lundi 17 septembre 2018

"Les Vanderbeeker T1: On reste ici!" (Karina Yan Glaser)


La famille Vanderbeeker compte 5 enfants: les jumelles Isa, passionnée de violon, et Jessie, scientifique en herbe; Oliver, le seul garçon, joueur de basket passablement dissipé; la timide Jacinthe qui adore la mode et confectionne elle-même ce qu'elle porte ou offre, et la petite dernière Laney, dont la spécialité est de distribuer câlins et bisous. Tout ce petit monde occupe le rez-de-chaussée et le premier étage d'une jolie maison de grès rouge située à Harlem. 

Mais un jour, leur propriétaire, le vieux M. Beiderman qui ne sort jamais de chez lui et se plaint sans cesse que les enfants font de trop de bruit, décide de ne pas renouveler leur bail. Les Vanderbeeker doivent vider les lieux avant la fin de l'année. Pour rester dans leur maison et leur quartier bien-aimés, ils mettent au point un plan de bataille. Objectif: se faire apprécier du vieux ronchon du 3ème étage... 

Sous sa jolie couverture, le premier tome de la série "Les Vanderbeeker" propose une chronique familiale chaleureuse, qui met l'accent sur l'importance des liens de voisinage et la notion de communauté. La fin très réussie donne envie d'enchaîner sur la suite, bientôt disponible en anglais et sans doute l'an prochain en français. Pour jeunes (ou moins jeunes!) lecteurs à partir de 9 ans. 

Traduction de Nathalie Serval

Merci aux éditions Casterman pour cette lecture

vendredi 14 septembre 2018

"Motor girl" (Terry Moore)


Je dois être une des plus grandes fans au monde de "Strangers in paradise", la série qui a fait connaître Terry Moore et l'a imposé comme un des meilleurs artistes indie de son époque. Je l'ai découverte quand je vivais aux USA, en 1997, et même après mon retour en France, je me suis débrouillée pour me procurer chaque nouveau numéro au moment de sa sortie.

C'est en 2007 que Terry Moore a mis le point final (ou pas...) aux aventures de Katchoo, Francine et David. Et je dois dire que je n'ai pas adoré ce qu'il a fait par la suite. J'ai suivi tout "Echo" sans grand enthousiasme, et décroché assez rapidement de "Rachel rising". Le trait était toujours aussi chouette, les héroïnes poutraient toujours du gnou, mais les histoires ne m'intéressaient pas. 

Du coup, je n'ai même pas su qu'il avait publié une série courte en dix numéros intitulée "Motor girl". Et quand je l'ai découvert, j'ai fait une moue dubitative. Sam, vétéran rentrée d'Irak avec un solide syndrome post-traumatique, tient une casse auto dans le désert avec son meilleur pote, Mike le gorille. Et un jour, elle rencontre des extra-terrestres. Gni? Pour être honnête, je pensais faire l'impasse. Mais quand j'ai vu que Delcourt sortait l'intégrale en français pour la modique somme de 20€, je me suis dit qu'au pire, je me rincerais l'oeil sur les beaux dessins de Terry Moore et glousserais en voyant sa nouvelle femme forte maraver la gueule d'un ou deux méchants.

Oh boy. Je n'étais pas du tout prête à me laisser embarquer dans un tel tourbillon d'émotions. De l'aventure, forcément, avec un pitch pareil; de l'absurde à foison, et de grands éclats de rire à plusieurs reprises. Mais surtout, surtout, la gorge serrée, le coeur gonflé et les yeux qui piquent comme aux plus belles heures de SIP. J'ai lu l'album d'une traite, et je l'ai refermé éperdue d'admiration pour le brio avec lequel l'auteur venait de boucler une histoire complètement dingue en me baladant d'un bout à l'autre de la gamme des sentiments. Je connais peu de créateurs capables de parler de traumatismes psychiques d'une manière aussi réaliste à travers des scénarios qui le sont si peu, et quasiment aucun homme dont chaque oeuvre soit une telle déclaration d'amour au sexe féminin. 

mardi 11 septembre 2018

"The psychology of time travel" (Kate Mascarenhas)


En 1967, quatre femmes scientifiques inventent une machine à voyager dans le temps. Mais lorsqu'elles révèlent son existence à la presse, l'une d'elles se met à divaguer en direct. Pour ne pas risquer que ses problèmes mentaux compromettent l'exploitation de leur découverte, les trois autres l'écartent immédiatement et poursuivent sans elle. 

