dimanche 24 août 2014

"Coeur glacé", ou la chronique d'un pauvre petit Occidental bien nourri


Très attirée par sa belle couverture embossée et ses dessins à l'aquarelle, je me suis jetée sur ce "Coeur glacé" hier lors d'un passage chez Brüsel, et je l'ai lu aussitôt attablée à l'Exki d'en face. Un quart d'heure plus tard, je le refermais complètement déprimée.

C'est l'histoire d'un mec ultra-ordinaire. Un Monsieur Tout-Le-Monde nettement moins rigolo que le mien. Il examine sa vie à la loupe, se pose plein de questions sur le monde qui l'entoure, fait des constats d'une banalité affligeante. Il n'a aucune raison d'être malheureux, pourtant il ne trouve de goût à rien. C'est le parfait occidental moderne sans véritables problèmes, qui souffre de sa vie trop facile et dépourvue de sens. L'exposé de ses angoisses existentielles et de ses bonnes intentions, j'aurais pu le faire, quasiment avec les mêmes mots, et j'ai trouvé ça assez effrayant.

"Avec ma femme, on aime bien de temps en temps faire un beau voyage. Aller à la rencontre d'autres cultures. En général, on ne suit pas les circuits touristiques classiques. On s'aventure hors des sentiers battus. Il nous est arrivé de côtoyer une misère noire, qu'on n'imagine pas dans nos régions. En même temps, ces gens ont très souvent un goût de la vie qu'on a perdu chez nous, une saveur, une authenticité, un sens de la fête, une convivialité, quelque chose d'indéfinissable. Ca m'a fait énormément réfléchir sur notre mode de vie occidental."

Certaines situations touchent juste jusqu'à la nausée: la soirée avec les amis où l'on parle immobilier autour de l'apéro, le SDF qui vient toquer à la fenêtre de la voiture et qu'on détourne la tête pour ne pas voir. Par moments, un peu d'humour grinçant sur la société de consommation ou les préoccupations des gens de différentes époques, le matin au réveil, vient pimenter l'atmosphère globalement plombante. Sans jamais prétendre dénoncer quoi que ce soit, sans même la moindre once de mépris pour son protagoniste mais avec une ironie assez lourde, "Coeur glacé" met en évidence l'insupportable vacuité des first world problems - les problèmes de la classe moyenne occidentale, disons.

Graphiquement, l'album est superbe, avec une majorité de ligne claire et d'aquarelle, mais aussi des emprunts à d'autres styles et même quelques photos ou illustrations de pub intégrées de manière très ingénieuse, ainsi que des dessins pleine page emprunts d'une poésie mélancolique. Bref, un album de très grande qualité, mais à ne pas mettre forcément entre toutes les mains!






mardi 19 août 2014

"Quinze minutes"


Artiste médiocre, Josh Winkler a épousé une femme dont l'activité de pédiatre le met à l'abri des soucis financiers. Il a une fille de 15 ans nommée Penny, qu'il adore, et un frère devenu idiot après qu'il l'ait sauvé de justesse de la noyade lorsqu'ils étaient enfants. Un jour, alors qu'il se promène dans les ruelles de sa petite ville, Josh rencontre une mystérieuse adolescente trempée de la tête aux pieds et vêtue comme au siècle dernier. Il constate alors que sa montre retarde d'un quart d'heure. Plus tard, il revoit l'inconnue. Elle s'appelle Constance, et elle a été projetée là depuis l'année 1908 sans savoir pourquoi ni comment. Josh décide de l'aider à rentrer chez elle. Mais son obsession pour les voyages dans le temps ne tarde pas à mettre sa propre famille en péril... 

J'ai reçu ce roman dans le cadre de la ronde des poches, et j'en ai attaqué la lecture presque immédiatement. Sa quatrième de couverture, qui parle d'un roman haletant comme un thriller, me paraît tout à fait trompeuse: au contraire, le récit est très lent, axé sur la vie intime et familiale du narrateur plutôt que sur la résolution d'une quelconque énigme surnaturelle. D'ailleurs, en le refermant, on n'est toujours pas plus avancé sur la cause des voyages dans le temps selon Charles Dickinson. Pour autant, "Quinze minutes" n'est pas dénué de charme. Il aborde un sujet classique de la science-fiction par un angle assez nouveau - même si les enjeux restent toujours identiques. Malgré sa réticence initiale, Josh se décide à influer sur les événements du passé au risque de chambouler complètement sa propre existence dans le présent. La fin un peu inattendue m'a paru trop rapide et assez frustrante. Dans l'ensemble, je dirais qu'ici, le voyage dans le temps sert juste de prétexte pour raconter la remise en question d'un homme qui s'était un peu laisser porter par la vie jusque là.

