jeudi 16 octobre 2014

"22/11/63"


Prof d'anglais récemment divorcé et sans enfants, Jack Epping n'a plus gère d'attaches lorsque son vieil ami Al, qui se meurt d'un cancer du poumon, lui révèle l'existence d'une faille temporelle située dans la réserve de son fast-food. La faille, qu'Al appelle le "trou de terrier", obéit à des règles précises: elle ramène toujours le voyageur au même endroit et au même moment, un jour de septembre 1958; en outre, chaque fois qu'on l'emprunte, le passé est remis à zéro - les changements qui ont pu y être effectués lors d'un séjour précédent sont annulés. Al, qui n'a plus le temps de s'en occuper lui-même, souhaite que Jack se charge à sa place d'une mission très importante: empêcher l'assassinat du président Kennedy en 1963 et, du même coup, prévenir sans doute le meurtre de Martin Luther King et l'escalade de la guerre du Vietnam. Le seul problème, c'est que le passé ne veut pas être changé, et qu'il se défend en mettant des bâtons dans les roues de l'inconscient qui s'y essaie...

Stephen King est considéré comme l'un des plus grands écrivains de notre époque, et l'un des plus prolifiques aussi. N'appréciant guère l'épouvante, j'avoue avoir lu très peu de ses romans: "Charlie" et "Ca" (que j'avais d'ailleurs beaucoup aimés) lorsque j'avais une vingtaine d'années, point. Mais il m'était tout bonnement impossible de résister à une si prometteuse histoire de voyage dans le temps. Auteur américain oblige, pour une fois, l'événement améliorer l'histoire du monde n'est pas l'assassinat d'Hitler avant son arrivée au pouvoir, mais la survie de JFK. Ca change un peu, et surtout, ça permet de revisiter le début des années 1960 à travers les yeux du héros - une époque qui peut d'abord sembler bénie, parce que les gens s'y montraient plus amicaux et que la nourriture y avait meilleur goût, mais dont King nous rappelle qu'elle avait aussi ses côtés négatifs comme le ségrégationnisme ou une morale pesante qui bridait les rapports amoureux. Car d'amour, il est largement question ici. Alors qu'il tue le temps jusqu'en novembre 1963 en surveillant de loin Lee Harvey Oswald, Jack tombe sous le charme de Sadie Dunhill, ravissante bibliothécaire traumatisée par un mariage calamiteux. La très belle histoire qui naît entre eux va le placer face à un cruel dilemme.

"22/11/63" est, dans son édition de poche, un énorme pavé de plus de mille pages, et je peux sans mentir affirmer que je ne me suis pas ennuyée pendant un seul paragraphe. King est un narrateur hors pair qui, s'appuyant sur des recherches historiques fouillées, parvient à tisser une intrigue extrêmement riche alternant longues plages de tranquillité et rebondissements haletants. Les différents lieux dans lesquels Jack est amené à vivre ont chacun leur atmosphère propre; les personnages secondaires, même ceux qui ne font que passer l'espace d'un chapitre, sont tous incroyablement vivants. Et surtout, dans la façon nuancée mais lucide dont il les présente, King fait preuve de l'humanité profonde qui est la marque des grands écrivains. Il sait aussi bien évoquer le bonheur, la plénitude et la douceur de vivre que dépeindre la violence, le désespoir ou la pire des noirceurs. J'ai en outre beaucoup apprécié l'angle sous lequel il aborde la question maintes fois rebattue du paradoxe temporel. Un roman à lire absolument. 

"Le savons-nous tous secrètement? Le monde est un mécanisme parfaitement équilibré d'appels et d'échos de couleur rouge qui se font passer pour un système d'engrenages et de roues dentées, une horlogerie de rêve carillonnant sous la vitre d'un mystère que nous appelons la vie. Et au-delà de la vitre? Et tout autour d'elle? Du chaos, des tempêtes. Des hommes armés de marteaux, des hommes armés de couteaux, des hommes armés de fusils. Des femmes qui pervertissent ce qu'elle ne peuvent dominer et dénigrent ce qu'elles ne peuvent comprendre. Un univers d'horreur et de perte encerclant cette unique scène illuminée où dansent des mortels, comme un défi à l'obscurité."

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