samedi 30 septembre 2017

"Une apparition" (Sophie Fontanel)


Je me fiche totalement de la mode, son domaine d'expertise sur lequel elle a écrit pendant quinze ans dans ELLE et continue à écrire actuellement dans L'Obs. Pourtant, j'adore Sophie Fontanel: je la trouve d'une bienveillance rare, drôle, légère et vraie à la fois. J'ai dévoré "Grandir" où elle racontait comment elle s'était occupée de sa mère devenue dépendante, et "L'envie" où elle évoquait une longue période d'abstinence sexuelle.

Dans "Une apparition", il est question de cheveux - les siens, dont elle a décidé un jour de laisser la blancheur naturelle prendre le dessus sur les teintures brunes. Cet acte a priori anodin suscite des réactions très vives autour d'elle: d'un côté le rejet, l'incompréhension et même un certain dégoût de la part de ceux qui considèrent son geste comme une forme de négligence ou d'abdication devant la vieillesse; de l'autre, l'admiration de ceux qui y voient (à juste titre) une manifestation de liberté, et l'envie de beaucoup de femmes qui aimeraient en faire autant mais n'osent pas.

Pendant un an et demi, l'auteure chronique sa transformation capillaire qui se révèle une transformation tout court. Elle ne s'est jamais trouvée belle, et voilà qu'au milieu de la cinquantaine, elle le devient par la grâce de sa crinière blanche qui l'auréole d'une lumière nouvelle. Sans prétendre donner de leçon ni détenir de vérité autre que la sienne, elle interroge indirectement le lecteur sur son propre rapport aux apparences et à l'âge. Entre humour et émotion, un livre plus profond que la photo de couverture façon Cousin Machin ne le laisse supposer!

mercredi 27 septembre 2017

"Ernesto" (Marion Duclos)


Ernesto est un grand-père pas très bavard. Il vit à Tours, mais son accent ne trompe pas: on sait très bien qu'il vient de l'autre côté des Pyrénées. Le franquisme lui a volé sa jeunesse... Ernesto tait ses blessures. Et la vie file à toute allure. L'Espagne, les oranges grosses comme des melons, les melons doux comme du miel... Un matin, tout l'appelle. Et avec son vieux copain Thomas, le combattant pour la République prend la route. 

Je l'avoue: je ne suis pas passionnée par la culture espagnole en général, et encore moins par la période du franquisme en particulier. Ce qui m'a attirée dans ce roman graphique signé Marion Duclos, c'est son dessin doux, léger et coloré, mais surtout la promesse d'un road trip entre vieillards. Ernesto affronte les maux du grand âge avec force bougonnements et se chamaille en permanence avec Thomas sans qu'on puisse un seul instant douter de la profondeur de leur amitié. Leur périple leur fait croiser la route d'une petite communauté d'autres émigrés d'origine espagnole avec lesquels Ernesto va enfin pouvoir évoquer librement ses souvenirs et peut-être même tourner la page du décès tragique de son épouse bien-aimée. Bien que prenant ses racines dans des événements historiques dont l'auteure n'occulte pas la dureté, "Ernesto" déborde d'humour, de tendresse, de chaleur humaine et, pour finir, d'apaisement. 

Merci aux éditions Casterman pour cette lecture.

samedi 23 septembre 2017

"La Grande Ourse" (Elsa Bordier/Sanoë)


Hantée par ses morts, Louise en a conçu la peur de vivre et d'être heureuse. Alors que son copain, lassé qu'elle ne s'implique pas davantage dans leur relation, vient juste de la quitter, elle reçoit la visite d'un drôle de personnage - une des étoiles de la Grande Ourse qu'elle contemple si souvent pour se consoler. Phekda l'entraîne dans un grand voyage: d'abord sur la plage où Louise passait ses vacances autrefois, puis dans une forêt étrange, et enfin dans un royaume céleste où s'apaiseront les craintes de la jeune femme...

