vendredi 28 septembre 2012

"Léon et Louise"


Léon et Louise n'ont pas vingt ans lorsqu'ils se rencontrent en 1918, dans le petit village de Saint-Luc-sur-Oise. Séparés par un bombardement, les amoureux passeront toute leur vie à se recroiser et à se suivre de loin pour ne pas détruire la famille que Léon aura construite entre-temps...

Ce roman dans lequel l'auteur franco-suisse Alex Capus réinvente la vie secrète de son grand-père sur 40 ans est mon coup de coeur de la rentrée. A travers les péripéties de l'existence de Léon et Louise, il nous replonge dans l'Histoire de France: la Normandie pendant la Première Guerre Mondiale, Paris sous l'Occupation, la tentative du préfet de police pour cacher les archives relatives à l'immigration, l'opération de sauvetage de l'or de la République...

Surtout, il créé deux personnages infiniment touchants dans l'amour indéfectible qu'ils se portent, et la droiture qui les empêchera de briser d'autres vies pour faire la leur ensemble. "Léon et Louise" n'est pas une tragédie: ses héros parviendront à être heureux l'un sans l'autre, acceptant avec grâce le sort qui leur est échu sans jamais s'appesantir sur leurs états d'âme. Chacun à sa façon modeste, ils serviront leur pays dans la tourmente et ne nourriront que très peu de regrets. Un roman grave et léger à la fois, qu'on hésite à dévorer d'une traite ou économiser pour faire durer le plaisir. 

vendredi 21 septembre 2012

"Olive Kitteridge"


Olive Kitteridge vit à Crosby, une petite ville côtière du Maine. C'est une femme caractérielle, encline aux sautes d'humeur et volontiers tyrannique. Tout le monde file droit devant elle: les lycéens auxquels elle enseigne les mathématiques, son époux Henry qui tient la pharmacie locale et son fils unique Christopher dont elle voudrait régenter la vie jusque dans les moindres détails. 

A travers treize récits étalés sur une période de trente ans, Elizabeth Strout peint le portrait d'une héroïne hors normes, mais aussi celui de toute une communauté. C'est ce concept à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles qui, bien plus que son prix Pulitzer reçu en 2009, m'a intriguée et décidée à acheter "Olive Kitteridge". Si certains chapitres sont focalisés sur cette dernière, d'autres ne la voient faire qu'une très brève apparition. Parfois, elle est juste mentionnée par le personnage principal du moment - qui, lui, ne réapparaîtra jamais par la suite. 

J'ai beaucoup apprécié le style de l'auteur. Elizabeth Strout prend vraiment le temps de décortiquer les sentiments et les réactions de chacun des protagonistes, ce qui fait d'"Olive Kitteridge" une oeuvre intimiste s'intéressant plus que tout autre chose aux méandres de l'âme humaine. Pourtant, je ne peux pas prétendre avoir adoré le livre dans son ensemble. J'ai trouvé Olive extrêmement antipathique, y compris dans les passages qui dévoilent ses failles et ses tourments intérieurs. Là où d'autres lecteurs ont vu une femme complexe mais humaine et touchante, je n'ai vu qu'une tête à claques qui aurait eu bien besoin que son entourage la remette à sa place de temps en temps. Au final, je suis restée avec une impression très mitigée.

jeudi 13 septembre 2012

"Snuff"


Si je continue à suivre fidèlement les Annales du Disque-Monde, je dois avouer que je n'ai pas du tout été emballée par les derniers tomes. Ca doit bien faire dix ans que je ne ris plus aux éclats en les lisant, que je ne les dévore plus en deux ou trois jours et que je ne m'émerveille plus des multiples trouvailles de l'auteur. Dix ans pendant lesquels la série s'est essentiellement centrée sur le Guet d'Ankh-Morpork, qui n'a jamais été mon groupe de personnages préférés; dix ans pendant lesquels elle s'est spécialisée dans une satire sociale souvent bien vue mais chaussée de trop gros sabots à mon goût. Quand j'ai entamé "Snuff", dont le commandant Vimes est une fois de plus le héros, je ne nourrissais donc pas de grands espoirs. 

