samedi 28 janvier 2012

"Haddon Hall: quand David inventa Bowie"



"C'était à la fin des glorieuses sixties.
Ce jour-là, comme tant d'autres, le ciel de Londres était triste comme une tisane froide.
Sa vilaine pluie me tapotait les fenêtres avec monotonie.
J'attendais que de nouveaux locataires veuillent bien m'habiter."

Ainsi parle Haddon Hall, vieille et immense bâtisse à l'ameublement désuet. Ses nouveaux locataires seront un jeune musicien qui ne s'appelle alors que David Jones, et son épouse Angie qui inspirera une de leurs plus célèbres chansons aux Rolling Stones. Autour d'eux se crée toute une communauté hippie désireuse de révolutionner la pop. David a déjà sorti un album salué par la critique, mais il n'est pas encore la star planétaire qu'il deviendra quelques années plus tard. Marc Bolan, le futur chanteur de T-Rex, est son meilleur ami et son plus grand rival. Il organise des fêtes monstrueuses où la drogue et l'alcool coulent à flots, et qui se terminent par des boeufs hallucinants. Il découvre les Stooges en festival et se précipite chez Mojo Records pour acheter leur disque. Il recueille son frère aîné schizophrène et tente de lui offrir une vie hors de l'asile. Il recrute des musiciens, disparaît au milieu d'un enregistrement studio et se fâche avec son producteur. Enfin, il trouve le look, le nom et le personnage qui le rendront célèbre.

Belle surprise que cet album de Néjib dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à ma visite d'aujourd'hui chez Contrebandes. Oui, les dessins sont très simples, mais rattrapés par un découpage varié et dynamique; oui, les couleurs posées en à-plat font carrément color block, mais elles n'en collent que mieux à la tonalité pop de l'histoire. Quelques très belles illustrations pleine page sortent du lot, mais l'ensemble de l'album est d'un niveau assez constant. Pour les fans de musique et de la période 60-70's, un moment de lecture frais et sympathique.

jeudi 26 janvier 2012

"Au Bon Roman"



"Un fou de Stendahl est abandonné en forêt. Une très jolie blonde quitte brusquement une route qu'elle connaît comme sa poche. Un Breton sans histoire rencontre au bord d'une falaise deux inconnus inquiétants. Nous ne sommes pourtant pas dans un roman policier. Les agresseurs ne sont ni des agents secrets ni des trafiquants. Ils ne s'attaquent qu'à des tendres: un ancien routard devenu libraire, une mécène mélancolique, des romanciers...

Qui, parmi les passionnées de lecture, n'a rêvé un jour que s'ouvre la librairie idéale? Une librairie vouée au roman où ne seraient proposés que des chef-d'oeuvre? En se lançant dans l'aventure, Ivan et Francesca se doutaient bien que l'affaire ne serait pas simple. Comment, sur quels critères, allaient-ils faire le choix des livres retenus? Parviendraient-ils un jour à l'équilibre financier? Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'était le succès."

"Au Bon Roman" est le livre que m'a envoyé Londoncam lors du premier swap littéraire que j'avais organisé en novembre. Je l'ai lu pratiquement d'une traite hier dans le train qui nous emmenait à Monpatelin pour une semaine, Chouchou et moi. A nous les nuits ininterrompues par des concertos félins! Joie, bonheur et ronflements béats à tous les étages.

...Mais je m'égare.

Malgré ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture ci-dessus, "Au Bon Roman" commence presque comme un thriller. Puis, après 50 pages passées à se familiariser avec les protagonistes de trois curieuses agressions, on découvre le lien qui les unit: tous sont membres d'un comité de lecteurs formé à la manière d'une société secrète, par deux amoureux des romans qui souhaitaient créer une librairie d'un genre un peu spécial. A partir de là, un long flashback dans le bureau d'un policier sympathisant à la cause de la grande littérature va permettre de reconstituer toute l'histoire depuis le début.

J'ai été, je l'avoue, assez déroutée par ce début un peu "tronçonné", qui semblait constamment basculer d'un genre et d'un sujet à un autre. Gênée par le style de Laurence Cossé, dont les dialogues me paraissent empruntés et raides. Incrédule face au luxe de précautions dont s'entourent Ivan et Francesca pour dissimuler l'identité de leurs lecteurs: pour un peu, on croirait qu'ils protègent les témoins d'un procès contre un parrain de la mafia! Du coup, j'ai mis assez longtemps à entrer vraiment dans l'histoire.

