mardi 28 juillet 2015

"Les beignets d'Oscar", ou: l'important, c'est que la mort nous trouve vivants


Lucio n'a pas assuré.
Prof de sport dans une salle de quartier minable, entraîneur d'une équipe junior de water-polo à ses heures perdues, ce presque quadragénaire un peu bedonnant (la faute, entre autres choses, au délicieux beignet qu'il passe manger tous les matins dans la pâtisserie de son beau-père) a trompé son épouse adorée avec une de ses clientes. Quand Paola l'apprend, elle le jette dehors. 
Et quelques jours après, Lucio fait la connaissance de "l'ami Fritz": une tumeur de 6 cm de long qui s'est confortablement installée dans son foie avant de faire plein de petits dans ses poumons. Sans chimiothérapie, son médecin estime qu'il lui reste trois mois avant d'entrer dans la phase terminale de son cancer. 
Paradoxalement, ces 100 jours vont être les plus heureux de la vie de Lucio.

J'ai fait l'emplette de ce roman parce que je cherchais une lecture estivale feel-good.
Grosse erreur.
Sans doute influencée par la couverture pimpante et le sous-titre contenant le mot "bonheur", j'imaginais que la maladie ne serait qu'un prétexte sur les aspects matériels duquel l'auteur passerait pudiquement, le déclencheur d'un joyeux conte philosophique dont le héros resterait serein face à sa mort inéluctable.
...Pas trop, non.
Ne vous y méprenez pas: Lucio ne passe pas 400 pages à se tordre de douleur, vomir et regarder tomber ses cheveux. Le propos du livre est effectivement que l'imminence de la mort va lui apprendre à vivre pour de vrai, et en cela, on peut considérer qu'il s'agit d'un roman globalement positif.
Mais qui fait beaucoup pleurer, quand même. Parce que si le côté médical n'est abordé qu'assez superficiellement, les souffrances mentales du héros, elles, occupent une bonne partie du bouquin - et il est difficile de ne pas se projeter à sa place. Ce qui est sans doute le but: pousser le lecteur à réfléchir à ce qu'il voudrait faire s'il vivait ses dernières semaines sur Terre et donc, plus largement, au sens qu'il veut donner à sa vie.
Pas un sujet léger, donc.
Pour autant, même si j'aurais sans doute esquivé "Les beignets d'Oscar" eussé-je mesuré son potentiel lacrymal, j'ai adoré ce roman au style enlevé et souvent drôle (mais je suis très sensible à l'humour du désespoir). Le découpage en 100 chapitres brefs donne un rythme dynamique. Les personnages secondaires sont assez savoureux - le beau-père qui retrouve l'amour sur le tard, les deux meilleurs amis qui organisent de grosses parties de déconnade, le libraire qui écrit et vend des romans en exemplaire unique, le vieux monsieur qui a changé son appartement en boutique de bavardages pour gens esseulés... Le héros, un type très ordinaire, bon vivant un peu lâche, déploie des efforts touchants bien que tardifs pour reconquérir sa femme et tisser des liens avec ses enfants. Et puis, difficile de ne pas éprouver de sympathie pour cet admirateur acharné de Léonard de Vinci ("le Toscan multicasquette") qui partage son petit-déjeuner avec un moineau, dresse des listes de qualités des gens qu'il aime et, à une séance avec un psychologue, préfère une glace pistache-croustichoc-vanille d'antan.
Je n'ai que peux petits bémols: un fond de machisme qui s'exprime à travers quelques considérations bien rétrogrades sur l'infidélité programmée des hommes et l'incapacité des femmes à réaliser un créneau, et un épilogue dont je trouve l'angélisme limite insultant. Cela ne change rien au fait que "Les beignets d'Oscar" est un roman émouvant, qui parvient à divertir et faire réfléchir en même temps. Pas une lecture feel-good, certes, mais une très bonne lecture tout de même.

vendredi 24 juillet 2015

"Je reviendrai vous voir"


Dans le sillage du tsunami de mars 2011, Nobumi, un ex-voyou devenu père de famille et illustrateur, se mobilise pour collecter 4000 livres jeunesse et les faire envoyer aux enfants de Fukushima. Cette initiative lui vaut de nombreuses insultes sur son blog, dont les lecteurs trouvent sa démarche narcissique et inutile. Touché en plein coeur, Nobumi décide de participer à une opération de bénévolat organisée par un de ses amis. C'est ainsi qu'il va passer cinq jours dans la région dévastée pour aider au mieux de ses moyens...