Si le personnage de Phekda peut donner l'impression que "La Grande Ourse" s'adresse à un jeune public, le thème abordé en fait plutôt une bédé pour adultes, mais pour adultes ayant gardé de leur enfance une forte sensibilité au merveilleux. Les très beaux dessins à dominante bleue de Sanoë illustrent parfaitement l'atmosphère magique de l'histoire d'Elsa Bordier, en équilibre délicat entre nostalgie et surnaturel. Mention spéciale au poulpe et au renard, que j'aurais bien aimé rencontrer moi aussi!




jeudi 21 septembre 2017

"Toutes mes nuits sans dormir" (Leslie Stein)


Quand le vendeur de chez Brüsel m'a annoncé que cette bédé coûtait 26,35€, je lui ai fait répéter deux fois, puis je lui ai demandé de vérifier s'il n'y avait pas d'erreur tant ça me semblait exagéré pour un album d'assez petit format à couverture souple. Mais j'étais très alléchée par les dessins aperçus en le feuilletant, donc, je l'ai pris quand même en plaisantant: "A ce tarif-là, y'a intérêt qu'il me plaise". 

Faut-il vraiment vous raconter la suite? 

Si j'ai effectivement adoré le graphisme assez particulier de "Toutes mes nuits sans dormir" (et beaucoup admiré le travail réalisé par l'éditeur pour lettrer l'album en français), j'avoue que les planches quotidiennes de Leslie Stein évoquent un quotidien ni très intéressant, ni très attachant. L'auteure travaille dans un bar, la nuit. Elle boit beaucoup. Elle joue un peu de guitare. Elle est insomniaque. Ce n'est pas juste qu'elle s'attache à décrire des petits riens (dont je suis très friande), c'est que la moitié du temps, on ne comprend même pas ce qu'elle raconte. Du point de vue de la narration, c'est répétitif, décousu et vaguement déprimant. Du point de vue du graphisme, c'est coloré, joyeux et foutraque au meilleur sens du terme. Mon cerveau n'ayant pas réussi à réconcilier ces deux aspects, je suis tout à fait infoutue d'attribuer une note globale à cet album.




lundi 18 septembre 2017

"Les derniers jours de l'émerveillement" (Graham Moore)


New York, 1888. Les lampadaires à gaz éclairent les rues, l'électricité en est à ses balbutiements. Celui qui parviendra à en contrôler la distribution sait déjà qu'il gagnera une fortune considérable et sa place dans l'histoire. Deux hommes s'affrontent pour remporter la mise: Thomas Edison et George Westinghouse. Lorsqu'un jeune avocat, Paul Cravath, aidé par le légendaire Nikola Tesla, se mêle de ce combat homérique, il ne tarde pas à se rendre compte qu'autour de lui, les apparences sont trompeuses et que chacun a des intentions cachées. 

Romancier et scénariste oscarisé pour "The imitation game", Graham Moore revient ici à la fiction historique mettant en scène des personnages célèbres. Brodant autour de faits bien réels - et récapitulés en fin d'ouvrage -, il narre une incroyable bataille juridique capable de captiver même les gens qui n'entendent pas grand-chose au droit ou à la physique. Ses portraits de génie sont fascinants: Thomas Edison, assoiffé de gloire à n'importe quel prix; George Westinghouse, avant tout soucieux de réaliser de bons produits; Nikola Tesla, solitaire à moitié fou inspiré par ses visions; Alexander Graham Bell, homme sage et pondéré qui s'est retiré du monde, et même le financier JP Morgan qui a su amasser par lui-même une fortune sans précédent. A côté d'eux, bien que jeune prodige dans sa branche, Paul Cravath semble un personnage presque falot.

Près de 130 ans plus tard, il est très instructif de considérer les débuts de l'électricité et la méfiance initialement engendrée par cette technologie qui fait désormais partie de notre quotidien. On sourit notamment de ce passage: "Edison et quelques autres s'étaient attachés à améliorer le téléphone initial d'Alexander Bell. Tesla, lui, se proposait de le faire fonctionner sans aucune sorte de fil. Pas besoin d'être scientifique pour se rendre compte qu'un tel projet était absurde. Même si, par miracle, Tesla parvenait à en créer un de ce type, qui diable lui trouverait la moindre utilité?". Et on est happé par les incroyables rebondissements que provoque la contestation du brevet sur la première ampoule électrique. Jusqu'au twist final un peu amer, "Les derniers jours de l'émerveillement" se lit comme un policier doublé d'une ode à la créativité des scientifiques, une histoire essentiellement vraie animée par un grand souffle romanesque. 