Et puis peu à peu, je me suis prise de sympathie pour ces héros improbables, dont le combat anti-Dan Brown et Marc Levy ne pouvait que résonner en moi. J'ai jubilé de la réussite initiale de leur entreprise et enragé face aux attaques anonymes qui les visaient. J'ai eu envie de devenir leur co-conspiratrice ou juste d'aller traîner moi aussi dans les rayons de leur librairie qui déchaînait tant de passions. Je me suis laissée gagner par leur découragement et leur tristesse quelques chapitres avant la fin. Et j'ai noté avec amusement que le nouvel emplacement de la librairie n'était autre que la rue parisienne dans laquelle Editeur Préféré a installé ses bureaux voici un peu plus d'un an.

Bref, malgré ses défauts, j'ai trouvé que "Au Bon Roman" était un livre attachant, mais à réserver sans doute aux amateurs purs et durs de littérature. Les autres risquent d'être rapidement lassés par la longue litanie de noms d'auteurs et de titres d'ouvrages qui émaillent ses pages, et peu intéressés par le plan marketing d'un lancement de librairie ou les guéguerres internes au milieu de l'édition.

mardi 24 janvier 2012

"Kitchen" T1



Quatre copines se retrouvent sur le toit d'un immeuble pour faire griller les huîtres sauvages envoyées par la mère de l'une d'elles. Pendant une grosse averse, une étudiante provinciale et le camarade de Séoul pour qui elle a le béguin évoquent leur nostalgie des crêpes salées sous un abribus. Une jeune femme dont la mère est récemment décédée guide, par téléphone, son père dans la préparation de son premier ragoût de doenjang. Un employé qui a fait perdre beaucoup d'argent à son patron tente de se racheter en lui confectionnant des mini-tonkatsu pour le déjeuner. Une boulangère réalise qu'elle a choisi son métier parce que l'odeur et la texture du pain chaud lui rappellent sa mère qui l'a abandonnée. Une jeune épouse et sa belle-mère se disputent la préférence de l'homme de la maison autour d'un panier de crabes beus. Une ado va chercher des pickles au piment chez sa grand-mère qui a toujours préféré son frère pour la seule raison que c'est un garçon. Une autre cède au chantage de sa mère et l'accompagne aux bains publics alors qu'elle déteste ça, juste pour pouvoir boire un lait à la banane à la fin. Une jeune femme fauchée en est réduite à assister aux obsèques de gens qu'elle ne connaît pas pour profiter de la collation servie après. Une étudiante gourmande hésite: dévorer le cheesecake posé sur le bureau de son prof, ou se jeter sur celui-ci pour l'embrasser?


En lisant le premier tome de "Kitchen", je n'ai pu m'empêcher de penser à "La colère des aubergines" de Bulbul Sharma, car même si l'un est un manhwa et l'autre un recueil de nouvelles, même si l'un a pour cadre la Corée et l'autre l'Inde, l'esprit qui sous-tend les deux ouvrages est identique. Dans les deux cas, il s'agit d'une série de récits courts tournant autour du thème de la cuisine et de la place qu'elle occupe dans la vie des gens. Dans les deux cas, c'est une réussite qui met l'eau à la bouche du lecteur tout en le faisant passer par une grande variété d'émotions. Bien que les moments drôles et chaleureux ne soient pas exclus, je dirais que le manhwa de Jo Joo Hee se distingue quand même par une atmosphère plus grave et plus mélancolique. J'ai beaucoup aimé son dessin fin et expressif, ainsi que les anecdotes personnelles qui suivent chaque chapitre. Les tomes 2 et 3 devraient suivre rapidement; j'ai déjà hâte de les déguster.

jeudi 19 janvier 2012

"La page blanche": quand Boulet et Pénélope font un bébé ensemble



Hier paraissait "La Page blanche", roman graphique signé Boulet pour le scénario et Pénélope Bagieu pour les dessins. Deux artistes que je suis pratiquement depuis le début de leurs blogs respectifs, et dont j'ai toujours admiré le talent. J'attendais donc beaucoup de ce mariage professionnel, au point que j'ai foncé chez Filigranes dans l'après-midi pour me procurer leur bébé, et que je ne l'ai même pas feuilleté avant de passer à la caisse.

