mercredi 22 avril 2015

"Pouvoirs magiques"


D'un côté, le titre, intrigant. 
De l'autre, cette couverture atroce qu'on croirait mise au point par un daltonien bourré. Oui, l'héroïne aime porter des vêtements un peu voyants, mais du jaune fluo, du vert sapin et du violet, ensemble, sérieusement? D'habitude, la couverture d'un roman est un argument de vente non négligeable pour moi; mais celle-ci? Un vrai repoussoir. 
Cependant, j'avais lu de bonnes critiques de "Pouvoirs magiques"; le sujet m'interpelait; le niveau de ma PAL était plutôt bas, et Actes Sud publie rarement des daubes. Alors, à mon dernier passage chez Brüsel, je l'ai quand même emporté à la caisse d'une main (l'autre étant occupée à éponger mes larmes de sang). 
Et je l'ai dévoré en moins d'une journée et demie. 
Pourtant, j'ai eu très peur dans les premières pages, Cécile Reyboz partant tout de suite dans une envolée un peu lyrique qui m'a fait craindre un style prétentieux, imbuvable. Et puis très vite, je suis tombée sous le charme de son écriture ultra-narcissique parce que - il faut bien le dire - je m'y retrouvais beaucoup. 
"Pouvoirs magiques", que j'ai d'abord pris pour un roman générationnel, est en réalité une autobiographie vaguement déguisée par le fait que Cécile Reyboz l'auteur parle de Cécile Reyboz l'héroïne à la troisième personne, tout en faisant intervenir une narratrice qui s'exprime à la première personne mais dont on découvre à la fin (et je ne spoile rien, car en vérité on s'en doute depuis le début) qu'elle n'est qu'une des facettes du personnage. Le procédé est un peu affecté, mais en même temps, j'avoue qu'il me parle. 
Si la famille de Cécile est assez différente de la mienne, si je n'ai jamais habité ce Paris dont la découverte l'éblouit et dont elle parle si bien, j'ai en revanche grandi à la même époque qu'elle et avec les mêmes références culturelles, puisque nous n'avons que trois ans d'écart. Je partage son attachement à la cellule d'origine, si imparfait que soit le mariage des parents, si bourrée d'incompréhension que puisse être la relation entre soeurs. Chez moi, ça s'est traduit par le fait de ne pas créer ma propre famille; chez elle, ça ressort dans le fait qu'elle ne nomme pas ses partenaires, même ceux avec lesquels elle vit pendant des années: ils restent "l'homme plus âgé" ou "l'ébéniste arménien", l'esclave affranchi", "J.A." dans le meilleur des cas. Même ses enfants n'ont pas de prénom dans le livre; ils sont juste "son fils" et "sa fille", et prennent finalement très peu de place dans sa vie d'adulte, au point que si le roman n'était pas autobiographique, j'aurais juré qu'il avait été écrit par une nullipare totalement naïve quant aux exigences de la parentalité. 
Et puis, je partage l'hyper-égocentrisme de Cécile, son côté "pas vraiment jolie mais qui peut plaire", son amour des ruptures franches et définitives, son absence de sentimentalisme, sa trajectoire erratique, sa recherche d'absolu mal formulée, l'accomplissement qu'elle trouve dans l'écriture.
Bref, j'ai adoré "Pouvoirs magiques", mais je ne sais pas trop à qui je le recommanderais tant les raisons de mon appréciation sont intimes. 

mercredi 15 avril 2015

"Le grand méchant renard"


Il est plutôt mal barré dans la vie, ce renard infoutu d'effrayer ne serait-ce qu'un moineau. Chaque fois qu'il se rend à la ferme, il se fait mettre une raclée par la poule qu'il rêve de croquer. Sans le cochon compatissant qui lui offre des navets, il serait mort de faim depuis belle lurette. Un jour, le loup redouté de tous lui suggère un plan: enlever des oeufs afin de manger les poussins qui en sortiront. Mais à force de les couver, puis de les élever jusqu'à ce qu'ils deviennent gras et dodus, notre renard se découvre un instinct maternel...

Si le héros de cette bédé avait été un chacal poltron, je ne m'y serais probablement jamais intéressée, d'autant que malgré la mention "Co-réalisateur d'Ernest et Célestine", Benjamin Renner était un parfait inconnu pour moi. Mais j'avoue m'être bien amusée à suivre les (més)aventures de toute cette petite ménagerie farfelue: poules revendicatrices et armées, chien de garde blasé et fainéant, lapin crétin et cochon jardinier, poussins qui se prennent pour des renards et mènent la vie dure à leur "Maman" de substitution... Les rapports parents-enfants sont ici retranscrits d'une façon particulièrement juste et rigolote. De cette fable animalière loufoque, à mettre entre les mains des petits comme des grands, j'ai aimé la morale discrète: il est possible de sortir du rôle assigné par la société pour tracer son propre chemin. Une découverte très sympathique (mais pouvait-il en être autrement avec un renard pour héros? Je ne pense pas.)



mardi 14 avril 2015

"Le sculpteur"


David Smith traverse une très mauvaise passe. Repéré par un riche mécène alors qu'il n'avait même pas terminé ses études, ce jeune sculpteur de 26 ans connaît depuis lors une lente dégringolade. Il vient de se faire virer de son boulot alimentaire et de l'appartement à loyer modéré qu'il occupait jusque là dans Manhattan quand il conclut un marché avec la Mort. Désormais, il aura le don de modeler à mains nues ses visions les plus folles dans n'importe quel matériau - mais au bout de 200 jours, il mourra. Cela lui paraît équitable, jusqu'à ce qu'il rencontre Meg et tombe follement amoureux d'elle...