(Attention, petits spoilers!) Vimes, citadin dans l'âme, est contraint par son épouse dame Sybil à prendre des vacances à la campagne avec leur fils Sam Junior. Il répugne à s'éloigner ainsi de son travail de policier... et comme de bien entendu, à peine arrivé au manoir de la famille Ramkin, il flaire la culpabilité de la noblesse et de la magistrature locale. Pendant qu'il tente de déterminer quel crime a été commis dans ce village d'apparence si paisible, quelqu'un tente de le faire accuser du meurtre du forgeron. En cherchant le moyen de se disculper, Vimes découvre une colonie de gobelins installée dans une colline. Ces créatures peu ragoûtantes, considérées comme les damnés de la Terre plus misérables des misérables, se révèlent pourtant capables d'étonnantes prouesses artistiques. Et surtout, elles lui réclament justice. Or, s'il y a une chose à laquelle Vimes n'a jamais pu résister, c'est l'appel de la loi. 

Plus honnis encore que les nains, les trolls ou les vampires, les gobelins fournissent à Terry Pratchett l'occasion d'un nouvel appel à la tolérance raciale. C'est bien intentionné mais quelque peu éculé: d'entrée de jeu, on devine que tout ça débouchera sur le recrutement de certains d'entre eux dans le Guet, devenu au fil des tomes une sorte d'arche de Noé pour les espèces intelligentes. Pourtant, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire "Snuff". Niveau humour, je l'ai trouvé nettement au-dessus des dix précédents, et j'ai maintes fois gloussé pendant ma lecture. Une fois n'est pas coutume, j'ai aussi été émue par le sort des gobelins, l'auteur n'hésitant pas à jouer exceptionnellement sur la corde sensible de son lectorat. D'habitude, ses personnages de losers et de parias ont un trait de caractère qui empêche de se sentir totalement désolé pour eux: la lâcheté et la chance de Rincevent, par exemple. Là, n'importe qui aurait envie de se faire le défenseur de ces pauvres malheureux incompris et injustement méprisés. Et puis je suis fan des relations archi-stéréotypées mais très drôles du ménage Vimes, Sybil menant son époux à la baguette sans avoir l'air d'y toucher et celui-ci se laissant faire avec la résignation de quelqu'un qui sait qu'il n'aura jamais le dernier mot. Au rayon des personnages secondaires, on notera une belle prestation de Willikins, le valet de chambre capable de terroriser n'importe quel criminel endurci avec un simple peigne, et on regrettera l'absence de la Mort pour la toute première fois dans les romans adultes de la série. 

mercredi 12 septembre 2012

"Hikari no densetsu"


"Essayer de sauter de danser
C'est très dur mais j'y arriverai
C'est normal tout le mal qu'on se donne
Je serai une vraie champiooooooonne!"
Si vous êtes né(e) dans les années 70 ou 80, vous aurez peut-être reconnu le générique français de "Cynthia ou le rythme de la vie", dessin animé qui retraçait l'ascension d'une jeune pratiquante de GRS et les péripéties de sa vie sentimentale. J'ai toujours été frustrée de n'avoir pas vu la fin; alors quand j'ai découvert que Tonkam rééditait en 8 gros volumes le manga d'Izumi Aso qui avait donné naissance à la série, je n'ai pas hésité longtemps avant de me lancer dans un petit trip nostalgie bon marché*.

En VO, donc, Cynthia s'appelle Hikari. Elle a 14 ans au début de l'histoire, et elle entre en 4ème dans un nouveau collège. Là, elle fait la connaissance de Hazuki, une élève de 3ème qui est déjà une vedette junior de la GRS. Les deux filles vont devenir amies mais aussi rivales, à la fois sur les tapis et dans le coeur d'Oîshi, un champion de gymnastique traditionnelle qui fréquente le même établissement scolaire. Leur trio amoureux sera brisé par l'arrivée de Mao, un jeune musicien ombrageux très épris de Hikari. Il propose à celle-ci d'accompagner ses chorégraphies en jouant d'un instrument live, ce qui va permettre à la jeune fille d'atteindre de nouveaux sommets dans sa pratique. Les compétitions se succèdent avec plus ou moins de bonheur jusqu'à l'objectif ultime de Hikari: les jeux olympiques de Séoul...





