dimanche 28 février 2016

"Sur les ailes du monde, Audubon" (Fabien Grolleau / Jérémie Royer)


Au début du XIXème siècle, le Français Jean-Jacques Audubon, rebaptisé John James depuis qu'il s'est installé aux Etats-Unis, est un homme heureux en ménage mais malheureux en affaires. Quand la scierie dans laquelle il a investi fait faillite et qu'il perd quasiment tout ce qu'il possède, sa compréhensive épouse Lucy l'incite à accomplir son véritable destin: arpenter le pays en dessinant les oiseaux pour l'observation desquels il éprouve une passion dévorante. Son expédition mouvementée durera des années, et à la fin, Audubon se heurtera au mépris de la communauté scientifique américaine qui estimera ses travaux trop artistiques. Il devra se rendre en Angleterre pour que son génie soit enfin reconnu à sa juste valeur...

Biographie romancée, "Sur les Ailes du monde, Audubon" s'appuie sur les carnets de notes du célèbre naturaliste pour mettre en scène des passages marquants de sa vie, tout en prenant certaines libertés narratives signalées en fin d'ouvrage. Il est assez frappant de constater le tournant que représenta son époque dans la vie du continent américain, la déforestation sauvage qui entraîna un appauvrissement terrible de la faune (et de la flore, je présume) couplée avec la déchéance des populations indigènes. En lisant, je n'ai pu m'empêcher de penser que la fin du monde avait commencé depuis bien longtemps, même si elle s'accélère depuis quelques décennies... Mais il ne s'agit là que de la toile de fond sur laquelle évolue Audubon, personnage hallucinant de passion aveugle et de dévouement à son art auquel il sacrifia sa famille pendant une grande partie de sa vie. Si on pourrait le taxer d'égoïsme crasse, il est sauvé par son émerveillement sincère face à la nature et son talent pour la restituer d'une façon unique. Aujourd'hui encore, il est considéré comme l'un des pères fondateurs de l'écologie. Fabien Grolleau et Jérémie Royer lui rendent ici un hommage aussi mérité que plaisant à lire.




lundi 22 février 2016

Concours "Dreamology": la gagnante!



C'est Laura qui remporte l'exemplaire de "Dreamology" mis en jeu; je l'invite à m'envoyer son adresse postale par mail à: leroseetlenoir@hotmail.com

Merci à tous les participants et à bientôt pour d'autres concours! 

samedi 20 février 2016

"Les cartographes T1: La sentence de verre" (S.E. Grove)


Nous sommes en 1891. Il y a près d'un siècle, le Grand Bouleversement a projeté tous les continents dans des époques différentes, depuis la préhistoire jusqu'à un futur lointain. Dans ce nouveau monde, la cartographie est devenu un art complexe, mélange de science et de magie. 
Sophia Tims appartient à une famille d'explorateurs et de cartographes. Huit ans plus tôt, ses parents sont partis pour une mission urgente dont ils ne sont jamais revenus. L'adolescente vit désormais avec son brillant oncle Shadrak, le plus doué et le plus célèbre cartographe de Boston, qui lui enseigne tout ce qu'il sait. 
Mais un jour, Shadrack est enlevé par des hommes arborant d'effrayantes cicatrices. Sophia part à sa recherche en compagnie de Theo, un réfugié de l'Ouest. Au cours de leur voyage, elle devra protéger le plus important des artefacts collectionnés par son oncle: une carte de verre qui révèle l'emplacement d'un trésor capable d'infléchir la destinée du monde...

Après "La passe-miroir", "Les cartographes" est la seconde série de fantasy jeunesse pour laquelle j'ai un énorme coup de coeur depuis le début de l'année. Ici aussi, l'auteur propose un univers hyper original, produit d'un grand bouleversement inexpliqué. L'Est des Etats-Unis vit toujours à la fin du dix-neuvième siècle, tandis que le Canada est retourné à la Préhistoire et que plusieurs âges se mélangent au Mexique. Du point de vue dramatique, les possibilités sont infinies. J'ai été fascinée par les différentes sortes de cartes, inscrites sur d'autres supports que du papier, s'activant à l'aide de certains éléments et pouvant être superposées pour obtenir une vision complète d'un endroit à un moment précis - je trouve le concept assez fabuleux. L'histoire de ce premier tome, bien que de facture assez classique et reprenant pas mal de poncifs du roman d'aventure, tient en haleine grâce à la richesse du monde et à un antagoniste très intéressant, tant par sa nature tragique que son objectif finalement très compréhensible. Seule l'héroïne ne m'a pas emballée: trop fade et passive. Mais cela changera peut-être dans les prochains tomes, au fur et à mesure qu'elle prendra de l'âge et de l'assurance!