Après l'excellent "Daisy, lycéennes à Fukushima", "Je reviendrai vous voir" est le second manga publié par les éditions Akata sur le thème de l'après-tsunami. Ici, cependant, il ne s'agit pas de l'inquiétude provoquée par les fuites radioactives de la centrale, mais du problème plus immédiat de gérer une destruction à l'ampleur ahurissante. George Morikawa a mis en images l'expérience réelle de l'illustrateur Nobumi dont on perçoit très bien l'hébétude et les questionnements sans réponse, le découragement face à une tâche souvent macabre et répugnante qui semble ne pas avoir de fin, mais aussi les petite éclaircies apportées par des rencontres avec des rescapés dont le courage et la dignité illuminent ces pages. C'est un très beau témoignage sur les conséquences matérielles et humaines de la catastrophe, sur le sentiment d'impuissance que l'on ressent face aux choses qui nous dépassent et la manière dont on peut survivre quand même. Graphiquement, je ne suis pas fan du style de Morikawa, et encore moins du fait qu'il ait fait appel à des mangaka invités pour dessiner certains personnages secondaires, ce qui donne un résultat peu homogène. Mais je recommande quand même la lecture de ce manga au sujet hélas toujours tristement d'actualité.

mercredi 22 juillet 2015

"Ce qu'on a trouvé dans le canapé, puis comment on a sauvé le monde"


River est un minuscule rouquin de 13 ans qui boîte depuis l'accident de voiture dans lequel ses parents ont perdu la vie. Ses voisins et meilleurs amis par la force des choses sont Freak, un garçon de son âge dont la soeur est morte, dont la mère est partie et dont le père alcoolique et endetté le brutalise régulièrement, et Fiona, une fille d'un an plus jeune très intelligente mais accro à son téléphone, et qui s'habille comme un épouvantail parce qu'elle ne voit pas les couleurs. Tous trois vivent dans une petite ville sinistrée de Pennsylvanie, entre l'enfer de Hellsboro où un dangereux feu souterrain brûle depuis des années et le manoir Underhill habité par un vieil excentrique.

Un jour, près de l'arrêt de leur bus scolaire, les trois gamins découvrent un canapé vert au revêtement entaillé et au siège orné d'une grosse tache de sang. De ses recoins, ils extirpent une coque d'arachide écrasée, un emballage de chewing-gum froissé, une chaussette à carreaux, une pièce de monnaie bizarre, un hameçon qui se plante dans le doigt de River, et surtout un Crayola couleur courgette grâce auquel, dans les jours qui suivent, ils vont tenter de sauver le monde...

Je sais bien que le début de mon résumé pourrait faire croire à un bouquin sinistre, mais c'est tout le contraire. Bien qu'il aborde de biais un certain nombre de sujets graves, "Ce qu'on a trouvé dans le canapé, puis comment on a sauvé le monde" est avant tout un roman d'aventure génialement loufoque, une ode à la curiosité pleine d'action haletante et de jeux de mots savoureux qui ont dû être un casse-tête à traduire. Ses jeunes héros sont très attachants dans leurs qualités et leurs imperfections uniques, dans les casseroles que traîne chacun d'eux et l'amitié authentique qui les unit même si ça leur ferait mal de l'admettre. Bien qu'il vise un public de 9-11 ans, j'ai pris énormément de plaisir à le lire, et je me jetterai sur la suite si jamais Henry Clark en écrit une. En plus, la couverture de la VF est franchement magnifique, au point que je regrette d'avoir acheté la VO! Je recommande très chaudement aux amateurs de littérature jeunesse et à tous les enfants férus de lecture. 

mercredi 15 juillet 2015

"Ma grand-mère vous passe le bonjour"


Elsa a sept ans, presque huit. Son plus grand trésor est son écharpe Gryffondor. Elle lit de la littérature de qualité (à savoir, des bédés de super héros) et tout ce qu'elle ne sait pas, elle l'apprend sur Wikipédia. Elsa est vachement futée pour son âge. Pour tous les âges, même. Du coup, elle n'a pas d'autre amie que sa grand-mère - et quelle grand-mère! Une femme chirurgien qui a sillonné le monde toute sa vie pour venir en aide à ceux que personne d'autre ne voulait aider, une briseuse de coeurs qui ne s'est jamais fixée avec personne, une fieffée emmerdeuse imperméable aux conventions. "Il n'arrive jamais d'accident à Mamie: c'est Mamie qui arrive aux accidents", affirme Elsa. C'est aussi Mamie qui, chaque soir, l'entraîne dans le Pays Presqu'Eveillé pour lui faire vivre des contes et légendes fantastiques. Mais un matin, à cause d'un sale crabe, Mamie ne revient pas du royaume de Miamos. Elle a laissé pour Elsa une drôle de chasse au trésor: trouver et distribuer des lettres dans lesquelles elle demande pardon...

J'avais tellement aimé "Vieux, râleur et suicidaire: la vie selon Ove", le premier roman de Fredrik Backman, que je redoutais la malédiction du deuxième roman super décevant. Et au final, j'ai encore plus adoré "Ma grand-mère vous passe le bonjour". Ici aussi, le personnage principal est quelqu'un de solitaire qui va apprendre à tisser des liens avec les gens qui l'entourent; ici aussi, chaque chapitre suinte l'humanité brute et la tendresse bourrue. Mais "Ma grand-mère..." possède une profondeur supplémentaire. Il parle du pouvoir de l'imagination et des rêves, de choses pas très marrantes comme la folie et la mort,  et puis surtout du droit à la différence ou à l'erreur. C'est une histoire à la fois très drôle et très poignante, parfois en même temps; une histoire bourrée de références à Harry Potter, aux super-héros et à la culture internet; une histoire qu'on termine avec du chaud dans le coeur, de l'amour pour son prochain et de la tolérance pour toutes les failles du genre humain. C'est aussi un portrait de gamine ultra attachante - maligne et têtue, horriblement franche et curieuse, très à cheval sur l'orthographe et la grammaire, bougonne et de mauvaise foi mais toujours droite dans ses bottes -, servi par une très chouette traduction de Laurence Mennerich. Une pépite, tout simplement.