Erreur.

Par où commencer la liste de tout ce qui m'a déçue ou déplu dans ce roman graphique? Les dessins, d'abord. Pénélope est très douée pour les expressions faciales, et elle fait de beaux extérieurs parisiens, surtout quand ils sont monochromes. Pour le reste... Je trouve que son style ne passe pas en format long: manque de détails et couleurs informatisées atroces donnent des images plates et inintéressantes, une impression de bâclage au milieu de laquelle seules surnagent quelques planches isolées. Oui, Pénélope a un très bon sens du découpage. Mais ses cases ne sont pas assez pleines ni assez travaillées à mon goût.

Quant au scénario... Cette histoire de fille amnésique qui tente de retrouver la mémoire donne lieu à quelques jolis délires tandis que l'héroïne échafaude des hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres. On a l'impression que les auteurs se sont fait plaisir: "Tiens, là, on va caser une scène d'action comme dans un film hollywoodien!" Pourquoi pas? Le problème, c'est que le reste du temps, il ne se passe rien et qu'on s'ennuie ferme. Petit à petit, Eloïse Pinson reconstitue les détails de sa vie "d'avant". Elle était une parfaite Mlle Tout-Le-Monde, avec des goûts et une existence d'une banalité affligeante. Mais on continue à la suivre parce que, quand même, on attend une révélation finale qui justifiera les 200 pages précédentes. Et on a tort: le bouquin s'achève juste en queue de poisson frustrante au possible. Désolée pour le spoiler, mais comment peut-on spoiler un grand rien?

Ma déception est à la hauteur de mon attente: immense.

Leo, Vaness, je compte sur vous pour sauver culturellement la fin de mon mois de janvier.

mardi 17 janvier 2012

"Rien n'est trop beau"



"Rien n'est trop beau" (en VO: "The Best of Everything") suit l'évolution sur plusieurs années de cinq secrétaires qui travaillent pour le même groupe de presse, dans le New York des années 50. Avec un style soigné mais très digeste, Rona Jaffe dresse de beaux portraits de jeunes femmes à une époque et en un lieu où le monde s'offre soudain à elles. Aucun aspect de leur vie n'est négligé: rapports avec des parents plus conservateurs qui aspirent juste à les voir bien mariées; ambition professionnelle naissante, pas toujours comprise ou bien accueillie; déboires amoureux avec des hommes émotionnellement indisponibles; premiers rapports sexuels hors mariage et soucis de contraception; galères financières et nécessité de se montrer inventives pour rester chic... Du divorce à l'avortement en passant par le fameux plafond de verre, toutes les problématiques féminines actuelles sont évoquées avec beaucoup de modernité (alors que le roman a été écrit en 1958). Les trajectoires des héroïnes sont réalistes et passionnantes chacune à sa façon. On a l'impression de se trouver dans les rues de la Grosse Pomme avec elles; on se sent poussé par le même élan vital qui les anime; on désespère face aux mêmes obstacles, et les 500 pages défilent à toute allure. Pour les fans de "Mad men" ou de "Sex & the city", "Rien n'est trop beau" est un roman juste indispensable.

mercredi 11 janvier 2012

"La comtesse et les ombres"



C'est la très belle couverture française de ce roman américain qui a attiré mon attention au début de l'été chez Cook&Book. Parce que c'était un grand format à presque 20€, j'ai préféré commander sur Amazon la VO qui coûtait moitié moins cher. Puis, pour une raison que j'ignore, je n'ai pas cessé de recevoir des mails comme quoi l'envoi de mon livre était reporté à une date ultérieure. Quand j'ai fini par le recevoir durant les vacances de Noël, j'avais presque oublié son existence.

Carolina est une jeune noble italienne un peu sauvage, dont le passe-temps préféré consiste à observer le lac que son père lui a offert pour un de ses anniversaires. Bientôt, elle épousera Pietro, le célibataire le plus convoité de la région. Son bonheur devrait être parfait. Hélas, Carolina est en train de devenir aveugle, et personne dans son entourage ne veut la croire hormis son ami d'enfance - un inventeur méprisé de tous répondant au nom de Turri. Lorsque sa vue l'abandonne tout à fait, celui-ci conçoit une étrange machine pour permettre à Carolina de communiquer par écrit avec son entourage. Naît entre eux une histoire d'amour qui va bouleverser leur vie...