J'ai lu ce roman en VO. Mais c'est ma copine Sophie Dabat qui a pondu la VF (veinarde), et elle est sûrement très bien!

jeudi 18 février 2016

"Les jours sucrés" (Loïc Clément/Anne Montel)


A 28 ans, Eglantine apprend le décès de son père et part pour Klervi, le village breton de son enfance. L'occasion de se plonger dans sa vie d'avant et ses souvenirs enfouis en redécouvrant la boulangerie-pâtisserie familiale dont elle hérite. Elle y retrouve sa vieille tante Marronde entourée de matous envahissants et surtout Gaël, son "amoureux" d'enfance qui a bien grandi... Lorsqu'elle découvre le journal intime de son père, trésor renfermant tous ses secrets de vie et de cuisine, Eglantine se dit que c'est peut-être pour elle le signe d'un nouveau départ. 

Un notaire à moustache touffue, descendant de Gustave Doré et accro à la chantilly sur le café. Une vieille tante à "tronche de mérou", les yeux invisibles derrière ses grosses lunettes rondes en cul de bouteille, qui communique par écrit depuis qu'un AVC lui a fait perdre l'usage de la voix, se déguise en super héroïne pour traquer les cafards et patine de bonheur à la surface d'une tarte au citron. Un jeune instituteur roux qui vit dans un moulin et donne sur son temps libre des cours de soutien aux enfants d'immigrés. Une bande de chats gourmands, dont l'un tente depuis des années de se reproduire avec une guirlande électrique. Des guest stars sortis des pages de "Shä et Salomé" (dont je ne désespère pas de lire un jour d'autres aventures). Une boulangerie-couteau suisse qui va redonner vie à un village breton désertifié par la fermeture de la raffinerie voisine, et objet de la convoitise d'un grand fabricant de vin. Une histoire familiale qui n'est pas ce qu'on croyait, révélée par le journal intime d'un père longtemps détesté et récemment disparu. Des recettes gourmandes qu'on a envie d'essayer tout de suite - elle a l'air si bonne, cette soupe à la tomate de l'espace! Un petit coup de griffes bien mérité au monde de la pub. Et puis surtout, une jeune femme toujours en colère qui va réapprendre à faire confiance à la vie et à ceux qui l'entourent, à baisser ses défenses pour se laisser aimer.

Il y a tout cela dans les 145 pages de ces "Jours sucrés", avec en plus une bonne dose d'humour, de l'émotion à gogo, et une humanité profonde qui donne envie d'habiter dans un album de Loïc Clément et Anne Montel. Si j'aime tout ce que ce duo a produit jusqu'ici, "Les jours sucrés" est sans doute leur oeuvre la plus aboutie, la mieux structurée et la plus riche, celle qui trouve le plus juste équilibre entre une réalité pas franchement riante et le cocon de bienveillance qu'il est toujours possible de tisser autour de soi. La double page 46-47, où l'on voit en parallèle deux versions d'un mea culpa - l'une défensive et acerbe, répétée devant des peluches; l'autre fort contrite, en vrai face aux personnes concernées - est à elle seule un petit bijou de sensibilité et de drôlerie. Les dessins pleins de charme et de douceur regorgent de détails qui récompensent le lecteur attentif et fidèle. Bref, une réussite absolue. 






Merci à Dargaud de m'avoir envoyé cet album. Ma critique n'aurait pas été moins dithyrambique si je l'avais acheté avec mes sous. 

mercredi 17 février 2016

Concours: "Dreamology" (Lucy Keating)


Depuis son enfance, Alice mène une double vie. La vie réelle, où elle habite seule avec son père... et sa vie en rêves! Toutes ses nuits sont peuplées d'aventures extraordinaires, de voyages, de rencontres et surtout d'un garçon de son âge, Max. Au fil des années, elle est tombée amoureuse de lui et ne pense qu'à se coucher le soir pour le retrouver. Mais le jour de sa rentrée dans un nouveau lycée, Alice rencontre Max en chair et en os. Le garçon de ses nuits existerait-il vraiment? Sauf que lui ne semble pas la reconnaître. Pire, il a déjà une petite amie...

