Jeanne Dargan a 27 ans, elle est prof de collège en ZEP et franchement, elle n'en peut plus. Alors, même si on lui a refusé un financement, elle décide de se lancer dans une thèse sur "Le motif labyrinthique dans la parabole de la loi du Procès de Kafka". Pleine d'enthousiasme, elle décrète qu'elle bouclera son travail en trois ans jour pour jour, et que son compagnon Loïc et elle seront le couple sur trois qui n'explose pas en vol pendant que l'un des deux partenaires est doctorant.
Puis la secrétaire met un maximum de mauvaise volonté à traiter son dossier; on lui refile des cours sur une matière qu'elle ne maîtrise pas; l'université refuse de la payer; sa famille la prend pour une grosse glandeuse et son directeur de thèse ne répond pas à ses mails. Après des mois de procrastination pure, Jeanne se décide enfin à se mettre au travail. Elle case 64 heures de recherche par semaine à côté de son boulot à mi-temps, ne parle plus que de sa thèse, ne rêve plus que de sa thèse - mais passe tellement de temps à modifier son intitulé et son plan que deux ans plus tard, elle n'a toujours pas entamé la rédaction...
Autrefois, Tiphaine Rivière a tenté une thèse de littérature, et lâché l'affaire au bout de trois ans pour ouvrir un blog illustré: "Le bureau 14 de la Sorbonne" (sur lequel vous pouvez lire les premières pages de sa bédé). Elle sait donc très bien de quoi elle parle, et ses "Carnets de thèse" sentent le vécu à plein nez. Bien que raconté avec beaucoup d'humour, ce parcours de la combattante a quelque chose d'effrayant, non seulement à cause des obstacles administratifs rencontrés par Jeanne, mais surtout à cause de l'enfermement, du repli sur soi, du doute perpétuel auxquels la condamne son travail - tout ça pour, à la sortie, des débouchés plus que discutables dans sa branche. "Carnets de thèse" aurait pu s'appeler "Récit d'une aliénation volontaire". Malgré son ton léger et le plaisir que j'ai pris à le lire, sa fin me laisse sur un vague sentiment de gâchis humain.
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