Scott McCloud est essentiellement connu pour ses guides et autres ouvrages techniques sur la bande dessinée. Avec "Le sculpteur", il signe une fiction remarquable, aussi ample par les thèmes abordés que profonde dans leur traitement. Ici, il est question de l'ambition dévorante d'un artiste, de ce qu'il est prêt à sacrifier pour s'accomplir et être reconnu, mais aussi de déchéance sociale, de deuil, de solitude, de maladie mentale - et, pour le côté lumineux, de la jubilation intense qu'apportent l'amour et la création. Et puis, il y a New York, remarquablement dépeinte dans ce qu'elle peut avoir de plus excitant et de plus écrasant à la fois. Une longue fresque de 500 pages, très maîtrisée du point de vue graphique, parfois extrêmement lourde du point de vue émotionnel, mais qui m'a confortée dans ma certitude que chaque jour doit être vécu comme s'il allait être le dernier.

J'ai lu cette bédé en anglais et ne peux donc me prononcer sur la qualité de sa traduction française. 

samedi 11 avril 2015

"Vous êtes tous jaloux de mon jetpack"


Je ne connaissais pas du tout Tom Gauld avant que PriceMinister ne lance l'opération "La BD fait son festival"; en revanche, il faisait déjà beaucoup rire Chouchou. Comme nous n'avons pas franchement le même humour, ça aurait pu ne rien présager de bon pour moi. Mais en vérité, je me suis bien marrée à la lecture de cette collection de strips originellement parus dans The Guardian.

Il faut dire que si le graphisme est assez sommaire, tenant davantage de la pictographie que du véritable dessin, l'ironie à froid avec laquelle l'auteur épingle la culture populaire avait d'assez bonnes chances de fonctionner sur moi. D'autant qu'il réserve une place de choix à la littérature, et plus particulièrement aux auteurs dont il moque les travers de façon jouissive. Les thèmes historiques ou futuristes m'ont laissée nettement plus froide. Globalement, même si ce n'est pas le genre de bédé que j'aurais achetée, je l'ai lue avec plaisir. Note: 13/20






vendredi 10 avril 2015

"Soucoupes"


Dans un univers uchronique qui ressemble à un film des années 50, Christian est un quinquagénaire un peu blasé, coincé entre une mère sénile, une femme indifférente et une maîtresse exigeante. Il tient un magasin de disques, mais les vinyles ne semblent plus intéresser personne, ce qui ajoute encore à son amertume. Et puis un jour, des robots extra-terrestres débarquent sur Terre pour étudier les humains. Curieux, l'un d'eux pousse la porte du magasin de Christian et demande à écouter de la "musique humaine". D'abord agacé, puis intrigué et amusé, Christian sympathise petit à petit avec cet être venu d'ailleurs et se met en tête de lui faire découvrir les différentes formes d'art...

Si j'ai acheté cet album sans jamais en avoir entendu parler ni savoir ce qu'il racontait, c'est parce qu'au premier coup d'oeil, j'ai été charmée par le dessin d'Obion (et aussi, je l'avoue, par l'odeur divine qui s'échappait des pages). A la lecture, l'histoire s'est révélée tout aussi empreinte de nostalgie et de fantaisie que le graphisme semblait le promettre. L'art en tant que moyen de communication, tel est le thème que Le Gouëfflec traite ici de manière originale autant qu'inspirée, en jouant avec brio sur toute la gamme des émotions humaines. J'ai dévoré "Soucoupes" comme une irrésistible gourmandise, en regrettant qu'il ne soit pas deux fois plus long. Une excellente surprise. 




jeudi 9 avril 2015

"Avant toi"


Quand Lou apprend que le bar où elle est serveuse depuis des années met la clé sous la porte, c'est la panique. En pleine crise, dans ce trou paumé de l'Angleterre, la jeune femme de 26 ans se démène pour dégoter un job qui lui permettra d'apporter à sa famille le soutien financier nécessaire. C'est alors qu'on lui propose un contrat de six mois pour tenir compagnie à un handicapé: Will, un ex-golden boy de la City devenu tétraplégique après avoir été renversé par une moto. Fan de sports extrêmes et de grands voyages, habitué à diriger sa vie comme il l'entend, Will ne supporte pas de se retrouver en fauteuil roulant et complètement dépendant des autres. Il a donc décidé de mettre fin à ses jours. C'est à Lou qu'importe la lourde responsabilité de le faire changer d'avis...