Ce roman jeunesse d'une grande fraîcheur marque le début de ma collaboration avec les éditions Michel Lafon. Et je suis bien tombée parce que je l'ai adoré, autant pour les séquences de rêve délirantes que pour les personnages secondaires farfelus comme le père d'Alice ou son meilleur ami Oliver. Aujourd'hui, je vous propose de vous faire gagner un de mes exemplaires de traducteur. Dites-moi dans quel endroit de rêve vous aimeriez emmener votre amoureux(se) pour une journée hors du commun. Vous avez jusqu'à dimanche minuit, et j'annoncerai le commentaire gagnant lundi matin. Envoi uniquement en France ou en Belgique. Bonne chance!

mardi 16 février 2016

"Magical girl site T1" (Kentarô Satô)


Aya Asagiri est une jeune fille malheureuse, harcelée au collège, frappée chez elle où l'attend tous les soirs un grand frère violent... Mais une nuit, alors qu'elle pense à se suicider, son ordinateur se connecte à un mystérieux site web. Un étrange personnage lui annonce alors qu'elle a été choisie pour devenir une magical girl. Armée de sa baguette magique, elle va maintenant devoir choisir entre pardonner ou punir ceux qui lui ont fait du mal.

Les magical girls, ce n'est plus vraiment de mon âge. Mais explorer le versant sombre du concept me paraissait une idée assez attrayante. Surtout qu'Aya et ses semblables sont menacées par une des leurs, qui les élimine l'une après l'autre afin de s'emparer de leurs baguettes (donc, de leurs pouvoirs spécifiques), et que sur le site web s'affiche un compte à rebours de mauvais augure jusqu'à un événement appelé la Tempest.

Du potentiel, donc - mais gâché par un dessin basique et franchement affreux, là où un style sombre et délicat aurait pu instiller une atmosphère vénéneuse. Ne parlons même pas de l'épouvantable complaisance de l'auteur qui ne nous épargne rien des humiliations et des sévices subis par Aya aux mains de ses camarades psychopathes ou de son grand frère sadique. Certaines scènes sont à vomir. Et puis entre Aya-le payasson (pardon), son alliée Tsuyono qui considère tous les prétextes bons pour se venger, et la chasseuse assoiffée du sang des autres magical girls, comment s'attacher à un quelconque personnage? On l'aura compris: ce n'est pas une série que j'envisage de poursuivre, ou que je recommanderais à qui que ce soit.

lundi 15 février 2016

"Les gens dans l'enveloppe" (Isabelle Monnin)


Après avoir acheté sur un site de vente aux enchères une enveloppe bourrée de photos d'une famille de Français moyens, dont une fillette qui doit être née à peu près à la même période qu'elle, Isabelle Monnin a l'idée d'un double ouvrage. Elle commence par s'inspirer des clichés pour imaginer la vie des gens qui figurent dessus. Puis, une fois cette partie romanesque bouclée, elle s'attèle à la tâche de retrouver les modèles et de découvrir leur véritable histoire, tout en tenant un journal de son enquête. Pour parachever le concept, Alex Beaupain écrit dix chansons interprétées par lui-même, Camélia Jordana, Clotilde Hesme et Françoise Fabian, tandis que "Les gens dans l'enveloppe" reprennent des morceaux qui les ont marqués; le CD est inclus à la fin du livre. 

J'ai beaucoup aimé la première partie du livre, qui fait se succéder trois points de vue: celui de la fillette, baptisée Laurence, qui grandit dans l'absence de sa mère et le chagrin de son père; celui de Michelle, la mère qui se sent étouffer dans son existence d'ouvrière et qui finit par s'en échapper très loin; celui de Simone, la grand-mère arrivée en fin de vie qui ressasse ses souvenirs une dernière fois. Les instantanés d'un quotidien plutôt tristounet sont magnifiés par une écriture parfois dure et crue, parfois poétique voire lyrique.

