vendredi 27 juillet 2012

"La carte du temps"


Londres, 1896. L'agence Murray propose aux citoyens fortunés de voyager dans le temps, et plus précisément, de se rendre en l'an 2000 où les derniers humains livrent une terrible bataille pour leur survie. Andrew Harrington y voit une opportunité de sauver Mary Kelly, la prostituée rousse qu'il aimait et qui fut la dernière victime de Jack l'Eventreur, tandis que la jeune Claire souhaite fuir cette époque terne et peu permissive pour vivre une grande passion romanesque avec Derek Shackleton, le futur sauveur de l'humanité. De son côté, l'écrivain H.G. Wells soupçonne une arnaque basée sur son roman "La machine à remonter le temps". Mais bientôt, il apparaît qu'un escroc venu d'un avenir lointain tente de s'approprier son manuscrit suivant, ainsi que ceux d'Henry James et de Bram Stoker...

Le voyage dans le temps et les paradoxes qu'il induit comptent parmi mes sujets préférés en littérature. Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce roman de l'Espagnol Felix J. Palma. D'abord désarçonnée par le fait qu'il semblait composé de trois histoires indépendantes présentées les unes à la suite des autres, j'ai été rassurée en découvrant le fil rouge qui sous-tendait l'ensemble et finissait par en faire un tout cohérent. "La carte du temps" est une oeuvre foisonnante, bourrée de références culturelles tous azimuts mais qui rend un hommage tout particulier à la science-fiction et au steampunk. Son style quelque peu ampoulé, voire prétentieux par endroits, pourrait le rendre pénible à lire; en ce qui me concerne, je m'y suis faite très vite car j'aimais son ton à la fois distancié et goguenard, ainsi que sa puissance d'évocation. Ses descriptions de la vie des miséreux sont assez saisissantes, surtout mises en regard de l'existence oisive et des préoccupations futiles des nantis. Quant à ses personnages, il sait remarquablement bien transcrire leurs interrogations les plus intimes sans jamais gommer leurs travers ou chercher à les rendre plus sympathiques. Sa narration est menée de main de maître, pleine de retournements de situation inattendus et de recoupements dont j'ai sans doute raté la moitié, tant je me laissais volontiers balader dans les méandres de son imagination. Vous l'aurez compris: j'ai beaucoup, beaucoup aimé "La carte du temps". 

samedi 21 juillet 2012

"En silence"


Par une belle journée d'été, un groupe composé d'un moniteur, d'un jeune couple et d'une famille avec deux enfants effectue une descente en canyoning. Pour Juliette, c'est l'occasion de se retrouver seule face à elle-même et de s'interroger sur sa relation avec Luis, dont elle ne supporte plus l'immobilisme... 

On ne peut pas dire que le sujet de "En silence" m'attirait énormément à la base. J'ai horreur de l'eau, et je défunterais de trouille si je devais me lancer dans des rapides simplement protégée par une combinaison en néoprène. Les passages où Juliette, séparée du groupe, se retrouve coincée dans des grottes inondées, voire dans des passages si étroits qu'elle n'est pas sûre d'arriver au bout avant de se noyer, représentent un de mes pires cauchemars. 

Pourtant, j'ai beaucoup aimé ce premier album d'Audrey Spiry. D'abord pour son graphisme étonnant, ses explosions de couleurs que ne délimite aucun trait noir, sa représentation de l'eau dont elle fait une créature parfois joueuse et gourmande, parfois sombre et inquiétante. Sur le plan visuel, "En silence" est une pure merveille, au point que j'ai mis plusieurs dizaines de pages à m'arracher suffisamment à ma fascination pour en apprécier aussi le scénario. Et il le mérite, car la descente du canyon reflète avec une grande force symbolique le cheminement intérieur de Juliette, obligée de plonger en elle-même pour y trouver la vérité qu'elle n'a pas envie de voir. Le contraste entre la vivacité du dessin et la subtilité du propos est assez saisissant. Un album à savourer d'urgence, et une auteure à suivre. 

jeudi 19 juillet 2012

"Grâce"