"Mamie a soixante-dix-sept ans, presque soixante-dix-huit. Ce qui ne lui réussit pas très bien non plus. On voit qu'elle est vieille, son visage ressemble à du papier journal fourré dans des chaussures mouillées, mais personne ne trouve jamais que Mamie est mature pour son âge. "En forme", voilà ce que les gens disent parfois à la maman d'Elsa. Ensuite, ils prennent un air soit très inquiet soit très en colère, et maman demande en soupirant combien vont coûter les dédommagements."

"Elsa avait eu très peur cette nuit-là, et elle avait demandé à Mamie ce qu'elle devrait faire si un jour leur monde s'écroulait. Alors, Mamie avait serré fort les index d'Elsa et répondu: "Nous ferons comme tout le monde, nous ferons ce que nous pourrons". Elsa avait grimpé sur ses genoux et demandé: "Que pouvons-nous faire?" Mamie lui avait embrassé les cheveux, l'avait enlacée fort, fort, fort, et avait soufflé: "On porte autant d'enfants qu'on peut, et on court aussi vite qu'on peut"."

"Elsa décide que si les personnes qu'elle aime se sont comportées comme des ordures dans leur jeunesse, elle va juste devoir apprendre à les aimer quand même. Il ne reste plus beaucoup de monde si on disqualifie tous ceux qui se sont conduits en ordures à un moment ou à un autre."

mardi 14 juillet 2015

"Au service surnaturel de Sa Majesté"


Lorsqu'elle reprend conscience dans un parc de Londres, entourée de cadavres d'hommes en costume portant des gants en latex, Myfanwy Thomas ne se souvient de rien. D'après la lettre qu'elle a trouvée dans sa poche, elle savait qu'elle allait perdre la mémoire et s'est laissé tous les indices nécessaires pour découvrir qui veut l'éliminer. Elle rejoint ainsi la Checquy, une organisation secrète chargée de combattre les forces surnaturelles qui menacent la couronne britannique. Au sein de cette version paranormale du MI5 anglais, la jeune femme, entourée de surdoués aux pouvoirs plus que spéciaux, devra se frayer un chemin dans un univers semé d'embûches et lever le voile sur une conspiration aux proportions inimaginables...

Premier roman de l'australien Daniel O'Malley, "Au service surnaturel de Sa Majesté" démarre sur un bon gros poncif littéraire: le personnage principal qui se réveille amnésique avec des méchants à ses trousses et se rend compte qu'il appartient à une puissante organisation secrète. Il se poursuit sur un sous-poncif de la catégorie "amnésie", avec une héroïne qui se rend rapidement compte que sa nouvelle personnalité n'a aucun rapport avec l'ancienne. L'histoire met du temps à démarrer; il y a pas mal de longueurs (notamment dans les lettres laissées par la Myfanwy originelle) et la traduction française, bien que d'un style assez enlevé, recèle des fautes de grammaire et d'orthographe qui m'ont fait saigner les yeux, sans parler de son atroce tendance à sauter du passé simple au passé composé ou à l'imparfait sans aucune raison apparente.

Cela aurait suffi à me faire abandonner presque n'importe quel autre bouquin, mais là, j'étais assez captivée par l'univers déjanté, le côté second degré et la personnalité de l'héroïne pour passer outre. Si la Myfanwy originelle était une bureaucrate timide qui se faisait constamment marcher sur les pieds par ses collègues, la nouvelle a un caractère délicieusement sarcastique, une tendance prononcée à jurer et un humour noir fort à propos pour qui doit affronter une secte d'affreux Belges mutants (oui). Les actions sur le terrain auxquelles elle doit se résoudre ont un petit côté lovecraftien horriblement jouissif, et les pouvoirs des divers membres de la Checquy en font un casting particulièrement coloré, avec des interactions chaotiques à souhait. Et puis, il y a un canard prophétique qui connaît un sort funeste mais hilarant. Bref, bien qu'il soit bourré de défauts, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire "Au service surnaturel de Sa Majesté", et je me jetterai certainement sur la suite dès qu'elle sortira. Mais en anglais.

"Dans n'importe quel autre pays, une guerre sanglante et totale aurait éclaté. Ces monstres auraient déferlé sur le territoire, des amas de chair épouvantable se seraient livré bataille et les nuits auraient donné lieu à de nouvelles atrocités innommables. 
Heureusement, on parle ici de la Belgique. 
Plutôt que de créer une armée monstrueuse prête à piétiner les soldats sur les verts pâturages, les riches mécènes rencontrèrent le dirigeant en place - probablement autour d'une sorte de potage crémeux - pour une conversation polie et civilisée."