"Adossée à un arbre, j'observe la baignade de deux chiens dans le ruisseau. Je les dessine dans ma tête, je peine à rendre la transparence de l'eau sur leur poil. Je me demande ce que serait le monde en mon absence. Une fille adossée à un arbre observe des chiens ou aucune fille adossée à cet arbre pour observer ces chiens: rien d'essentiel ne manquerait, tout ce qui compte vraiment serait là, l'arbre, le ruisseau, les chiens. Complètement le même monde, sans moi. J'en déduis une conclusion parfaite pour ma collection de réflexions inutiles." 

"A la mort qui vient, elle offre mais ouvertes sa solitude grise et ses odeurs froides. Elle offre aussi ses bocaux à la cave, les haricots verts que personne ne prend plus, elle donne les pommes alignées sur le papier journal, son couteau noir et ses bouteilles de bouillon, elle cède sans un regard les tricots commencés pas terminés et ses photos mélangées, n'emportera que celles qui trempent dans le lait. Elle lui offre tout, ses importants et ses regrets, le même jour hagard toujours recommencé."

Je n'avais pas envie que ça se termine, et j'ai été agacée de voir le récit de l'enquête survenir si vite. Dans cette seconde partie, Isabelle Monnin rencontre ses sujets et les fait parler d'eux. Il est très étrange de constater que, même si elle lui fait parfois écho de façon inattendue - la répétition des prénoms, le thème de l'abandon... -,  la réalité est bien plus complexe et bien moins "propre" que la fiction. Elle semble aussi mettre en lumière plusieurs épisodes intimes douloureux de la vie de l'auteur, qui sont évoqués en passant mais pas approfondis.

Au final, ce récit m'a laissé une impression parfaitement illustrée par sa dernière phrase: "Des bribes, des bouts, des lambeaux. Je les étale. Si quelqu'un sait coudre, qu'il les assemble entre eux." Je n'avais pas envie de coudre, mais de lire quelque chose de structuré - que j'avais eu avec la partie romancée. Et la juxtaposition de la fiction avec la réalité, censée faire toute la valeur de l'ouvrage, m'a rebutée plus qu'autre chose. 

jeudi 11 février 2016

"Les vieux ne pleurent jamais" (Céline Curiol)


A 70 ans, Judith Hogen vit désormais seule. Actrice à la retraite, elle a cessé de fréquenter les scènes artistiques new-yorkaises et se contente de la compagnie de sa voisine Janet Shebabi, une femme de son âge fantasque et malicieuse. Trouvent un soir entre les pages d'un roman de Louis-Ferdinand Céline une vieille photographie, Judith est transportée cinquante ans en arrière et soudain submergée de tendresse et de ressentiments. Face à ce visage longtemps aimé, elle se surprend à douter des choix du passé. C'est ce moment que choisit Janet pour lui proposer de partir, de s'embarquer dans un voyage organisé aussi déroutant que burlesque au cours duquel s'établit entre elles un compagnonnage heureux hors des convenances de l'âge. De retour à Brooklyn, Judith doit bien admettre que la raisonnable passivité que lui impose la société devient insupportable. Elle décide de repartir en voyage dans son pays natal, cette France quitté dans les années 60, là où demeure cet homme, celui de la photo, ce héros. 

Difficile pour moi d'écrire une critique de ce roman qui m'a laissé une impression aussi partagée. J'ai adoré la première partie qui se passe aux USA, les réflexions intimes de Judith sur la maladie et la mort de son mari, ainsi que sur la façon dont la vieillesse l'enferme dans un rôle auquel elle ne s'identifie absolument pas; j'ai trouvé ça très beau et très juste. Mais à partir du moment où l'héroïne retourne en France, l'histoire prend un tour désarçonnant qui m'a larguée en chemin. L'homme de la photo n'est pas celui qu'on croit; Judith et lui ne se sont pas éloignés pour les raisons qu'on imagine, mais pour quelque chose que j'ai eu un peu de mal à admettre malgré les moeurs de l'époque; et les retrouvailles attendues n'auront finalement pas lieu pour un motif qui semble à la fois brumeux et peu crédible. J'avoue avoir survolé la fin à toute vitesse et avec un sentiment de grande déception.

