mercredi 29 octobre 2014

"Je ferai de toi un homme heureux"


A Trondheim, dans les années 60, huit familles encore jeunes se partagent un immeuble résidentiel. Au rez-de-chaussée, Mme Asen, obsédée par la propreté de l'escalier commun, et son mari qui aime tisser des tapis à ses heures perdues déplorent de ne pas avoir d'enfants, cependant que M. Moe regrette d'en avoir eu un avec son épouse neurasthénique qui ne remontera plus jamais à l'arrière de sa moto. Au premier étage, Mme Rudolf est exaspéré par son fils adolescent qui écoute de la musique rock beaucoup trop fort et par son mari qui s'intéresse davantage à ses livres qu'à la confirmation imminente de leur rejeton. Mme Larsen, anglaise d'origine, tient un salon de coiffure à domicile au grand dam de son mari traducteur qui se retrouve obligé de louer un bureau en ville. Au deuxième, M. Berg tyrannise son épouse et ses deux fils, tandis que les Salvesen forment un couple harmonieux - madame cousant des robes pour toute la famille, monsieur fabriquant des bateaux en bouteille le soir. Au troisième, Peggy-Anita Foss, la pin-up de l'immeuble, fait son ménage en sous-vêtements tandis que son représentant de mari arpente les routes et reste souvent absent deux semaines d'affilée. M. Karlsen, un professeur veuf, néglige sa fille qu'il ne nourrit pas assez et enferme souvent dehors dans l'escalier glacial, ne s'intéressant à elle que pour ses aptitudes aux mathématiques. Un jour, un installateur de judas passe dans l'immeuble et propose à chaque famille ce système ingénieux qui permettra aux dames, officiellement de ne plus ouvrir leur porte aux gens qu'elles ne veulent pas voir, officieusement, d'épier leurs voisins...

L'auteure norvégienne Anne B. Ragde, connue pour traiter de condition féminine sous un angle réaliste et souvent assez dur, livre ici un roman à la fois un peu plus facile et un peu moins intéressant que d'habitude. Bien que peu réjouissants dans l'ensemble, ses portraits de ménagères de moins de 50 ans sont très réussis et mettent admirablement en évidence les progrès sociaux survenus en à peine un demi-siècle, fût-ce dans la région du monde la plus avancée en matière de droits des femmes. J'ai beaucoup aimé la description détaillée de leur quotidien et de leurs pensées, très révélatrice d'une époque: j'avais vraiment l'impression de regarder à travers un judas, non pas dans le couloir d'un immeuble, mais bien à l'intérieur de chaque appartement. Le mariage, l'amour, le sexe, la parentalité, le travail, les tâches domestiques sont autant de sujets passés au crible sous huit angles différents et néanmoins homogènes. Par contre, je regrette que le propos du livre se limite à cela, et que "Je ferai de toi un homme heureux" se conclue par le passage de l'installateur de judas au lieu d'embrayer sur les relations des différentes familles pour créer au moins un semblant d'histoire. Il y avait là les bases d'un excellent roman qui, de mon point de vue, ne se concrétise jamais. A quelques exceptions près, les voisins se côtoient sans vraiment interagir, si bien qu'au final, on obtient plutôt une collection de nouvelles "mitoyennes". Un livre qui laisse un goût d'inachevé. 

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