En 2017, le voyage dans le temps est devenu une chose banale, gérée par un Conclave qui possède ses propres lois et ne répond de ses actes devant aucune autre autorité. Barbara, qui fut la quatrième pionnière et continue à regretter d'avoir été mise sur la touche autrefois, reçoit un message du futur: un article de journal relatant la découverte du corps d'une vieille femme dans l'étranges circonstances. Craignant qu'il ne s'agisse d'un avertissement, Ruby, sa petite-fille bien-aimée, décide de mener l'enquête...

Le voyage dans le temps est une de mes obsessions littéraires. La plupart des romans qui traitent de ce sujet explorent la notion de paradoxe temporel - la manière dont, de par leur intervention, les voyageurs risquent de modifier des événements du passé et donc  le cours de l'histoire à venir. Articulée sur les ressorts de la logique, l'intrigue traite des conséquences pour le monde en général et les personnages en particulier. Le plus intéressant dans "The psychology of time travel", c'est que son auteure a choisi de prendre le contrepied absolu des conventions du genre. Elle part du principe que, quoi qu'ils fassent, les voyageurs dans le temps ne peuvent rien changer au déroulement des choses: ils peuvent juste être changés eux-mêmes par leurs expériences. Et la chose en eux qui se transforme le plus profondément, c'est leur rapport à la mort. Puisqu'ils peuvent retourner dans le passé quand ils le veulent afin de revoir les proches qu'ils ont perdus, le décès de ceux-ci en arrive à ne plus avoir aucune signification pour eux. De leur point de vue, seule leur propre mort reste réelle et définitive - ce qui les rend plus cyniques et détachés que la moyenne, les coupe du commun des mortels et complique d'éventuelles relations amoureuses avec eux. 

Kate Mascarenhas est psychologue, et on sent qu'elle a beaucoup réfléchi à cet aspect jusque là moins exploré du voyage dans le temps. A la fin du roman, on trouve même les questionnaires très élaborés que le Conclave administre aux postulants avant de les accepter dans ses rangs. Du coup, je trouve assez curieux que ses héroïnes manquent à ce point de personnalité, chacune possédant au mieux un unique trait de caractère et une unique motivation: Ruby est lesbienne et veut protéger sa grand-mère; Odette, qui découvre le corps de la vieille femme anonyme, est noire et cherche à être acceptée quelque part; Margaret, qui dirige le Conclave, est une garce blonde et riche, prête à tout pour imposer sa volonté. Des stéréotypes ambulants sur le squelette desquels aucun détail personnel ne vient ajouter un tant soit peu de chair. 

Et c'est fort dommage, car par ailleurs, j'ai trouvé le roman tout à fait épatant (malgré des failles énormes dans la physique du voyage dans le temps). Moi qui aime les points de vue multiples et les lignes temporelles mélangées, j'ai été servie! J'ai adoré essayer de reconstituer le puzzle du crime au musée du jouet à partir des indices semés en désordre dans les différentes époques. La féministe en moi a également apprécié que tous les rôles importants, dans le livre et au sein du Conclave, soient tenus par des femmes. Enfin, la fan de "The time traveler's wife" a retrouvé avec bonheur des échos de cette histoire d'amour très particulière entre un partenaire qui voyage dans le temps et un autre dont la chronologie reste linéaire. "The psychology of time travel" est un premier roman à l'écriture trop clinique à mon goût, mais que j'ai quand même dévoré et qui a beaucoup excité mon imagination. Ce qui est déjà très bien. 