"Pendant tant d'années, j'avais voulu me préserver de cette manière de penser, "s'occuper", comme si nous ne vivions qu'un long sursis dans l'illusion d'une existence véritable, ô combien cette façon d'appréhender le temps m'avait paru néfaste. Mais rapidement après le décès d'Herb, le verbe s'était imposé et j'avais réalisé que dorénavant, moi aussi, je m'occuperais, comme Janet. Même auparavant, au cours des derniers mois de sa maladie, alors que j'avais progressivement perdu mon rôle d'épouse tendre et impertinente, devenant infirmière diligente et serviable, me faisant cette présence permanente qui veillait aux moindres de ses besoins, je m'étais occupée par intervalles, dans ces moments de plus en plus fréquents où il s'abandonnait au sommeil en pleine journée pour échapper à la douleur, livré aux mains d'acier et aux baisers aigres de la morphine. Par intermittence, j'essayais donc de m'occuper, ou plutôt de me perdre dans des tâches anodines, des projets simples de rangement et de nettoyage, assignée à résidence la majeure partie de la semaine. Et quand intervenaient les infirmières ou la garde-malade, je ne savais même plus comment m'y prendre pour obtenir ce que les âmes bien intentionnées m'enjoignaient de m'accorder, du plaisir, un plaisir qui, au vu des circonstances, au vu de ce que lui endurait, dégoulinait d'indécence." 

mardi 9 février 2016

"Quatuor" (Anna Enquist)


Ils sont quatre musiciens classique amateurs qui se réunissent régulièrement juste pour le plaisir de jouer ensemble. Caroline, médecin généraliste, ne se remet pas d'avoir perdu ses enfants dans un accident. Son mari Jochem évacue une grande violence intérieure dans son métier de luthier. Sa meilleure amie Heleen, infirmière, est une âme bienveillante membre d'un club de correspondance avec des prisonniers. Hugo, le cousin d'Heleen, vit sur une péniche et dirige un centre culturel qui prend l'eau de toutes parts en ces temps où la culture ne reçoit plus aucune subvention. A la lisière de leur quatuor, Reinier, l'ancien professeur de Caroline et Hugo, autrefois un violoncelliste virtuose, se trouve désormais cloué chez lui par l'arthrose et la paranoïa: il sait que si on le juge inapte à vivre seul, il sera emmené dans un ces mystérieux centres où les visites sont découragées et où les pensionnaires ne font généralement pas long feu. Pendant que chacun se débat avec ses problèmes personnels, une affaire de corruption met les médias locaux en émoi...

D'Anna Enquist, une des plus importantes auteurs néerlandaises, j'avais adoré "Le retour" qui romançait l'existence de la femme du capitaine James Cook. Avec "Quatuor", on est dans un tout autre registre: un avenir proche qui semble une évolution à la fois crédible et glaçante de notre société actuelle. Mépris extrême pour la personne humaine, autorités incompétentes ou corrompues... Et telles des grenouilles plongées dans une casserole d'eau froide dont la température augmente trop imperceptiblement pour qu'elles songent à se sauver, les gens ordinaires continuent à vaquer à leurs occupations en occultant d'un haussement d'épaules fataliste les iniquités qu'on leur impose. Les quatre héros trouvent une forme de salut dans leur musique, la seule chose qui leur apporte encore une joie véritable, mais même ces moments ne sont que des éclaircies fugaces dans un quotidien plus que plombant. Bien que "Quatuor" soit un excellent roman, très bien écrit et traduit (au point qu'il semble avoir été rédigé directement en français), il appuie vraiment là où ça fait mal, et pour cette raison j'ai eu beaucoup de mal à l'apprécier.

"Incroyable que le pays soit gouverné par des individus pareils. (...) Apparemment, les gens qui veulent faire quelque chose d'utile et qui en plus ont les compétences requises n'occupent jamais ce genre de poste. Ya qu'à voir l'endormi qu'on a au ministère de la Santé, ce type n'a aucune idée de ce qu'est la maladie ou le handicap et de toute façon, ça ne l'intéresse pas. On parlait de lui l'autre soir à table, chez Heleen, la pauvre était absolument outrée des offenses infligées aux personnes qu'elle soigne. L'Etat-Providence appartient au passé, avait dit le ministre, on avait eu raison à l'époque de remplacer ce système par une logique participative: pas de soins à domicile ni de remboursements inabordables, mais de l'aide apportée par les voisins et la famille. L'approche s'est elle aussi révélée impraticable, avait-il reconnu d'un air jovial, on n'avait pas les moyens de contrôle adéquats et on sollicitait trop la population active. L'autonomie, voilà notre nouvel idéal, avait-il résumé avec enthousiasme, autonomie et responsabilisation. Chaque citoyen doit faire lui-même en sorte que la maladie ne se déclare pas. Bouger, manger sain, ne pas rester toute la journée en position assise - autant de bienfaits scientifiquement prouvés dont nous devons tous tirer profit. Tenez, moi par exemple, avait conclu le ministre, je cours dix kilomètres par jour et je ne mange pas de sucre."