Si j'ai craint au début que l'absence de musique nuise à mon appréciation de la version papier de "Hikari no densetsu", j'ai été bien vite rassurée. Au lieu d'une animation somme toute assez rudimentaire, j'ai eu droit à de superbes décompositions des mouvements des gymnastes, un vrai régal pour les yeux**. Le caractère spontané et le bon coeur de Hikari, incapable d'éprouver jalousie ou rancune envers qui que ce soit, font d'elle une héroïne très attachante. Bosseuse, déterminée et résolument positive, elle entretient des rapports de saine émulation avec toutes ses concurrentes, et se réjouit sincèrement pour elles après chacune de leurs bonnes performances. Je regrette juste que le manga ne montre pas davantage les aspects plus ordinaires de sa vie d'adolescente, comme ses cours ou ses rapports avec sa famille. Malgré ça, j'ai dévoré les 6 premiers tomes et j'attends avec impatience la sortie du 7ème et avant-dernier. 

*moins de 10€ le tome pour une bonne heure et demie de lecture: un excellent rapport prix-durée dans la bédé en général
**malgré des pieds qui ressemblent à des pattes de lapin terminées par de longs orteils de chimpanzés; quelqu'un pourrait m'expliquer pourquoi AUCUN mangaka ne sait dessiner les pieds correctement?

dimanche 9 septembre 2012

"Eloïsa et Napoléon"


Eloïsa est grande et grognon. Napoléon est minuscule et souriant. 80 cm et des caractères totalement opposés les séparent. Pourtant, leur amour est une évidence, une petite bulle de magie qui les isole du reste du monde. Les débuts de leur histoire n'ont pas été simples: après leur rencontre fortuite au marché aux fleurs, Eloïsa s'est enfuie, et Napoléon a dû déployer des trésors d'ingéniosité et de patience pour la retrouver...

"Eloïsa et Napoléon", c'est pile le genre de bédé miraculeuse que j'adore dénicher en fouillant chez Contrebandes. Sortie sans tapage chez un petit éditeur, elle a remis de un peu de gaieté et de bonne humeur dans ma soirée de vendredi dernier.  Ce qui, croyez-moi, n'était pas un mince exploit. J'aime les couples à part, ceux qui savent se créer un univers bien à eux et faire de leurs différences leur plus bel atout. Graphiquement, j'ai beaucoup apprécié l'alternance de mosaïques de carrés, dont certains se complètent entre eux pour montrer la progression d'une action,  et de dessins aérés prenant tout une double page, qui installent leur atmosphère façon Sempé. Une très, très jolie découverte. 



samedi 8 septembre 2012

"La maison en petits cubes"


"Dans une ville entièrement immergée, un vieux monsieur résiste encore et toujours à la montée du niveau de la mer. Chaque fois que l'eau atteint son plancher, il est obligé de bâtir une nouvelle maison par-dessus la précédente, si bien qu'au fil du temps son logis a fini par ressembler à une immense pile de petits cubes. 
Un jour, alors qu'il s'est encore une fois lancé dans la construction d'une nouvelle demeure, ses outils tombent tout au fond de l'eau. Il enfile sa combinaison pour aller les repêcher, et au fur et à mesure qu'il descend à travers ses anciennes maisons, de lointains souvenirs lui reviennent en mémoire..."

Avant d'être le magnifique album déniché hier chez Contrebandes, "La maison en petits cubes" était un court-métrage d'animation qui a remporté un Oscar. Extrêmement poétique et extrêmement triste: j'ai versé ma petite larme à la fin. D'accord, j'ai les nerfs à fleur de peau en ce moment... mais je parierais qu'il touchera certain(e)s d'entre vous tout autant que moi.


 


mardi 4 septembre 2012

"Tigers in red weather"


A une petite déception près (un bouquin pas mauvais, mais auquel je n'ai pas accroché), ma cuvée de choix littéraires "Eté 2012" aura été un cru exceptionnel. Pour tout vous dire, je commençais à me sentir invincible au niveau du mojo, quasi persuadée d'avoir acquis l'instinct de la tueuse pour flairer un bon roman. 

"Tigers in red weather" s'est chargé de me remettre les idées en place. 

A priori, il avait tout pour me plaire. Le lieu et l'époque: l'Amérique après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et jusqu'à la fin des années soixante. Le sujet: une histoire de secrets de famille dont l'essentiel se déroule dans une maison de Martha's Vineyard. Le procédé de narration: cinq points de vue successifs qui révèlent progressivement de quoi il retourne, avec des aller-retour entre différentes périodes-clés de la chronologie. La filiation littéraire: "Tigers in red weather" a souvent été comparé à l'oeuvre de Fitzgerald. 