Merci aux éditions Cherche Midi pour cette lecture. 

samedi 16 septembre 2017

"David Bowie n'est pas mort" (Sonia David)


C'est d'abord la mère qui meurt, cette mère si rigide, peu affectueuse et exaspérante que ses trois filles ont depuis longtemps renoncé à obtenir son approbation ou sa tendresse. Et alors qu'Anne, Hélène et Emilie se ressemblent très peu, qu'elles se voient tout au plus deux fois par an, ce décès les affecte d'une façon que la cadette - la narratrice - n'aurait jamais imaginée, resserrant leurs liens parce qu'elles seules savent ce que c'était d'être les filles de leur mère, faisant ressurgir les contentieux de l'enfance mais créant aussi une bonne volonté d'adultes entre elles. 

Un an plus tard, c'est le père qui disparaît à son tour, le parent préféré dont Hélène se sentait si proche, et le bouleversement est immense mais porteur d'émotions différentes. Entre les deux, David Bowie aura tiré sa révérence et fait rejaillir d'autres scènes de l'adolescence des trois soeurs, éclairant toujours davantage la dynamique souterraine de leur famille.

Malgré une configuration, des personnalités et des rapports très différents de ce que j'ai personnellement connu, "David Bowie n'est pas mort" a trouvé beaucoup d'écho chez moi. Ce roman d'une justesse si aiguë qu'on jurerait lire une autobiographie dit à merveille ce qui se joue de fondamental au sein des familles jusqu'à ce que les enfants prennent leur envol, la manière dont les rapports avec les parents mais aussi les frères et soeurs modèlent les individus pour toujours, en bien ou en mal - tout en montrant que, sur ces fondations, il est aussi possible de construire quelque chose d'apaisé.

jeudi 14 septembre 2017

"Ces jours qui disparaissent" (Timothé Le Boucher)


Que feriez-vous si d'un coup, vous vous aperceviez que vous ne vivez plus qu'un jour sur deux? C'est ce qui arrive à Lubin Maréchal, un jeune homme d'une vingtaine d'années qui, sans en avoir le moindre souvenir, se réveille chaque matin alors qu'un jour entier vient de s'écouler. Il découvre alors que pendant ses absences, une autre personnalité prend possession de son corps. Un autre lui-même avec un caractère bien différent du sien, menant une vie qui n'a rien à voir. 

Pour organiser cette cohabitation corporelle et temporelle, Lubin se met en tête de communiquer avec son "autre" par caméra interposée. Mais petit à petit, l'alter ego prend le dessus et possède le corps de Lubin de plus en plus longtemps, ce dernier s'évaporant progressivement dans le temps. Qui sait combien de jours il lui reste à vivre avant de disparaître complètement?

Récit fantastique ou histoire de personnalités multiples? Je m'en voudrais de vous gâcher la découverte d'un roman graphique d'une telle richesse. "Ces jours qui disparaissent" aborde le thème fondamental de l'identité et de la dualité intérieure par un biais si palpitant qu'il se lit comme un thriller psychologique. Ni essai philosophique ni démonstration psychologique, c'est juste une putain de bonne histoire qui tient en haleine à chacune de ses 200 pages et jusqu'à sa fin magistrale. 

Les personnages sont extrêmement attachants, à commencer par le héros acrobate, rêveur tendre et passionné mais tout à fait détaché des contingences matérielles qui voit sa vie, son art, ses amis, ses amours et sa famille lui échapper peu à peu. Tout le long, mon coeur a saigné pour lui; je me suis révoltée à sa place; je l'ai attendu avec ses proches. Car ce qui fait la poignance du récit, c'est que Lubin est quelqu'un de très aimé - donc, qui a beaucoup à perdre. L'auteur a su l'entourer de figures bien campées, tout aussi vivantes et vibrantes que lui: un des gros avantages d'un format aussi long, c'est qu'il permet de bien développer même les personnages secondaires et de susciter un vrai investissement émotionnel du lecteur.

Au passage, je tiens à saluer l'inclusivité du récit: il met en scène des personnes de couleur et des gays qui ne sont pas là parce parce que l'histoire a besoin de leur taux de mélanine ou de leurs préférences sexuelles, mais juste parce que le monde n'est pas un éternel bastion blanc hétéro. Sans oublier une grosse absolument sublime en la personne d'Alexandra, l'artiste de ruban aérien, dont le poids n'est jamais mentionné ne serait-ce qu'en passant. 

Face à eux, l'Autre qu'il serait très tentant de haïr parce que tel un parasite, il vole la vie du gentil Lubin. Et aussi parce qu'il est presque une caricature de "membre productif de la société", le type qui gagne des tonnes de fric, qui porte des costards, qui a une belle maison avec piscine - l'incarnation de la réussite selon Macron, en somme. Pourtant, si on prend une minute pour se mettre à sa place, on sort très vite de la dichotomie du bon et du méchant, et on commence à choper un sérieux mal de crâne...