dimanche 7 février 2016

"Les enfants de la baleine T1" (Abi Umeda)


Dans un monde où tout n'est plus que sable, un gigantesque vaisseau vogue à la surface d'un océan de dunes. Il abrite des hommes et des femmes capables pour beaucoup de manipuler le saimia, un pouvoir surnaturel qu'ils tirent de leurs émotions. Ce don les condamne cependant à mourir très jeunes. A bord de la "Baleine de Glaise", ils vivent leur courte vie coupés du reste du monde. Jusqu'au jour où, sur un vaisseau à la dérive, le jeune Chakuro fait une étrange rencontre...

Impossible de ne pas penser à "Nausicaä de la vallée du vent" en lisant ce résumé - d'un autre côté, le rapprochement est plutôt flatteur, et je suis toujours partante pour une fable futuriste écolo, surtout si elle est aussi joliment dessinée et poétique dans le propos.

D'entrée de jeu, "Les enfants de la baleine" impose son univers bien particulier. Pour pallier le manque de ressources et le déséquilibre démographique de leur petite communauté, les occupants de la Baleine ont développé un mode de vie très ritualisé, et l'harmonie règne à bord malgré une poignée de contestataires que l'ordre établi ne satisfait pas. On ne surprend à penser qu'au fond, malgré sa brièveté, leur existence paisible et bien réglée semble plutôt enviable.

Puis la découverte de Chakuro soulève un coin du voile de mystère qui les enveloppe, avec des conséquences rapidement dramatiques. La fin du tome 1 laisse entrevoir un univers finalement pas du tout, du tout conforme à ce qu'on avait pu imaginer - mais sans doute encore plus fascinant. Et je ne peux hélas pas en dire plus pour ne pas gâcher l'effet de surprise. Une chose est certaine: je vais très rapidement me jeter sur la suite (le tome 2 est déjà disponible; le 3 sortira en mai, et la série toujours en cours au Japon en compte actuellement 6).

Seul petit regret, le noir et blanc ainsi que le format du manga ne mettent pas en valeur le côté grandiose des décors et des paysages imaginés par Abi Umeda. Par contre, si quelqu'un se dévouait pour produire un anime, ça pourrait être vraiment chouette!




jeudi 4 février 2016

"La folle rencontre de Flora et Max" (Martin Page/Coline Pierré)


Lorsqu'elle découvre l'étonnante lettre de Max, Flora est à la fois heureuse et troublée: elle reçoit si peu de courrier depuis qu'elle est en prison... Que peut bien lui vouloir ce garçon excentrique qui semble persuadé qu'ils ont des points communs? Que peut-il partager avec une lycéenne condamnée à six mois ferme pour avoir violemment frappé une fille qui la harcelait? 
Max ne tarde pas à révéler qu'il vit lui aussi enfermé. Il a quitté le lycée après une grave crise d'angoisse. Depuis, il n'arrive plus à mettre un pied dehors et vit retranché chez lui avec ses livres, son ordinateur, son chat gourmet et son ukulélé.
Flora et Max vont s'écrire, collecter chaque jour des choses lumineuses et réconfortantes à se dire, apprivoiser leur enfermement et peu à peu, avec humour et fantaisie, se construire une place dans le monde. 

Je ne suis pas certaine qu'il existe beaucoup de filles ordinaires de dix-sept ans et demi ayant pour auteurs préférés Sylvia Plath et Fernando Pessoa, s'exprimant avec un vocabulaire aussi châtié que celui de Flora et terminant leurs lettres par "Douce journée". Des deux héros de ce roman épistolaire, c'est son personnage qui m'a paru le moins crédible, bien que pas inintéressant puisque l'on découvre l'univers carcéral à travers ses yeux. J'ai davantage accroché à l'humour décalé et aux petites excentricités de Max, peut-être parce que je suis familière avec la prison mentale des angoisses paroxystiques et tout à fait capable de comprendre sa phobie sociale. Les efforts qu'il déploie pour s'en sortir m'ont beaucoup touchée, et j'ai aimé l'idée des lettres qui aident deux solitaires à panser leurs blessures respectives et à s'ouvrir de nouveau à la vie.

