A Katharz, ville-prison ans laquelle sont expédiés les criminels, le meurtre est légal et même récompensé. Ténia Harsnik, la dirigeante, y règne par la terreur et aime jouer de la guillotine. Non qu'elle soit cruelle, mais il lui faut coûte que coûte maintenir le nombre d'habitants sous le seuil des cent mille âmes. Le dépasser conduirait hélas à la fin du monde, et ce serait désagréable.
Bien entendu, les enjeux sont secrets. Bien entendu, le marchand de sortilèges Sinus Maverick prépare un coup d'Etat infaillible. Bien entendu, le Prince Alastor a planifié de raser la ville avec sa trop nombreuse armée. Bien entendu, Dame Carasse, la seule sorcière capable d'affronter ce chaos, vient de ficher le camp. Bien entendu...
Je connaissais Audrey Alwett uniquement comme scénariste de bédé. C'est grâce à une copine libraire que j'ai découvert la semaine dernière qu'elle avait publié un soi-disant excellent roman chez Bad Wolf, la collection fantasy d'ActuSF. Je m'y suis plongée par curiosité, et dès les premières pages, j'ai été frappée par le caractère pratchettesque - pratchettien? - de l'écriture comme des personnages. Même humour mordant, même esprit satirique, même références culturelles constituant autant de clins d'oeil aux amateurs, même magie loufoque, même héroïnes sévères qui terrifient leur entourage tout en étant animées par les meilleures intentions, mêmes personnages secondaires délicieusement hauts en couleurs, même façon d'aborder une question morale universelle sous couvert d'univers alternatif. Du coup, "Les Poisons de Katharz" aurait pu n'être qu'une pâle copie d'un tome des Annales du Disque-Monde, mais non: il est exécuté (ha ha) avec suffisamment de brio pour soutenir la comparaison avec un des maîtres du genre. Je me suis franchement marrée tout du long, et je vous le recommande à mon tour.
"Selon les jours, Dame Carasse se donnait cinquante ans bien tassés ou la petite soixantaine, ce qui lui convenait assez car elle n'avait aucun talent pour la jeunesse. Elle avait la ride noble qui vous pose un regard. Mais ce qui la rendait reconnaissable à cent mètres, c'était une paire de maxillaires étonnamment musclée qui vous douchait les insolences comme un rien. Elle aimait qu'on la redoute, c'était pratique au quotidien, c'est d'ailleurs pourquoi elle était devenue grande, avec une solide carrure. (...) Très intelligente, mais pas au point d'avoir appris à le cacher, on aurait pu briser des briques sur son ego sans craindre de l'égratigner."
"Avant d'atterrir à ce poste qu'on lui avait présenté comme une promotion, (...) Eustache Badufond avait été victime d'une douzaine de tentatives de meurtre. Un statut de victime qu'il compensait amplement en étant responsable de trois fausses couches générées par des crises de nerfs, d'une trentaine d'apoplexies et du suicide de cinq jeunes gens qui s'étaient tailladé les veines en déclarant que "si c'était ça, la vie, alors non merci". L'homme avait rempli ses fonctions à Katharz avec la même scrupuleuse incompétence toute sa vie. A un moment donné, il était mort sans s'en rendre compte. La faute en était peut-être au crépitement de magie permanent qui sourdait du mur, à moins que ce ne fût une volonté de faire chier le monde absolument surnaturelle, mais Eustache Badufond était revenu d'entre les morts dès le lendemain sous forme d'un zombie. Avec le temps, sa peau s'était parcheminée et crissait comme les formulaires qu'il affectionnait tant."
Je connaissais Audrey Alwett uniquement comme scénariste de bédé. C'est grâce à une copine libraire que j'ai découvert la semaine dernière qu'elle avait publié un soi-disant excellent roman chez Bad Wolf, la collection fantasy d'ActuSF. Je m'y suis plongée par curiosité, et dès les premières pages, j'ai été frappée par le caractère pratchettesque - pratchettien? - de l'écriture comme des personnages. Même humour mordant, même esprit satirique, même références culturelles constituant autant de clins d'oeil aux amateurs, même magie loufoque, même héroïnes sévères qui terrifient leur entourage tout en étant animées par les meilleures intentions, mêmes personnages secondaires délicieusement hauts en couleurs, même façon d'aborder une question morale universelle sous couvert d'univers alternatif. Du coup, "Les Poisons de Katharz" aurait pu n'être qu'une pâle copie d'un tome des Annales du Disque-Monde, mais non: il est exécuté (ha ha) avec suffisamment de brio pour soutenir la comparaison avec un des maîtres du genre. Je me suis franchement marrée tout du long, et je vous le recommande à mon tour.
"Selon les jours, Dame Carasse se donnait cinquante ans bien tassés ou la petite soixantaine, ce qui lui convenait assez car elle n'avait aucun talent pour la jeunesse. Elle avait la ride noble qui vous pose un regard. Mais ce qui la rendait reconnaissable à cent mètres, c'était une paire de maxillaires étonnamment musclée qui vous douchait les insolences comme un rien. Elle aimait qu'on la redoute, c'était pratique au quotidien, c'est d'ailleurs pourquoi elle était devenue grande, avec une solide carrure. (...) Très intelligente, mais pas au point d'avoir appris à le cacher, on aurait pu briser des briques sur son ego sans craindre de l'égratigner."
"Avant d'atterrir à ce poste qu'on lui avait présenté comme une promotion, (...) Eustache Badufond avait été victime d'une douzaine de tentatives de meurtre. Un statut de victime qu'il compensait amplement en étant responsable de trois fausses couches générées par des crises de nerfs, d'une trentaine d'apoplexies et du suicide de cinq jeunes gens qui s'étaient tailladé les veines en déclarant que "si c'était ça, la vie, alors non merci". L'homme avait rempli ses fonctions à Katharz avec la même scrupuleuse incompétence toute sa vie. A un moment donné, il était mort sans s'en rendre compte. La faute en était peut-être au crépitement de magie permanent qui sourdait du mur, à moins que ce ne fût une volonté de faire chier le monde absolument surnaturelle, mais Eustache Badufond était revenu d'entre les morts dès le lendemain sous forme d'un zombie. Avec le temps, sa peau s'était parcheminée et crissait comme les formulaires qu'il affectionnait tant."
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