Depuis "Twist", je suis fan de Delphine Bertholon dont l'écriture a le don de me happer et qui sait très bien renouveler ses sujets d'un roman à l'autre. Cette fois, elle nous livre une histoire de secrets de famille à trois voix. Nathan Bataille, jeune veuf de trente-quatre ans qui continue à s'adresser mentalement à son épouse défunte, a emmené ses jumeaux passer Noël chez sa mère Grâce. Il y retrouve sa soeur Lise, quadra célibataire un peu aigrie qui végète dans un boulot sans intérêt et enchaîne les aventures sans lendemain, mais pas leur père qui a abandonné femme et enfants lorsque Nathan était encore tout petit. Très vite, des phénomènes étranges commencent à se produire dans la maison familiale perdue au milieu des vignes. Ont-ils un rapport avec ce qui s'est passé trente ans plus tôt, juste avant la séparation du couple Bataille? Le lecteur le découvrira à travers les extraits du journal que Grâce tenait à l'époque, ainsi que les lettres de la baby-sitter polonaise... 

Les lettres de la baby-sitter polonaise, justement. Pourquoi, mais pourquoi a-t-il fallu que l'auteur commence son roman par l'une d'elles? J'imagine que c'était juste destiné à éveiller l'intérêt, mais franchement, ça m'a fait deviner tout de suite le fin mot de l'histoire. Après, certes, il m'est resté le plaisir de retrouver une écriture fluide et naturelle qui pousse à enchaîner les pages très très vite; celui de goûter l'ambiance façon "histoire de fantômes" installée par Delphine Bertholon; celui de découvrir peu à peu les détails autour de la trame principale, jusqu'à un dénouement qui a quand même réussi à me surprendre. Mais pendant toute ma lecture, cette petite contrariété m'a empêchée de goûter pleinement la suite. J'aurais bien davantage apprécié "Grâce" si son premier chapitre était arrivé beaucoup plus tard, disons aux deux tiers du bouquin. Comme quoi, certains choix éditoriaux peuvent être lourds de conséquences... 

lundi 16 juillet 2012

"Papa"


Les deux tomes de "Moi je" m'ont fait rire et grincer des dents. "Transat" m'a donné envie de prendre le large alors que je suis sujette à un atroce mal de mer. "Fanfare" m'a entraînée dans une délicieuse comédie humaine. Alors quand j'ai vu que l'Association publiait une nouvelle bédé d'Aude Picault intitulée "Papa", je l'ai achetée sans même la sortir de son plastique pour la feuilleter, persuadée de lire un ensemble de saynètes cocasses et attendrissantes sur les rapports père-fille.

Incapable d'attendre, je l'ai commencée sur le banc de la cabine d'essayage du H&M Man où Chouchou essayait des jeans, samedi en milieu d'après-midi. Et dès la seconde page, j'ai découvert que le papa en question s'était suicidé d'un coup de fusil en pleine tête. 

Ambiance. 

J'ai failli refermer la bédé aussitôt. Je n'étais vraiment pas partante pour que quelqu'un d'autre me raconte le deuil impossible de son père. Mais Aude Picault a mis tant de ses tripes dans "Papa" que j'ai continué à tourner les pages sans pouvoir m'arrêter - de plus en plus choquée et fascinée à la fois par les extrêmes jusqu'auxquels elle était capable d'aller pour (je suppose) tenter d'exorciser sa douleur. 

"Il est resté une dizaine de jours tout seul, à pourrir sur sa moquette, à pourrir sa moquette, à disparaître, et le parquet en dessous, et les plinthes autour, ça s'est propagé, la tête écrasée au sol, le fusil sous lui, le sang sur les habits de la penderie, les oreillers coagulés, la balle coincée dans l'étagère sous le tas de chemises." Et de dépeindre la scène, son père qui se lève tiré en avant par une force macabre irrépressible. Qui saisit le fusil et le cale sous son menton. Puis le trou noir. Puis le corps à demi décomposé, entouré par une nuée de mouches, gisant seul dans la pénombre de son appartement. Et le chagrin inextinguible de la fille, exprimé avec des grands tourbillons de stylo noir et si peu de mots qui touchent si juste. "J'ai peur de ne plus souffrir car c'est ma souffrance qui me rappelle à toi. Si je ne souffre plus, tu disparais."

Mais avant l'évocation du drame, l'auteur se remémore les petites manies attachantes ou agaçantes de son père (qu'elle présente comme un type plutôt nonchalant que torturé, ce qui rend son geste d'autant plus incompréhensible). Et juste à la fin, au lieu de laisser le lecteur assommé par le coup de poing qu'il vient de recevoir, elle fait ressurgir une de ces petites habitudes qu'elle avait en commun avec lui pour basculer du registre du drame à celui de la nostalgie douce-amère. "Maintenant, j'ai toute ma vie pour penser à toi et pour comprendre toutes ces choses que tu m'as dites." 