(Max) Le suicide, je comprends, j'y ai pensé souvent, mais à chaque fois c'était pour le rejeter violemment. Le désespoir est mon adversaire. Pas la vie. Alors je me bats. Je crois que Sylvia aurait dû rencontrer plus de gens dépressifs: ils sont bien placés pour aider, comprendre, encourager, donner de l'espoir. Je trouve ça beau que tu la fasses revivre grâce à une marionnette. Et puis ainsi tu as de la compagnie. Je crois en l'amitié des êtres inanimés, des esprits, des objets, des morts, des personnages de fiction. Ils ont les mains plus chaudes et plus de conversation que la plupart des vivants. 

(Flora) Si tu n'y arrives pas, ce n'est pas grave. Je suis sûre qu'elle aurait compris. On peut penser aux morts sans aller à leur enterrement, sans mettre de fleurs sur leur tombe. On peut y penser en restant chez soi, en lisant un livre, en écoutant la pluie tomber, en jouant de la musique. On peut leur tenir la main en pensée, se remémorer leur voix et leur sourire, leurs expressions favorites. On peut aussi leur parler et leur lire des poèmes. 

mardi 2 février 2016

"Automne" (Jon McNaught)


C'est un mardi gris d'octobre semblable à tant d'autres dans la petite ville de Dockwood. Les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes: à la maison de retraite d'Elmview, un garçon de cuisine prépare le repas des pensionnaires; le long de la rue de Nettlefield, un livreur de journaux finit sa ronde; et dans les arbres les hirondelles se rassemblent à grand bruit avant de s'envoler vers l'Afrique. 

Amateurs d'action, passez votre chemin. Ce très bel album au graphisme soigné donne résolument dans le registre contemplatif. Il ne se contente pas de mettre en scène le quotidien le plus ordinaire: il le dissèque au microscope pour en faire ressortir la beauté, la sérénité, parfois l'étrangeté et la mélancolie. Les personnages sont presque muets et les rues de Dockwood quasiment vides d'humains, mais Jon McNaught nous donne à admirer les feuilles agitées par le vent, les écureuils qui détalent le long des branches, les chats qui contemplent le monde depuis le sommet d'un mur, les oiseaux qui s'envolent par nuées. C'est très beau, mais sûrement trop contemplatif pour plaire à tout le monde.





lundi 1 février 2016

Les sorties bédé que j'attends avec impatience en février



Nous avons quitté l'héroïne gamine, alors qu'elle venait d'hériter du domaine de son mentor créateur d'automates fabuleux. (Voir ma critique du Tome 1 ici.) Nous la retrouvons des années plus tard, et j'ai hâte de savoir quelle tournure va prendre ce conte cruel.



Le 10: "Juliette"
Je suis fan de Camille Jourdy, de sa délicatesse et de la poésie qu'elle réussit à mettre dans le quotidien. Si vous avez manqué les trois tomes de "Rosalie Blum", qui étaient une merveille, ils viennent juste de ressortir sous forme d'intégrale. Moi, j'ai hâte de découvrir sa nouvelle héroïne.



Le 11: "Erased, Tome 6"
On approche du dénouement de ce palpitant thriller temporel. Ca fait déjà plusieurs tomes que j'ai ma petite idée sur le coupable et que ça n'enlève absolument rien à mon plaisir. Ma critique du début de la série ici



A défaut d'une suite au merveilleux "Sha et Salomé", je me consolerai avec ce nouvel album du duo tendre et fantaisiste formé par Anne Montel et Loïc Clément. Au menu: un village breton, une pâtisserie familiale,  des chats partout et un journal intime plein de secrets. J'ai vu passer quelques bribes sur le compte Instagram de la dessinatrice, et je sais déjà que je vais me régaler.



Sa sortie était initialement prévue en mars 2015; j'espère que ça vaudra le coup d'avoir attendu si longtemps la suite des aventures de la jeune "femme à tout faire" dont je piquerais bien l'intégralité de la garde-robe. Ma critique du début de la série ici