mardi 12 août 2014

"La Touchkanie"


Carnet de voyage dans un pays imaginaire (bien que fortement inspiré des anciennes républiques soviétiques), ce petit livre joliment illustré raconte les déboires des deux auteurs lors de leur séjour en Touchkanie: détenus 3 jours par des douaniers qui veulent leur extorquer un bakchich, logés dans un hôtel miteux alors qu'ils avaient réservé dans un 3 étoiles, intoxiqués aux abats de yak, détroussés par les autochtones, menacés par le dictateur local... On en frémirait pour eux si on n'était pas aussi occupé à glousser. C'est drôle, bien foutu, et ça donne envie de lire d'autres pseudo-guides aussi loufoques pour se réjouir de passer ses vacances dans un endroit sans histoire!

"Nous sommes un peu surpris par l'impétuosité des mendigots du cru. "Ca problème, consent Tirza. Mieux avant: on pouvait immoler eux à coups de bâton!" En Touchkanie aussi, les traditions se perdent..."

"Les Jorio l'ont fait ériger au XIIIème siècle sur la base du nombre d'or (1,618033988) - comme la pyramide de Kheops et le Pathénon -, mais pour des raisons pratiques, l'architecte Pitkvanlüfz a arrondi à 2... c'est ainsi que depuis sa construction, l'édifice qui était promis à l'éternité menace de s'effondrer."

"Au 14ème étage, les choses s'arrangent enfin. Il y a là un snack-bar (d'Etat), une boutique de souvenirs (d'Etat), et même des toilettes (hors d'état)."






"Avril enchanté"


"A tous ceux qui aiment les glycines et le soleil. Italie. Mois d'avril. Particulier loue petit château médiéval meublé bord Méditerranée." Du moment où elle découvre cette annonce un jour de pluie particulièrement déprimant, Mrs Wilkins, timide Londonienne mariée à un avocat aussi pingre de son argent que de son affection, n'a plus de cesse que de s'organiser des vacances de rêve au nez et à la barbe de son époux. Pour diminuer le coût de la location, elle entraîne trois autres femmes dans son aventure: la très pieuse Rose Arbuthnot, dont le mari écrit sous pseudonyme des bibliographies de courtisanes célèbres, l'acariâtre Mrs Fischer qui vit dans le souvenir des grands intellectuels qu'elle fréquentait autrefois, et la sublime Lady Caroline Dester qui n'aspire qu'à mettre un maximum de distance entre elle et ses innombrables prétendants. La beauté enchanteresse de San Salvatore va transformer les quatre femmes en profondeur...

Ecrit dans les années 20, "Avril enchanté" surprend par sa liberté de ton et son ironie très fine. Elizabeth von Arnim se moque gentiment de ses personnages, avec une belle irrévérence mais aussi beaucoup de tendresse et un style tout à fait savoureux. L'excellente traduction de François Dupuigrenet Desroussilles contient des ratiocinations, des irénismes et une flopée d'imparfaits du subjonctif - de quoi satisfaire tous les amoureux d'un certain langage fleuri. Véritable explosion de couleurs et de parfums, la peinture de la végétation au coeur de laquelle se niche San Salvatore évoque un jardin d'Eden aux vertus miraculeuses. Les tourments et les déboires des quatre vacancières témoignent du carcan des conventions de leur époque avec un humour qui ne fait pas oublier les avancées de la condition féminine au cours du dernier siècle. Bref, une lecture légère et pétillante, mais plus substantielle qu'il n'y paraît au premier abord. 

"Autrefois, ce seul mot était à la fois magique et rassurant. Ses amis de Londres, tous gens de son âge et de sa condition, avaient connu cet univers enchanté, pouvaient le comparer aux légèretés du temps présent, et savaient trouver dans le souvenir des grands hommes une consolation à la médiocrité vulgaire des jeunes gens qui, en dépit de la guerre qui en avait tué beaucoup, occupaient indûment la plus grande partie du monde."

"Mellersh, en dépit de son tempérament froid, se laissait même aller à des gestes de tendresse tout à fait inhabituels (...). Au cours de cette deuxième semaine au château, il lui arriva en effet de lui pincer non pas une oreille mais deux avant d'aller dormir. Très peu préparée à de pareils débordements, Lotty se demandait ce qu'il lui réservait pour la troisième semaine, lorsqu'il ne lui resterait plus de nouvelles oreilles à pincer."

samedi 9 août 2014

"Demain est un autre jour"


A la mort de sa mère bien-aimée, Brett Bohlinger s'attend à hériter de l'empire cosmétique familial. Perdu: Elizabeth ne lui a légué qu'une vieille liste d'objectifs que Brett s'était fixés à 14 ans, et qui ne correspondent plus du tout à la femme d'affaires trentenaire qu'elle est devenue. Enseigner alors qu'elle est directrice marketing et n'a aucune autorité sur les enfants? Acheter un cheval alors qu'elle vit en plein Chicago? Faire un bébé alors que son petit ami n'en veut absolument pas? Rétablir une bonne relation avec son père alors qu'il est mort depuis des années?  Pourtant, si elle veut accomplir les dernières volontés maternelles et toucher le pactole, Brett devra atteindre dix de ces objectifs avant le premier anniversaire du décès d'Elizabeth. Et très vite, elle va s'apercevoir à quel point sa mère avait tout prévu pour faire son bonheur fût-ce malgré elle...