Le dessin en ligne claire, dont j'ai craint au début qu'il colle mal avec un scénario aussi dramatique, évite au contraire que l'atmosphère ne devienne trop pesante. Il réserve de très beaux moments de grâce, comme les numéros d'acrobatie de Lubin, et n'empêche pas l'auteur de faire vieillir ses protagonistes d'une façon fort réaliste. Emouvant, intrigant et maîtrisé de bout en bout, "Ces jours qui disparaissent" est LE roman graphique à ne pas rater en cette rentrée 2017. En ce qui me concerne, il rentre directement dans le Top 10 de mes préférés de tous les temps. 

mardi 12 septembre 2017

"Parce que je déteste la Corée" (Chang Kang-myoung)


Kyena a 27 ans et aucun avenir en Corée, pense-t-elle: elle n'appartient pas à une famille riche, elle ne sort pas d'une université prestigieuse, donc, elle se pense condamnée à une vie médiocre. Se contenter d'épouser son petit ami et de devenir une mère au foyer ne la tente pas. Et puis, dans son pays, elle a froid tout le temps. Alors, au grand dam de sa famille et de ses amis, elle part s'installer en Australie. Là-bas, elle passe un diplôme de comptabilité et découvre une vie très différente, avec ses règles, ses pièges et ses difficultés propres. Elle habite dans des colocations bondées et ne trouve que de petits boulots pour lesquels elle est surqualifiée; pourtant, elle n'envisage pas de revenir en arrière...

"Parce que je déteste la Corée" avait tout pour me séduire a priori. Je raffole des histoires d'expatriés, surtout quand elles amènent à comparer deux pays dont la culture m'intéresse - ce qui est le cas ici. L'auteur retranscrit très bien, d'une part le mélange de frustration et de résignation qui caractérise actuellement les jeunes Sud-Coréens, d'autre part le racisme anti-asiatique planqué sous l'énergie et la coolitude apparente des Australiens. 

Pourtant, je n'ai pas accroché à la structure désordonnée de ce roman, et encore moins à la personnalité de son héroïne. Hormis sa détermination à vivre en Australie, Kyena n'a aucun trait de caractère particulier, aucun rêve précis, aucune passion qui la rendait attachante ou même vaguement intéressante - tout le contraire de ce qu'on pourrait imaginer en voyant la fille enthousiaste sur la couverture. Elle répète sans cesse qu'elle veut être heureuse, mais sans avoir la moindre idée de ce que ça signifie pour elle et encore moins de plan pour atteindre le bonheur. Du coup, sans me déplaire, le bref récit de ses mésaventures m'a laissée tout à fait froide. 

dimanche 10 septembre 2017

"Grupp" (Yves Grevet)


A la fin du XXIème siècle, les gens portent un implant géré par la société Long Life qui permet de réguler leur santé ainsi que leurs éventuels comportements dangereux et d'intervenir tout de suite en cas de problème, ce qui a permis de faire disparaître de nombreuses causes de mortalité et considérablement allongé la durée de vie. Pourtant, certains jeunes se révoltent contre les restrictions de liberté que cela entraîne. Un jour, l'un des meneurs du mouvement, Scott, 17 ans, est arrêté et envoyé en prison pour six mois. Sa famille, qui ignorait tout de ses activités, tombe des nues...

Moins de liberté pour plus de sécurité, c'est déjà le marché que nous imposent les autorités de nos jours - soi-disant pour nous protéger contre les attentats terroristes, et en réalité, pour mieux contrôler toute forme de dissidence. (Oui, je suis une sale gauchiste, lapidez-moi.) Dans l'avenir imaginé par Yves Grevet, cette logique a été poussée à l'extrême grâce au développement de nouvelles biotechnologies qui permettent d'étouffer dans l'oeuf la plupart des maladies en adoptant une hygiène de vie hyper saine et très strictement surveillée. Bien entendu, les adultes trouvent ça formidable, et c'est la jeunesse bridée dans ses élans qui finit par se rebeller la première contre ce carcan et ses dérives possibles. 