Du coup, quand j'ai dû choisir un seul livre à mettre dans mon sac pour les cinq heures de train entre Toulouse et Monpatelin, c'est sur lui que mon choix s'est porté. Et croyez-moi, si j'avais eu autre chose à me mettre sous les lunettes dans l'Intercités, il serait parti dans la pile pour Pêle-Mêle au bout de trois ou quatre chapitres seulement. Personnages en carton-pâte. Style d'une platitude consternante. Dialogues navrants. Histoire aussi languissante qu'invraisemblable. Même la structure intéressante ne parvient pas à sauver ces tigres-là du naufrage le plus complet. A fuir absolument.

dimanche 2 septembre 2012

"L'äge des miracles"


Au début d'un automne que rien ne distinguait des autres jusque là, les journaux du monde entier annoncent que la rotation de la Terre est en train de ralentir et que les jours ont commencé à rallonger inexorablement. Personne ne sait pourquoi, et personne ne peut anticiper avec précision les conséquences de cet inquiétant phénomène. Mais très vite, les oiseaux commencent à tomber du ciel, les baleines à s'échouer en masse sur les plages et les plantes à mourir les unes après les autres. La gravité est perturbée, et le champ électromagnétique qui entoure la Terre se déchire. La consommation énergétique explose; les pannes d'électricité se multiplient. La population se divise en deux camps: celui des gens qui, conformément aux instructions gouvernementales, vont rester à l'heure des pendules malgré des périodes diurnes atteignant bientôt les 72h; et celui des écolos qui décident de régler leurs rythmes circadiens sur la nouvelle heure du soleil, au risque de devenir des parias au sein de leur propre communauté...

L'histoire est racontée, avec quelques années de recul, par Julia, 11 ans et demi au moment du ralentissement. Dans une ambiance de fin du monde, elle va traverser tous les problèmes inhérents  à cet âge où le corps commence à changer, où les relations avec les garçons prennent un autre tour, où l'on s'aperçoit que l'équilibre familial n'est pas aussi parfait qu'il y paraît. La menace diffuse qui plane sur l'humanité exacerbe les penchants naturels des adultes qui l'entourent. Sa mère paniquée entasse piles et boîtes de conserve dans chaque recoin de leur maison, tandis que son père médecin reste d'un calme à toute épreuve mais se montre de plus en plus absent. Julia, elle, observe les catastrophes écologiques qui s'enchaînent avec le détachement égoïste propre à l'adolescence. Au début, le ralentissement lui apparaît même comme quelque chose de vaguement excitant, une occasion de se rapprocher du garçon qui lui plaît. Moins angoissée que les adultes, plus adaptable et fataliste quant à son avenir sérieusement compromis, elle parvient encore à voir de la beauté et à trouver du plaisir dans les bouleversements radicaux que subit son environnement. 

Sachant que je suis une éco-flippée totale et que, par exemple, je n'ai pas dormi de la nuit après avoir lu cet article sur la piscine du réacteur numéro 4 de Fukushima, il est permis de se demander pourquoi je m'inflige ce genre de lecture. Peut-être que je suis maso. Peut-être que je cherche à apprivoiser mes peurs. Ou, tout simplement, peut-être que je ne veux pas me priver d'un très beau roman même s'il appuie là où ça fait mal. Et très beau, "L'âge des miracles" l'est sans aucun doute. L'auteure, dont c'est là le premier roman, parvient à raconter la rapide dégradation des conditions de vie sur Terre avec une poignance tout à fait dépourvue de pathos, une sorte de poésie de la catastrophe qui m'a amenée à relire de nombreux passages plusieurs fois. Mention spéciale à son tout dernier chapitre, où elle décrit le contenu potentiel du disque que les scientifiques veulent envoyer dans l'espace comme témoignage de ce que fut l'humanité: il m'a serré le coeur et fait monter les larmes aux yeux. Une lecture prenante dont je ne suis pas ressortie indemne. 

Petite précision: j'ai lu "L'âge des miracles" en VO, et ne puis garantir la qualité de la traduction française. La 4ème de couverture lue sur Amazon m'a consternée par son peu de rapport avec le ton général du roman; d'un autre côté, je suis bien placée pour savoir qu'elle a sans doute été rédigée par l'éditeur et ne constitue pas une indication fiable.