Je suis infoutue de vous dire comment ce livre a atterri dans ma PAL. Les romances, à plus forte raison les romances lacrymales, ce n'est vraiment, vraiment pas mon truc - même (ou surtout) si elles se sont vendues à 3 millions d'exemplaires dans le monde. D'ailleurs, j'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans "Avant toi", dont j'ai failli abandonner la lecture vers la page 100. Si le côté sentimental m'intéressait très peu, deux choses m'ont incitée à continuer quand même: la peinture de la famille prolétaire de Lou et celle du handicap de Will, qui m'ont paru toutes deux extrêmement réalistes sans tomber dans le misérabilisme. Et puis, la personnalité irrévérencieuse mais sincère de l'héroïne apportait une touche de fraîcheur bienvenue dans cette histoire pas gaie du tout. Au final, je suis revenue sur ma première impression de "bouquin pour midinettes": les sujets abordés sont trop graves pour ça, et traités avec trop de délicatesse par l'auteur. Plus j'avançais dans ma lecture, plus j'étais émotionnellement investie dans la limite des faibles moyens de mon coeur de pierre. J'en suis la première surprise, mais comme apparemment 3 millions d'autres personnes dans le monde, j'ai adoré "Avant toi". 

J'ai lu ce livre en anglais et ne peux donc rien dire sur la qualité de la traduction. 

mardi 7 avril 2015

"Double je"


Nobara et Kotori sont des soeurs jumelles que tout oppose. La première est plutôt espiègle, la seconde une fille sage. Mais deux terribles drames vont venir bouleverser leur vie. Comment faire face à la mort d'un être cher? Au manque d'amour? A l'injustice et à la culpabilité? Faut-il renoncer à son bonheur pour se construire un avenir dans une société cruelle? La route sera longue, torturée et tumultueuse, mais au bout du chemin demeure un espoir: celui du pardon, et surtout d'une vie meilleure...

Elle vous fait envie, cette quatrième de couv? Moi pas. Le thème des jumeaux/jumelles aux caractères opposés a été si largement battu et rebattu que, rien que parmi les romans que j'ai traduits, je peux citer au moins deux séries et deux one-shots basés dessus - et j'en oublie sûrement. Je n'avais donc pas spécialement l'intention de me pencher sur le cas de "Double Je"... jusqu'à ce que je remarque la mention "drame social et psychologique", et surtout le nom de Reiko Momochi qui est également l'auteur de "Daisy, lycéennes à Fukushima" - un de mes gros coups de coeur de l'an dernier.

Au final, si j'ai un peu soupiré à cause d'un ressort scénaristique hyper éculé et d'une accumulation de drames certes bien orchestrée mais tout de même peu crédible, je me suis plutôt bien laissée prendre à l'histoire. J'ai été émue par le sort des héroïnes, et frustrée en atteignant la fin de ce tome 1 qui, mise en place rocambolesque effectuée, laisse présager d'une suite haletante, à la limite du thriller. "Double je" est une histoire complète en 5 tomes; je serai au rendez-vous pour les 4 suivants!

mercredi 1 avril 2015

"The bookseller"


Denver, 1962. Kitty Miller est ce que l'on nomme à l'époque une "vieille fille" de 38 ans. Elle n'a pas trouvé le compagnon qu'elle espérait, ni fondé de famille. Au lieu de ça, elle vit seule dans un charmant duplexe coloré et a ouvert une librairie avec sa meilleure amie Frieda. Très proche de ses parents, elle aide également un jeune voisin qui a des difficultés d'apprentissage de la lecture. Bref, même si les choses n'ont pas tourné comme prévu, Kitty est heureuse. Jusqu'au jour où elle se met à rêver d'une autre vie - une vie dans laquelle elle a un époux merveilleux, deux enfants adorables, une grande maison et une garde-robe digne de Jackie Kennedy. Une vie idyllique, donc? Pas sûr. Au fil des rêves de Kitty, des problèmes troublants commencent à apparaître dans sa seconde existence, tandis que la frontière avec la réalité se brouille de plus en plus... 

Une uchronie personnelle située dans l'Amérique des années 60, avec une héroïne libraire? Vendredi dernier chez Shakespeare & Co, le premier roman de Cynthia Swanson me hurlait "ACHETE-MOI". Et comme je ne suis pas femme à abandonner un livre en détresse... Je l'ai commencé aussitôt, et j'ai été un peu déçue. La simplicité de l'écriture, passe encore, mais je trouvais les transitions particulièrement abruptes et maladroites, les ficelles du scénario présentées de façon très peu subtile. Mais l'histoire m'intéressait, si bien que j'ai quand même poursuivi ma lecture. Puis les événements inattendus se sont enchaînés jusqu'à ce que je comprenne ce qui se passait vraiment, et qui justifiait ce que j'avais d'abord pris pour de la maladresse stylistique. J'ai lu et décortiqué des centaines de livres pour mon boulot, au point qu'il devient très difficile pour un auteur de me mener en bateau bien longtemps: il me suffit d'un détail apparemment superflu, d'une tournure de phrase un peu particulière pour que je devine par avance ses futures révélations. Pourtant, Cynthia Swanson m'a manipulée comme un chef. Bravo madame, et merci: j'ai pris beaucoup de plaisir à lire "The bookseller".