vendredi 26 mars 2010

"Les années douces"


Ce que j'aime chez beaucoup d'auteurs japonais contemporains, c'est la délicatesse toute nippone de leur écriture, cet art de raconter des choses banales en les imprégnant de sentiments si subtils que ce qui serait mortellement ennuyeux transposé dans un cadre européen devient sous leur plume un bijou de finesse.

Je connais peu d'auteurs français capables de captiver leurs lecteurs en décrivant des scènes du quotidien pendant lesquelles il ne se passe rien... Du moins, en surface: car leur véritable enjeu se trouve dans le coeur des protagonistes, qui ont bien trop de pudeur pour manifester des émotions pourtant violentes à l'occasion.

Ainsi "Les Années douces" de Hiromi Kawakami. Au comptoir du troquet où elle a l'habitude d'aller boire du saké le soir, une jeune femme retrouve un de ses anciens professeurs de japonais. Au fil de chapitres dont chacun pourrait presque être lu indépendamment, comme une nouvelle, l'auteur installe une intimité grandissante entre ces deux solitaires. C'est tout, et c'est largement assez pour que le lecteur tombe sous le charme.

Chacune des 280 pages de ce livre se savoure telle une pâtisserie légèrement parfumée au matcha - une gourmandise hélas quelque peu gâtée par une traduction que je soupçonne trop "près" de l'original pour bien couler en français. Les multiples changements de temps injustifiés au sein d'un même paragraphe (passé simple, présent, passé composé, imparfait, de nouveau présent alors que l'on reste dans la même continuité d'action) sont particulièrement pénibles. C'est pour des oeuvres comme celle-là que je regrette amèrement de ne pas pouvoir lire le japonais dans le texte.

lundi 15 mars 2010

"Kylooe" tome 1


Lanuye est en classe de seconde. Ni jolie ni brillante, elle vient de débarquer dans un nouveau lycée où elle peine à se faire des amis. Un soir, elle achète un CD sur la pochette duquel figure un étrange monstre en peluche... qui ne tarde pas à sortir du papier glacé pour venir squatter sa chambre. Kylooe va l'entraîner dans un monde onirique merveilleux où l'adolescente ira de découverte et découverte. Mais elle doit faire très attention: si Kylooe ou elle meurent l'un dans la réalité de l'autre, ils ne pourront plus jamais revenir dans celle-ci...

Oeuvre d'une jeune artiste chinoise de 25 ans qui s'est fait connaître sous le pseudonyme de Little Thunder, "Kylooe" est une série en trois tomes dont le premier vient de paraître aux éditions Kana. Au-delà de la dimension poétique de l'histoire, qui fait forcément penser au "Totoro" de Miyazaki, c'est un véritable régal pour les yeux, avec notamment un emploi des couleurs audacieux et très maîtrisé qui m'a laissée sur le fondement. Je vais attendre la suite avec impatience.

mercredi 10 mars 2010

"Of bees and mist"


Je croyais avoir tout vu en matière de belle-mères toxiques. C'était avant de faire la connaissance d'Eva, l'un des personnages principaux du premier roman d'Erick Setiawan...

Meridia grandit dans une maison où il fait toujours glacial quelle que soit la température extérieure. Une brume ivoirine en garde la porte et tourmente les visiteurs. Chaque soir, une autre brume, jaune celle-là, emporte son père Gabriel vers une mystérieuse destination, et chaque matin, une brume bleue le redépose sur le seuil de leur demeure. Meridia ne comprend pas pourquoi son père semble la haïr, et c'est très rarement qu'elle parvient à arracher sa mère Ravenna au voile d'oubli et d'indifférence qui l'enveloppe. A seize ans, pendant le Festival des Esprits, Meridia tombe amoureuse de Daniel, un jeune joaillier au visage radieux. Elle ne tarde pas à l'épouser et à s'installer dans la maison apparemment si chaleureuse de sa belle-famille. La désillusion sera cruelle. Très vite, une âpre lutte de pouvoir se noue entre Meridia et Eva, la redoutable matriarche qui use d'un essaim d'abeilles pour contrôler son entourage...

Avec son atmosphère de conte de fées pour adultes (mais un conte de fées tragique), "Of Bees and Mist" m'a happée dès le premier chapitre pour ne me lâcher qu'au mot "fin", 500 pages plus tard. Je lui dois quelques nuits très courtes - sans regret, tant il est rare que je m'absorbe à ce point dans un roman. Il n'est pas encore traduit en français à ma connaissance, mais je le recommande chaudement à toutes les anglophones parmi vous.

"Vincent Delerm: 23 janvier - 19 juillet 2009"


Samedi après-midi, alors que je traînais sur le stand des éditions Actes Sud/Babel à la Foire du Livre, mon regard a été attiré par la couverture d'un livre de format inhabituel, illustré par une mosaïque de photos. Etant fan de cette présentation, je n'ai pu m'empêcher de regarder l'ouvrage de plus près. "Hiiiii, c'est un bouquin de Vincent Delerm!" me suis-je exclamée à l'attention de Chouchou, qui aime le bonhomme autant que moi. Oui, je sais: depuis quelque temps, il est de bon ton de cracher sur Vincent Delerm et son univers de bobo consensuel mou. Mais je m'y retrouve assez bien, moi, dans cet univers fait de petits détails du quotidien, de références culturelles un rien prétentieuses et de douce mélancolie. Donc, j'ai embarqué l'objet hybride: un recueil de photos et de notes prises par l'artiste durant sa dernière tournée, accompagné d'un DVD de son spectacle live.

Hier soir, j'ai parcouru le premier en écoutant le second. J'ai détaillé les assemblages de clichés montrant des coins de la France profonde qu'on pourrait trouver déprimants sans le regard sensible que Vincent Delerm pose sur eux. J'ai souri en lisant les petits textes où l'humour se mêle à une nostalgie absolument dénuée de tristesse. J'ai goûté l'atmosphère intimiste, parfois un peu fanée, des salles de concert provinciales, et la camaraderie qui se développe entre musiciens pendant une tournée de plusieurs mois. J'ai savouré les monologues entre deux chansons du spectacle, les couplets rajoutés ici et là. Décidément, quoi qu'il fasse, Vincent Delerm me touche par son sens de l'observation aigu, sa façon de saisir des instants fugitifs, en apparence anodins et qui méritent pourtant d'être savourés. Son "23 janvier - 19 juillet 2009" est une très jolie tranche de vie.