Outre son principe très intéressant car très réaliste, j'ai aimé la construction narrative de ce roman. Dans la première partie, on suit Stan, le frère cadet de Scott, tandis qu'il découvre l'existence du Grupp et tente de comprendre ce qui est arrivé à son aîné. Toutes les questions soulevées trouvent leurs réponses dans la deuxième partie, où on rembobine quelques mois pour revivre la même période à travers les yeux de Scott. Enfin, dans la troisième et dernière partie, qui se dirige vers une résolution musclée, on s'intéresse aux autres membres du Grupp et aux talents particuliers qu'ils mettent au service de leur combat. "Grupp": un roman jeunesse qui, malgré son rythme plutôt lent dans les deux premiers tiers, captive et devrait donner à réfléchir à son lectorat cible. 

Merci aux éditions Syros pour cette lecture.

vendredi 8 septembre 2017

"Nous, les déviants "(C.J. Skuse)


Autrefois, Ella, Max, Zane, Fallon et Corey étaient inséparables. Leur enfance magique a pris fin le jour où Jess, la grande soeur de Max qui aimait tant leur raconter des histoires, est morte percutée par un bus. Depuis, leur petite bande a éclaté et ils ne se voient plus, à l'exception d'Ella et Max qui sortent ensemble. Ils forment en apparence un couple idéal: l'athlète douée promise aux jeux olympiques et le fils du plus riche homme d'affaires de la région.

En profondeur, pourtant, un secret ronge Ella, l'emplissant d'une colère brûlante qu'elle ne parvient plus à canaliser sur les pistes de course. Quand les circonstances les réunissent avec leurs anciens amis, la jeune fille décide de donner une bonne leçon à tous ceux qui leur causent ou leur ont causé du tort. Elle ignore encore que la vengeance est une arme à double tranchant...

"Nous, les déviants" est narré à la première personne par Ella. Entre les chapitres, un mystérieux interlocuteur interroge cette dernière à la façon d'un psy ou d'un inspecteur de police pour la faire accoucher de son histoire dramatique. Peu à peu, on découvre ce qui met chacun des cinq amis à la marge, et on dénoue le fil d'une tragédie amorcée des années auparavant. Entrer dans les détails reviendrait à déflorer une intrigue bien sombre pour un roman jeunesse, et néanmoins excellente justement par sa noirceur que l'auteure n'hésite pas à pousser jusqu'au bout.

J'ai adoré le personnage d'Ella, la mécanique psychologique très réaliste de la honte et de la peur qui engendrent le secret qui engendre la colère qui engendre la destruction, les considérations désabusées sur l'enfance et l'amitié, et surtout la fin que j'ai trouvée aussi poignante que belle. Ce n'est assurément pas une lecture qui conviendra à tous les ados, mais ceux qui l'aimeront l'aimeront VRAIMENT. Quant à moi, je m'en vais de ce pas me pencher sur le reste de la bibliographie de C.J. Skuse. 


Merci à La Belle Colère pour cette lecture.

mercredi 6 septembre 2017

"Professeur Goupil" (Loïc Clément/Anne Montel)


Le professeur Goupil vit dans un grand château; il a une piscine en forme de haricot, une salle de cinéma privée, une bibliothèque bien garnie et un lit à quatre places rien que pour lui. La nuit, il se livre à des expériences plus ou moins réussies dans son laboratoire. Par exemple, il essaie de changer des pantoufles-animaux en saucisson sec. Et ça ne donne rien. Du moins, c'est ce qu'il croit jusqu'à ce qu'il se réveille le lendemain et s'aperçoive que les animaux ont pris vie. Goupil le farouche misanthrope se retrouve soudain obligé de cohabiter avec cette horde d'envahisseurs...

Vous connaissez ma très grande affection pour les scénarios signés Loïc Clément et les dessins à l'aquarelle d'Anne Montel. Le duo, qui s'est fait connaître dans la bande dessinée avec "Sha et Salomé: Jours de pluie", "Les jours sucrés" et les deux tomes du "Temps des Mitaines", signe ici un délicieux roman jeunesse dans lequel un personnage bourru et égoïste apprend la valeur de l'amitié et du partage.

Comme toujours, la fantaisie et l'humour tendre qui imprègnent l'univers des auteurs permettent de faire passer un message bienveillant mais jamais mièvre ni moralisateur. Les expressions courroucées du professeur Goupil sont un pur régal, du genre qui fait glousser sous cape à chaque fois qu'on les regarde (ou peut-être que c'est juste moi, parce que je me suis beaucoup reconnue en ce renard asocial?), et on prend un plaisir fou à scruter les illustrations pour en savourer jusqu'au plus minuscule détail.