Je suis passée plusieurs fois devant ce roman avant de me décider à l'acheter faute de lecture plus inspirante. D'un côté, je pressentais un facteur feel good toujours bienvenu; de l'autre, je craignais un taux de mièvrerie stratosphérique. Au final, le bilan est plutôt bon. Certes, l'histoire est complètement invraisemblable et sans grandes surprises. Il faut la prendre comme un conte de fées moderne dont la princesse serait forcée de se sauver elle-même (bien qu'avec force coups de pied maternels dans le fondement et l'aide attentive d'un charmant avocat). Mais si on veut bien laisser de côté toute aspiration à un quelconque réalisme, on passe un moment très agréable à lire les mésaventures de Brett, et parfois même, on est ému ou inspiré par ce qui lui arrive. "Demain est un autre jour" ne changera pas votre vie, mais si vous cherchez une lecture d'été légère, positive et pas trop cucul, vous pouvez y aller!

lundi 4 août 2014

"Park Avenue"


"En épousant Merrill par amour, le jeune avocat Paul Ross est entré dans le clan Darling avec tout son cortège de privilèges: un appartement sur Park Avenue, un job en or, des week-ends dans les Hamptons, et des soirées avec le tout-Manhattan. Mais bientôt, Wall Street plonge, et les grandes banques menacent de s'effondrer. Un scandale vient éclabousser la famille Darling, la propulsant sous les feux des médias, et Paul doit choisir son camp. Sauver sa peau en trahissant sa femme et les siens ou les protéger coûte que coûte..."

En l'espace de quelques jours, durant le week-end de Thanksgiving si cher aux Américains, on assiste à la chute d'une famille de la haute société new-yorkaise à travers de nombreux points de vue pas forcément liés a priori, mais qui finissent tous par se recouper. L'histoire est bien construite, savamment rythmée et presque aussi prenante qu'un thriller. Ancienne analyste chez Goldman Sachs, l'auteure maîtrise son sujet à fond mais parvient à ne pas perdre le lecteur dans les méandres techniques de la finance. Si elle traite ses personnages sans complaisance excessive, elle sait malgré tout ne pas tomber dans la caricature, et on se surprend à se demander ce qu'on ferait à la place de Paul Ross, le Candide confronté à un terrible dilemme moral. Un roman qu'on a du mal à lâcher avant la fin, ce qui en fait une parfaite lecture de vacances!

samedi 2 août 2014

"The imperfectionists"


Les derniers mois d'un journal international sur le déclin, vus à travers les mésaventures d'une dizaine de ses employés. En panne d'inspiration, le correspondant à Paris se résoud à mettre en danger la carrière de son fils et à inventer des informations pour tenter de faire publier un article. Fils d'un journaliste célèbre qui ne possède pas le talent de son père, le rédacteur des notices nécrologiques voit son existence bouleversée par la mort accidentelle de sa fille. Lasse de la solitude, la responsable de la rubrique financière se met en ménage avec un glandeur qui profite d'elle. Auteur d'une Bible de 1400 pages dont tout le monde se moque dans son dos, le chef correcteur vit dans l'ombre d'un ami d'enfance charismatique et doué, mais qui n'a jamais concrétisé les promesses de sa jeunesse. Vieille fille aigrie, une correctrice remâche à longueur de journée sa rancoeur et ses intentions de démissionner. Ancien étudiant en primatologie, le potentiel correspondant au Caire se fait exploiter par un collègue plus aguerri et sans scrupules. Détestée par tous ses collègues, la chef comptable est inopinément humiliée par un homme qu'elle vient de licencier... Entre les chapitres consacrés chacun à un personnage différent, des interludes narrent l'histoire du journal depuis sa création en 1954, à Rome. A mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, "The imperfectionists", le premier roman de Tom Rachman, a connu un très beau succès critique aussi bien que commercial. Je suis au regret de dire que malgré une structure intéressante et un sujet alléchant, il n'a pas su me charmer avec ses protagonistes pathétiques, aux histoires toutes plus déprimantes les unes que les autres.