vendredi 28 mars 2014

"Among others"


Je n'avais jamais entendu parler de Jo Walton, ni de ce roman qui a pourtant remporté les prix Hugo et Nebula, avant qu'Alice alias Shermane alias CryingWall ne me l'offre pour mon anniversaire. Je me suis plongée dedans le soir même, et pendant mon séjour à Aix, je n'ai presque rien fait d'autre que me transporter d'un endroit où je pouvais lire à un autre. "Among Others" m'a littéralement envoûtée, et comme pour tous les romans que j'ai beaucoup aimés, je peine à en parler de peur de ne pas lui rendre justice. Il s'agit du journal intime d'une fille de quinze ans, tenu entre septembre 1979 et février 1980, à une époque où internet et les médias sociaux ne gouvernaient pas encore la vie des adolescents. Morwenna est en deuil de sa soeur jumelle, tuée par une voiture alors que toutes deux tentaient d'empêcher leur sorcière de mère de faire... quelque chose de terrible. On ne saura jamais vraiment quoi, tout comme, pendant les quatre cinquièmes du bouquin, on ne saura pas si la magie existe vraiment dans le monde de Morwenna ou si elle est juste le fruit de l'imagination fertile de la jeune fille - car de son propre aveu, elle fonctionne de manière si subtile qu'il est toujours possible de la nier. Cette ambiguïté est l'un des aspects les plus intéressants de "Among others". Morwenna dialogue-t-elle avec des fées, ou croit-elle seulement voir de mystérieuses créatures dans les collines, les marécages et les ruines industrielles qui l'entourent? Manipule-t-elle les gens et les circonstances au moyen des sorts qu'elle lance instinctivement, ou ne s'agit-il que d'une relation de causalité très ordinaire bien qu'invisible à ses yeux? Liz est-elle bien une folle maléfique ou juste une mère égoïste et abusive? Tente-t-elle effectivement d'attaquer sa fille durant son sommeil, ou Morwenna est-elle paralysée par ses propres cauchemars? Les charmes qu'elle se crée fonctionnent-ils, ou leur efficacité perçue ne relève-t-elle que d'un effet placebo? J'ai adoré que les deux hypothèses se côtoient jusque très tardivement dans le livre; c'est extrêmement bien joué de la part de l'auteur.

Outre le fait qu'elle a perdu la moitié d'elle-même, Morwenna se voit confiée à un père qu'elle n'a jamais connu, et qui est entièrement sous la coupe de ses trois soeurs aînées - lesquelles se dépêchent de se débarrasser de l'intruse en l'envoyant dans un pensionnat huppé. Morwenna a l'accent du pays de Galles où elle a grandi; elle marche avec une canne depuis l'accident et nourrit des préoccupations bien différentes de celles de ses camarades. Elle peine donc à se faire des amies. Mais peu importe, parce que sa grande passion, ce sont les livres, et plus particulièrement ceux de fantasy et de science-fiction qu'elle dévore en quantités phénoménales. Ils sont non seulement son moyen de s'évader d'un monde qui n'en finit pas de la blesser, mais le déclencheur de toutes ses réflexions, le socle sur lequel elle bâtit sa vision des choses - et la raison qui l'empêche, en une occasion précise, de se suicider pour rejoindre sa soeur: elle veut connaître la fin de "Babel 17". Dans son journal, Morwenna ne cesse de commenter l'attitude des personnages comme s'ils étaient plus réels à ses yeux que tous les gens qui l'entourent. Intelligente et sensible, très mûre par certains côtés et assez naïve par d'autres, elle rumine des questions et des pensées bien différentes de celles des autres filles de son âge. Sa voix intérieure si terriblement franche - y compris lorsqu'il est question de sujets embarrassants tels que le sexe - m'a attrapée dès les premières pages et ne m'a plus jamais lâchée jusqu'au mot fin. Elle devrait parler à tous les amoureux des littératures de l'imaginaire, ceux dont les bibliothèques et les librairies sont l'habitat naturel, ceux qui connaissent mieux la géographie des Terres du Milieu que celle de l'Europe, ceux dont les histoires de Vonnegut ou de Heinlein ont forgé la réflexion. Et que les non-anglophones ne désespèrent pas: "Among others" devrait paraître en français dans le courant de l'année.

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