mardi 4 septembre 2018

"Why Mummy drinks" (Gill Sims)


Cette année, tout sera différent, décide Ellen à la veille de la rentrée des classes. Elle sera mieux organisée, ne criera plus sur ses enfants Peter et Jane, aura une maison toujours impeccable et une relation harmonieuse avec son mari Simon. Mais dès le lendemain, la réalité reprend ses droits, et pour tenir le coup, Ellen n'a pas d'autre choix que de recourir à des quantités copieuses de vin et de gin tonic. L'impossibilité de gérer sa vie autrement qu'en enchaînant les crises domestiques lui inspire une app vengeresse dont, à sa grande surprise, les ventes se mettent très vite à cartonner...

Ne vous laissez pas rebuter par cette vilaine couverture qui semble sortie du crayon d'un enfant de 8 ans sans doute destiné à travailler dans la finance. A l'heure où on parle beaucoup de la charge mentale des femmes, surtout quand elles sont mères de famille, Gill Sims illustre le concept d'une façon hilarante avec son héroïne au bout du rouleau, changée par les circonstances en mère indigne semi-alcoolique. Mention spéciale aux vacances de Noël durant lesquelles Ellen doit supporter à domicile sa belle-soeur hippie qui vide son bain moussant de luxe, la ruine en produits bios et utilise son blender pour préparer des smoothies... très particuliers, tandis que ses nombreux rejetons font caca par terre ou tentent de voler les iPads de leurs cousins.

Bien entendu, certaines situations sont extrêmement outrées et vous feront regarder vos enfants turbulents ou votre belle-famille de l'enfer avec une indulgence nouvelle, mais le fond me paraît tout à fait réaliste. Partant du principe qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer, "Why Mummy drinks" a tellement bien marché en Grande-Bretagne que l'auteure a déjà publié une suite, "Why Mummy swears". Je serais très étonnée qu'une traduction française ne soit pas disponible prochainement. 

lundi 3 septembre 2018

"Les soeurs Carmines" (Ariel Holzl)


Pas facile de survivre dans la cité de Grisaille, surtout quand vous n'avez jamais connu votre père et que votre mère a disparu sans explication en vous laissant un gros paquet de dettes. Mais les soeurs Carmine s'y emploient avec leurs dons hors du commun. Merryvère, la cadette, est une intrépide monte-en-l'air encore un peu naïve vis-à-vis des choses de l'amour. Tristabelle, l'aînée, fait tourner la tête de tous les hommes avec son physique plantureux qui dissimule une âme de psychopathe. Dolorine, la benjamine, voit les morts et tient de grandes conversations avec son inquiétante poupée M. Nyx.

Dans cette trilogie à l'ambiance steampunk gothique, Ariel Holzl consacre un tome à chacune des soeurs. Si j'ai trouvé son écriture parfois agaçante à force de vouloir éblouir le lecteur, je lui reconnais le mérite d'avoir su donner une personnalité et une voix très distinctes à chacune de ses héroïnes - dont la première est finalement la moins intéressante. (Par contre, j'ai grincé des dents chaque fois que je tombais sur un nom de famille pluralisé, alors que la règle veut qu'ils soient invariable en français. Sérieusement, pourquoi?) Grisaille est un lieu glauque à souhait; dans ses rues perpétuellement envahies par la brume, les membres des huit grandes familles dirigeantes comme les simples manants complotent et s'entretuent allègrement. La série s'achève en apothéose spectaculaire bien qu'un peu rapide, et on regrette de ne pas en avoir découvert davantage sur le passé tumultueux de Maman Carmine, la dernière addition au clan ou les pouvoirs intrigants de chaque famille. On imagine sans peine une seconde trilogie avec des héros différents dans le même univers.