C'est le genre de bouquin qu'un enfant de 8 ans peut apprécier tout seul, qu'un enfant plus jeune peut se faire lire par ses parents, et que les parents piqueront en douce pour le savourer une fois encore en buvant un milk-shake ou en mangeant un flan au caramel. En fait, "Professeur Goupil" n'a qu'un seul défaut: il se termine beaucoup trop vite! Heureusement, on me souffle à l'oreille que ce n'est que le premier tome d'une série, que le deuxième paraîtra en janvier et que le troisième est déjà en cours de conception.

Merci aux éditions Little Urban pour cette lecture en avant-première!

lundi 4 septembre 2017

"De l'autre côté" (Stefan Casta)


"Quelqu'un meurt. C'est comme ça que cette histoire commence."
Il suffit d'un accident de voiture - une ambulance qui déboule un peu vite à un carrefour, un renard jailli de nulle part qu'on s'efforce de ne pas écraser - pour que la vie paisible d'Elina et de son père Jörgen vole en éclats. Tandis qu'ils cherchent sans savoir comment à combler le vide béant dans leur famille et leur quotidien, tous deux ont le coup de foudre pour une maison abandonnée située non loin du lieu du drame. Et alors que Jörgen est toujours fauché, les circonstances semblent conspirer pour lui fournir l'argent nécessaire à l'achat de cette maison qui les a comme envoûtés. Pourtant, un voisin les prévient que l'endroit est maudit...

Difficile de ranger "De l'autre côté" dans une catégorie quelconque. Même si ce n'est pas vraiment une histoire de fantômes, il flotte un petit parfum de merveilleux, voire de surnaturel tout au long de ses 400 pages. Le Suédois Stefan Casta sait mettre en évidence la magie de la nature et lui prêter de mystérieuses intentions à travers le renard qui se promène en arrière-plan au fil des saisons. Elina, fille de la ville endeuillée au début du roman, tombe sous le charme d'une vie plus rude à la campagne et y trouve une forme de sérénité illustrée par les poèmes intensément mélancoliques de Pär Lagerkvist (que j'ai maintenant très envie de dévorer): "Un jour, tu feras partie de ceux qui auront vécu il y a longtemps...". Un roman jeunesse inattendu et émouvant. 

samedi 2 septembre 2017

"Stolen things" (Stephen Parolini)


La mère de Berry s'est enfuie quand elle n'avait que quatre ans, et son père se meurt d'un cancer de l'estomac. Alors, il emmène la fillette de douze ans s'installer chez sa tante Annabelle dans l'idée que celle-ci l'adoptera après sa disparition. Annabelle est une vieille fille bourrue qui vit dans une maison isolée à la campagne et qui n'aime guère les enfants. Sans amis de son âge, en plein déni par rapport à la maladie de son père adoré, Berry se réfugie dans les livres et entreprend d'explorer la forêt voisine. Elle va y faire maintes découvertes surprenantes...

Ca faisait bien longtemps qu'un roman ne m'avait pas autant émue. Il faut dire qu'en plus de taper là où ça fait mal chez moi, "Stolen things" est dans l'absolu une petite merveille de sensibilité, qui utilise les mystères de la forêt pour parler tout en subtilité de choses terriblement réalistes: l'amour, la famille, la mort. En l'espace de quelques semaines, Berry, qui a une relation géniale avec son père, se trouve forcée d'accepter qu'elle va le perdre bientôt, et on ne saura jamais si les rencontres qu'elle fait sont ou pas le produit de son imagination cherchant à remplacer une peur primordiale par une autre peur primordiale, un monde où elle n'a de prise sur rien et dont les règles lui échappent par un autre monde où elle n'a de prise sur rien et dont les règles lui échappent. 

Si la fillette est très clairement l'héroïne de l'histoire, les adultes qui l'entourent - notamment la mère réapparue après une absence de huit ans - sont eux aussi dépeints avec beaucoup de nuance et de délicatesse. Au passage, Stephen Parolini, éditeur avant d'être écrivain, gratifie le lecteur de quelques très jolies considérations sur le pouvoir des livres. Je sais que "Stolen things" est théoriquement un roman jeunesse, mais j'avoue avoir du mal à comprendre comment un(e) ado pourrait le savourer à sa juste valeur. Qui est immense.