Librement inspiré de l'invention de la première machine à écrire, "La comtesse et les ombres" (en VO: "The Blind Contessa's New Machine") est une fable poétique et sensuelle que j'ai adorée, me retenant pour ne pas engloutir ses 200 petites pages en une seule soirée. Ses scènes courtes, dans lesquelles se mélangent la réalité et le rêve, s'enfilent comme les perles d'un collier. Cependant, je me dois de préciser que j'ai lu sur Amazon et sur quelques blogs francophones de très mauvaises critiques de la VF, accusée d'avoir un style plat et des tournures de phrase à la limite du ridicule. Je crains donc que la traduction ne soit pas à la hauteur de l'original, et recommande à ceux d'entre vous qui seraient tentés par cet ouvrage de l'acheter plutôt en anglais - d'autant que le vocabulaire n'est pas compliqué et que ça leur fera un très bon exercice de lecture!

lundi 9 janvier 2012

"Les heures lointaines"



Parce que la Poste vient d'apporter avec cinquante ans de retard une lettre dont la lecture a bouleversé sa mère, Edie Burchill découvre tout un pan du passé de celle-ci qu'elle ne soupçonnait absolument pas. Adolescente, la jeune Meredith avait été envoyée à la campagne dans le cadre du programme d'évacuation des enfants londoniens pendant la guerre. Le hasard avait voulu qu'elle soit hébergée par les soeurs Blythe, filles d'un très célèbre écrivain qui vivait reclus en haut de la plus haute tour du château de Milderhurst. Fascinée par son roman "La véridique histoire de l'homme de boue", dont la source d'inspiration demeure un mystère plus d'un demi-siècle après sa publication, Edie va aller à la rencontre de la fantasque Juniper et des jumelles Perséphone et Seraphina. Celles-ci, désormais très âgées, sont restées vieilles filles et n'ont jamais quitté le château de leur enfance. Elles ont consacré leur vie à veiller sur leur cadette, devenue folle après que son fiancé l'ait abandonnée... Mais qu'est réellement devenu Thomas Cavill? Pourquoi Percy a-t-elle tout fait pour retenir ses soeurs au château? A force d'obstination, Edie va mettre à jour les nombreux secrets que recèle Milderhurst et résoudre enfin l'énigme de l'homme de boue.

Ce roman de l'australienne Kate Morton, déjà auteur de deux best-sellers, bénéficie d'une construction très habile, à base de nombreux flashbacks pas nécessairement présentés dans l'ordre chronologique et centrés tour à tour sur chacun des personnages principaux: les trois soeurs Blythe, Meredith et Thomas. Les indices, généralement repérables à 3 kilomètres dans ce genre de roman, se fondent dans la trame de l'histoire sans éveiller l'attention du lecteur jusqu'au moment des révélations. La psychologie des personnages est assez fouillée - à l'exception, curieusement, de celle de la narratrice que j'ai trouvée plutôt transparente tout au long de sa quête. La seule chose qu'on retient d'elle, c'est son amour des livres, qui fournit d'ailleurs le prétexte à quelques très jolies considérations sur l'écriture et la lecture.

Mais misère.... que c'est long! Que ça se traîne! 630 pages de descriptions interminables avant de découvrir de quoi il retourne réellement. Parfois, ces descriptions sont intéressantes, notamment quand elles portent sur l'état d'esprit des Anglais durant la seconde Guerre Mondiale et exposent leur quotidien entre deux bombardements par l'armée allemande. Et puis parfois, quand Edie se perd dans la contemplation bucolique du Kent ou s'essaie à décrire la décrépitude de Milderhurst, ou encore quand l'auteur nous décrit en détail tout ce qui passe par la tête d'un de ses personnages à un moment donné, on a juste envie de sauter des chapitres entiers jusqu'à ce qu'il se passe quelque chose. L'action progresse avec une lenteur d'escargot neurasthénique, et je me suis souvent ennuyée ferme pendant ma lecture. J'ai toutefois été récompensée par une conclusion satisfaisante dans le genre romanesque à l'anglaise. En conclusion, un bouquin pas dénué d'intérêt mais dans lequel, si j'étais éditrice, j'aurais sabré environ 200 pages pour maintenir l'intérêt du lecteur en éveil.