pas un total d'au moins 50 points sur 100, la famille renonce à en faire l'acquisition.

Enthousiasmé par les premiers résultats, l'auteur passe à la vitesse supérieure en explorant d'autres moyens de réduire sa consommation, notamment le troc à travers les réseaux SEL. Il guette les sorties culturelles gratuites, résilie ses divers abonnements et annule ses prélèvements automatiques, rend sa carte de crédit et demande la réduction de son découvert autorisé à une banquière ahurie, cesse de fréquenter les hypermarchés pour se tourner vers les petits producteurs, et réussit même une fois à passer 16 jours sans acheter quoi que ce soit, fût-ce une baguette de pain. Il touche aux limites de son expérience lorsqu'il tente de bannir les marques de sa vie: d'abord en arrachant ou en recouvrant tous les logos présents dans son logement, puis en cessant d'en utiliser le nom. Imaginer la tête de la caissière du MacDo quand il lui demande "un soda goût caramel allégé", ou celle de son fils à qui il réclame de lui apporter "des notes repositionnables" est assez savoureux.

Mais alors qu'il s'efforce de modifier ses comportements d'achat en profondeur, il se heurte à l'incompréhension de son entourage. Si sa compagne adhère plus ou moins à ses idées, son fils est trop jeune pour en comprendre l'intérêt, et il peine à comprendre pourquoi la télé du salon tombée en panne ne va pas être remplacée immédiatement (au final, elle ne le sera pas du tout, et il s'y habituera très bien). Le pire, toutefois, ce sont les amis, dont la plupart commencent par ricaner ou se montrer sceptiques avant de finir par traiter l'auteur de radin, voire de parasite. Frédéric Mars ne le cache pas: durant cette année, il développe beaucoup de recul par rapport à la société de consommation, mais sa vie sociale en pâtit sérieusement... et au final, il se rend compte qu'à moins de devenir un vrai marginal, il est impossible d'échapper complètement à la pression ambiante à acheter toujours plus. Un récit édifiant. 

jeudi 4 octobre 2012

"Les carnets de Cerise, tome 1: Le zoo pétrifié"


Cerise a dix ans et demi. Elle vit seule avec sa maman, veut devenir romancière comme Mme Desjardins quand elle sera grande, et en attendant, elle s'emploie à observer les adultes qui l'entourent. L'un d'eux, un vieil homme taciturne qu'elle a surnommé "Monsieur Mystère", l'intrigue particulièrement. Quand il entre le matin dans la forêt où Cerise et ses deux meilleures copines se sont construit une cabane, pourquoi emmène-t-il des animaux en cage; et quand il ressort le soir, pourquoi est-il couvert de taches de peinture multicolores? Cerise décide de le suivre pour en avoir le coeur net...

Ce gros album signé Joris Chamblain et Aurélie Neyret est une pure merveille - une bande dessinée au graphisme enchanteur, entrecoupée ça et là d'extraits des carnets intimes de sa jeune héroïne. Cerise est la petite fille que n'importe quel parent rêverait d'avoir: futée, débrouillarde, gaie et généreuse. Dès la première page, on s'attache à elle et on retombe en enfance pour la suivre dans une aventure originale autant que touchante. Vous ne me croyez pas sur parole? Allez jeter un coup d'oeil ici et faites-vous votre propre opinion. Puis filez acheter "Le zoo pétrifié" pour l'offrir à un enfant de votre entourage... ou gardez-le pour vous!

lundi 1 octobre 2012

"Dessous"


La communauté juive de New York, au début du XXème siècle. Mme Feinberg tient un magasin de confection dont elle tire souvent le rideau pour recevoir ses innombrables amants. Cela ne l'empêche pas d'être très à cheval sur la moralité qu'elle souhaite inculquer à ses filles jumelles. Pourtant, Fanya va devenir l'apprentie d'une dame-docteur avorteuse qui fera son éducation scolaire et politique; du coup, elle refusera toujours obstinément d'épouser son amour de jeunesse, Sal. Quant à Esther, fascinée par les danseuses d'un théâtre de burlesque, elle commencera à travailler pour une mère maquerelle dès l'âge de treize ans avant que sa rencontre avec un agent de stars infléchisse son destin... 

Il ne faisait pas bon être une femme forte et indépendante au début du siècle dernier. En butte à l'hostilité d'une communauté bien-pensante, tour à tour rejetées par une mère hypocrite qui s'efforce de maintenir les apparences sans pour autant réussir à duper ses voisins, Fanya et Esther paieront cher leur liberté d'esprit. A travers deux beaux portraits de femmes, le "Dessous" de Leela Corman aborde avec intelligence la question de la condition féminine. Il évoque également de façon poignante les raisons qui poussent à l'immigration, et la méfiance avec laquelle sont traités sur leur terre d'accueil ceux qui ont été forcés de tout quitter. Même si l'action de ce roman graphique se situe il y a un siècle, son sujet reste tristement d'actualité. Une fiction qui a presque valeur de document historique.