dimanche 9 mars 2014

"L'année des secrets"


Le père de Mallika est mort avant sa naissance, et sa mère, Padma, refuse de parler de lui. Alors, la fillette a dérobé l'unique photo de ses parents et grandit en dialoguant en cachette avec ce géniteur qu'elle pare de toutes les qualités. Chaque fois que quelqu'un sonne à la porte, elle pense qu'il va apparaître sur le seuil. Et chaque fois, ce n'est que Shanta, sa tante bien-aimée qu'elle considère comme une seconde mère, ou Madhou et Anou, les deux voisines devenues les indispensables confidentes de Padma. Toutes les femmes qui entourent Mallika connaissent une partie du secret concernant son père. Prenant la parole tour à tour, elles vont lentement faire émerger une vérité que ni la fillette ni le lecteur n'auraient pu soupçonner... 

C'est avec beaucoup d'habileté qu'Anjana Appachana construit son gros roman de presque 600 pages et révèle progressivement un secret si incroyable que sur la fin, on se croirait pratiquement dans un film de Bollywood. Mais malgré le plaisir que j'ai eu à me laisser surprendre par l'histoire, l'aspect le plus intéressant de "L'Année des secrets", c'est la façon dont il donne la parole à une demi-douzaine de femmes indiennes d'âge varié et de condition sociale différente, dressant à travers elles une sorte d'état des lieux de la condition féminine en Inde. L'obligation du mariage arrangé. La soumission absolue, d'abord aux parents, puis à l'époux. L'impossibilité de sortir des rôles genrés hyper stricts. La solitude au sein du couple. Les rapports sexuels subis; les attouchements dans la rue ou les transports en commun. L'étouffement des désirs et des ambitions propres. Les humiliations infligées par la belle-mère enfin en position de force vis-à-vis de quelqu'un. Les schémas dont toutes les femmes souffrent, et qu'elles se hâtent pourtant de reproduire en favorisant outrageusement leurs fils par rapport à leurs filles. Celles qui aspirent à autre chose et tentent de se rebeller le paient très cher. Alors, elles finissent par se résigner et par faire ce qu'on attend d'elles: se contrôler, taire leurs émotions et leurs besoins, obéir docilement, et trouver un moyen d'être heureuses quand même, dans la mesure du possible. Malgré la totale absence de misérabilisme dans la narration, j'ai éprouvé tout au long de ma lecture une sensation d'enfermement doublée du soulagement égoïste d'être née en Occident à la fin du XXème siècle. Et je conseille "L'année des secrets" à toutes celles qui, en plus d'aimer les histoires prenantes, s'intéressent au sujet de la condition féminine à travers le monde. 

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