Rideau. 

"Papa". Si j'avais su de quoi ça parlait, je ne l'aurais pas acheté. (Et je n'aurais sûrement pas, comme les libraires de Filigranes, collé une étiquette "Plaisir garanti" sur la couverture.) Mais je suis bien contente de l'avoir lu, parce que c'était incroyablement dur, sincère et émouvant - d'une force à laquelle peuvent prétendre peu d'oeuvres écrites et/ou dessinées.

lundi 9 juillet 2012

"Les aventures fantastiques d'Hercule Barfuss"


En 1813, par une nuit de tempête, deux enfants naissent dans une maison close de Königsberg. Hercule est un nain difforme, sourd et muet; pourtant, sa soeur de lait la ravissante Henriette l'aime tendrement. Le garçon possède un don encore plus singulier que son physique repoussant: celui de lire dans les esprits. Lorsque le destin les sépare, les deux enfants endurent chacun de leur côté des épreuves atroces avant de se retrouver, adultes, pour une félicité aussi totale que brève... 

J'ai commencé ce roman sur les chapeaux de roue, dévorant les 150 premières pages en guère plus d'une heure. Quels personnages singuliers, quelles trajectoires romanesques, quelle époque tragique mais passionnante, quelle peinture sans concession de l'intégrisme religieux qui régnait alors en Europe! me disais-je alors. Sans compter que le style de l'auteur était très agréable à lire, servi par une traduction aussi fluide que possible. 

Puis le récit des persécutions infligées au pauvre Hercule a commencé à plomber sérieusement mon moral, et ma lecture a ralenti de plus en plus. J'ai quelque peu repris mon souffle lors de ses retrouvailles avec Henriette, jusqu'à ce que leur bonheur cède la place à d'interminables chapitres de vengeance dégoulinante de haine. Et j'avoue que je me suis contentée de survoler les cent dernières pages pour savoir comment l'histoire se terminait. En résumé, un roman original et bien écrit, mais beaucoup trop dur pour moi. Je n'ai pas trouvé les aventures d'Hercule Barfuss fantastiques - juste déprimantes à souhait. 

vendredi 6 juillet 2012

"L'écume des jours"


J'étais encore ado quand j'ai lu "L'écume des jours". Avec le temps, je n'en gardais que de vagues souvenirs: le pianocktail, la musique jazz, Jean-Sol Partre, le nénuphar dans les poumons de Chloé. Mais, allez savoir pourquoi, c'était des souvenirs aux couleurs extrêmement violentes. Alors, quand j'ai vu que Jean-David Morvan et Marion Mousse en avaient fait une bédé noir  & blanc, ma curiosité a été piquée. 

Du scénario, je ne dirai pas grand-chose, sinon que c'est une fidèle adaptation du roman de Boris Vian: un mêli-mêlo de thèmes sociaux abordés avec plus ou moins de profondeur et de distance, et servant de toile de fond à une histoire d'amour qui finit trèèès mal. L'intérêt de cette bédé, bien sûr, c'est son graphisme faussement naïf, fantaisiste, foisonnant et peu avare en fâmâpoâls, qui malgré son absence de couleurs colle parfaitement à l'atmosphère surréaliste créée par Boris Vian. Et parce qu'une image vaut mieux que mille mots, en voici trois:






jeudi 5 juillet 2012

"Mad World T1: Inner voices"


En piochant mes lectures au hasard dans les rayons des librairies, j'ai souvent de grosses déceptions, mais parfois aussi d'excellentes surprises. "Inner Voices" fait indiscutablement partie de la seconde catégorie. 

"Mad World" est, selon l'éditeur, une série de courts récits en un volume au travers desquels il souhaite faire découvrir les travers de la société japonaise et ses conséquences sur les personnes les plus vulnérables: les adolescents. Ce premier tome traduit en français a pour héroïne Ryô Aihara, une jeune fille que sa timidité extrême isole du monde. Contrairement à tous ses camarades de lycée, Ryô ne possède pas de téléphone portable: qui appellerait-elle? Mais elle en rêve au point de le voir dans sa tête... et un jour, elle l'entend sonner. A l'autre bout du fil: Shinya Nozaki, un garçon affligé du même problème qu'elle. Ryô et Shinya vont devenir amis sans jamais s'être vus ni entendus "pour de vrai", se soutenir et s'aider mutuellement. Jusqu'au jour où...

Bien que je brûle de commenter le dernier tiers de cette histoire, je ne voudrais pas en déflorer pour vous la très habile intrigue, qui mène implacablement vers une conclusion poignante. Je n'attendais réellement pas tant de sensibilité ni de maestria de la part du scénariste Otsuichi (d'autant qu'il a rédigé la première version de cette histoire alors qu'il était encore étudiant). Les dessins d'Hiro Kiyohara font la part belle aux deux héros, occultant presque les décors et les personnages secondaires pour se concentrer sur leurs expressions frémissantes. Une belle découverte que je recommande à tous les amateurs de manga. 

lundi 2 juillet 2012

"Timeless"


C'est après une pause de plusieurs semaines que je me suis enfin décidée à attaquer "Timeless", le 5ème et dernier tome de la série "Le protectorat de l'ombrelle". Deux ans après les événements de "Heartless", Alexia et son époux Conall coulent, dans le troisième meilleur dressing du seigneur Akeldama, une existence qui serait assez paisible sans les caprices et les transformations inopinées de leur fille Prudence. Jusqu'au jour où la reine Matakara, ancêtre de tous les vampires, les convoque en Egypte pour qu'on lui présente "l'abomination"... 

Je dois l'avouer: j'ai été plutôt déçue par cette conclusion d'une série que j'ai par ailleurs adorée. "Timeless" est beaucoup, beaucoup moins drôle que les quatre tomes qui l'ont précédé. Si j'ai aimé qu'il donne une importance nouvelle à des personnages restés dans l'ombre jusque là (Floote) ou qui avaient toujours paru inutiles (Ivy), j'ai été déçue par l'absence de résolution de certains points, et le total manque de crédibilité de certains autres. (Attention, spoilers!) Nous ne saurons jamais ce qu'il est advenu du père d'Alexia; l'histoire de Geneviève Lefoux se termine en eau de boudin; la révélation de la forme d'Anubis de Biffy ou la survie de Conall, qui venait de se prendre plusieurs balles dans le corps, après une chute depuis le ciel sont assez difficiles à avaler. Ce que je pourrais pardonner si l'histoire m'avait globalement enthousiasmée... mais ça n'a pas été le cas. Pendant 350 pages, j'ai attendu l'apparition d'un ennemi ou le début d'une intrigue qui tiendrait en plus de deux lignes - en vain. Pour moi, ce n'était pas la note idéale sur laquelle quitter la famille Maccon et son excentrique entourage. 

dimanche 1 juillet 2012

"END, T1: Elizabeth"


C'est la magnifique couverture de cette bédé qui a attiré mon regard hier chez Cultura: son atmosphère baroque et sombre, un peu vénéneuse, et puis le nom de Barbara Canepa dont j'avais beaucoup apprécié le travail sur la série "Sky Doll ". Et effectivement, du point de vue du dessin, le tome 1 de ce qui s'annonce comme une trilogie est très réussi avec ses décors d'inspiration victorienne, ainsi que ses dominantes bleues, violettes et vertes rehaussées de-ci de-là par une pointe de rouge ou de rose. On déplorera juste un découpage archi-classique là où le sujet se prêtait, me semble-t-il, à des compositions graphiques un peu originales voire délirantes.

Pour ce qui est du scénario... Elizabeth, treize ans, vit dans le monde clos d'une immense serre depuis son décès. Elle a pour compagnon trois animaux à demi mutés, un chat-serpent, une chauve-souris avec des pattes de poulet et un crapaud-araignée. Et son contact direct provoque la mort de ceux qu'elle touche. Dans le monde qu'elle a quitté et avec lequel elle tente désespérément de communiquer, sa soeur Dorothea continue à faire des prophéties, tandis que ses camarades de pensionnat sont bien décidées à élucider le mystère de sa disparition... Beaucoup de pistes sont lancées, beaucoup de questions sont soulevées, et ce tome 1 s'achève sans que le lecteur ait obtenu de réponse sur aucun point. Je ne doute pas que les réponses en question arrivent dans les tomes suivants, mais il me semble qu'elles auraient pu être distillées petit à petit, de manière à ne pas décourager les bonnes volontés. J'étais, je l'avoue, plus frustrée qu'admirative en refermant "Elizabeth".